Side Story 1 : Réveil
par Iris

 

Note de lecture :
Cette Side Story n'est à lire qu'après avoir fini le chapitre 17 de la fic.

 

Février 1968

            Noir et froid. Telles sont les seules sensations qui me parviennent dans le néant où je suis plongée depuis... depuis quand au fait ? Cela aurait tout aussi bien pu être depuis toujours. Mes seuls souvenirs se limitent à un environnement d'ébène et de glace. Brusquement quelque chose vient percer le cocon qui me retient prisonnière. Une sorte de vibration... Un son, c'est un son ! Mes oreilles habituées au silence ont du mal à l'identifier. Il me faut quelques secondes supplémentaires pour comprendre qu'il s'agit de voix. Peu à peu, dans ce brouhaha de voix difformes un son parmi d'autres se détache. Puis un autre. Maintenant ils semblent s'assembler avec harmonie pour former... des mots ! Ces sons étranges que j'entends depuis tout à l'heure, ce sont des hommes qui parlent ! Il y a quelqu'un là, avec moi ! Je ne suis plus seule !
            — Elle est pratiquement morte de froid. Il faut la réchauffer, et vite !
            — Je m'en charge.
            — Il n'en est pas question, Nabu ! Ta maladie...
            — Tout ira bien, ne t'inquiète pas pour ça frérot. Fais-moi confiance.
            Apparemment ces deux personnes ont fini par trouver un terrain d'entente, car je ne les entends plus se disputer. J'aurais presque préféré. Je me sens si seule dans cette obscurité glacée que cela me fait du bien d'entre des voix, même si je comprends à peine ce qu'elles disent.
            Soudain, quelque chose vient trouer la pénombre en même temps qu'une étrange sensation, telle que je n'en avais plus l'habitude, vient entourer chacun de mes membres. Membres... j'ai donc des membres, je m'en souviens maintenant. Je l'avais oublié à cause du froid, mais j'ai un corps. Un corps qui se réchauffe, peu à peu. Cette sensation si douce qui m'enveloppe toute entière, c'est la chaleur.
            Quel contraste avec ce qui était mon quotidien il y a peu de temps encore ! A présent me voilà environnée d'une intense impression de chaleur, mais qui pourtant ne me brûle pas. Au contraire, je n'ai jamais ressenti de sensation aussi douce. Jamais, vraiment ? Brièvement, avant que j'ai eu le temps de mettre le doigt dessus, l'image d'une jeune fille auréolé d'une lumière doré parvient à ma conscience... mais elle s'évapore trop vite pour que je comprenne de quoi il s'agit. 
            Rester aussi attentive à mon environnement m'épuise. Je me sens retomber dans l'inconscience.

 

*           *           *           *           *

            Nabu vient de s'allonger auprès du corps glacé que renfermait le cercueil, l'entourant de ses bras  décharnés. Aussitôt, un cosmos vert turquoise vient entourer le couple à terre. Cela dure plusieurs minutes. Sachant que son frère a presque épuisé ses réserves, et craignant pour sa maladie, Mardouk s'agenouille et tend la main sur la jeune fille. De nouveau une aura  de même couleur que celle de Nabu vient se joindre à la première. Resté debout, Gienah hésite. Finalement il s'agenouille à son tour, et pose une main sur le torse de l'adolescente. Son cosmos, bleu aux reflets blancs irradie lui-aussi.

 

*           *           *           *           *

            Quelques heures se sont écoulées. Enfin je crois : je n'ai pas la notion du temps. A présent je suis assise dans un lit, adossée à de gros oreillers. Je n'ai pas encore vu l'homme qui m'a donné de sa chaleur, il faudra que je le remercie pour ce qu'il a fait. En attendant, je m'ennuie. Rien, je ne sais rien en ce qui me concerne, et c'est terriblement frustrant. J'ignore totalement comment j'ai pu me retrouver aussi gelée et, pire que tout, j'ignore jusqu'à mon propre nom. En fait, quelque soit la question que l'on voudrait me poser, je n'aurais pas la réponse. Mon esprit est comme une feuille qui aurait été arrachée à un livre, une page blanche. Je déteste cette situation.
            Tiens, la porte s'ouvre. Deux hommes, dont l'un est un vieillard, font leur apparition. L'autre, c'est celui qui se disputait avec mon sauveur, celui qui m'a réchauffée. Où est-il d'ailleurs, celui-là. J'aimerais tant le remercier. En attendant le vieux s'assoit et me sourit. Sourire auquel je ne réponds pas, je ne sais toujours pas qui je suis, où je suis ni avec qui. Même s'ils m'ont sauvé la vie, je préfère rester prudente.
            Apparemment, je n'aurais pas besoin de parler. Le vieillard se met à psalmodier  ce qui ressemble à des incantations. Je me sens bizarre. Trop bizarre. On dirait que des images, des sons et des mots pénètrent dans ma tête. Brusquement je sais que le lit où je suis assise est en fait un baldaquin, que la langue que l'homme utilise est de l'allemand. Quand à moi, je suis une adolescente qui a de peu échappé à la mort. 
            Lorsque les incantations sont terminées, j'ai l'impression d'avoir une foule de choses à l'intérieur de ma tête. Maintenant je sais comment nommer les choses autour de moi. J'ai l'impression que mon cerveau se remet à fonctionner, à vivre. Ceci-dit, je ne connais toujours pas la tête que j'ai....
            — Passez-moi un miroir, vite !
            Est-ce moi qui vient de demander, non, d'ordonner quelque chose ? A croire que j'en ai l'habitude ! L'autre homme ne se démonte pas et va chercher quelque chose sur la coiffeuse. Il revient avec un petit miroir que je m'empresse de prendre. En effet, je suis encore une adolescente. Des tâches de rousseur, de longs cheveux roux, on me donnerait environ treize ans.
            Mais alors pourquoi cette impression que je devrais être plus vieille ?

 

*           *           *           *           *

            Quelques jours se sont écoulés pendant lesquels j'ai dû apprendre, ou plutôt réapprendre tout ce qui fait une vie normale. Je ressens une énorme gratitude envers Mardouk d'avoir décidé de me sortir de cet horrible cercueil de glace, et envers Rudy qui n'hésite pas à se transformer en professeur. Cependant, s'il y en a bien deux que je souhaite remercier de toute mon âme, c'est d'une part l'homme qui m'a libérée, de l'autre le frère aîné de Mardouk, celui qui, d'après ce qu'on m'en a dit, a réchauffé mon corps de son cosmos.
            Lorsque enfin je me retrouve face à face avec lui – Nabu – je sens diverses émotions m'envahir. La tristesse et la reconnaissance sont les plus fortes. Alors cet homme, horriblement malade, aurait sacrifié une partie de son cosmos si précieux pour moi ? Sans plus hésiter je me jette à son cou et lui fait la bise. Je sais dorénavant que j'aurais toujours confiance en lui... ainsi qu'en son frère qui paraît mener les opérations.

 

*           *           *           *           *

            Au fur et à mesure que le temps passe, mes souvenirs reviennent. Je me revois par exemple, vêtue d'une ridicule robe blanche, baissant les yeux vers un groupe d'hommes en armures dorées qui se tiennent genou à terre. Je me réveille en plein milieu de la nuit parce que j'entends des bruits de fureur et sens une odeur de sang. Je suis... j'étais quelqu'un d'important, je le sais. Mais qui...

 

*           *           *           *           *

            J'étais Athéna. Ou du moins sa réincarnation. J'ai mené les Chevaliers au combat il y a deux cent-cinquante ans. Deux cent-cinquante ans ! Et cela semble si proche ! Que s'est-il passé depuis la fin de la guerre, où étais-je ?
            Il ne me faut pas longtemps pour le découvrir.
            Les fumiers !
            Comment ont-il osé ? Cela ne leur suffisait pas que leur bien-aimé déesse se serve de moi sans scrupule pendant une dizaine d'années, me privant de la vie d'une enfant normale. Il fallait aussi qu'ils s'en mêlent. Et qu'ils décident, une fois qu'elle n'a plus eu besoin de moi, ce qu'il convenait de me faire. A moi, qui fut le réceptacle de leur Athéna chérie ! A moi qui qui ai vu ma jeunesse sacrifiée pour le bien de cette divinité...
            Mais ce n'était pas suffisant. Ce n'était pas assez bien.
            Ces ordures ont décidé (oui, décidé !) que je serais plus en sécurité dans un cercueil de glace. Un cercueil, Seigneur !  Une fois Athéna enfin partie, je commençais tout juste à vivre...
            Lorsque je découvre, ou plutôt quand je me rappelle cela, je suis à genoux, ployée sous le poids du ressentiment. La haine et la rancœur sont si fortes que je crains qu'elles ne m'étouffent.
            Maudite sois-tu, Athéna.
            Maudit sois-tu, Sanctuaire d'Athéna.
            Oh comme je vous hais...

 

*           *           *           *           *

            Ma décision est prise. Irrévocable. Mardouk m'a parlé de ses projets. Il ne m'a pas fallu longtemps pour le rejoindre. Je le suivrai, de toute mon âme, parce que je crois en lui.
            J'ai demandé à Mardouk de m'entraîner, je ne veux en aucun cas être faible quand le moment sera venu. La bataille aura lieu, j'en suis certaine, je l'espère même.
            Moi, Sophia,  j'espère bien pouvoir régler mes comptes avec le Sanctuaire d'Athéna.