Side Story 4  : Les Noirs Souvenirs du Grand Pope

Par Vincent, sans pseudo

 

Note de lecture :
Cette Side Story n'est à lire qu'après avoir fini le chapitre 9 de la fic.

Sanctuaire, septembre 1969

   Dans la Salle du Grand Pope, une discussion enflammée se déroulait entre Sion, Praesepe, Saga et Aioros. Elle concernait le sort qu’il fallait réserver à The Thief, chevalier d’or du Cancer, coupable du meurtre d’un apprenti. Les avis étaient partagés, mais chacun savait que la décision qu’allait prendre le maître des lieux serait indiscutable, même si Aioros aurait voulu tuer l’assassin de ses propres mains.
   « N’oublie pas, jeune chevalier d’or du Sagittaire, que contrairement, à vous tous ici, j’ai déjà livré une Guerre Sainte. Et, surtout, que j’en ai déjà gagné une. Je sais ce dont on a besoin et ce qu’il est nécessaire d’accepter comme compromis pour arriver à une issue positive lors d’un conflit. Et je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que les épreuves qui attendent notre déesse débouchent à nouveau sur une victoire. »
   Tous sentaient que le choix du Grand Pope était fait.
   « Je regrette que vous deviez découvrir à vos jeunes âges ce qu’implique réellement de devoir mener une guerre. Les chevaliers d’Athéna sont reconnus pour leur noblesse mais cela n’exclut pas de faire preuve de réalisme. J’aimerais vraiment ne pas avoir besoin d’hommes comme The Thief, mais tel n’est pas le cas. »
   Aioros sentit alors le cosmos du Grand Pope bouillonner de rage. L’aura dorée du premier serviteur de la Déesse Athéna se déploya autour du corps du vieil homme. Une puissance que l’on aurait pu croire divine s’était éveillée et Sion reprit alors la parole d’une voix glaciale.
   « Mais si jamais il tue encore un seul de mes chevaliers… un seul de mes apprentis… Je lui briserai moi-même la colonne vertébrale... Et peu importeront alors les considérations stratégiques. »

   Suite à cet entretien, Sion se retira dans ses appartements et enleva son masque. Son visage était couvert de sueur.
   « Maudit The Thief, tu m’obliges à me remémorer mes plus noirs souvenirs. Ainsi que ma peur, ajouta-t-il en regardant sa main trembler. Qui pourrait croire que de toute ma vie, ma plus grande terreur fut causée par un homme portant une armure d’Athéna ? Moi qui ai combattu les armées maléfiques des Enfers et repoussé de nombreux dangers menaçant le monde durant deux cents ans, je tremble encore en repensant à Caligula, l’ancien chevalier d’or du Taureau. »

***

Deux siècles plus tôt.

   La guerre contre Hadès approchait, et même si tous les chevaliers d’or avaient été réunis par le destin, la plupart étaient apprentis et passaient le plus clair de leur temps à parfaire leurs techniques, exhortés par l’imminence du conflit.
   Lors d’une de ces journées d’entraînement intensif, une gigantesque déflagration retentit en provenance des environs du Sanctuaire. Croyant avoir affaire au début des assauts des spectres, plusieurs chevaliers arrivèrent sur les lieux : le village de Rodorio était anéanti aux trois quarts, mais aucune présence ennemie n’était à constater. En fait il n’y avait qu’un seul homme encore en vie au milieu de ces décombres : étendu à terre se trouvait le jeune chevalier du Taureau, Caligula. Grand et élancé, la chevelure d’un noir corbeau et le teint blafard, il n’en avait pas moins la force caractéristique de son signe.
   Sion, qui faisait partie des arrivants, s’approcha de lui pour l’interroger, mais il n’en eut pas le temps : le survivant se releva, et se frottant le crâne de la main, il s’exclama :
   « Eh bien, je crois que ma technique est au point ! »
   L’incompréhension de ses interlocuteurs se changea en colère.
   « C’est toi qui as fait ça ?
   - Impressionnant, n’est-ce pas ? J’ai hâte de pouvoir tester mon pouvoir sur ces cloportes de spectres ! »
   La discussion ne continua pas davantage, un autre chevalier d’or l’assomma d’un coup sur la nuque.
   Par la suite, Caligula se défendit en prétendant qu’il ne s’attendait pas à provoquer de tels dégâts, qu’il avait voulu arrêter une bande de brigands qui s’étaient aventurés dans le village et que c’était à ce moment-là que sa puissance s’était éveillée.
   Le Grand Pope, nouvellement nommé suite à la mort du sage Akbar, et la déesse Athéna décidèrent de lui laisser une deuxième chance, à condition qu’il ne quitte plus l’enceinte du Sanctuaire. De toute façon le ressentiment à son égard aurait vite provoqué des incidents s’il avait à nouveau tenté de s’approcher de la population, lui que l’on nommait désormais le Boucher d’Athéna.
   Les assauts des spectres avaient alors débuté. Ceux-ci attaquaient les avant-postes du Sanctuaire, toujours là où on les attendait le moins. Ils cherchaient à créer la confusion. Plusieurs chevaliers d’or furent envoyés au loin afin de les intercepter.
   Au cours d’une de ces missions, le jeune chevalier du Bélier arriva trop tard sur les lieux d’une attaque ennemie. Des cadavres jonchaient le sol sur des centaines de mètres à la ronde. Sion découvrit alors quelques spectres parmi les victimes, et au milieu d’eux se tenait fièrement Caligula, dont le corps et l’armure étaient couverts de sang.
   En temps normal, Sion ne se serait même pas posé de question, mais face à cet homme, un doute le submergea.
   « Ce sont les spectres qui ont causé tous ces morts, n’est-ce pas ? Et tu n’es arrivé qu’après le massacre ? »
   Caligula se tourna vers lui, dévoilant un large sourire.
   « Si tu le dis. »
   Mais tandis qu’il entendait cette réponse, Sion capta des bribes de ses pensées.
   « Mon troisième village détruit, je peux être fier ! »
   Le chevalier du Bélier sentit son sang se glacer. Il répéta la phrase qu’il venait de percevoir.
   « Mon troisième village détruit, je peux être fier !
   - Tiens tiens, tu lis dans mes pensées ! Ce n’est pas très respectueux.
   - Pour… pourquoi as-tu fais ça ?
   - Mais pour Athéna ! Et aussi pour l’humanité. A la différence des érudits tels que toi, je ne connais qu’une seule façon de m’entraîner et de développer tout mon potentiel, c’est de m’exercer sur des êtres vivants. Je suis incapable de me battre contre des rochers ou de livrer de faux combats contre d’autres apprentis, et il n’y a que lorsque je suis face à un être de chair et de sang que je me sens capable de combattre.
   - Tu es un monstre !
   - Nous le sommes tous ! Nos pouvoirs sont faits pour tuer, l’aurais-tu oublié ? Les chevaliers ne sont pas sur terre pour guérir les maladies et sauver les forêts, ils sont là pour ôter la vie !
   - C’est faux ! Notre rôle est de protéger les innocents !
   - En tuant les ennemis ! Eh bien moi il n’y a qu’en tuant que je peux déployer toute ma puissance ! Or, c’est le destin qui a fait de moi un chevalier, il suffit donc de l’accepter !
   - Si vraiment tu crois que le Sanctuaire peut accepter ta façon de procéder, alors pourquoi avoir camouflé tes massacres parmi les attaques des spectres ? Nous verrons si Athéna et le Grand Pope pensent que tu mérites encore ton titre ! »
   Caligula cessa de sourire.
   « Ne fais pas l’idiot. Nous sommes en pleine guerre contre Hadès, et je suis un pion bien plus important que toi sur l’échiquier. Alors ne m’oblige pas à sacrifier la pièce mineure que tu représentes, car je n’hésiterai pas ! »
   Sion resta paralysé face à celui qui était censé être son frère d’armes, puis il hurla une invocation.
   « Crystal Wall ! »
   Le chevalier du Taureau répliqua dans l’instant, la colère déformant son visage.
   « Great Horn ! »
   La protection psychique vola en éclats, mais le Bélier était déjà parti en direction du Sanctuaire. Caligula se lança à sa poursuite, projetant des attaques afin de stopper le fuyard, mais le Bélier esquivait de justesse les offensives qui, bien que puissantes, manquaient de précision. Plus il se rapprochait du domaine sacré, plus il lui devenait difficile d’échapper à son poursuivant qui gagnait du terrain. Finalement une attaque le toucha de plein fouet, et le projeta avec tant de force qu’il atterrit au pied des douze maisons. Sion avait bien calculé son point de chute. Caligula arriva sur ses talons, et tout à sa fureur il souleva le poing pour l’achever, semblant ignorer qu’il se trouvait au centre du Sanctuaire. Immédiatement plusieurs chevaliers d’or apparurent autour de lui, le forçant à reprendre ses esprits. Sion perdit connaissance.

   A son réveil, il vit son ami Dohko qui changeait ses bandages.
   « Tout va bien Sion ?
   - Caligula, qu’est-il devenu ?
   - Tu dors depuis trois jours, son procès s’est terminé hier.
   - Son procès ?
   - Après enquête, on a pu établir le nombre de victimes innocentes dont il est responsable, et c’est encore pire que ce qu’on croyait. Celui qu’on nomme le Boucher d’Athéna sera exécuté demain. »
   Sion se détendit, soulagé.

   Mais si cette menace était écartée, il n’en restait pas moins que la guerre contre Hadès faisait rage, le Seigneur des Enfers semblant même avoir reçu de l’aide extérieure.
   Pour l’heure, la moitié des spectres fondaient sur le Sanctuaire comme un raz-de-marée, tandis que la plupart des forces d’Athéna étaient déjà occupées ailleurs tant la Guerre Sainte avait pris des proportions gigantesques. Les douze maisons étaient déjà le théâtre de violents affrontements, et les chevaliers encore disponibles n’étaient plus assez nombreux pour contenir cette nouvelle vague.
   Dans son temple, le Grand Pope venait d’entendre le rapport alarmant que venait de lui faire un soldat. Il savait qu’il n’avait plus aucune ressource à sa disposition. Enfin, presque. Résigné, il émit cet ordre qu’il aurait voulu ne jamais prononcer.
   « Lâchez le Boucher d’Athéna. »

   Quelques heures plus tard, alors que les combats dans les maisons du zodiaque étaient terminés, les chevaliers survivants s’élancèrent vers l’endroit où Caligula avait intercepté l’armée ennemie afin de lui prêter main forte. Mais aucune bataille n’avait lieu. Il n’y avait jusqu’à l’horizon qu’un charnier dépourvu de la moindre vie. Une cinquantaine de spectres étaient étendus à terre, parmi lesquels on pouvait reconnaître deux juges. Et au milieu de tous ces cadavres il y avait celui de Caligula, les yeux crevés, un bras arraché, et le torse ouvert. Toutes ces blessures ne l’avaient pas arrêté, il avait exterminé à lui seul cette armée, évitant par là même la défaite d’Athéna.
   Si Sion avait été troublé par la vision de tous ces morts, un détail le troubla plus encore : Caligula souriait, comme si cette mort affreuse avait été le but que ce guerrier avait cherché à atteindre toute sa vie. Etait-ce là le rôle que lui avait réservé le destin ?