Side Story 6 : Le Cœur d’un Guerrier
Par Master Jahoo

 

Note de lecture :
Cette Side Story n'est à lire qu'après avoir impérativement fini le chapitre 19 de la fic.

 

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            Le Sagittaire posa sa main sur l'épaule de Gienah en signe d'encouragement. Celui-ci regarda ses compagnons qui semblaient de plus en plus affectés, puis eut un petit sourire.
- Bah, je n'ai jamais espéré finir centenaire de toute façon.
- Que veux-tu dire ? demanda Tokoyo.
- Ça va aller, fit simplement Gienah.
            Une couche de givre commença à se former sur son corps, puis il disparut brutalement. Il y eut un moment de flottement, avant que tout le monde ou presque ne parle en même temps.
- Où est-il passé ? fit Ra.
- Il est toujours là en un sens, je perçois toujours ses pensées, répondit Aioros d'une voix neutre. Mais sa fréquence vibratoire n'est plus la même que la nôtre.
- Comment cela, il nous a laissés et retourne seul vers la sécurité ? interrogea Anhur d'une voix incrédule devant cette trahison.
- Non, il n’est simplement pas capable d’abaisser nos fréquences à tous en même temps, il ne peut pas les dissiper comme cela sans contrepartie.
- Tu veux dire qu'il est train de les absorber ? intervint Inanna. Nos fréquences sont en train de diminuer pendant que la sienne augmente en compensation ?
- Mais alors la sienne va tendre vers l'infini, il est train de se précipiter vers le néant ! fit Hanpa.
- Il doit déjà être à l'extérieur de notre protection, observa Rudy. Le néant l'a peut-être déjà dévoré.
- Non, il s'est recouvert d'une couche de glace protectrice. Il espère qu'elle tiendra le temps qu'il nous ramène.
- Mais lui restera-t-il assez de forces pour revenir ensuite ? demanda Hanpa.
- Probablement pas. Il sera allé trop loin pour revenir, même seul.
- Tu le savais ? interrogea Anhur.
- Oui.
            La plupart le regardèrent avec une expression étrange pendant quelques instants.
- Son âme survivra et connaîtra une autre vie. Peut-être même ce sacrifice lui permettra-t-il de sortir du cycle des réincarnations. Que ce soit clair, je ferai tout ce qu'il est nécessaire pour remplir la tâche qu'Elle m'a confiée. L'enjeu est simplement trop important. Gienah l'a compris et accepté.
- Mais... commença Anhur avant de se faire couper d'un geste autoritaire par Aioros.
- Gienah me transmet ses pensées. Il dit qu'il a vécu beaucoup plus longtemps qu'il ne l'aurait pensé à l'époque où il appelait la mort de ses voeux. Il dit aussi qu'il a accompli beaucoup plus que ce qu'il était en droit d'accomplir avec son passé.
            La voix d'Aioros s'altéra légèrement, comme si Gienah parlait directement à travers lui.
- Le néant m'appelle, je n'ai pas peur. J'ai l'impression de tomber et d'être entouré par des flocons de neige. Malgré tout ce que j'ai vu et fait, le poids de mes crimes m'a toujours pesé, mais je vais enfin pouvoir... Oublier.

*          *          *          *          *

            Les flocons de neige continuaient de tomber, tandis que l’âme du guerrier se dispersait, libérée des chaînes du temps, alors que celui-ci, d’un long fil, devenait une masse, perdant son sens même.

*          *          *          *          *

            Le jeune garçon blond avait fini par s’écrouler de fatigue, à force de pleurs sans fin.

            Certes, les gens ne pouvaient lui reprocher son immense tristesse. Il venait de voir sa mère sombrer avec le grand bateau dans les abysses d’une mer gelée, lui laissant sa place sur le canot de sauvetage, afin qu’il puisse survivre.

            Certes les gens s’étaient moqués de lui et avaient finalement cessé, face à sa détresse. Lorsqu’il avait émis le souhait de plonger dans les eaux gelées pour aller la retrouver, ils l’avaient chahuté gentillement en lui parlant de ces guerriers sacrés et légendaires, capables de réaliser des exploits dignes des Dieux.

            Malgré tout, ils avaient été soulagés de ne plus entendre ces sanglots, même étouffés. Ils ne faisaient que leur rappeler leur propre lâcheté face à cette femme courageuse. Ils étaient cette épine douloureuse dans leur pied qu’ils souhaitaient oublier.

            Avait-ce été le fait que cet incident se soit produit en Sibérie, à cet endroit particulier ? Avait-ce été la soudaine détermination de ce jeune enfant, décidé à devenir un puissant guerrier ? Peut-être n’y avait-il eût aucune raison particulière, juste une coïncidence, ou un caprice du destin, mais l’âme du guerrier, qui se trouvait dans le Temps des Rêves, sans plus y être vraiment, l’entendit.

            Il entendit ces sanglots.

            Il entendit ce voeux formulé et cette détermination. Et son attention fut attirée par celle-ci.

            Il continua d’errer dans cette zone singulière dénuée de sens et de règles, incapable de s’en extirper. Son essence éthérée s’était en quelque sorte liée à celle du garçon, bien que le lien en question soit moins une chaîne qu’une émotion. Il était possible qu’il ait senti son potentiel, son affinité avec le froid, pressentant le guerrier des glaces à naître, même en l’absence de tout pouvoir de précognition.

            Il gardait en tête ce qui pour lui était un douloureux échec. Son disciple, en qui il n’avait pas réussi à faire jaillir le faisceau d’émotions et de sentiments qui étaient pourtant essentiel chez un guerrier. Il gardait en tête les douleurs que les siennes lui avaient infligées pendant si longtemps et pourtant, il reconnaissait toute la valeur qu’elles lui avaient conférée.

            Pour cette raison, chaque nuit, lorsque le garçon dormait, il rappelait à sa mémoire l’image de sa défunte mère, il ramenait à la surface tous les sentiments qui pouvaient s’endormir avec le temps pour les garder intacts. Il évoquait encore et encore l’image de cette belle femme qui s’était sacrifiée avec bravoure pour son enfant, afin que celui-ci ne l’efface jamais.

            Et le temps passa.

            Et l’enfant, tout d’abord accueilli par un orphelinat japonais, fut renvoyé en Sibérie, afin qu’il devienne l’un de ces guerriers sacrés qu’il s’était juré de devenir. L’être ne savait pas à quel point le destin avait joué dans ce tour de force, ou si son pressentiment s’était simplement révélé juste. Il ne put s’empêcher de sourire de satisfaction, alors même qu’il n’avait plus de visage ou de lèvres pour le faire.

            Il ne put pas non plus s’empêcher de frémir lorsque le maître se présenta à son élève, le premier étant son échec cuisant qui n’avait visiblement pas évolué depuis, restant ce guerrier insensible et froid. Oui, cet ancien disciple était un instructeur tout à fait capable, puissant, pragmatique, réfléchi. Mais au-delà de tout cela, sa seule réelle faiblesse perdurait. Cette faiblesse  qu'il tentait même de la transmettre au jeune garçon, l’enjoignant à refouler ses émotions et ses souvenirs. Eût-il eu des yeux pour pleurer, des larmes amères auraient coulées sur ses joues immatérielles.

            Il se fit donc le garde-fou de ce maître inconscient. Il continua, chaque nuit, à visiter le garçon pour garder ses émotions et ses souvenirs intacts et toute l’insistance de son instructeur n’y pu rien faire, ravivant les uns et les autres à travers des images oniriques. Le garçon passait sans doute pour un faible, émotif, presque geignard, mais au moins conservait-il cette force qu’on essayait de lui saper.

            Et l’enfant parvint à son but. Son instructeur en avait fait un guerrier puissant, presque arrogant à certains égards, mais le plus important était conservé et jamais le souvenir de sa mère ne le quittait.

            Jusqu’à ce qu’il hurle silencieusement de rage.

            Jamais cet être immatériel n’aurait imaginé que son ancien élève en arrive a de telles extrémités. Et pourtant, il alla jusqu’à détruire les précieux souvenirs, poussant le jeune guerrier dans ses derniers retranchement, le forçant à devenir un être froid, dénué d’émotions, tout comme il l’était, sous le prétexte fallacieux de le rendre meilleur et plus puissant, tandis qu’il ne faisait finalement que l’affaiblir.

            Pourquoi donc tous ces guerriers croyaient-ils à ce point que les sentiments étaient une telle faiblesse pour eux. Comment pouvaient-ils se laisser aveugler de la sorte et se transformer volontairement en machines implacables, quand la force de leurs poings résidait en leur cœur.

            Celui du jeune guerrier, désormais entouré de cette gangue de glace qu’il avait pourtant essayé d’empêcher de se former, lui était à présent fermé. Il n’avait plus aucune ancre pour subsister. Il disparu donc à nouveau dans le néant d’où il avait émergé pour s’y fondre de nouveau, le cœur amer. Il ne pouvait qu’espérer que cette gangue dévoilerait rapidement ses failles, s’effritant pour mieux se détruire. Sans qu’elle ne cède, jamais le jeune garçon ne prévaudrait jamais.

            Et de sa voix silencieuse, il lui adressa sa dernière bénédiction.

*          *          *          *          *

            Les flocons de neige se dissipèrent brusquement. Le guerrier vit ses camarades souffrir dans cette dimension singulière où il les avait laissés. Il ignorait s’il n’avait fait que rêver, mais concentra le reste de ses forces dans la réalisation de la tâche qui lui incombait.

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            Le groupe se retrouva brusquement sur la grande plaine aride, à l'emplacement précis du temple qui avait disparu sans laisser la plus petite trace, pas même la moindre fondation.
- Peut-être pouvons-nous encore récupérer Gienah, le ramener... commença Hanpa.
- Il est trop tard pour cela, vous l'avez entendu, trancha Mardouk. Et nous avons d'autres choses à nous soucier, ajouta-t-il en désignant un point en face d'eux.
            Un bloc de cristal de trois mètres de haut se dressait au centre de l'espace qui avait été occupé par le temple.
- Félicitations, je ne m'attendais pas à votre survie, dit la voix.

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            Ne subsistèrent plus que le néant, puis l’oubli bienheureux.

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            Le petit garçon blond alla s'écraser dans la neige Sibérienne une fois de plus. Son maître, un homme qui avait presque la trentaine et qui arborait une longue crinière, blonde également le regarda se relever.
« - Dis-moi, Léoben, le ferais-tu exprès par hasard? Demanda-t-il finalement. J'ai l'impression que tu te saborde toi-même, que tu t'empêche de réussir. As-tu donc à ce point peur de devenir ce à quoi tu es destiné?
            L'enfant n'osa tout d'abord pas le regarder.
- Nous savons tout les deux que je suis un disciple médiocre, au mieux. Vous perdez votre temps avec moi..., lâcha-t-il finalement, amer.
- Je vois très précisément quel est ton potentiel et je ne te laisserai pas le gâcher.
- C'est facile pour vous, mais moi... Des fois, j'aimerai devenir froid comme cette neige, sans émotions ni sentiments. Alors peut-être que je n'aurais pas peur et que je ne douterai plus.
            L'homme secoua la tête et se mit à genoux devant l'enfant.
- Tes émotions sont ta plus grande arme. Mon maître, celui qui a porté l'armure du Verseau avant toi a tenté de faire de moi ce que tu décris. Il y a presque réussi. Mais au moment où je m'apprêtais à renoncer à cette part de moi-même, j'ai eu comme une illumination, et je me suis rendu compte qu'un guerrier sans émotion est un guerrier incomplet. Il y a une phrase dont je rêve souvent. J'ignore d'où elle me vient, mais elle ne m'a plus quitté depuis bien longtemps. « Le rôle d'un guerrier des glaces est d'y enfermer ses ennemis, mais aussi d'en préserver ses alliés. Si ses poings doivent geler l'air, son coeur doit rester brûlant, car il est avant tout un être humain, et non un morceau de roche froide ». Garde ton coeur brûlant, Léoben, c'est ce qui te donne toute ta valeur.
            L'enfant médita les paroles de son maître. Il était visiblement touché et elles produisaient grand effet sur lui. Il finit par sortir de son mutisme.
- Vous savez, maître, j'ai souvent l'impression que je ne devrais pas me trouver ici, que je n'ai pas ma place sur cette terre... mais la possibilité de devenir le chevalier du Verseau... c'est comme si c'était l'accomplissement de toute ma vie, la raison pour laquelle je me trouve ici... sans faillir... et c'est aussi pour cela que j'ai si peur de l'échec.
- Allons, l'échec n'est qu'un mur qu'il te faut escalader, répondit l'homme en lui caressant les cheveux. Tu ne dois pas craindre de te trouver face à lui, tu as juste à réfléchir comment passer outre.
            Le petit garçon hocha la tête avec conviction, un sourire sur son visage et une détermination nouvelle dans son esprit.
- On recommence!! »
            Il se remit en position, ses deux bras imitant la forme d'une jarre au-dessus de sa tête.