Side Story 7 : 17 août 1970
Par Master Jahoo

 

Note de lecture :
Cette Side Story n'est à lire qu'après avoir fini le chapitre 11 de la fic.

 

13 Mars 1968 – Île de Cannon

            Je ne m’étais absolument pas attendu à cela. Bien sûr que j’en rêvais, comme tous mes amis de l’île. Être choisi pour aller m’entraîner sur l'île de Milos est sans doute l’une des plus hautes distinctions qui soient. À part devenir un Saint. Ça, c’est encore mieux, mais je crois que tout le monde sait très bien que presque personne ne le peut. Tout en y rêvant du haut de mes sept ans, j’ai quand même cette peur de ne pas être remarqué, de ne pas être assez fort, de ne pas être assez doué.
            Pour nous autres, enfants de Cannon, le plus dur n’est pas de fournir des efforts, mais d’être à la hauteur des espérances de nos parents.
            Ah ! Saint au service du Sanctuaire, ce lieu qui est si proche de nous, mais qui ressemble à une légende, voilà ce dont tout parent rêve pour son enfant chez nous. Reste à nous autres d’y réussir. Et pour y réussir, il faut déjà commencer par se faire remarquer pour pouvoir y entrer.
            Aujourd’hui, des instructeurs, Stellio et Bellatrix, tous deux Saints d’argent, sont attendus pour recruter parmi les enfants de l'île. Cela fait des mois que nous nous entraînons, mes cinq amis et moi, en nous prenant pour des Saints de légende, combattant des méchants menaçant l'île et nos familles. N'empêche, nous sommes plutôt aguerris et costauds, même pour notre âge. Mais c’est la coutume qui veut ça. Nos parents nous répètent tout le temps depuis notre naissance qu’il faut qu’on se prépare à servir le Sanctuaire, alors forcément, ça parait naturel de le faire, même si je crois quand même que je suis encore trop petit pour ça.
            Quand les deux instructeurs débarquent, mes parents sont presque plus impressionnés que moi. Pour ma part, c’est surtout de faire jaillir la honte sur ma famille qui me donne mal au ventre. Ma mère a essayé par tous les moyens de me rendre présentable, comme si mes mains toutes moites allaient avoir plus de force avec une chemise et un pantalon propres. Mon père, lui, essaie de me donner plein de conseils dont, même à sept ans, je doute de l’efficacité, mais c’est mon papa, alors je lui fais confiance.
            Nous sommes ensuite répartis en plusieurs groupes et procédons à des séries d’exercices, ainsi qu’une petite compétition de lutte. N’ayant pas fini premier, je pense que je n’ai aucune chance d’être retenu, mais il faut croire que d’autres critères entrent en jeu. Je suis donc très content de voir que mon acharnement face à Fertes, cette grande nouille de voisin, paie – même si je me suis pris une sacrée volée. Et puis, voir mon père les larmes aux yeux à côté de ma mère, radieuse de fierté, me fait vraiment chaud au cœur. Au moins, je ne leur ai pas fait honte, à défaut de casser le nez de Fertes.
            Ce n’est pas ce soir-là que mes parents me forcent à me coucher tôt.

 

20 Mars 1968 – Entrée portuaire du Sanctuaire
           
            Quel bonheur de pouvoir évoluer à proximité du Sanctuaire ! Je regrette un peu qu’ils ne nous aient même pas montré, au moins, les abords des douze temples. Voilà quelque chose qui m’aurait vraiment rendu heureux, après avoir entendu tant de récits sur les légendaires chevaliers habillés en or, sur la majestueuse Amalthée, belle comme une fée de la nuit ou encore Praesepe, dont on raconte qu’il est aussi grand que la somme de ses connaissances – même si je n'ai jamais compris ce que ça veut dire. Si seulement j’avais eu l’occasion de les apercevoir, ne serait-ce que quelques secondes, je suis certain que je les aurais reconnus immédiatement.
            En tout cas, même si les bâtiments ont l’air très simples, ils en imposent, surtout quand on voit tous ces soldats, avec leur bel uniforme. Je ne peux m’empêcher de me dire que si l’uniforme d’un soldat est si beau, une armure doit l’être mille fois plus, mais c’est encore une chose que je ne pense pas voir d’ici peu. Enfin, j’espère quand même que je me trompe, parce que j’en rêve même la nuit.
            Je suis convaincu que je ne vais pas avoir beaucoup le temps de rêvasser, mais je suis sûr que ça va vraiment me plaire!

 

21 mars 1968 – Plage de Milos
           
            Trop mal aux jambes pour penser. Je vais mourir d’épuisement. Je déteste la course.

 

5 Juin 1968 – Salle de lutte

            Je commence à prendre le rythme des entraînements, mais les courbatures sont toujours présentes. Bellatrix ne cesse de me répéter que si j’ai des courbatures, c’est que je ne travaille pas assez et que lorsque j’arrêterai de fainéanter, elles partiront d’elles-mêmes. Je ne sais pas trop si elle ment en disant ça et je crois surtout qu’elle n’aime pas les enfants. Je la déteste, elle est trop sévère avec moi.
            En tout cas, je me sens déjà plus costaud qu’à mon arrivée et il est clair que nos petits jeux d’enfant sur l’île ne sont rien, comparés à ce que l’on nous fait faire ici. C’est bien beau de faire le fier devant la famille, mais ça ne soulage pas les douleurs dans les bras et dans les jambes, ni les bleus que l'on se fait tout le temps.
            J’ai souvent envie de demander pourquoi ils font travailler si dur des enfants de notre âge, mais à chaque fois que j’ouvre la bouche, je préfère ne rien dire. Mes parents m’avaient dit que ça allait être difficile, mais que je devais tout accepter. On voit bien que c’est pas eux qui y sont !
Je souffre comme pas possible, mais je suis quand même content d’être là. Fertes fait le malin, mais il m’impressionne de moins en moins.
            Il y a beaucoup plus grand et plus baraqué que lui. Je l’entends pleurer comme une fille des fois.

 

20 août 1968 – Salle de la garde

            Exceptionnellement, on nous a emmenés visiter les quartiers des soldats. Normalement, c’est une zone qui nous est interdite, mais je crois que Stellio avait envie d’y emmener tout un groupe, pour nous montrer et nous éblouir. On ne peut pas dire que ce soit très joli, loin de là, mais les soldats ont des quartiers impressionnants. Il y a plein d’armes partout.
            J’ai un peu moins aimé la visite des chambres. Ça sent trop la sueur.
            Je me demande si on pue autant, nous.

 

30 novembre 1968 – Piste de course

            J’ai cru apercevoir un grand homme avec la peau noire pendant que je faisais ma course du matin. Je les trouve bizarres ces gens-là.
            Ça doit être un domestique qui s’est perdu, mais je me demande bien ce qu’il faisait là. Pourquoi ils embauchent pas sur l’île de Milos ? Beaucoup donneraient leurs deux bras pour venir faire les corvées. Pas besoin de ces gens-là. Seuls les Grecs devraient être admis au Sanctuaire.
           

4 février 1969 – Salle de lutte

            Je suis l’un des meilleurs de mon groupe à la lutte. Je suis bien content. Fertes a définitivement cessé de m’embêter, même si j’ai un peu de peine pour lui. Il a l’air de ne plus avoir du tout confiance en lui et je passe mon temps à essayer de le rassurer pour qu’il n’abandonne pas. Je crois que son père ne lui pardonnerait jamais s’il faisait ça et il le battrait, j'en suis sûr.
            J’en profite pour essayer de l’aider à progresser un peu, mais je reste limité dans mes capacités, je le sens bien. Milo nous surclasse de très loin. On ne joue clairement pas dans la même cour et je préfère éviter de me frotter à lui. Il est beaucoup trop fort et fait mal quand il tape.
            Je l’envie. Je suis sûr qu’il va réussir à avoir une armure, alors que nous, on aura rien du tout. C'est pas juste.

 

15 août 1970 – Salle de repos

            J’ai hâte !
            On nous a promis qu’on allait voir des chevaliers dans quelques jours. Ça fait deux ans que je suis ici, et je n’ai jamais aperçu d’armures. Il y a bien eu des cérémonies et des tournois organisés depuis mon arrivée, mais on ne nous a pas autorisés à y assister. On nous a dit qu’on était trop jeune et que même si ça se passait sous nos yeux, on ne parviendrait pas à comprendre quoi que ce soit du combat avec notre niveau actuel.
            Je ne sais pas si c’est vrai ou si c’est juste pour nous pousser à faire plus d’efforts. Je me dis qu’ils n’ont peut-être pas tort. Il paraît qu’un chevalier se déplace plus vite que le vent. Je n’arrive pas à voir le vent, donc j’imagine que je n’arriverais pas à les voir, eux non plus.
            Mais là, on va pouvoir enfin en rencontrer. De vraies armures et de vrais chevaliers ! Peut-être même que Stellio et Bellatrix mettront leur armure pour l’occasion. Je ne les ai jamais vus avec.
            C’est bête. À leur place, je ne la quitterais jamais, je serais trop fier de pouvoir la porter pour ça !

 

16 août 1970 – Abords du campement

            J’ai peur !
            Des guerriers en armure noire ont surgi de partout et nous ont pris pour cibles. Je ne sais pas quoi faire et j’ai l’impression que mon entraînement ne me servira à rien face à ces brutes sauvages. Je crois me rappeler que ma mère m’avait parlé de ces guerriers noirs, mais j’avais toujours pensé que c’était une histoire pour me faire peur.
            C'est maintenant que j’ai peur.
            Bellatrix est par terre et ne se relève pas. Je ne comprends pas. Pourquoi est-ce que personne ne vient nous aider ?

 

17 août 1970 – Une dimension étrange

            J’ai été enlevé avec de nombreux autres apprentis. On nous a fait dormir à même le sol, enchaînés, si bien qu’on n’a même pas vraiment réussi à dormir. Cela faisait trop mal aux poignets. On a été enlevés pour demander une rançon au Sanctuaire ? Et que font-ils d’abord, là-bas ? Pourquoi ne viennent-ils pas nous sauver ?
            C’est parce qu’on est juste des enfants et qu’on ne sait pas encore se battre ? Parce qu'on ne mérite pas leur aide, ou qu'on est trop mauvais et que c'est comme ça qu'ils se débarrassent des cancres ?
            Ah, peut-être que c'est juste un test d’entraînement, pour voir ceux qui se laisseront abattre ou pas, mais je ne crois pas. Ces guerriers noirs ont l’air trop mauvais pour être avec les chevaliers d’Athéna. Ils me font peur. Déesse ! Viens m’aider ! Je veux revoir mes parents !

            Un peu plus tard, je vois Fertes, la tête penchée sur sa poitrine. De la bave blanche coule depuis sa bouche. C’est répugnant et ça me donne envie de vomir, mais il a l’air de souffrir atrocement. Qu’est-ce qu’ils lui ont donc fait ?

            Je sens quelque chose qui pénètre dans mon esprit. Je le sens qui va partout dans ma tête, comme de l'eau sur le sol. Je n’arrive plus à penser. Tout devient noir, comme ces guerriers sombres.
            Maman, à l’aide! Mam...
            ...
           
            Ah, enfin tu la fermes! Pas trop tôt...

 

25 septembre 1970

            Le morveux la ramène pas trop, ça me permet de me concentrer sur ce qui est important. De toute façon, il est trop faible. Même s’il gueule, ça lui apportera rien.
            Je vais bientôt avoir mon armure noire. Ils ont intérêt à m’en donner une bien, sinon, je sens que je vais en buter quelques uns.
            Tu vois ? Tu vas l’avoir ton armure !

 

5 Octobre 1970

            Je suis devenu un Saint. J’ai une armure. Elle est toute noire, elle est moche et elle ne brille pas du tout. Je pensais pas que j’aurais aussi honte d‘en avoir une…
            J’essaie de me dire que tout ça c’est qu’un cauchemar, mais je sais très bien que c’est pas vrai. Si seulement ça pouvait être un cauchemar…

            Quoi ?! L’armure noire de la Machine pneumatique ? C’est une blague ?!!

 

30 novembre 1970

            Je ne comprends pas ce qui m’arrive. C’est comme si je ne pouvais plus diriger mes mains et mes jambes. Il y a juste certains moments, où je peux penser sans qu’il me crie dessus en me disant de me taire. Je ne crois pas qu’il soit comme nous. Il fait des choses horribles. Il utilise mes mains pour tuer des gens et je peux rien faire pour l‘en empêcher…
           
Nan, tu peux rien faire ! Alors ta gueule et laisse-moi dormir.

 

12 Décembre 1970

            On passe encore par cette porte bizarre. Je ne sais pas où on va se retrouver. Pas dans un autre camp d'entraînement, j’espère…

            Bingo ! T’es pas trop con pour un sale mioche, dit donc!

            Non !!! À chaque fois, il y a des morts ! Je ne veux pas ! Je ne veux pas y aller !

            Tu crois p’t’être que t’as ton mot à dire ?

 

12 janvier 1971

            J'en peux plus. Il ne se lave même pas et je suis tout le temps couvert de sang. L’odeur est horrible et je ne peux même pas vomir. Je peux rien faire, à part regarder tous ces gens qu‘il tue avec mes propres mains.
           
Oh oui, tu vas regarder. Tant que ça me fera marrer… Tu ne vas pas en perdre la moindre miette.          
Aujourd’hui, on va encore aller voir quelques-uns de tes camarades. Tu sais, ceux qui t’ont laissé sans venir t’aider. Tu vas voir, cette fois, je les fais exploser comme des ballons, on va bien se marrer !
           
Laisse-moi, je veux pas voir ça ! Vas-t-en !! T’es qu’un monstre !

Et t’imagines même pas à quel point, le morveux ! Allez, tu devrais me remercier. On va encore te ramener des petits copains pour jouer.

 

15 Mars 1971 – Une plage du Brésil

            C’est quoi cet enfoiré ?! Il a éclaté je sais pas combien de chevaliers noirs d’un coup !

            Je croyais que tu aimais bien les ballons.
           
            Ta gueule, c’est pas drôle !
            C’est ça le chevalier d’or du taureau ?? Je pensais pas qu’il était si fort.

            Oui, il est fort. C’est un guerrier sacré qui combat pour la bonne cause. Il va pouvoir m’aider !

            Tu rêves ?! Tu vas crever avec moi. Regarde-le, ton chevalier. Il s’en tape que tu sois un gamin. Il va te buter, parce qu’il ne sait même pas que t’es encore là. Il va pas chercher à te sortir de là et il en a rien à cirer. Il est beau ton sauveur, tiens, à étaler la cervelle de mômes sur le sable ! Ta bonne cause, c’est des gamins qu’il transforme en macchabées.

            Alors, ça y est ? C’est la fin ? Vraiment ?

            Connard ! Je veux pas crever, moi !