Ephémère III

 

Shion et le Lama discutaient de la manière dont ils allaient procéder pour entraîner les deux enfants.

- Il est à mon avis préférable que l’on fasse d’autre séances communes. Après ce qui s’est passé hier, j’ai peur de ne pas être à la hauteur s’il y a un problème avec mon élève. Vous êtes plus apte que moi à gérer ce genre de chose, déclara le Lama.

-Je pense comme vous. Cette histoire m’inquiète. J’ai peur pour lui…Mû…enfin l’autre. Ce n'est pas évident de s’y retrouver avec des noms semblables!

- C’est sûr, mais les deux tiennent à leur nom: il leur rappelle leur origine.

-On fera avec. On se retrouve dans la cour après le petit déjeuner. J’espère que ça se passera mieux. Ah…je vois mon disciple. Je vais avec lui. On se rejoint dans la salle à manger.

Le Lama s’éloigna et Shion accueillit Mü dans ses bras.

-Tu as bien dormi? Demanda Shion en soulevant l’angelot à la chevelure mauve à hauteur de son visage.

- Oh oui. On n’a pas trop discuté Mû et moi. On s’est endormi de bonne heure, j’étais fatigué. C’est marrant, Mû, lui, était en pleine forme.

- Ah…on dirait que l’expérience hier a été moins éprouvante pour lui.

- C’est parce qu’il a vu la lumière.

- Tu es sûr?

- Oui, on en a parlé. Il a été attiré par la lumière. Elle était bienfaisante cette lumière: quand je la regardais, je me sentais bien. C’est pas comme le trou noir. Je pense que j’ai regardé le trou un peu trop longtemps. C’est pour ça que je ne me sentais pas bien.

- Je suis rassuré pour Mû. Apparemment il s’est rappelé ce qu’il a vu. J’aime mieux ça. Il vaut mieux être attiré par la lumière que par les ténèbres.

- Ah…

Une ride soucieuse barra le front de Mü.

- Mais moi je ne suis pas allé vers la lumière. J’ai failli allé vers le trou. C’est grave?

- Tu n’y es pas allé. En fait tu es resté entre les deux. C’est le principal.

-Vous êtes arrivé à temps.

- Je suis ton maître: c’est à moi de te guider. C’était de ma faute aussi: tu n’étais pas prêt.

- Mû l’était lui. Et il est plus jeune que moi.

-Apparemment il était plus prêt que toi. Mais je suis intervenu aussi pour lui. Peut-être qu’il était comme toi et qu’il hésitait entre les deux. Vous êtes très jeunes tous les deux et vous avez encore de nombreux progrès à faire. A ce propos, je vais vous entraîner tous les deux aujourd’hui encore, avec l’aide du Lama.

- Oh chouette!

Un sourire illumina le visage de Mü qui enfouit sa tête dans le cou de son maître. Cette décision méritait bien un câlin et l’enfant enlaça Shion de ses bras rosés. Mü adorait les cheveux de son maître: ils étaient doux, moelleux et sentaient bon. Il profitait de ces moments de tendresse pour s’en faire un oreiller confortable drapant l’épaule large du Pope. C’est donc à moitié endormi dans les bras de Shion que Mü fit son entrée dans la salle à manger sous l’œil attendri des moines.

- Vous avez des liens très rapprochés , fit remarquer le Lama.

- Mü est un enfant adorable. Et puis je trouve qu’il vaut mieux que maître et disciple aient des rapports affectueux. Nous avons beau être chevaliers nous restons des êtres humains. Et les apprentis ne sont que des enfants. Ils auront bien assez l’occasion d’être confrontés à la violence et à la haine.

………………………………………......................................................................................

Pour cette deuxième leçon en commun le Lama seconda Shion. Les deux Mû étaient assis en tailleur l’un en face de l’autre et Shion en face du Lama. Les deux maîtres avaient décidé d’un commun accord de faire une leçon de transmission de pensées. C’était un exercice très utile et extrêmement ludique: les enfants adoraient.

- Alors…tu vois quoi là?

- Je me concentre…oh c’est flou. Des montagnes…

- Oui.

- C’est Jamir!

- Non.

- Ben…montres-moi des images plus précises. Ah oui…là c’est mieux. Oh c’est quoi cette bestiole?

- J’ai vu ça à la télé.

- C’est bizarre. C’est quoi?

- Devine!

- C’est un lama, dit le Lama.

- Ah bon, comme vous?

-Non, c’est un mammifère qui vit en Amérique du Sud.

- C’est la Cordillère des Andes! S’écria Mü.

- Fallait pas lui dire!

- Il n’aurait jamais deviné sinon.

- Bon c’est à toi maintenant.

- Alors…du soleil…des lamas…ils ne sont pas très réussis tes lamas!

- J’essayais de reproduire la même chose que toi.

- C’est pas drôle de me recopier. Penses à quelque chose de plus original.

- Attends…regardes ça, gloussa Mü.

- Ouh là…c’est Shion tout nu qui prend son bain.

- Mü, arrêtes de penser à ça! Rouspéta Shion.

- Ah…il se lave avec une sorte d’huile. Il à l’air content, il s’en met partout. Et il chante! Oh il y a le son aussi: « Mexiiiicooo »… ben dit donc il a une sacrée voix…et il se dandine en plus.

- MÜ! Tempêta Shion cramoisi.

Mais Mü était tellement tordu de rire que Shion dû le secouer pour l’arrêter. Il jeta un regard courroucé à son disciple qui lui avait manqué de respect et désobéit. Mü se calma aussitôt.

- Bon. Nous allons passer à autre chose, décréta Shion se drapant dans sa toge comme dans sa dignité que son élève venait de lui faire perdre en même temps que ses vêtements.

Le reste de la leçon se passa de manière plus académique, le Pope veillant au moindre dérapage. Les deux enfants étaient devenus très complices en quelques jours.

Aux dires du Lama, le jeune Bélier avait accompli un vrai miracle car avant que le Pope et son élève arrivent, Mû n’avait quasiment pas lâcher un mot, refusant même de révéler son nom et son âge.

Il n’avait pas souri ni même pleuré avant ces derniers jours. En fait il était resté dans une sorte de léthargie, imperméable à toute émotion.

Depuis la rencontre avec Shion et son amitié avec Mü, il s’était complètement métamorphosé. Il riait avec Mü, dormait avec, lui parlait souvent. Ils étaient presque inséparables.

Le Lama pensait que Mû avait reconnu les siens, des personnes partageant son sang atlante. Il s’était ouvert à eux car il les considérait comme sa famille.

Mais le Lama craignait, tout comme Shion d’ailleurs, que Mû ait une conception très élitiste de l’Humanité: peut-être que pour Mû, Shion et son disciple étaient les seuls dignes de parler avec lui parce qu’ils étaient Atlante. Mû avait une très haute opinion de ce peuple, depuis qu’il avait appris de la bouche de Shion qui il était, le peuple Atlante était devenu sa raison d’être. Il voulait devenir un Atlante à part entière et seul Shion et Mü pouvaient l’aider dans cette entreprise. Surtout l’apprenti du Bélier, car Mû laissait échapper des indices de son ressentiment envers Shion à qui il en voulait toujours de l’avoir rejeté.

Shion était partagé entre deux opinions.

Il voulait donné sa chance à Mû, si tant est qui lui en restait une, car il n’était qu’un enfant meurtri par la vie et il manifestait tout de même des dons pour la psychokinésie.

Dans cette optique, son amitié fraternel avec Mü était capitale. Le Pope espérait que son disciple exercerait une bonne influence sur son camarade et qu’il ferait pencher la balance du bon côté.

Car là était tout le problème qui posait un terrible cas de conscience à Shion: la balance était au mieux en équilibre et le Pope craignait qu’elle n’ait déjà penché du côté du mal.

Dans ce cas Mû ne deviendrait jamais un chevalier d’Athéna, ce dont Shion avait dès le premier jour fortement douté et l’entraînement s’avérait inutile.

Il pouvait même devenir dangereux s’il servait à former un combattant maléfique.

De plus si Mû devenait malfaisant comme le pensait Shion, il pourrait être une menace pour son propre disciple. Mü n’était qu’un enfant qui ne voyait encore que le bon côté des êtres humains sans se méfier de leurs vices cachés. Il avait confiance en son camarade et les deux garçons se retrouvaient souvent seuls, parfois en pleine montagne. Mü ne maîtrisait pas encore la téléportation. Il était certes plus grand et plus costaud que son compagnon mais si dans un accès de folie démoniaque Mû le prenait par surprise, le pire était à craindre pour son apprenti.

N’était-il pas dangereux de laisser son disciple avec Mû?

Shion était confronté à un cruel dilemme dont dépendait l’avenir des deux enfants, si celui-ci n’était pas déjà joué.

Si cela ne tenait qu’à Shion, il aurait déjà fait placé Mû dans un orphelinat loin du temple.

En effet, Shion avait une conception inflexible du destin. Pour lui, il était quasiment impossible d’échapper à sa destinée. Même si dans la vie de chaque homme et à chaque instant plusieurs chemins étaient proposés, le choix n’était qu’illusoire car la force du destin poussait impitoyablement les hommes vers la route qu’il avait décidé pour eux. En fait les Hommes n’avait que très peu de liberté: ils étaient irrémédiablement attirés vers la route choisie pour eux.

Avec ses dons de psychokinésie qui faisait de lui un des plus grands maîtres en la matière et ses 250 ans d’expérience de chevalier d’or et de Grand Pope, Shion savait que ses intuitions étaient pratiquement infaillibles. Il avait une confiance absolue en son instinct comme en son destin et il avait tout de suite senti l’obscurité malsaine qui voilait l’âme de Mû.

Cette impression s’était confirmé au fil des jours malgré les sourires qu’il échangeait avec son disciple et les révélations que Mü lui avait faites sur les visions de son camarade. Il n’était pas du tout convaincu par l’interprétation de son disciple bien qu’il lui ait dit le contraire pour ne pas l’inquiéter. Il aurait préféré entendre la version de Mû de vive voix. Au contraire, il pensait que ce n’était qu’une façade trompeuse sans que Mû en ait d’ailleurs conscience.

Shion avait la conviction que Mû était voué au mal.

La fêlure de son âme ne pouvait pas faire de lui un chevalier. Le destin pousserait Mû dans des bras ténébreux et malfaisants, c’était pour Shion une certitude.

Mais cette certitude n’était pour Athéna qu’une prédisposition et c’était ce qui faisait hésiter Shion.

Au cours des nombreuses décennies au service de la déesse, Shion avait eu l’occasion de la prier et de méditer avec elle. Il avait pour ainsi dire converser avec Athéna qui lui avait fait comprendre sa conception du destin.

Sa générosité et son amour des Hommes la poussait à croire en la liberté de choix. Elle ne concevait pas un destin inflexible qui aliénait les humains. Certes les hommes étaient prédisposés pour tel ou tel chemin mais ils avaient jusqu’au bout la possibilité et la force suffisante de décider eux-même leur voie.

Pour elle, personne n’était irrémédiablement condamné au mal, ni forcément voué au bien.

Plusieurs routes étaient proposées aux Hommes et même si au départ il existait un pourcentage de chance plus important pour un chemin en particulier, rien n’était joué d’avance. Chacun pouvait être sauvé à chaque instant et si quelqu’un semblait à priori suivre la voie du mal, il fallait tout faire pour le détourner de cette route car on pouvait toujours changer.

Athéna croyait en la liberté des hommes, en leur capacité à discerner le Bien du Mal et de choisir en conséquence. Elle croyait fermement en la force d’âme des Hommes qui leur permettait de tenir leur destin entre leurs mains.

Shion n’y croyait pas mais il n’était qu’un simple mortel au service d’une déesse aussi magnanime que toute puissante. Même s’il ne partageait pas cet avis, il admirait la foi de la déesse dans le genre humain et son optimisme qui engendrait l’espoir.

Il était au service de la grande Athéna: qu’était-il pour la contredire et refuser d’agir selon sa volonté miséricordieuse?

Par respect et obéissance envers sa déesse, il devait laisser une chance à Mû de prouver qu’il n’était pas condamné. Shion espérait se tromper et surtout ne pas mettre la vie de son disciple en danger.

………………………………………......................................................................................

Depuis quatre mois, les enfants grandissaient côte à côte et devenaient plus soudés que jamais. Ils tissaient des liens d’amitié très serrés en partageant tous leurs moments de liberté.

Ils partaient en promenade dans la montagne à la recherche de nouveaux insectes qui fascinaient tant Mû. L’apprenti du Bélier préférait les plantes mais ne se lassait pas de voir son camarade s’émerveiller sur la beauté des papillons et courir après eux.

Ils adoraient parler ensemble de tout et de rien, passant d’un sujet sérieux au rire. Mû se confiait de plus en plus facilement et le jeune Bélier était très fier de la confiance que lui accordait son ami. Il voyait bien qu’il occupait une place privilégiée dans son cœur car Mû ne parlait pas autant aux autres personnes et encore moins à Shion.

Ils partageaient tous leurs secrets et leurs rêves, faisant des projets d’avenir aussi idylliques qu’improbables, ce dont ils avaient parfaitement conscience. C’était un nouveau prétexte au rire.

Mû se sentait vraiment à l’aise avec le disciple de Shion. Il le touchait par sa douceur et toutes les petites attentions qu’il avait à son égard. Le Bélier faisait toujours attention de ne pas le froisser. Il était très prévenant et Mû appréciait sa délicatesse. En fait Mü était la gentillesse incarnée. Il n’avait jamais vu quelqu’un d’aussi pur, à vrai dire il ne pensait pas que cela pouvait exister surtout chez un garçon.

Son père biologique lui avait laissé un souvenir cuisant de la « délicatesse »  masculine et la fraîcheur de Mü était un baume apaisant pour son cœur blessé.

Les deux enfants en étaient venu à se connaître par cœur, l’un sachant anticiper les réactions de l’autre. Ils étaient en parfaite communion et un seul regard leur suffisait à se comprendre.

Les deux enfants faisaient des entraînements communs sous la houlette de Shion et du Lama. Ils faisaient d’énormes progrès, les deux atteignant un niveau semblable.

Shion était étonné des capacités de Mû. Le garçon était un phénomène si l’on considérait qu’il n’était qu’un semi-atlante.

A sa connaissance seul les Atlantes pur souche progressaient à une telle vitesse. Il ne déméritait pas dans son entraînement physique compensant sa fragilité par une volonté de fer et une endurance à toute épreuve. S’il n’y avait pas ce terrible doute concernant sa personnalité, il serait en bonne voie pour devenir un combattant de la déesse, ce qui ravissait Mü.

Ces progrès étaient pour Shion une source d’inquiétude. Il aurait préféré contenir les pouvoirs de l’enfant car il ne faisait aucun doute qu’il était tout à fait en mesure de tuer son apprenti. Ses premières impressions concernant l’âme de Mû ne partaient pas. Le cœur du garçon restait trop brumeux et énigmatique pour être honnête malgré les efforts de Shion pour le sonder en profondeur.

Par conséquent le Pope insistait pour être le plus souvent en compagnie de son disciple. Dans le même temps il avait demandé au Lama de surveiller le garçon.

En dépit de leurs efforts communs les deux enfants se trouvaient donc très peu seuls tous les deux.

Cette situation énervait Mû au plus au point car il avait envie de rester seul en compagnie de Mü , seule personne dans ce Temple qu’il appréciait vraiment. Sa rancœur envers Shion s’accroissait de plus en plus et il en vint rapidement à ne plus adresser la parole au Pope. Il voyait bien que celui-ci ne lui faisait pas confiance. Il se demandait bien pourquoi d’ailleurs.

Croyait-il vraiment qu’il puisse vouloir nuire à son cher disciple?

En tout cas, Shion avait tout gagné: cette méfiance était réciproque pour ne pas dire rendue au centuple.

Au fil des jours, un duel silencieux s’était instauré entre Mû et Shion dont l’apprenti du Bélier était l’enjeu.

Tandis que le Pope faisait tout pour accaparer son apprenti, Mû s’efforçait de retenir l’attention de son ami, de l’arracher des griffes de son maître pour l’avoir un peu pour lui seul et dans la mesure de l’acceptable pour Mü, de dénigrer le Pope, en multipliant les jeux moqueurs du même style que l’échange télépathique qui avait tant ridiculiser Shion.

Le jeune Bélier trouvait ces jeux tout de même osés et irrévérencieux mais Mû déployait suffisamment d’habileté et de diplomatie pour enrober l’insolence blasphématoire d’un voile de drôlerie innocente gentiment moqueuse qui aidait à Mü à digérer l’irrespect sans qu’il reste coincé en travers de sa gorge.

L’opération « à bas Shion » se passait donc en douceur et Mü apprit sans vergogne à rapporter toutes les anecdotes ironiques qui mettaient son maître dans des positions fâcheuses et même à les inventer. Les deux garçons filaient Shion jusque dans sa chambre pour épier le moindre ronflement, pet, rot et autres bruits incongrus qu’ils regrettaient seulement de ne pas pouvoir enregistrer. Ils entamaient des parties de cache-cache avec Shion pour le faire tourner en bourrique quand celui-ci remuait ciel et terre pour retrouver son disciple. Et c’était encore plus drôle quand ils parsemaient les couloirs du Temple de faux indices du passage de Mü. Ils gloussaient à table quand Shion s’apprêtait à goûter à la soupe dans laquelle ils avaient noyé un ver de terre.

Bref, sept mois après son arrivé au temple Shion frisait la crise de nerf et son disciple n’en n’avait cure, dévalant allègrement la pente qui le menait vers la délinquance.

Devant cette situation de crise grave mais que Shion voulait croire pas désespérée, le Pope pris une grave décision: les deux garçons s’entraîneraient désormais séparément. Il justifia ce décret par les capacités pédagogiques que le Lama avait acquises dans l’enseignement de la psychokinésie.

Cette décision plongea Mü dans un profond désarroi et son compagnon dans une profonde colère.

Ils implorèrent Shion de leur accorder une seconde chance en promettent d’être sage comme des anges mais la décision du Pope était irrévocable.

On ne se moquait pas impunément du représentant d’Athéna sur Terre. Si ces enfants ne l’avaient pas compris, il était grand temps qu’ils en prennent conscience.

Shion, extrêmement vexé, ne fit pas dans la dentelle: Mü réintégra sa chambre initiale, c’est à dire celle de son maître, il ne mangeait plus à côté de son ami à table et les moments de rencontre étaient concédés avec parcimonie. Dans les prochains jours les deux enfants avaient l’interdiction formelle de se voir.

Quand Mü retourna dans la chambre qu’il partageait avec son ami pour prendre ses affaires, il fit tristement ses aux revoirs à son ex -compagnon de chambrée.

Mû hocha la tête , signifiant qu’il partageait sa tristesse et le raccompagna jusqu’à la porte.

Une rage sourde grondait dans son cœur qui devint noire fureur quand il vit Mü disparaître au bout du couloir. Shion lui enlevait la seule personne qu’il aimait, celui qui était comme un frère pour lui. Il ne lui pardonnerait jamais ce nouvel affront. Shion avait décidé de le détruire mais il ne se laisserait pas faire. L’enfant fomentait des plans de vengeance assassins à l’égard du Pope.

Lui et sa déesse paieraient un jour le mal qu’ils lui faisaient.

………………………………………......................................................................................

Mü se réveilla à côté de son maître. La chambre ne comportait encore qu’un seul lit en attendant qu’on déménage celui qui était dans la chambre de Mû. Il avait perdu l’habitude de dormir avec son maître: ça lui faisait tout drôle de partager son lit avec un grand corps adulte qui prenait les trois quarts de la place, alors que quand il se glissait dans le lit de Mû- ou inversement- il avait l’impression de dormir avec un autre lui-même.

Dans ces moments d’intimité nocturnes, ils passaient des heures à discuter, à rire et inventer des jeux stupides qui ne pouvaient amuser qu’eux. Le matin les surprenait souvent côte à côte, corps jumeaux pressés l’un contre l’autre dans un élan de tendresse aussi ingénu que fraternel, la main de Mû saisissant une soyeuse mèche de cheveux mauve à laquelle il s’accrochait comme à sa planche de salut.

Il ne pourrait jamais tenir les mêmes conversations, jouer les mêmes jeux avec son maître.

Certes, il lui était déjà arrivé, dans un passé qui lui semblait lointain au vu de sa jeune existence, de parler pendant des heures avec son maître. Ces conversations n’étaient pas dénuée de douceur, Shion avait toujours été très tendre.

Mais leur contenu était radicalement différent: beaucoup moins drôle et plus intellectuel. Quoique Mû n’était pas bête, au contraire, il avait un esprit aiguisé et il aimait partager ses réflexions.

Shion était un adulte, son maître et le Pope de surcroît.

Mü lui ressemblait plus tout en ayant de fortes différences avec lui. Ils partageaient le même âge, le même nom, presque le même sang et de nombreuses affinités comme le goût pour la nature, les jeux et les blagues, parfois mauvaises il fallait bien l’avouer.

Mû était son complément plus froid, distant et sans doute plus coléreux que lui-même. Le froid bouillonnement de haine qui agitait le cœur de Mû au début de leur rencontre s’était apaisé à son contact. Mû ressemblait plus à un petit garçon comme les autres maintenant.

Lui, au contraire, s’était en quelque sorte décoincé avec Mû. D’une certaine manière il était lui aussi sorti de sa coquille d’enfant éternellement sage, obéissant scrupuleusement aux règles et à son maître.

Mû l’avait affermi et donné du relief à sa personnalité un peu trop lisse.

Il se sentait plus apte à se défendre et à prendre du recul par rapport à la situation, alors qu’avant il aurait aveuglément suivi les règles et les ordres sans se poser de questions.

Mû avait un esprit très critique, notamment à l’égard du Sanctuaire. Il n’était pas toujours d’accord avec lui mais au moins, maintenant, il savait vraiment pourquoi et il avançait ses propres arguments pensés au plus profond de lui-même. Grâce à la distance que Mû lui avait appris à mettre entre lui et les choses à étudier, à défendre ou à combattre, il avait intimement compris le bien-fondé du Sanctuaire, l’action bienveillante et nécessaire d’Athéna, alors que Mû ne partageait pas son avis. Ils avaient confronté leurs opinions et il avait découvert combien les principes de la déesse était chers à son cœur.

A présent il les avaient intégrés et pas seulement appris bêtement par cœur. Mü regrettait déjà cette période bénie qu’il sentait appartenir définitivement au passé. Ils étaient allés trop loin, mais il trouvait que la réaction de Shion était excessive.

C’est pourquoi, dans une réaction parfaitement puérile et inutile, mais pardonnable vu son âge, Mü quitta le lit et décida de bouder toute la journée.

………………………………………......................................................................................

Shion se réveilla et trouva dans son champ de vision, un Mü immobile qui lui tournait le dos.

- Mü, appela Shion.

Pas de réponse.

- Mü, répéta Shion un peu plus fort, tu m’écoutes!

Mü se retourna et Shion découvrit un Bélier grognon qui faisait la moue et le regardait très durement.

- C’est pas vrai, pensa Shion, il ne vas faire me faire la tronche quand même! Il était grand temps que je le sépare de l’autre; il ne m’avait jamais fait ça.

Shion préféra user de diplomatie. Il savait parfaitement qu’un enfant de cet âge s’entêtait facilement et que ce n’était pas la peine de brusquer les choses au risque de le braquer complètement.

- Mû, je sais très bien que tu m’en veux et d’une certaine manière je peux te comprendre. Mais il faut que tu apprennes le respect envers les adultes et surtout ceux qui représentent Athéna. Je pensais que ces principes étaient acquis mais ce n’est visiblement pas le cas. Tu dois comprendre que tu n’es pas dans une cour de récréation ici, tu es dans un lieu sacré où tu dois t’entraîner à devenir chevalier d’or du Bélier. Tu ne peux pas obtenir l’armure d’or en te comportant comme un gamin stupide, insolent et irrespectueux. Tu dois devenir chevalier d’or du Bélier: tu es le seul à en avoir le potentiel et compte tenu des circonstances actuelles et à venir il est inconcevable que le poste de chevalier du Bélier reste inoccupé. Il est capital que tu me succèdes car le chevalier du Bélier a un rôle crucial: c’est le premier gardien du Sanctuaire, un maître en psychokinésie et le seul au monde à pouvoir réparer les armures. Et crois-moi dans un avenir proche, le Sanctuaire aura besoin de tes services. Alors, tu dois te préparer sérieusement au rôle qui t’incombe.

Sur ces justes paroles, Shion sortit de la chambre laissant son disciple seul avec ses réflexions.

………………………………………......................................................................................

Mü méditait sur les paroles de son maître et son rôle de chevalier. Il ne pouvait qu’admettre ses sages paroles: elles n’étaient que vérité.

Oui, il ne devait pas oublier sa mission car il était le seul à pouvoir la remplir.

Oui, il était allé trop loin et son comportement n’était pas digne d’un futur premier gardien d’Athéna.

Oui encore, la fonction de chevalier du Bélier était unique et primordiale. Elle était vitale pour le Sanctuaire car sans chevalier du Bélier, plus de réparation d’armure. Et dieu sait si les chevaliers, après avoir livrer d’âpres combats, avaient besoin de régénérer leurs armures.

Toutes ces fonctions impliquaient un entraînement bien spécifique et un sérieux constant. Ces derniers mois, il avait effectivement perdu du temps en jeux et farces stupides ce qui avait ralenti ses progrès. Il n’avait pas été assez attentif aux enseignements de son maître lorsqu’il l’avait initié aux techniques de réparation des armures.

Il avait eu l’esprit tellement ailleurs ces derniers temps.

Il avait voulu être un enfant de cinq et demi comme les autres mais il ne pouvait pas l’être.

Il n’en n’avait pas le droit car de ses capacités et de ses forces dépendait une partie de l’avenir du monde.

Il n’était pas un enfant, il ne l’avait jamais été.

Il était un apprenti chevalier ce qui impliquait d’immenses responsabilités surtout pour un chevalier d’or. Il le savait, comme il savait que bientôt de terribles évènements allaient se produire où il devrait se montrer prêt. Il avait ressenti les inquiétudes de son maître quand il lisait les étoiles. Il comprenait ses pressentiments, lui aussi en avait comme tout Atlante.

Une Guerre Sainte était proche, Shion l’avait sous-entendu .

Alors il devait renoncer à l’enfance, faire le deuil des jeux puériles et des joies innocentes.

Faire le deuil de Mû. L’effacer de sa vie.

Parce que sa vie, ses souffrances et ses sentiments avaient bien peu de valeur à côté de ceux de l’Humanité qu’il devait défendre.

Parce que ses peurs et ses peines n’étaient rien comparées à la grandeur d’Athéna. Il devait accomplir la volonté de la déesse et sacrifier son enfance et sa vie dans ce but parce qu’il était un serviteur de la vie et non pas un jouisseur.

Mü se sentit terriblement adulte après ses réflexions. Il avait peur mais il devait se montrer fort et accepter son destin. Un destin cruel et hors du commun en échange de la survie du monde et de la postérité brillant dans le firmament.

Il était une étoile veillant sur les hommes et dépossédé de lui-même.

Mü se leva et rejoignit son maître dans la salle à manger. Il salua son ancien camarade d’un signe de tête poli accompagné du regard doux qui lui était naturel et qu’il faisait à tout le monde.

Un regard bienveillant, amical même, mais pas fraternel.

Un regard de circonspection ordinaire qui avait perdu l’étincelle chaleureuse qui l’illuminait jadis quand il était adressé à Mû.

Un regard qui ne traduisait plus la complicité qui avait unie les deux enfants, qui ne transmettait plus les secrets partagés, les messages que seul Mû pouvait comprendre, ni aucun sentiment particulier si ce n’est la bonté d’âme que le Bélier accordait à tous.

Mû avait eu le droit à un regard comme les autres, au regard jusque là attribué aux autres. Pour lui, ce regard était froid comme un coup de poignard. Il comprit, comme il avait compris les regards de Mü ces derniers mois. Ce dernier lui adressait un dernier message: un message d’adieu brutal.

Une époque était révolue et Mû se sentit mourir.

Sa vie de joie et d’insouciance avait pris fin avec le départ de Mü. Alors il se rendit compte combien il tenait à cet autre lui et combien sa perte lui faisait mal.