CHAPITRE DEUX



Celui qui venait d’apparaître resta sur le seuil quelques secondes, comme pour jauger l’assistance, puis il se mit à traverser la salle d’un pas léger et sûr. Il était apparemment habillé d’une tunique blanche et d’un pantalon bordeaux mais la capuche de son ample pèlerine anthracite ne permettait pas de distinguer les traits de son visage. Comme il arrivait devant Athéna, Seiya se raidit. Les autres Bronzes ne bougèrent pas, ayant remarqué que leurs aînés ne manifestaient pas la moindre inquiétude.

— Qui es-tu ? demanda-t-il, méfiant malgré tout.

Sans daigner répondre à Pégase, l’inconnu mit un genoux à terre et, d’une main, releva son capuchon.

— Déesse Athéna, permettez-moi de vous présenter mes respects.

Agée d’une quinzaine d’années, la jeune fille qui venait de parler leva vers la déesse un regard d’un bleu profond pailleté d’améthyste. A première vue, Seiya crut que ses cheveux étaient simplement brun foncés mais, en regardant mieux, il remarqua divers reflets comme s’ils n’étaient pas d’une seule nuance. Auburn, cuivre, noisette et acajou se mêlaient au sombre de la chevelure. Incrédule, Pégase distingua même quelques discrets fils d’argents…

Aldébaran se pencha vers Milo et murmura :

— C’est bien la première fois que je la vois en pantalon.

Le Scorpion acquiesça.

Pendant ce temps, Saori sourit à l’adolescente.

— Tu dois être Cinnamon, dit-elle. Shaka m’a parlé de toi, je suis enchantée de te rencontrer.

Elle se leva et fit un pas vers elle.

— Je me doute que cela n’a pas du être très facile pour toi tous les jours, cependant tu es maintenant libre. Tu peux quitter le Sanctuaire, mais je serais heureuse que tu acceptes de rester encore un peu.

La réincarnation d’Athéna ne cachait pas son espoir de se faire une amie au milieu de tous les hommes qui l’entouraient.

— Je resterai.

— J’en suis ravie.

Saori sourit encore et, se penchant, elle chercha à prendre les mains de Cinnamon pour sceller leur nouvelle amitié.

Comme si un serpent venimeux venait de l’attaquer, la jeune fille se releva en reculant vivement, une lueur de méfiance dans les yeux.

— Pardonnez-moi déesse Athéna mais je ne supporte pas qu’on me touche.

Cette fois, ce fut au tour de Milo de chuchoter :

— Depuis quand ?

— Oh... je suis désolée. Je ferai attention, c’est promis… Puis-je te présenter les Chevaliers de Bronze, que tu ne connais pas encore ?

— Ça je peux le faire ! s’exclama Seiya.

Un par un, il désigna ses amis :

— Alors voilà Shiriyu, Chevalier du Dragon ; Hyoga, Chevalier du Cygne ; Shun, Chevalier d’Andromède et son frère, heu… Ikki doit se trouver quelque part, comme d’habitude. C’est le Chevalier du Phénix. Quant à moi, je suis Seiya, le Chevalier de Pégase.

Shiriyu et Hyoga se contentèrent d’un signe de tête poli et Shun eut un sourire lumineux. Cinnamon se contenta de les dévisager l’un après l’autre, le visage impassible. Lorsque son regard croisa celui du Dragon, celui-ci crut le voir brièvement virer au bleu marine. Il cligna des yeux. Après tout, il n’avait recouvré la vue que récemment…

Cinnamon se tourna vers Athéna :

— Puis-je me retirer, s’il vous plaît ? demanda-t-elle.

— On ne t’a pas encore présenté les autres Chevaliers de Bronze… commença Saori.

— Je les verrai plus tard, pour l’instant je suis fatiguée.

Ce ton péremptoire suscita des murmures désapprobateurs dans l’assistance. La déesse, pourtant, ne se formalisa pas. D’un geste, elle imposa silence à Tatsumi qui commençait à s’énerver.

— Très bien. J’espère au moins que l’on pourra se voir bientôt. En attendant, si je peux faire quoi que ce soit…

— Maintenant que vous le dites, oui. Vous pourriez me prêtez une paire de gants ?

Déconcertée, Saori acquiesça.

— Si tu veux, répondit-elle. Je possède des penderies pleines de vêtements à la Fondation Graad.

— C’est bien ce qui me semblait… Cependant je n’aurai besoin que des gants.

— Cinnamon ! Tu oublies à qui tu t’adresses ! intervint le Saint du Scorpion.

Oserait-elle traiter Athéna de gosse de riches pourrie gâtée ? Pour la troisième fois, il ne la reconnaissait pas. Il commençait à comprendre pourquoi Saga l’avait parfois désignée comme une insolente…

La jeune fille baissa la tête.

— Je vous demande pardon, messire Milo, dit-elle.

Elle paraissait bien plus contrite de l’avoir déçu lui que d’avoir manquer de respect à une divinité.

— Ce n’est pas envers moi que tu dois t’excuser.

— C’est bon, Milo, ce n’est rien. Cinnamon, je te prêterai toutes les affaires que tu veux. On se verra plus tard pour parler, d’accord ?

Shun prit tout à coup la parole :

— Attendez ! Cinnamon, qu’est-ce que tu as à la main ?

Il faisait allusion au ruban de soie noir qui ornait le poignet de l’adolescente tel un bracelet à la fois élégant et austère.

— C’est parce que je suis en deuil, répondit-elle en le fixant dans les yeux.

— Oh, fit-il, gêné.

— Je peux partir, à présent ?

Saori donna son accord et Cinnamon fit aussitôt demi-tour. Arrivée près de Jabu et des autres Bronzes, elle leur adressa un sourire chaleureux.

— Salut ! leur lança-t-elle sans s’arrêter.

— Heu… salut, bredouilla le Chevalier de la Licorne, aussi surpris que ses compagnons.

Il vit la jeune fille lui faire un clin d’œil juste avant que son visage ne disparaisse à nouveau sous la capuche.

Il y eut un certain flottement après son départ.

Une fois la réunion terminée, les Chevaliers de Bronze et leurs aînés se regroupèrent dans la huitième Maison.

— Je ne sais vraiment pas ce qu'il lui a pris, commença Milo en servant à boire à ses invités. Elle a toujours été si respectueuse...

— Il y a quelque chose que je ne comprends pas, dit Seiya. Si elle était prisonnière, comment se fait-il qu’elle porte le deuil ?

— Justement, depuis qu’elle vit au Sanctuaire, elle a noué des liens particuliers avec certains d’entre nous, répondit Aldébaran. Par exemple, elle passait des heures au douzième Temple.

— Avec Aphrodite ? fit Shun.

Le Chevalier du Taureau opina du chef.

— Je sais qu’elle aimait beaucoup parler avec lui, il était en quelque sorte son confident. De plus, c’est lui qui lui a appris à jouer aux échecs. Shaka, quant à lui, lui permettait de méditer en sa compagnie aussi souvent qu’elle le souhaitait.

En entendant son nom, l’intéressé tourna la tête vers eux mais resta muet.

— Et bien ! Moi qui l’imaginait enfermée dans un cachot avec des fers aux pieds ! s’exclama Seiya. Elle m’a l’air plutôt bien traitée.

— Pour qui tu nous prends ? rétorqua Milo, faussement indigné. On sait encore se comporter en gentlemen ! Même si elle n’avait pas le droit de quitter le Domaine Sacré, elle disposait d’une relative liberté et pouvait aller où elle voulait. Elle avait ainsi l’autorisation permanente de traverser les douze Maisons, cependant, elle nous sollicitait toujours la permission de passer.

— Sauf en ce qui concerne le Temple du Cancer, glissa Aldébaran. A part pour la première fois, elle ne lui a plus jamais demandé son accord.

— Tiens, comment le sais-tu ? s’enquit Milo.

— C’est Aphrodite qui me l’a dit au cours d’une conversation.

— Est-ce que ça signifie que DeathMask était moins cruel avec elle ? demanda Shun. S’il la laissait passer sans rien dire…

Aiolia eut un petit rire ironique.

— Au contraire, répliqua-t-il.

— Que veux-tu dire ? interrogea Shiriyu.

— DeathMask ? Il lui en a fait baver.