CHAPITRE QUATRE



Maison du Verseau



Un miroir géant, voilà ce que lui évoquait le Temple de son défunt maître.

En ces dernières lueurs du jour, Hyoga s’était rendu sur le lieu de son plus éprouvant combat. Debout au centre de la salle principale, la tête baissée, il rendait silencieusement hommage à celui qui avait donné sa vie pour lui enseigner sa dernière leçon. Autour de lui, les colonnes semblaient taillées dans le diamant et lui renvoyaient son propre reflet en de multiples exemplaires. Enfin, il se redressa.

— Maître Camus, j’espère être toujours digne de…

Aaaatchoum !

Interrompu, le Chevalier du Cygne porta son attention sur sa gauche, découvrant une silhouette à demi dissimulée par un pilier.

— Cinnamon, qu’est-ce que tu fais là ?

Comment surtout se faisait-il qu’il n’avait pas remarqué sa présence ?

Elle renifla et lui adressa un sourire gêné :

— Pardon, je ne voulais pas te déranger…

— Ce n’est rien mais tu vas attraper froid.

— C’est sûr qu’il faisait plus chaud ici, avant que vous n’arriviez…

Sa curiosité éveillée, Hyoga demanda :

— Que veux-tu dire ? Tu connaissais bien Camus ?

Cette fois le sourire de la jeune fille se fit énigmatique et, baissant la tête, elle se gratta le bout du nez.

— Je dormais quelques fois ici, quand messire Saga ne voulait pas que je reste au palais. Au début, je ne savais pas pourquoi…

Une certaine tristesse transparaissait dans ses propos.

— Vraiment ? Explique-toi…

Comme si elle en avait déjà trop dit, Cinnamon se détourna. Aussitôt, ce furent des dizaines de clones de l’adolescente qui firent face à Hyoga. Etait-ce une illusion ? Les images de la jeune fille lui paraissaient plus nombreuses que son propre reflet, comme si elle se démultipliait à l’infini…

Il allait parler lorsqu’une voix retentit :

— J’aurais dû m’en douter que tu serais là ! Ah tiens, salut Cinnamon.

Seiya venait d’apparaître, non loin du seuil.

— Qu’est-ce que ça caille ici… Hyoga, si ça te dit, je fais une petite visite guidée du Sanctuaire. Shun et Shiriyu nous attendent dans l’arène. Tu peux venir avec nous si tu veux, Cinnamon.

— Je n’ai pas besoin d’une visite guidée. Moi je ne suis pas ici en touriste…

Ils n’entendirent pas sa dernière phrase, tant elle elle avait parlé bas. Les deux Chevaliers se jetèrent un coup d’œil et Seiya haussa les épaules.

— D’après Shun, elle est vraiment bizarre, chuchota-t-il alors que Hyoga s’approchait de lui. Et Shiriyu a employé le terme de lunatique.

— J’ai cru comprendre que mon maître Camus devait parfois la garder. J’aimerais bien savoir comment ça se passait…

Puis s’adressant à Cinnamon :

— On y va, si tu veux nous rejoindre…

Les jeunes garçons quittèrent la Maison.



Une fois seule, Cinnamon se tourna vers son reflet le plus proche.

— Arrête de me regarder comme ça. C’était pas ma faute.

Son double continua de la fixer d’un air accusateur.

La jeune fille lui tourna le dos et soupira. Brusquement elle donna un coup de poing derrière elle. Si la glace demeura impassible, du sang se mit à couler de son poignet. Elle releva la manche de sa tunique et regarda les filets vermeils parcourir son avant-bras.

Un éclat de rire résonna dans le Temple.



Vendredi 6 mars 1987

Arènes du Sanctuaire



— Alors, qu'est-ce que je vous avais dit ? C'était une bonne idée, hein ?

Les autres Chevaliers de Bronze acquiesçèrent. Seiya, qui faisait ce qu'il pouvait pour remonter le moral de ses frères, avait insisté pour qu'ils prennent leur petit déjeuner aux arènes. A présent, ils étaient installés tous les quatre sur les gradins de pierre. Le soleil était encore bas dans le ciel aussi profitaient-ils de la fraîcheur matinale.

— Vous allez mettre des saletés partout. C'est vraiment dégoûtant.

— Bonjour à toi aussi, Cinn, répondit Seiya.

La jeune fille venait de descendre les gradins vers eux et les toisait d'un air sévère. Lorsqu'elle entendit le surnom que lui donna Pégase, son regard lança des éclairs.

— Mon nom, c'est Cinnamon. Je n'accepte aucune familiarité avec vous.

— Ça, on avait compris que tu ne nous aimais pas beaucoup mais ce serait trop te demander de nous dire pourquoi ? Je te signale qu'on en a tous bavé pour mettre un terme à...

— Attends, Seiya, intervint Shun. Cinnamon, tu es blessée ?

Le Chevalier d'Andromède désignait le bras droit que l'adolescente gardait négligemment le long du corps. Il venait de remarquer les traces de sang séché sur sa main. Levant celle-ci à hauteur du visage, Cinnamon la regarda d'un air perplexe comme si elle ne s'était encore aperçue de rien. Cela dura un très bref instant, puis elle s'en prit aussitôt au pauvre Shun :

— Je vais nettoyer. Qu'est-ce que ça peux te faire ?

Le garçon se leva et s'avança vers elle.

— Laisse-moi au moins regarder.

La jeune fille recula jusqu'à se retrouver dans l'arène.

— Non !

— Arrête de faire l'enfant, la morigéna Shiriyu. Si tu es blessée...

— Vous avez gagné, je m'en vais. Fichez-moi la paix !

Elle allait partir mais Shun ne l'entendait pas ainsi. Plus rapide qu'elle, il la rejoignit et lui saisit le bras. Il avait agit avec douceur, pourtant elle se contracta comme si son contact la faisait souffrir. Ses yeux aux pupilles dilatées étaient ceux d'une bête aux aboies et elle était livide. Pourquoi avait-elle si peur ?

— Lâche-moi, murmura-t-elle.

— Calme-toi, je ne vais pas te faire de mal. Je veux seulement vérifier que tu n'as rien de cassé.

Andromède lui parlait d'un ton volontairement apaisant. Elle se laissa faire mais continuait à trembler. Elle ferma les yeux quand il examina sa main et il vit ses lèvres bouger silencieusement.

— C'est bon, tu n'as aucune fracture, cependant c'est vrai que tu devrais nettoyer ça.

Shun l'avait à peine lâchée que Cinnamon s'écarta de lui. Lui tournant le dos, elle fit quelques pas dans l'arène et mit un genoux à terre.

— Cinnamon ?

Le Chevalier s'approcha.

— Espèce d'infâme petit salopard.

Shun s'immobilisa. Lentement, Cinnamon tourna la tête et darda sur lui un regard luisant de haine.

— Comment oses-tu ? s'exclama Seiya.

— Enfin, qu'est-ce qui te prend ? demanda Hyoga. Il voulait seulement t'aider...

L'adolescente se releva, leur faisant face.

— M'aider ? J'ai dû me débrouiller toute seule jusque maintenant. Je n'ai pas besoin qu'une bande de gamins viennent jouer les sauveteurs, cracha-t-elle avec acrimonie.

— C'est horrible de ne pouvoir compter sur personne. Je te plains, ça n'a sûrement pas été facile...

Les paroles d'Andromède et son regard empli de compassion n'était apparemment pas le meilleur moyen de calmer Cinnamon. Elle se raidit comme si la gentillesse de Shun constituait une offense intolérable et ses iris s'assombrirent brusquement. Elle fit un pas décidé dans sa direction.

— Si tu as tellement besoin de te défouler, je suis à ta disposition mais je te conseille de ne pas les approcher.

La jeune fille s'arrêta net en entendant cette voix qui avait surgi de nulle part.

La température de l'air semblait soudain avoir augmenté de plusieurs degrés...