CHAPITRE VINGT-SIX

Le Supplice

Depuis qu'elle avait fait la connaissance du double du Pope, ou plutôt depuis qu'elle avait rencontré sa véritable personnalité, Cinnamon en était venue à la conclusion que le Pope terrible et vindicatif était comme mister Hyde, alors que celui qui l'avait sauvée n'était autre qu'un malheureux docteur Jeckyll. Aussi avait-elle tout naturellement placée sa confiance en ce dernier. A ses yeux, il était nécessairement parfait, puisque son autre lui symbolisait le mal. Avec un tel raisonnement enfantin, quoi d'étonnant à ce qu'elle se soit amusé à renommer le double maléfique. Si le gentil s'appelait Saga, l'autre se nommerait... Kyko. Cela venait de ce qu'elle avait entendu Marine de l'Aigle utiliser le terme Kyôkô en parlant de lui et, forcément, Cinnamon avait contracté ce curieux nom.

La première fois qu'elle l'avait utilisé devant lui, elle avait fait un vol plané à travers la grande salle du Pope avant de comprendre ce qui lui arrivait. Partagée entre la peur et l'envie de le défier, elle avait décidé d'utiliser ce surnom uniquement lorsqu'ils seraient en privé. Il se fâcherait toujours, mais ne pourrait rien dire s'il étaient seuls.

C'est ainsi que l'Autre se retrouva rebaptisé d'un surnom dont il se serait bien passé.


Samedi 13 septembre 1986 - 02 h 15

Palais du Grand Pope

Réveillée en sursaut, Cinnamon resta de longues minutes assise dans son lit, parcourue de frissons malgré la douceur de la nuit. Une horrible sensation de malaise la prenait à la gorge, l'empêchant pratiquement de respirer et faisant battre son cœur plus vite. Elle n'avait aucun souvenir du cauchemar qui l'avait tirée du sommeil. Sa seule certitude était une tristesse infinie, comme si elle venait d'assister à la fin du monde. Cette affliction était d'ailleurs si violente que la jeune fille s'attendait à éclater en sanglots d'une seconde à l'autre. Elle tendit une main derrière elle et la retira aussitôt: son oreiller était trempé. Elle toucha alors son visage et sentit là aussi une humidité. Machinalement, elle goûta le sel de ses larmes, et un nom s'imposa à elle avec une telle force que, si l'adolescente n'avait pas déjà été assise, elle se serait effondrée.

Saga...

Était-il présent dans son rêve? Cinnamon l'ignorait, cependant l'évocation du jeune homme avait amplifié son chagrin à la limite du supportable. Saga... Il fallait qu'elle le voit, qu'elle s'assure que tout aille bien pour lui. A cette heure-ci il devait dormir dans la chambre du Pope, du moins elle l'espérait. Peu importe si elle le dérangeait, le besoin qu'elle avait de sa présence provoquait en elle une douleur presque physique. Elle se leva et, sans même prendre le temps de passer quelque chose par-dessus sa chemise de nuit, quitta la pièce.


Les appartements privés du Grand Pope étaient un endroit du Palais plus tabou encore que la salle du Crusos Sunagein. Nul n'aurait osé s'aventurer sur le territoire du maître du Sanctuaire, c'est pourquoi aucun garde ne se rencontrait dans cette partie du treizième Temple. Arrivée devant le double battant en bois précieux, Cinnamon hésita une poignée de secondes et frappa. Elle attendit avec une anxiété fébrile puis, ne percevant aucune réponse, poussa la porte. Elle se trouva alors dans un salon aussi vaste que luxueux et pouvait apercevoir, par une ouverture devant elle, la chambre avec son grand lit aux tentures de brocard.

— Messire Saga... appela-t-elle doucement tout en avançant dans la pièce. Le bruit du battant qui se refermait la fit sursauter et elle se retourna. Saga émergea de l'ombre, seulement vêtu d'un pantalon et posant sur la jeune fille un regard émeraude empreint d'inquiétude.

— Cinn... que se passe-t-il ? Que fais-tu là ?

Incapable de se contenir plus longtemps, Cinnamon se précipita dans ses bras. Le premier moment de surprise passé, il la serra contre lui.

—Tu as pleuré... constata-t-il en touchant sa joue encore humide de larmes.

— C'est parce que j'ai fait un cauchemar, un horrible cauchemar... Je ne me souviens plus de ce que c'était mais... mais c'était tellement affreux. Messire Saga, je suis contente que vous alliez bien, j'avais peur pour vous. Il émit un petit rire amusé.

— Évidemment que je vais bien, je suis même en pleine forme. Allons tout va bien, calme-toi.

Rassurée, l'adolescente prit peu à peu conscience que l'homme était torse nu. Les joues légèrement rosies, elle ferma les yeux et se laissa bercer par les battements de son cœur. Si seulement ce bruit pouvait ne jamais cesser...

— S'il devait vous arriver malheur, j'en mourrai, c'est sûr, murmura-t-elle.

— Ce serait vraiment dommage. De toute façon personne ici ne vit ou ne meurt sans ma permission. Ceci dit, je suis heureux que tu te sois enfin décidée à remplir ton rôle.

— Mon rôle?

Il éclata de rire, et Cinnamon sentit un frisson désagréable parcourir sa colonne vertébrale.

— Voyons mon ange, tu ne croyais tout de même pas que tes vacances ici étaient gratuites? Je t'ai autorisée à vivre sur le Domaine Sacré d'Athéna et à côtoyer le Zodiaque d'Or, ce qui pour une simple civile comme toi, est exceptionnel. Il est plus que temps que tu me manifestes ta reconnaissance...

Le souffle coupé, la jeune fille ne parvenait pas à croire ce qu'elle entendait. Les bras qui s'étaient refermés sur elle avaient perdu leur tendresse réconfortante pour se transformer en prison. Ce fut à cet instant qu'elle se rendit compte que le Pope jouait négligemment avec une mèche de ses cheveux, tandis que son bras enserrait sa taille d'une manière possessive. Horriblement mal à l'aise, Cinnamon tenta de se dégager et y parvint facilement, à sa grande surprise. Hélas son soulagement fut de courte durée. Chevelure d'azur et prunelles d'un vert magnifique, c'était bien Saga qui se tenait devant elle.

— Pardonne-moi, dit-il. Je ne voulais pas te faire peur. Tu sais bien que je ne te ferai jamais de mal.

Troublée, indécise, Cinnamon demeura muette. Il en profita pour faire un pas vers elle et elle recula aussitôt, mue par une sensation de danger qui, loin de disparaître, augmentait de minute en minute. Il consentit enfin à s'arrêter.

— Tu es si adorable lorsque tu es effrayée, ma petite chérie.

Ces mots, plus encore que le regard caressant qu'il attachait sur elle, achevèrent de la convaincre.

— Vous n'êtes pas messire Sage, souffla-t-elle. Peu importe votre apparence, vous n'êtes pas lui.

Ce fut comme si elle venait de prononcer une formule magique. De saphir, les longs cheveux se firent argent et les yeux perdirent leur vert intense pour prendre une teinte sanglante.

— Désolé d'avoir joué ce petit jeu, mais tu étais dans un tel état quand tu es arrivée ici que c'était trop tentant ! s'exclama-t-il en riant.

— C'était vous... Depuis le début, c'était vous et pas messire Saga...

— Au contraire, celui que tu nommes Saga n'a jamais cessé d'être là. Moi je suis juste celui qui lui prête ma voix et mon corps. J'articule les mots qu'il n'ose jamais dire, et mes actes sont ceux qu'il ne s'autorise pas. Je suis le véritable Saga, celui qui se cache dans son cœur, l'essence même de son âme. Cinnamon ne pouvait en entendre davantage.

— Non! cria-t-elle. Messire Saga n'est pas comme vous! C'est un être bon et noble, je le sais!

— Oui... si bon et noble qu'il a assassiné le maître du Sanctuaire et tenté un déicide... Cependant ta réaction ne me surprend pas. Je n'ignore pas à quel point tu es attachée à lui. C'est d'ailleurs pour cela que j'avais crée cette illusion. Je pensais que ce serait plus facile pour toi.

— Plus facile?

— D'accepter ton rôle, la véritable raison de ton séjour ici. Je te l'ai dit, il faudrait peut-être que tu penses à justifier ta présence en ces lieux. Le palais du représentant d'Athéna sur Terre n'est pas une vulgaire auberge!

— A propos d'Athéna, je suis certaine qu'elle aurait des choses à vous dire si elle voyait ce que vous faites!

— Ne t'inquiète pas pour elle, je m'occuperai de son cas en temps voulu. Pour l'instant, c'est toi qui m'intéresses.

Il avança vers la jeune fille, se délectant visiblement de la panique qu'il percevait chez elle pendant qu'elle reculait. Elle ne pouvait lui échapper et elle le savait.

— Ton insolence mérite une punition, continua-t-il. Je pensais tout d'abord faire preuve de douceur, mais je crois que tu as surtout besoin d'une petite leçon. J'ai bien remarqué la façon dont tu te comportais avec mes Chevaliers. Si tu t'imagines que je vais te laisser leur faire de l'œil impunément, tu te trompes.

— Leur faire de l'œil ? répéta-t-elle. Jamais je n'ai fait une chose pareille !

Ce fut avec un sourire cruel qu'il lui répondit :

— Ma petite chérie est-elle donc si innocente qu'elle n'a même pas conscience de son attitude envers les Saints d'Or ? Je comprends comment tu as pu traverser les douze Maisons... Une groupie qui s'allonge sur le dos dès qu'elle voit une armure d'or... Le respect admiratif que tu leur montres, il ne serait pas mauvais que tu me le témoignes à moi aussi. Tu peux jouer les courtisanes tant que tu veux, du moment que c'est avec moi et moi seul.

De plus en plus effrayée, Cinnamon cherchait en vain une issue à la situation. Son cœur cognait si fort dans sa poitrine qu'elle en avait mal et elle devait se retenir pour ne pas hurler.

— Vous mentez, je ne suis pas comme ça... plaida-t-elle d'une toute petite voix, ce qui le fit rire.

— Bien sûr que si, tu peux me croire! Ils sont simplement trop courtois pour te le faire remarquer. Le pire, c'est que tu oses jouer les pucelles effarouchées. Un peu tard, tu ne crois pas? Les filles comme toi, on les appelle des saintes ni touche, et elles sont pires que les catins. Sais-tu comment il convient de traiter les créatures dans ton genre? En les mettant à genoux, en les faisant plier sous le mâle. Et je vais te plier, fais-moi confiance. Lorsque j'en aurai fini avec toi, tu sauras enfin qui est ton maître.

Horrifiée, la jeune fille tenta de s'échapper mais il fut plus rapide. D'un seul mouvement, il fut à ses côtés et la plaqua contre lui. Son bras enserrait sa taille tandis que son autre main agrippait les cheveux soyeux, derrière la nuque. Il écrasa sa bouche sur la sienne et, trouvant lèvres closes, la mordit sauvagement. Il la serra encore plus contre lui et glissa la main dans son corsage. Durant quelques secondes, il la caressa, puis il lui tordit le sein violemment. L'adolescente hurla. Aussitôt il insinua sa langue dans sa bouche et lui imposa un baiser d'une virtuosité affolante.

Cinnamon était incapable de résister. Prise de vertiges, elle avait l'impression de vivre un cauchemar éveillé. Néanmoins, aussi intense se sentiment d'irréalité fut-il, il ne l'empêchait pas de ressentir avec une terrible acuité chaque attouchement. Ni de se débattre dans les affres de la peur. Ses larmes se mêlaient au sang qui souillait le bas de son visage, et le liquide rubis ne dérangeait nullement l'homme qui revenait fréquemment s'emparer de sa bouche. Impuissante, la jeune fille ne pouvait que subir les mains, tour à tour tendres et brutales, qui la dévêtaient, la caressaient et la pressaient toujours davantage contre son bourreau. La manifestation indéniable de son désir décupla encore sa terreur, si tant est que ce fut possible.

—Tu as la peau douce, tellement douce... murmura-t-il entre ses baisers. Quand je pense que le Cancer y a goûté avant moi... J'ai eu beaucoup de mal à lui pardonner d'avoir touché à ce qui m'appartient, tu sais? Qu'à cela ne tienne ; il te reste encore d'autres virginités à m'offrir. Nous avons largement de quoi nous amuser toute la nuit...

De quoi voulait-il parler? Elle ne comprenait rien à ses insinuations chargées de menaces, ou plutôt elle refusait de comprendre. Brusquement il la rejeta loin de lui et elle tomba au sol où elle demeura, étourdie et sans forces.

— Ça ne me dérange pas de faire ça par terre mais, si tu arrives à te lever, je t'autorise à aller sur le lit.

L'usurpateur appuya ses paroles d'un rire empreint de sadisme. Cinnamon lui jeta un coup d'œil et elle eut l'impression de recevoir un électrochoc. Il était en train de déboutonner son pantalon.

Pourquoi messire Saga avait-il laissé la place à œ monstre? S'il avait été là, jamais il n'aurait fait une telle ignominie. Et pour commencer, jamais il n'aurait prononcé toutes ces obscénités. Saga et son double étaient décidément les antithèses l'un de l'autre.

Ce que l'Autre avait dit plus tôt résonna alors dans l'esprit de Cinnamon, chaque parole la blessant aussi sûrement qu'un coup de couteau... ou qu'une Galaxian Explosion lancée à pleine puissance. "Je suis le véritable Saga, celui qui se cache dans son cœur, l'essence même de son âme. " Jusqu'à présent, la jeune fille avait pris l'habitude de dissocier les deux hommes. Elle avait beau savoir que le Saint d'Or n'était pas possédé, elle voyait en celui qu'elle appelait Kyko une entité bien distincte et indépendante. Cela lui permettait de ne pas incriminer Saga pour toutes les exactions qui se déroulaient sur le Domaine Sacré, à commencer par les violences dont elle avait elle-même été victime.

En un instant, tout changea. Ce fut comme si un voile avait été déchiré, et la lumière qu'il révéla était si intense que, durant une seconde très longue, Cinnamon connut un black-out total. Toute pensée consciente l'avait désertée et elle aurait été bien en peine de répondre si on lui avait demandé son nom. Lorsqu'elle revint à elle, elle ne put faire autrement que d'accepter la réalité.

Saga et Kyko étaient les deux identités d'une seule et même personne. Saga était Kyko et Kyko était Saga. Tout ce que Kyko disait, ses moindres actes, n'étaient en fait que l'expression de ce que Saga désirait.

Cette prise de conscience déchira l'âme de l'adolescente. Le Chevalier des Gémeaux était celui, au Sanctuaire, à qui elle vouait une confiance absolue. Elle le respectait, l'admirait, l'adorait même. A ses yeux, il était parfait et méritait d'être comparé à un dieu. La bienveillance dont il faisait preuve à son égard la confortait dans cette idolâtrie dangereuse. Si elle ne pouvait plus avoir foi en lui, en quoi devait-elle croire?

Tel un papillon affolé, son esprit tournoya, cherchant en vain une porte de sortie. Mais il était trop tard, la jeune fille était prise au piège. Certains animaux, lorsqu'ils sont acculés, n'hésitent pas à se mutiler pour se libérer, abandonnant tel ou tel membre. Dans l'impossibilité de renier l'image idéalisée qu'il avait de Saga, le psychisme de Cinnamon se retourna contre lui-même. Quelqu'un ici était faux et elle préférait que ce soit elle. Cet homme qu'elle avait magnifié n'était pas un leurre. La chimère c'était elle. Existait-elle véritablement? Elle décida que non. Puisqu'elle n'avait aucune réalité, cela signifiait qu'elle n'avait pas à obéir aux règles qui régissaient l'univers. Les lois de la nature, les impératifs physiques... rien de tout œla ne s'appliquait à elle parce qu'elle n'existait pas.

C'est ainsi que Cinnamon fit une chose qu'elle n'aurait jamais osée dans ses rêves les plus fous. Un très bref instant s'était écoulé depuis que l'usurpateur l'avait jetée au sol. A la grande surprise de celui-ci, elle se releva et vint se planter devant lui, son regard brillant d'une lueur farouche.

— Messire Saga, je veux que vous reveniez. Maintenant !

Cela n'avait rien d'une supplique. C'était un ordre. Cette fois les rôles étaient inversés. A genoux devant la jeune fille, tête baissé, l'homme était pris de tremblements. Puis sa longue chevelure changea de couleur: d'argent, elle reprit son habituelle teinte azurée. Le regard confus qu'il leva ensuite sur elle avait retrouvé son vert magnifique, digne de la plus belle émeraude. Cinnamon crut que son cœur allait éclater de soulagement.

— Messire Saga... murmura-t-elle en se baissant à sa hauteur.

— Par Athéna... souffla-t-il avec horreur. Cinn, je suis désolé. Je t'ai blessée, pardonne-moi. J'ai voulu... j'ai failli te...

Sans hésiter, l'adolescente posa ses mains sur les siennes.

— C'est ma faute, je n'aurais pas dû entrer dans votre chambre en pleine nuit, surtout avec une tenue si légère.

Il la regarda avec sévérité.

— Ne dis pas n'importe quoi! Tu n'es coupable de rien. Même si tu t'étais présentée à moi entièrement nue, en aucun cas œla n'aurait justifié une agression. Cinn, je suis trop dangereux pour toi. Ta place n'est pas ici. Tu dois retourner d'où tu viens.

Elle poussa un cri déchirant:

— Nooon !... Messire Saga, je vous en prie, ne me chassez pas du Sanctuaire ! Je ne veux pas que ça redevienne comme avant. Laissez-moi rester. Par pitié ! Je me tuerais si je devais quitter œt endroit et ne jamais vous revoir, vous et les autres... Je ne le supporterais pas, j'en mourrais c'est sûr !

Il la dévisagea, interdit. Échevelée, sa chemise de nuit déchirée et son visage barbouillé de larmes et de sang, elle s'évertuait à lui faire comprendre qu'un retour à son ancienne vie serait encore pire pour elle que l'outrage auquel elle venait d'échapper...

— Je ferais n'importe quoi pour être autorisée à rester, poursuivit-elle fébrilement. Je... je ferais le ménage dans chacune des douze Maisons, je nettoierais le Grand Escalier avec une brosse à dent ! Et d'abord, pourquoi vous voulez que je m'en aille ? J'ai fait quelque chose de mal ? C'est parce que je n'ai pas été sage, c'est ça ?

Oh heureusement que l'Autre avait été relégué au fond de son être...

— Du calme, Cinn, du calme ! Très bien, tu resteras.

— Oh merci, merci...

A croire qu'il venait de commuer sa condamnation à mort en libération sur parole.

— Cependant je t'ordonne de quitter mes appartements immédiatement. Tu n'as rien à faire ici. Pour cette nuit, au moins, reste le plus loin possible de moi.

— Mais, messire Saga...

— Va-t-en, vite ! Je préfère ne pas prendre le risque que tu sois encore là si... quand il reviendra.

Effrayée par le ton qu'il venait d'employer, Cinnamon se leva et recula.

— Allez, va-t-en !

L'adolescente fit demi-tour et s'enfuit comme si elle avait le diable aux trousses. Ce qui n'était pas totalement faux, d'une certaine façon. Saga la regarda s'éloigner. Sa propre conduite le remplissait de honte et de dégoût de lui-même. Par Athéna, comment pouvait-il se montrer aussi abject ? Quant à Cinnamon, quelle folie la poussait à lui témoigner une telle dévotion ? Après ce qu'il lui avait fait, ce qu'il avait failli lui faire... Ce n'était pas normal. A propos d'aberration... Son propre réveil en était un exemple flagrant. Ce qui s'était passé, Saga n'osait y croire et pourtant... La jeune fille avait imposé sa propre volonté à l'un des hommes les plus puissants qui existaient. Et elle n'en avait apparemment pas conscience.


L'Autre ne laisserait jamais passer ça. Dans tous les sens du terme.


Saga n'avait pas tort. La manière dont Cinnamon s'était tirée d'affaire n'était plus pour elle qu'une vague réminiscence, un lambeau de rêve prêt à s'évaporer tel la brume sous les rayons du soleil. Ce qui s'était passé était trop étrange, si extraordinaire que la jeune fille préférait l'occulter. Pour l'instant, elle se trouvait à l'arrière de la Maison des Poissons, sans savoir comment elle était arrivée là. Elle n'avait aucun souvenir du chemin parcouru. Peut-être messire Aphrodite accepterait-il de l'héberger pour cette nuit ? Il lui était impossible de retourner au Palais: s'il en avait l'occasion, Kyko essayerait encore de...

Un vertige s'empara soudain de adolescente et elle vacilla. Une autre bouche sur la sienne. D'autres mains qui exploraient son corps. La terreur, la confusion... Et cette intrusion au plus intime d'elle-même, cette douleur atroce dans son ventre... Cinnamon fit ce qu'elle n'avait pas osé à l'époque. Elle hurla.


Maison des Poissons

Un hurlement.

Long, aigu, désespéré.

Un instant plus tard, Aphrodite apparut à la sortie de son Temple. Durant une seconde, il hésita devant le spectacle qui s'offrait à ses yeux, puis il s'avança vers Cinnamon.

Effondrée au pied d'une colonne, échevelée, livide, la jeune fille était agitée de violents tremblements. Ses larmes se mêlaient au sang qui maculait sa bouche et son menton. Le corsage de sa chemise de nuit était déchiré et sa main droite se crispait sur sa poitrine. Elle leva des yeux agrandis d'effroi et eut un mouvement de recul lorsque le Chevalier des Poissons se pencha vers elle.

— Ne reste pas là, viens au moins te reposer à l'intérieur, dit-il calmement.

Il l'aida à se lever et dut la soutenir jusqu'à ses appartements privés. Une fois dans le salon, il la fit s'asseoir sur le canapé et disparut ensuite dans la cuisine.

Il revint peu après avec une bassine d'eau et des serviettes. Cinnamon était dans un tel état qu'il lui tendit tout d'abord un verre de liqueur de rose qu'elle but d'un trait. Puis, Aphrodite entreprit de nettoyer ses blessures. A travers les propos incohérents de l'adolescente, il comprit que Saga avait tenté d'abuser d'elle. Tenté seulement car, apparemment, il n'était pas parvenu à ses fins. De cela, Aphrodite était sceptique. Si celui qui était en réalité le Chevalier des Gémeaux avait voulu cette fille, rien ni personne n'aurait pu l'empêcher de la prendre. Comment aurait-elle fait pour lui échapper ? De plus cette tentative, aussi traumatisante fut-elle, n'expliquait pas l'état de choc dans lequel il avait trouvé l'adolescente. C'était la première fois qu'il la voyait en pleurs. Il savait très bien œ que DeathMask lui avait fait lors de leur première rencontre, quand elle avait dû traverser les douze Maisons. Elle avait alors fait preuve de sang-froid et c'était justement pour œla qu'il l'avait laissée passer: parce qu'elle avait démontré une réelle force intérieure. Qu'est-ce qui avait pu changer cette fois-ci ?

Cinnamon ne tremblait et ne pleurait plus, bien que son visage fut encore barbouillé de larmes. Elle demeurait pourtant apathique, le regard vitreux. Elle ne réagit même pas lorsque Aphrodite écarta les lambeaux de sa chemise, découvrant une meurtrissure à son sein gauche.

— Vilaine blessure mais heureusement superficielle, constata-il. Dans quelques semaines, il n'y paraîtra plus. Elle se tourna enfin vers lui

— Messire Aphrodite. vous voulez bien me permettre de rester un moment dans votre Maison ? Je préfère ne pas retourner au Palais pour l'instant...

— Tu peux rester quelques jours... à condition que le Pope l'autorise.

Cinnamon ferma les yeux et frissonna.


Lorsqu'elle se coiffa le le demain matin, elle discerna quelques mèches argentées dans sa chevelure mordorée.


Palais du Grand Pope

— Mais bien sûr que tu vas passer quelques jours hors des murs de ce palais, susurra le maître du Sanctuaire. Il n'est pas question de laisser une impertinente comme toi souiller davantage ce lieu saint.

Cinnamon n'était guère surprise. Kyko n'étant pas arrivé à ses fins la nuit dernière, elle s'attendait à des représailles. Peu importait œ qu'il pouvait décider: pour l'instant, tout lui semblait préférable à un séjour dans le treizième Temple.

Elle avait tout simplement sous-estimé l'esprit diabolique de cet homme.

— Oser manquer de respect à la déesse Athéna... continua-t-il. Sache qu'ici,certains ont été exécutés pour moins que cela !

— Lui manquer de respect ? C'est totalement faux et vous le savez ! s'écria-t-elle, outrée.

— Silence ! tonna-t-il. Ce que je sais, c'est que tu m'as désobéi. La désobéissance à son représentant équivaut à bafouer la déesse elle-même. Cependant, comme je suis magnanime, je veux bien te laisser une occasion de prouver ton repentir... C'est pourquoi tu vas être amenée devant la statue d'Athéna qui se trouve devant le Palais, afin que tu puisses lui demander pardon publiquement.

— Je ne lui demanderai jamais pardon parce que je n'ai rien fait de mal. "De toute façon, Athéna n'était même pas présente sur le Domaine Sacré", pensa amèrement adolescente.

Toute cette mascarade, ce simulacre de résipiscence pour masquer une basse revanche... Elle se sentait triste, tellement triste pour messire Saga...

Le Pope émit un petit rire inquiétant.

— A ta guise... Cela te sera juste un peu plus pénible. Gardes !

Les doubles portes s'ouvrirent, livrant passage à plusieurs soldats qui vinrent entourer Cinnamon. Comme ils l'emmenaient, le maître du Sanctuaire la rappela d'une voix douce :

— Ma fille, si tu changes d'avis et si tu désires réellement t'amender, je serais heureux d'entendre ta confession. En privé.

La jeune fille se raidit à ces mots. Galvanisée par la peur et l'indignation, elle s'empressa de suivre les gardes.


Sur le parvis du treizième Temple se dressait une statue d'Athéna haute d'à peu près trois mètres. C'était là que les gardes avaient emmené Cinnamon, il y avait maintenant plusieurs heures, alors que l'aube commençait à poindre.

La jeune fille était agenouillée, les bras en croix.

Demeurer dans cette position jusqu'à ce qu'elle présente publiquement ses excuses à la déesse, telles étaient les conditions de l'amende honorable que lui avait imposée le Grand Pope. Chevaliers, soldats, apprentis et serviteurs, œux qui se rendaient au Palais pouvaient l'observer à loisir et ne se privaient pas d'échanger des commentaires. Le maître du Sanctuaire avait déclaré qu'il était prêt à faire preuve de clémence si cette fille se repentait sincèrement.

Quel péché avait-elle commis? Apparemment, elle avait eu l'audace d'insulter Athéna alors qu'elle se croyait seule. Un crime inimaginable qui aurait été immédiatement puni de mort sans la mansuétude du Grand Pope. Mais celui-ci avait eu la bonté de croire à un moment d'égarement. Après tout, elle n'était qu'une civile qui n'avait pas, comme eux, prêté serment d'allégeance à la déesse. Le Grand Pope lui avait donc laissé une dernière chance d'échapper au châtiment. Devant l'assistance ébahie qui s'attendait à la voir implorer grâce, cette pimbêche était allée s'agenouiller d'elle-même, comme pour défier le représentant d'Athéna sur Terre. Ainsi, elle préférait rester dans cette posture inconfortable plutôt que de reconnaître ses torts. Il n'y avait qu'à voir la façon dont elle vous fixait du regard...


Kyko avait raison sur un point. C'était réellement de plus en plus pénible. Il lui était maintenant difficile de se maintenir droite: des douleurs irradiaient le bas de son dos, ses jambes depuis ses cuisses jusqu'à ses mollets étaient parcourues de tiraillements, sa nuque se raidissait de plus en plus et elle avait l'impression que ses épaules ployaient sous une chape de plomb. Elle ne sentait plus ses mains qui avaient été envahies de fourmillements au bout de ses bras ankylosés.

Par contre, elle avait soif. Horriblement, atrocement soif. C'était peut-être œla le plus cruel. La gorge sèche, la langue pâteuse et une méchante migraine lui enserrant le crâne, l'adolescente aurait pu tuer pour une gorgée d'eau.

Résistant à la tentation de fermer les yeux pour échapper à la réalité, elle tourna son regard vers un balcon situé à sa droite. Confortablement installé dans un fauteuil d'apparat, le Grand Pope ne perdait pas une miette du spectacle. Se sachant observé à son tour, il leva son verre en un salut ironique et le porta à ses lèvres.

Elle avait tort. Le plus cruel, ce n'était pas la soif. C'était la torture que devait endurer messire Saga, enfermé en lui-même comme dans un tombeau. Ce qui s'était passé la nuit dernière pesait certainement sur sa conscience, et à présent ça... Ne souffrait-il pas assez? Et par sa faute en plus : à cause d'elle, il avait une raison supplémentaire de s'en vouloir... Sentant les larmes lui monter aux yeux, le cœur au bord des lèvres, Cinnamon se détourna.


Quelques heures s'étaient encore écoulées. Les yeux clos et la tête inclinée, la jeune fille n'en avait plus pour longtemps. Elle paraissait sur le point de s'effondrer à tout instant. Les gardes commençaient déjà à échanger diverses médisances sur cette insolente qui avait finalement trouvé son maître, lorsqu'une silhouette s'approcha, arrivant directement du Grand Escalier.

Cette fois, elle était finie.

Jusque là, aucun membre de la Garde Dorée n'avait encore daigné apparaître. Reculant prudemment, les soldats virent le Chevalier d'Or du Cancer s'avancer vers la fille et lui murmurer quelque chose à l'oreille. Puis il se détourna et se dirigea vers l'entrée du Palais. Devant les témoins stupéfaits, l'adolescente ouvrit les yeux et se redressa. Semblant puiser une nouvelle énergie au fond d'elle, elle releva ses bras à l'horizontal, et attacha un regard brûlant d'une détermination renouvelée sur les personnes présentes, les faisant reculer de stupeur. Que s'était-il passé ? Où cette fille trouvait-elle sa force, d'où tenait-elle une telle endurance ?

Juste avant d'entrer dans le treizième Temple, DeathMask se retourna. Personne ne remarqua le fugace sourire de satisfaction qui orna ses lèvres.


Palais du Grand Pope

— Laissez-nous. Obéissant à l'injonction, les deux gardes s'inclinèrent et sortirent de la pièce en refermant la porte sur eux.

Le Grand Pope se leva et, quittant le balcon, fit quelques pas dans la salle.

— Il est amusant de constater que, sur les huit Chevaliers d'Or présents au Sanctuaire, ce soit justement celui qui lui mène la vie dure qui soit venu l'encourager...

Adossé à une colonne, les bras croisés, DeathMask se permit un sourire ironique.

— Qui te dit que je l'ai encouragée? demanda-t-il. Je lui ai simplement dit que j'avais parié qu'elle ne tiendrait pas jusqu'à l'aube.

L'usurpateur eut un rire moqueur.

— Jusqu'à l'aube? Rien de plus facile pour un Chevalier, et cela constituerait même un bon exercice pour un apprenti... Mais cette fille... Je suis étonné qu'elle ne se soit pas déjà effondrée. Et puis-je savoir avec qui tu as parié? Les jeux de hasard sont interdit ici.

— Mes confrères n'ont pas voulu jouer, alors je me suis rattrapé sur les gardes. Vingt contre un que la gamine serait toujours là au lever du soleil.

— Tu as l'air bien sûr de toi.

Le Cancer savait-il quelque chose qu'il ignorait ? Ce qui s'était passé cette nuit avait incité le Pope à se méfier de son "invitée" et l'avait décidé à la briser sans attendre. Cependant, s'il y avait de nouveaux éléments à prendre en compte...

— Parce que je la connais. Si elle a décidé qu'elle ne bougerait pas, elle ne bougera pas. Elle est plus solide qu'elle n'en a l'air, déclara le Chevalier d'Or.

— Évidemment, j'aurais dû m'en douter... Tu ne te serais jamais intéressé à elle si elle ne faisait pas preuve d'une force quelconque. Cependant, ce n'est qu'une humaine ordinaire qui ne possède aucun cosmos. Une chétive créature que le premier garde venu pourrait éliminer à mains nues. Est-elle si courageuse qu'elle ait réussi à capter l'attention de mon plus terrible assassin?

— Le courage n'est pas ce qui importe dans son cas. Je veux parler de ce qu'elle cache. Les autres peuvent bien lui donner le bon Dieu sans confession, on ne me la fait pas à moi. Le maître du Sanctuaire s'installa dans un fauteuil et but une gorgée de vin. Décidément, cette conversation était très instructive...

— Je t'écoute, dit-il.


Il faisait un peu plus frais. Oh pas de beaucoup, seulement un ou deux degrés, mais c'était toujours mieux que rien. Les ombres s'allongeaient dans la douceur du soir tandis que l'horizon semblait baigner dans une flaque de sang. Les gardes chargés de la surveillance s'étaient relayés et les nouveaux venus devisaient tranquillement. Ils ne parlaient plus de la fille mais jetaient de temps en temps un coup d'œil sur elle. Regard ennuyé car il n'y avait plus rien d'intéressant à voir. Si au début, ils avaient guetté le moindre signe de faiblesse, à présent ils n'avaient plus qu'une envie: qu'on les envoie faire des rondes pour se dégourdir les jambes. Ils avaient l'impression de veiller une statue.

Et la pénitente n'était pas loin de croire qu'elle en était une. Figée dans la même position depuis le lever du jour, elle ne sentait plus ni ses bras ni ses mains. En fait, c'était comme si son corps en entier avait perdu toute souplesse pour se rigidifier, à l'instar de ces pauvres êtres punis par les dieux dont parlent les légendes. La douleur elle-même était absente. La chair s'était muée en marbre froid et insensible. Seuls sa respiration et les clignements de ses paupières sur ses yeux fixes rappelaient que la statue était vivante.


— Elle a fait quoi ?! Le Pope s'était redressé sur son siège, furieux.

— Imbécile! Pourquoi ne m'en as-tu pas parlé plus tôt ?

— Ça va, je ne suis pas censé savoir de quoi tu es au courant non plus... répondit le Cancer. Ce n'est pas de ma faute si tu n'as rien remarqué...

Il se baissa juste à temps pour éviter un rayon de cosmos.

— Si je n'avais pas besoin d'hommes comme toi, ton insolence te coûterait cher.

L'usurpateur porta soudain la main à son front. Il se força à respirer profondément et reprit d'un ton plus calme:

— Que les autres ne sachent rien. Pour eux Cinnamon est mon invitée, c'est tout. Rien ne doit changer.

— Voilà pour la version officielle, je suppose, nota DeathMask. Et pour la version officieuse ?

— Tu t'occupes d'elle.

— Quand tu dis s'occuper, ça veut dire...

— Que tu vas lui apprendre à développer ses dons, qu'est-ce que tu crois? Imagine l'atout qu'elle peut représenter pour peu que l'on arrive à éveiller son potentiel...

— Tu me fais jouer les baby-sitters, maintenant ? s'indigna le Chevalier d'Or.

— Tu t'attendais à quoi quand tu es venu me parler ? D'après ce que tu m'as raconté, tu es tout désigné pour ce travail. Aussi je te confie Cinnamon. Tu te chargeras de son... éducation. Ce n'est pas une apprentie comme les autres, elle ne revêtira jamais d'armure. D'ailleurs elle est trop âgée. Cependant, je suis certain que tu sauras faire d'elle quelque chose de... mortel.

Un petit rire s'échappa du masque.

— Ne me l'abîme pas trop tout de même.

Sur ce, le maître du Sanctuaire quitta la pièce. Resté seul, DeathMask s'approcha du balcon et posa son regard sur la silhouette toujours agenouillée en contrebas.

— Moi et ma grand gueule...


Le disque doré ondoyait à l'horizon. Ses rayons lumineux effleurèrent les cailloux des chemins, les maisonnettes des serviteurs et des soldats, avant de grimper le Grand Escalier, illuminant ainsi chaque Temple. Les paupières de Cinnamon se soulevèrent. L'aube. Elle avait réussi. Elle avait tenu jusqu'à l'aube, elle avait tenu, elle avait réu... Tout devint noir tandis que l'adolescente perdait enfin conscience.


Une impression de fraicheur, telle fut la première sensation que Cinnamon perçut des ténèbres où l'épuisement l'avait plongée. Fraîcheur ? Avec peine, elle se redressa. Elle se trouvait dans le lit de messire Camus, et ce dernier, assis sur un fauteuil leva aussitôt la tête. Mais pourquoi se trouvait-elle dans la Maison du Verseau, elle avait bien demandé à rester chez messire Aphrodite, non ? Le Chevalier s'approcha.

— Tu devrais te reposer encore, tu es très faible, dit-il.

— Combien... combien de temps je suis...

Il préféra ne pas lui révéler qu'elle avait passer vingt-quatre heures dans cette position infamante, aussi lui répondit-il :

— Tu dors ici depuis une douzaine d'heures, cela se comprend, tu étais épuisée. Cinnamon, reprit-il avec une certaine sévérité, ne recommence pas, quoi que tu aies pu faire pour mériter ça. La prochaine fois, tu pourrais ne pas y survivre.

La jeune fille hocha la tête, intimidée. Pourquoi diable se trouvait-elle chez messire Camus au lieu de chez messire Aphrodite ? Brusquement elle se souvint. Saga. Oh le pauvre Saga qui avait été obligé de lui infligé ça ! Comme il devait souffrir en son âme et conscience ! Il fallait... il fallait qu'elle le voit, qu'elle lui demande pardon. C'était de sa faute à elle après tout. A la grande stupéfaction de Camus, l'adolescente voulut sortir du lit mais ses jambes ne la portant plus, elle s'effondra au pied de la couchette.

— Mais enfin, Cinnamon, que cherches-tu à faire ? s'exclama-t-il en se portant à son secours.

— Aidez-moi juste à passer votre Maison, messire Camus, je vous en prie, implora-t-elle.

Il acquiesça et la saisit par les bras pour la soutenir jusqu'à la sortie. Une fois là, elle se dégagea et commença à grimper l'escalier. Stupéfait, il la regarda avancer avec une extrême lenteur, tous ses muscles devant être endoloris.

Aphrodite la vit passer lui-aussi. Et lui-aussi décida de ne pas intervenir, même lorsque la jeune fille tomba sur les genoux en grimaçant de douleur. Elle finit par se relever en tremblant, les larmes aux yeux, des larmes qui ne coulaient pas. C'est ainsi, lentement, très lentement et tombant quelques fois, que l'adolescente arriva au Palais. Jusque à la salle du Pope.


Grande Salle du Pope

Les gardes avaient reçus l'ordre de la laisser passer. Une fois qu'elle fut à l'intérieur du saint des saints, la lourde porte se referma derrière elle. Et elle se mit à courir. Oh ce n'était pas le sprint du siècle, elle avançait en boitant, désespérément lente, mais elle courrait.

Arrivée au pied du fauteuil du maître du Sanctuaire, elle se laissa glisser à genoux, saisit sa main et la baisa avec un respect non feint. Puis, aussitôt, elle lui tourna cette même main et embrassa sa paume avec cette fois une certaine ferveur. Saga bénit son masque de pouvoir cacher son visage. Par ce geste, non seulement Cinnamon lui pardonnait, mais elle lui signifiait qu'elle ne trahirait jamais son secret.

L'adolescente resta très longtemps à genoux au pied du Pope, son visage baignant sa main de larmes qu'elle ne sentait pas.