CHAPITRE TRENTE

La fin d'un monde



La stupéfaction et la panique agrandirent les yeux de l'homme qui fit aussitôt demi-tour. Le Chevalier sourit et le laissa prendre un peu d'avance avant de l'élancer, rattrapant le malheureux en une fraction de seconde.

— Pitié, pitié, seigneur DeathMask ! C'était les ordres et je ne dirai rien c'est promis !

— Tss, bien sûr que tu ne diras rien, répliqua le Cancer en tordant aussitôt le cou de sa victime. Puis il laissa le cadavre tomber de la falaise d'où il alla s'écraser plus bas.

Un gêneur de moins. Bon, il y avait peut-être été un peu fort en prenant cette initiative mais c'était pour la bonne cause. S'il n'avait pas pu empêcher ce garde de faire son rapport au Pope, au moins pourrait-il éviter les bruits de couloirs. Et puis, de toute façon, personne ne devait savoir. Personne.

Les yeux dans le vague, DeathMask se remémora l'une des séance d'entraînement de Cinnamon. A force de concentration et au prix d'un joli filet de sang qui coulait de sa narine, l'adolescente avait réussi à arracher l'un des visages qui se trouvaient dans le quatrième Temple. Et lui, Chevalier du Cancer, il avait nettement vu ce visage se transformer, perdre son aspect grisâtre pour devenir une véritable tête humaine, avec les cheveux et tout ce qu'il fallait... Ensuite, la gamine avait dansé, la tête dans ses bras comme si c'était un ballon qu'elle lançait et rattrapait. Elle avait alors parue ivre de joie... jusqu'à ce que son maître lui arrache son jouet des mains et qu'il le jette dans le puits.

 

Palais du Grand Pope — lundi 2 mars 1987

Cinnamon était assise au pied du trône. Sa tête aux yeux fermés était penchée et une de ses mains tenait celle du Pope. Celui-ci soupira et dit doucement, comme s'il craignait que la jeune fille se fut endormie :

— Cinn... Cinn, tu ne devrais pas rester là. Tu sais que c'est dangereux, il peut apparaître à n'importe quel moment...

— Hum, m'en fiche, grommela l'adolescente dans une humeur je-m'en-foutiste qui ne lui ressemblait pas. Je suis bien ici.

— Non, tu n'es pas bien ! s'emporta l'homme. Enfin, Cinn, tu as quinze ans, tu devrais t'amuser avec des jeunes de ton âge, te promener pour profiter du soleil et non pas rester enfermée ici. Avec moi.

La main de Cinnamon se crispa sur celle du Pope. Elle ne voulait pas le lâcher, surtout pas. Ouvrant les yeux, elle porta son regard bleu-mauve sur les orbes rougeoyants du masque.

— Ne me chassez pas, messire Saga, je vous en prie, souffla-t-elle. C'est vrai que je suis bien ici, avec vous. Ne me demandez pas de partir...

De nouveau Saga soupira. Mais qu'avait-il fait au ciel pour que cette gamine se soit entichée de lui ainsi ? Une telle dévotion à son égard, après ce qu'il lui avait fait, ce n'était pas normal. Si seulement il suffisait de l'attraper par les épaules et de la secouer pour lui faire retrouver un peu de bon sens. Cependant il savait que cela ne servirait à rien.

— Je ne veux pas te chasser du Sanctuaire, de toute façon il ne le permettrait pas. Je voulais juste dire sortir du Palais, te promener... Cinn, je n'aime te savoir emmurée ainsi. Tu pourrais rendre visite aux Chevaliers d'Or. Ça fait un moment que tu n'as pas vu certains d'entre eux, tu es toujours nichée chez Aphrodite.

Il n'ajouta pas que cela lui déplaisait. Lorsqu'elle était chez le Poissons, un certain Crabe n'avait aucune difficulté à venir chercher la jeune fille. Au moins, quand elle était chez les autres, il n'osait pas. Pas par peur mais parce qu'il aurait alors fallu expliquer pourquoi il tenait tant à prendre la petite avec lui...

— Je ne veux pas aller chez messire Shura, il m'a encore fait la leçon la dernière fois au sujet d'Athéna. J'en ai marre. Et puis messire Aiolia est comme vous, chaque fois qu'il me voit, il me demande de sortir prendre l'air. Il dit que je suis trop pâle mais j'y peux rien, moi. Sinon, les autres, ça va. Par exemple, je pourrais aller chez messire Shaka, s'il me permet de méditer avec lui.

— Te l'a-t-il déjà refusé ?

— Non c'est vrai, se rappela l'adolescente avec un sourire.

Certains trouvaient le Saint de la Vierge hautain et distant, pourtant il avait toujours été gentil avec elle. Quant aux séances de méditation... dieu ça faisait un bien fou ! C'était décidé, elle allait lui rendre visite !

Saga faillit soupirer de soulagement lorsqu'elle le lâcha pour se relever.

— Messire Saga, vous permettez...

— Je t'en prie, répondit-il très vite. Vas-y, vas-y...

Il ne la chassait pas parce qu'il n'aimait pas l'avoir auprès de lui, il préférait simplement qu'elle soit le plus loin possible de l'Autre. Shaka était un bon choix, elle serait en sécurité avec lui. Voilà au moins un point sur lequel ils étaient d'accord, lui et son double. En effet, l'Autre ne s'opposait pas à ce qu'elle voit le Chevalier de la Vierge depuis que DeathMask lui avait conseillé de laisser faire. Le Cancer pensait en effet qu'il était bon que Cinnamon puisse se détendre de temps en temps. Étonnante proposition venant de lui...

L'adolescente fit une gracieuse révérence, puis elle tourna les talons et courut jusqu'à la grande porte. Elle avait toujours tendance à courir dans les couloirs quand elle était d'humeur joyeuse.

Maison des Poissons

— Bonjour, messire Aphrodite ! Je peux traverser votre Maison, je voudrais aller chez messire Shaka.

Cinnamon ne s'était pas arrêtée en lançant ces mots, tant elle était sûre de pouvoir passer sans encombre.

— Un instant, jeune fille !

Aussitôt elle stoppa net. Allons, que ce passait-il ?

Le Saint des Poissons s'avança vers elle et elle leva vers lui un regard interrogateur.

— Tu n'aurais pas oublié quelque chose ? s'enquit-il avec un sourire.

— Heu... Oh, c'est vrai !

L'adolescente porta la main à sa bouche avec confusion. Elle avait oublié en effet. Un instant, elle observa la petite pilule dans la paume du Chevalier, puis elle la prit et la porta à sa bouche. Cela faisait plusieurs semaines en effet qu'Aphrodite lui faisait avaler ce cachet, tous les jours. Des vitamines pour son entraînement, spécialement confectionnée avec les plantes de son jardin, lui avait-il expliqué alors.

L'homme sourit encore. Il aimait bien Cinnamon, vraiment, mais parfois elle se montrait... Comment aurait dit le Cancer ? Gourde. Naïve, préférait dire charitablement le Poissons. Il ne pouvait quand même pas la laisser avoir une liaison avec son compagnon d'arme sans la prémunir de certains dangers... Dont une grossesse non désirée faisait partie. La jeune fille avait accepté l'explication des vitamines sans sourciller.

S'il y avait certaines chose que Cinnamon ne pouvait confier à son confident, comme par exemple ce qu'elle avait fait, en revanche elle n'avait eu aucune difficulté à lui parler de ses petits problèmes féminins. Comme par exemple le fait qu'elle n'avait pas eu ses règles depuis son arrivée au Domaine Sacré... Le Chevalier s'en doutait, il s'agissait là d'une conséquence psychologique de son premier viol. L'adolescente, quant à elle, ne s'était pas posé la question. Au contraire, elle était plutôt contente d'être débarrassée de ce qu'elle appelait une corvée.

Néanmoins il fallait rester prudent, c'est pourquoi Aphrodite avait décidé de lui faire prendre un cachet contraceptif à son insu, entièrement artisanal. Sur ce point il n'avait pas menti.

Cinnamon sourit à son tour.

— Merci, messire Aphrodite, dit-elle avant de se détourner et de reprendre son chemin.

Maison du Verseau

Camus, quant à lui, se trouvait installé dans le fauteuil du salon et lisait tranquillement lorsque Cinnamon apparut à la porte. Il leva la tête alors qu'elle frappait légèrement au battant.

— Messire Camus, je désire me rendre chez messire Shaka. Je peux... ?

Il acquiesça et dit :

— Un peu de méditation, n'est-ce pas ? Ce n'est pas plus mal, je te trouve un peu agitée...

Cinnamon grimaça. Oui, bon, elle était essoufflée parce qu'elle avait couru mais que pouvait savoir un Chevalier d'Or des efforts physiques d'une simple mortelle ?

— Au fait, je t'attends, enfin nous t'attendons ce soir pour une partie. N'oublie pas que tu dois une revanche à Milo.

Cette fois la jeune fille sourit. Pour une fois qu'elle avait gagné au poker ! Quoi qu'elle soupçonnait les deux Saints de l'avoir fait exprès...

— Entendu, messire Camus, je serai là, promit-elle.

Il s'agirait de leur dernière partie.

Maison du Capricorne

Cinnamon traversait en courant la salle de la statue d'Athéna lorsque soudain :

— Une minute ! gronda une voix venue de l'ombre. Où te crois-tu, petite effrontée ?

L'adolescente s'arrêta aussitôt et se maudit intérieurement. Comment avait-elle pu oublier ? Elle baissa la tête avec contrition tandis que le Chevalier apparaissait devant elle, l'air assez mécontent.

— Veuillez me pardonnez, messire Shura, dit-elle. C'est-à-dire...

— C'est-à-dire que tu est très pressée à ce que je vois, termina l'homme. Néanmoins ce n'est pas une raison. Combien de fois faudra-t-il te dire qu'on ne court pas lorsqu'on est en présence d'une représentation de la déesse ? Je veux bien que tu sois enthousiaste mais il y a des limites. A ton âge, tu devrais savoir te tenir !

— Oui, messire Shura, prononça-t-elle comme une leçon bien apprise.

— Et où vas-tu comme cela, si ce n'est pas indiscret ? demanda le Saint qui s'était adouci un petit peu.

— Chez messire Shaka.

— Hum, je vois. Bon vas-y, passe. Et que je ne t'y reprenne plus !

— Oui, messire Shura.

Et Cinnamon reprit sa route, en veillant à conserver une attitude plus calme. Cependant elle reprit sa course une fois à l'extérieur. Elle avait envie de courir, elle n'y pouvait rien. Mais à présent hors de ce Temple, elle se sentait libre. Libre de ses mouvements, libre même d'éclater de rire.

Elle ne se doutait pas que c'était la dernière fois que le Capricorne la reprenait ainsi.

 

Maison de la Vierge

Arrivée devant le fauteuil en forme de lotus où Shaka méditait en lévitation, Cinnamon s'inclina respectueusement. Aussitôt, le Chevalier posa pied à terre et demanda avec un sourire :

— Tu as quelques chose à me demander ?

Voulait-elle seulement traverser son Temple ou...

— Oui, acquiesça-t-elle. S'il vous plaît, j'aimerais méditer à vos côtés.

Une demande aussi polie ne se refusait pas. Pourquoi tout le monde n'était-il pas aussi aimable et raisonnable que cette petite ?

— Tu peux t'installer, accorda-t-il.

Ah ce qu'elle se sentait bien ! Cette séance de méditation avait fait son effet. Si Cinnamon s'était sentie un peu grognon tout à l'heure, à présent elle était parfaitement détendue. Elle se trouvait dans le Grand Escalier, entre les Maisons du Lion et du Cancer. Même Aiolia, en lui demandant une fois de plus de sortir plus souvent au soleil, n'avait pas réussi à lui arracher son sourire.

Sourire qui vacilla un peu quand elle découvrit le prochain Temple à traverser.

Son enthousiasme douché, elle déglutit péniblement et s'arrêta de courir.

"Peut-être qu'il m'emmènera à Yomotsu", songea-t-elle avec optimisme.

Oh oui une bonne séance d'entraînement après avoir médité un peu, voilà qui serait parfait ! Elle voulait y croire, elle devait y croire ! Bon, il se pouvait aussi qu'il n'apparaisse pas et la laisse passer tranquillement. Ce ne serait pas plus mal, quoi que... Plus elle y pensait, et plus elle avait envie d'aller à Yomotsu. Elle avait besoin de se défouler. Si la méditation l'avait laissée détendue, l'entraînement lui, la relaxait aussi mais d'une autre façon.

"Si je le vois, je lui demanderai", se promit-elle avec courage.

Et du courage, il lui en fallait pour oser s'adresser au terrible Chevalier. Allons, tout se passerait bien, il le fallait. Elle refusait obstinément de penser à ce qu'il s'était passé lors de la dernière séance. Au lieu de cela, elle se remémora les paroles que son maître avait eues, une fois :

— Bravo, si tu continues comme ça, tu atteindras bientôt la VDLL, avait-il déclaré.

— La VDLL ? s'était exclamée la jeune fille, n'en croyant pas ses oreilles. La Vitesse De La Lumière ?

— Non, avait répliqué le Cancer, un sourire cynique plaqué sur le visage. La Vitesse De La Limace !

Cinnamon avait rougi, confuse et mortifiée. D'accord, au moins c'était clair, jamais elle n'arriverait à la cheville d'un simple Saint de Bronze alors arriver au niveau d'un Chevalier d'Or... Mais qu'avait-elle cru ? N'empêche qu'à présent, DeathMask avait commencé à lui enseigner sa propre technique ainsi qu'à se rendre à Yomotsu par ses propres moyens. La première fois qu'elle y était arrivée, l'adolescente avait été malade comme un chien. Elle se rappelait encore les moqueries de son maître, hilare. Elle aurait encore longtemps besoin de lui avant d'arriver au même résultat. Elle se secoua pour chasser les souvenirs. Tout irait bien. Ensuite, elle rendrait visite à Aldébaran. Ça faisait longtemps qu'elle ne l'avait pas vu, ce serait une bonne surprise pour lui.

Cinnamon reprit son chemin, rassérénée.

Maison du Cancer

DeathMask s'arrêta de bouger et considéra le visage de la jeune fille, allongée sous lui, sur la table de la cuisine. Malgré sa respiration haletante et ses joues roses, ses yeux quant à eux étaient ternes. Tels deux améthystes sans éclat au regard vide. Du doigt, il remit une mèche mordorée en place et dit avec un sourire :

— La prochaine fois que tu viendras, on ira à Yomotsu.

Aussitôt une lueur de vie s'alluma dans les prunelles bleues-mauves :

— C'est vrai ? demanda-t-elle comme si elle n'osait trop y croire.

Le Cancer émit un petit rire :

— Puisque je te le dis ! Il ne faudrait pas négliger l'entraînement. Ça va tout de même faire quatre jours. En attendant...

Il reprit ses mouvements et les joues de Cinnamon rosirent de plus belle.

— Soulève les jambes... voilà comme ça, c'est bien...

Dans cette position, l'adolescente le sentit s'enfoncer en elle encore plus profondément. Elle ferma les yeux comme le membre allait et venait en elle, doucement d'abord, puis de plus en plus vite. Ensuite l'homme ralentit tandis qu'il lui caressait la poitrine, avant de passer les mains dans son dos pour la soulever. La jeune fille frémit quand il embrassa ses seins, sa langue taquinant l'un de ses mamelons pendant que son pouce jouait avec son jumeau. Et elle se raidit lorsqu'il la toucha entre ses cuisses, caressant cet endroit si intime en même temps qu'il bougeait avec une lenteur affolante. Sans qu'elle puisse les empêcher, des gémissements s'échappèrent de ses lèvres et elle pria pour que cela se termine le plus rapidement possible. En effet, l'homme se retira mais le soulagement de la jeune fille ne dura pas.

La prenant par la taille, il la fit descendre de la table et la fit se mettre à genoux. Comprenant ce que cela signifiait, la pauvre enfant lança un regard suppliant à son bourreau. Hélas, les beaux yeux n'attendrirent pas le Chevalier qui passa la main sur sa nuque.

— Tu veux aller à Yomotsu la prochaine fois ? s'enquit-il. Il faut le mériter... Allons, je sais que tu sais faire ça très bien.

Elle n'avait pas le choix. DeathMask lui avait bien fait la leçon et elle savait quels risques elle courait. Elle refusait et il forçait sa bouche. Elle le mordait : raclée. Elle vomissait quand il était au fond de sa gorge ou crachait lorsqu'il avait joui : raclée. Surtout ne penser à rien, ne pas penser à ce qu'elle était en train de faire. Ce qui se passait n'avait pas lieu, ce n'était pas elle, cet instant n'existait pas, elle n'existait pas...

Soudain il arrêta de lui-même la fellation, au grand soulagement de Cinnamon. Soulagement qui fut de courte durée puisqu'il la fit cette fois se mettre à quatre pattes. Seigneur, elle détestait cette position ! Il se plaça derrière elle et la pénétra ainsi. Comme à chaque fois elle sentit son sexe dur aller au plus profond d'elle-même et la masser lentement. De temps en temps, il passait la main entre ses jambes pour la masturber. Puis ses mouvements se firent plus vifs, plus brutaux, et l'adolescente dut serrer les lèvres pour ne pas crier. En vain. Dans cette position la douleur était toujours mélangé au plaisir. En plus c'était tellement humiliant d'être prise comme une bête... Pourvu que cela finisse vite...

Il fallut encore de très longues minutes avant que le Chevalier ne se libère en elle. Il se releva, prêt à aller utiliser la salle de bain, laissant la jeune fille gisant à terre comme une morte, seuls ses yeux grands ouverts et sa respiration saccadée prouvant qu'elle était encore en vie.

— Comme tu as été sage, on y passera un peu plus de temps, promit-il avant de s'éclipser.

Plus tard, lorsqu'elle eut la permission, elle prit une douche brûlante et resta sous l'eau jusqu'à ce que des plaques rouges apparaissent sur sa peau.

DeathMask se sentait bien, détendu. C'était toujours un véritable plaisir de faire l'amour à cette fille et le fait qu'elle ne fut pas consentante lui importait peu. Après un repos de quatre jour, sans doute aurait-il l'emmener s'entraîner à Yomotsu mais la tentation avait été la plus forte. Par les dieux que la gamine avait la peau douce et délicatement fleurie, un discret parfum de rose dont on pouvait se douter d'où il venait puisque c'était Aphrodite qui l'approvisionnait en produits de toilette. Et par-dessous cette flagrance pourtant légère, le Cancer avait remarqué une autre odeur alléchante, un arrière goût de cannelle. Mais sur ce point, sans doute se faisait-il des idées... Quoi qu'il en fut, il adorait caresser et goûter à la texture de sa peau. Chaque séance était d'ailleurs comme une nouvelle leçon, d'un autre genre de ce qui se passait à Yomotsu... Et malgré ses propres pouvoirs, la petite lui obéissait au doigt et à l'œil, terrifiée par celui qui était son maître. Après tout, n'avait-il pas reçu carte blanche ? Il n'éprouvait aucun remord à agir comme il le faisait. Au contraire, depuis qu'ils étaient rentrés de mission, en janvier, il en profitait pour se défouler sexuellement sur elle, et cela sans craindre la moindre remontrance. Ah si les autres savaient qu'il s'envoyait en l'air avec leur petite protégée ! Nul doute que certains engageraient le combat aussitôt.

Soudain DeathMask cessa de sourire et songea à Cinnamon plus sérieusement. Elle avait encore maigri. Elle avait toujours eu un poids raisonnable mais était à présent devenue fine et déliée. Si elle continuait de ne plus se nourrir correctement, bientôt elle n'aurait plus que la peau sur les os... Le Chevalier secoua la tête. Non seulement son élève était la créature la plus faible et la plus lente du monde mais en plus elle était anorexique. Il ne lui manquait plus que ça. Enfin, après tout, ce n'était pas son problème. Il n'allait pas jouer les baby-sitter et veiller à ce qu'elle finisse son assiette tout de même. Du moment qu'elle avait assez de force pour les entraînements, tout allait bien.

Il était également satisfait de la décision du Pope de ne pas la faire intervenir dans le conflit qui s'annonçait avec les Bronzes. Comme il le lui avait précisé, elle n'était pas prête. Si son pouvoir était à présent à portée, qui sait ce qui se passerait si elle le déchaînait sur les ennemis ? Oui, elle lui avait avoué avoir éliminé Astérion (Chevalier d'Argent tout de même) ainsi que ce type aux pouvoirs télékinésiques. Comment s'appelait-il déjà ? Ah oui, Spartan. Elle les avait supprimé sans hésitation, comme une grande. Néanmoins, elle avait eu de la chance que son pouvoir reste contrôlable. DeathMask ne savait pas à quoi cela était dû mais ils avaient eu chaud... Il n'osait imaginer ce qui se passerait si ce don lui échappait. Elle avait encore besoin de temps pour apprendre à le contrôler. Elle avait besoin de lui. Il n'était pas seulement son maître mais également son garde-fou. Il fallait que cela reste ainsi, tant qu'elle lui serait assujettie tout irait bien.

Les rebelles devaient arriver demain. S'ils parvenaient jusqu'à son Temple, il se faisait une joie de les envoyer dans l'Autre Monde, surtout ce Shiriyu qui avait bénéficié d'une chance insolente aux Cinq Pics. Ah il les attendaient de pied ferme, certain de trouver là matière à s'amuser. Ensuite, lorsqu'il en aurait fini avec eux, il songerait peut-être à emmener Cinnamon faire une séance d'entraînement, comme il le lui avait promis.

 

Maison du Lion

— Est-ce que tout va bien ? s'inquiéta Aiolia en revoyant revenir la jeune fille.

Celle-ci affichait un petit visage pâle et chiffonné mais elle trouva la force de sourire et de croiser son regard. Comme c'était dur de le regarder dans les yeux !

— Oui, oui, tout va bien...

— Ce n'est pas mon voisin qui t'a fait des misères, au moins ? Parce que si c'est ça je...

Les yeux du Lion flamboyèrent et il serra le poing. Depuis qu'il était revenu du Japon, il avait cette curieuse tendance à vouloir se battre... En plus il ne laissait personne traverser son Temple. Cinnamon se demandait encore pourquoi elle en obtenait la permission. Lorsqu'il l'avait vue, tout à l'heure, une étrange lueur avait brillé dans ses yeux, une lueur de folie. Puis cette lueur avait disparu et il avait souri comme si de rien n'était. Cinnamon avait été effrayée. Elle ne savait pas très bien ce que lui avait fait le Pope mais cela semblait assez... hard.

— Non, ça s'est bien passé. Il était de bonne humeur...

Évidemment que messire DM était de bonne humeur, et pour cause ! De toute façon, Cinnamon ne voulait surtout pas que messire Aiolia soit au courant. Non seulement par honte, mais aussi parce qu'elle ne voulait en aucun cas être la cause d'une dispute entre Chevaliers d'Or. Elle avait entendu dire que leurs affrontements pouvaient durer mille jours et mille nuits... Et elle avait été témoin de l'altercation entre les Saints du Lion et de la Vierge. Un tel déchaînement de puissance l'avait terrifiée et l'avait convaincue plus que jamais de se taire. En attendant, avec tout ça elle n'avait même pas vu messire Aldébaran, préférant rentrer immédiatement au Palais dont, elle en était certaine, elle n'aurait jamais dû sortir.

Et le lendemain, est-ce qu'elle oserait ? Oui, messire DM avait dit qu'il l'emmènerait à Yomotsu la prochaine fois donc demain... Oui demain, elle pourrait s'entraîner et tout irait bien. Elle devait se raccrocher à cet espoir.

 

Palais du Pope

Sachant que Cinnamon venait de rentrer au Palais, Saga avait envoyé un garde la chercher. Cependant celui-ci revint avec une réponse négative : la jeune fille avait préféré se réfugier directement dans sa chambre. Si l'Autre n'aurait jamais toléré une telle désobéissance, le Gémeau, quant à lui, comprit sa volonté de s'isoler. Et il la comprit même très bien... Son poing se serra tandis qu'il pensait au traitement que le Cancer infligeait à l'adolescente. Quand il pensait que c'était lui qui la lui avait confiée... non, livrée était le terme exact. Il se dégoutait lui-même, DeathMask le dégoutait.

"L' ordure !" songea-t-il.

"La sale petite trainée !" répliqua une voix dans sa tête, une voix qu'il ne connaissait que trop bien.

Non ! Qu'il s'en aille, qu'il le laisse enfin en paix !

En proie à une terrible douleur plus mentale que physique, Saga se pencha en avant, les mains crispées sur son masque. Allons, qu'il cesse donc de se torturer pour cette fillette ingrate. Il avait déjà fort à faire avec l'autre gamine qui jouait les déesses... Déesse, à treize ans, tu parles ! Qu'elle continue de jouer aux poupées, oui ! En plus, cette petite idiote avait commis l'imprudence tactique de le prévenir de son arrivée, par une lettre joliment tournée s'il vous plaît. Normalement, elle et ses... tss, Chevaliers de Bronze devaient arriver le lendemain. Et bien ! Il se faisait fort de les accueillir comme il se devait !

Et l'homme éclata de rire.

Rire qui s'arrêta aussitôt qu'il pensa de nouveau à Cinnamon. Cette fille... décidément elle le surprendrait toujours. Pressentant qu'il s'était passé quelque chose de spécial lorsqu'elle et DeathMask étaient partis en mission, il avait envoyé un garde enquêter. Et il n'avait pas été déçu par la réponse. Qu'est-ce qui lui était passé par la tête, bon sang ? Sans doute n'était-ce après tout qu'un simple coup de folie. Mais le cannibalisme...

Sous le masque, un sourire se dessina.

Ainsi donc, elle était cannibale, cette petite sainte-ni-touche... En plus, ça jouait les pucelles effarouchées et ça écartait les cuisses devant un Chevalier d'Or... alors qu'elle refusait le Grand Pope lui-même !

Le poing du maître du Sanctuaire se serra.

S'il laissait la jeune fille tranquille depuis cette fameuse nuit, c'est qu'il n'avait pas envie qu'elle réitère son exploit. Réussir à le chasser pour laisser la place à Saga... Non merci, cela ne lui disait rien de renouveler l'expérience. C'était pour cela qu'il avait décidé de renoncer à cette fille. N'empêche que ça l'emmerdait bien, pour dire les choses comme elles étaient. A présent la seule raison de la présence de l'adolescente au Domaine Sacré était le pouvoir dont elle disposait. Pouvoir que DeathMask avait la charge de faire émerger.

L'Autre soupira avec exaspération. Il allait finir par croire qu'il n'était entouré que par des bras-cassés. Parce que, reconnaissons-le, la mission du Cancer était un lamentable échec. Oui, bon, d'accord, avec lui Cinnamon avait fait des progrès fulgurants : d'abord latent, caché tout au fond de son inconscient, son pouvoir était passé au niveau du préconscient, c'est-à-dire presque à disposition, en moins de deux mois. Cependant ce n'était pas suffisant. DeathMask avait eu récemment une petite discussion avec son supérieur, pendant laquelle il avait tout fait pour le convaincre de ne pas utiliser la fille pendant la bataille qui se préparait. Elle n'était pas prête, selon lui. Oui, son pouvoir était à présent à portée, mais l'adolescente elle-même était encore trop instable. Elle ne le contrôlait pas encore. Que se passerait-il si elle le déchaînait sur les ennemis ? Il se pouvait très bien qu'il se retourne contre eux. De plus, comment imaginer qu'ils auraient besoin d'elle, eux, des Chevaliers d'Or ? Non, assurément, les Bronzes ne passeraient même pas la Maison du Taureau, à supposer que le Bélier ne revienne pas protéger son Temple... Ils n'auraient aucune utilité de cette gamine. Voyons.

Voyons... le Cancer ne ressentait-il pas quelque chose pour son élève fantôme ? Oh pas de l'amour, bien sûr ! Ce serait ridicule compte tenu du traitement qu'il lui infligeait, mais peut-être une sorte d'attachement ? L'attachement que l'on éprouve pour un objet qui vous est cher, ou pour son chien. Ou pour son esclave favori.

Sinon, comment expliquer la propension de DeathMask à protéger Cinnamon ? D'abord en refusant de la laisser combattre, ensuite en...

Le garde que le Pope avait envoyé enquêter avait été retrouvé mort, la nuque brisée. On avait facilement conclu à une chute dans un ravin, du moins c'était la version officielle. Le Cancer était venu s'accuser du crime en privé. Oui il avait tué cet homme parce qu'il ne fallait pas que Cinnamon sache qu'une enquête avait été faite. Elle ne devait pas savoir que Saga savait. A aucun prix. Déjà, il ignorait ce qui se passerait si elle apprenait que son cher Saga était au courant de son crime, ensuite il perdrait là un moyen efficace de la contrôler. C'est pourquoi il n'avait pas hésité à tuer ce pauvre soldat, pour éviter que le bruit ne se répande, même si l'homme avait reçu des instructions précises pour se taire.

Une telle initiative était malheureuse, mais après tout qu'était-ce qu'un simple garde ? De plus, le Cancer avait raison après tout. Il n'avaient pas besoin de cette fille. Certainement, les Bronzes n'arriveraient jamais à traverser les douze Maisons du Zodiaque.

La nuit était tombée. Cinnamon se tenait sur la terrasse, ses bras enserrant ses épaules. Néanmoins le froid qui la faisait trembler était surtout intérieur. D'où lui venait ce mauvais pressentiment, cette impression qu'il allait se passer quelque chose de terrible ? Elle avait peur, non, elle était terrifiée...

Brusquement elle sursauta. Une silhouette se tenait dans l'ombre, non loin d'elle. Un instant, apeurée, la jeune fille détourna la tête. Elle ne pouvait pas supporter son regard. Il savait, elle en était sûre... Par les dieux, elle avait tellement honte ! Elle porta les mains à son visage en feu.

— Cinn... Ne reste pas là. Tu devrais aller te coucher.

Oui mais le problème, c'est qu'elle n'avait pas sommeil. Ou plutôt, elle pressentait déjà les terribles cauchemars qu'elle ferait sans aucun doute. Demain... il allait se passer quelque chose d'horrible demain mais quoi, Seigneur, quoi ?

L'homme ne la laissa pas s'éloigner de lui. En une seconde il fut près d'elle et, très doucement, il lui releva la tête. Aussitôt ses yeux se détournèrent, elle était incapable de le regarder en face.

— Cinn, pardon.

Ces mots avaient été prononcés dans un souffle.

— Oh non, non, messire Saga ! s'exclama-t-elle. Vous n'êtes pas responsable, pas vous ! Pourquoi vous vous en voulez tellement, vous n'avez rien fait de mal. C'est Kyko, c'est lui. Juste lui.

Saga sourit tristement. Et voilà, elle recommençait à l'idéaliser... Mais qu'est-ce qu'elle avait dans la tête, qu'est-ce que lui avait de si spécial ? Soudain il se raidit : Cinnamon venait de se jeter dans ses bras. Comme autrefois, lors d'une certaine nuit, elle lui faisait de nouveau confiance. Entièrement, totalement confiance. Et cela le mit très mal à l'aise.

— Là, comme ça, je suis bien, murmura la jeune fille, les yeux fermés.

Lentement, les bras de l'homme se refermèrent sur elle.

— Je veux que cet instant ne s'arrête jamais. Je veux que demain n'arrive jamais, dit-elle encore.

Les deux jeunes gens demeurèrent enlacés ainsi durant de longues minutes.

Arène du Sanctuaire — Mardi 3 mars 1987

Le jet privé de la fondation Kido venait de se poser dans une immense arène. Aussitôt, Seiya se remémora son combat contre Cassios et ne put s'empêcher de se demander où était Marine... sa propre sœur, qui sait ? La voix de Saori l'arracha à ses pensées et lui fit tourner la tête vers un étrange individu qui s'avançait vers eux en descendant un escalier. L'homme portait un masque et était habillé d'une pèlerine.

— Mademoiselle Saori Kido ? s'enquit-il respectueusement. Bienvenue au Sanctuaire. Le Pope vous attend.

 

Salle du Grand Pope

— Mais je veux les voir !

L'homme tendit le bras et, agrippant le corsage de la jeune fille, il la souleva de terre avant de la rejeter au loin. L'adolescente roula sur le tapis avant de se redresser tant bien que mal.

— Je ne me montrerai pas, c'est promis ! S'il vous plait...

— Il n'en est pas question ! tonna l'homme. Tu vas rester dans ta chambre, un point, c'est tout ! Et prends garde, mes serviteurs auront tôt fait de te signaler...

Oui, elle le savait, les domestiques n'étaient pas avares de racontars. Si elle se sauvait, ils iraient tout raconter au Pope. Elle n'avait pas le choix, elle devait obéir. N'empêche qu'elle aurait bien aimé voir ces fameux Chevaliers de Bronze...

 

Maison du Bélier — 08 h 30

Interdits, les Bronzes virent apparaître Mû de Jamir, Chevalier d'Or du Bélier, revêtu de son armure resplendissante. Avait-il l'intention de leur barrer le passage, lui qui se disait être leur allié ? Seiya allait s'avancer lorsque Shiriyu le devança :

— Attends, Seiya. Laisse-le-moi.

Et le Dragon se précipita vers son ennemi. Il bondit en l'air, montrant à tous la splendide condition physique dans laquelle il se trouvait, puis fonça vers Mû, genoux replié...

Mû ne remua pas un cil. Ah si. Il leva un doigt. Un seul doigt et cela suffit à envoyer Shiriyu s'écraser sur la falaise. Aussitôt ses amis le rejoignirent et constatèrent avec horreur que son bouclier indestructible était bel et bien brisé. Une voix retentit alors, celle du jeune apprenti du Bélier :

— Vous inquiétez pas ! Maître Mû n'était pas sérieux !

— Vos armures se sont endommagées à cause de toutes les batailles que vous avez déjà menées. Voilà pourquoi le bouclier du Dragon n'a pu résister à mon attaque. Kiki, montre-leur, ordonna Mû.

Aussitôt, l'enfant à la frimousse espiègle entreprit de scruter chaque protection comme s'il pouvait lire à travers. Finalement, il tourna la tête vers son maître, l'air préoccupé.

— Comme je le pensais, vos armures ont subi trop de dommages pour se régénérer elles-même, expliqua Mû en avançant vers eux.

— Hé ! intervint Seiya. Nous n'avons pas le temps pour un cours sur les armures, nous n'avons que douze heures pour...

— Auriez-vous oublié que vous vous apprêtez à affronter des Chevaliers d'Or ? répliqua le premier gardien.

— Allez, Seiya, intervint Kiki. Demande à maître Mû de réparer vos armures !

— Je vous préviens seulement qu'il me faudra une heure pour toutes les réparer. Seiya, c'est à toi de décider si vous voulez perdre une précieuse heure et être plus sûrs de la victoire...

Tous les regards se tournèrent vers Pégase. Comprenant le sentiment du groupe entier, Seiya s'inclina. Il n'avait pas le choix, le Bélier avait raison.

— Je t'en prie, Mû, dit-il. Répare nos armures.

 


Palais du Pope

Ils étaient arrivés. Les intrus. Ils se trouvaient à présent devant le Temple du Bélier. Cinnamon n'avait jamais rencontré le premier gardien du zodiaque et elle le regrettait. Messire Mû était, aux dires de messire Aldébaran, quelqu'un d'exceptionnel. Elle voulait bien le croire : un Chevalier d'Or ne pouvait être que, par définition, exceptionnel... Si celui-là remplissait son office, jamais les Saints de Bronze ne pourraient passer son Temple. C'était couru d'avance.

Et voilà que, non seulement il les laissait traverser sa Maison, mais qu'en plus il réparait leurs armures abimées !? Mais qu'est-ce que c'était que ce Chevalier ? Ne savait-il pas que son maître était le Grand Pope et qu'il lui devait obéissance ? Une telle traîtrise, parmi la garde dorée... Cinnamon n'en revenait pas. Quelqu'un osait défier le maître du Sanctuaire...

Extrêmement mal à l'aise, la jeune fille se mit à tourner en rond dans sa chambre. Les bruits de couloir qui lui parvenaient ne lui plaisaient pas du tout. Soudain, n'y tenant plus, elle se rua hors de sa chambre. Il fallait qu'elle voit celui qui savait tout d'elle, celui qui lui avait appris tout ce qu'elle savait. Celui qui pourrait la rassurer malgré tout. Et elle se précipita vers le passage secret qui lui permettrait d'atteindre sans encombre le quatrième Temple.

 

Au pied du Grand Escalier

Allongée à même le sol, une flèche d'or plantée dans la poitrine, Saori Kido paraissait inconsciente. A ses côtés se tenaient le Chevalier du Bélier et son fidèle disciple, le petit Kiki. Brusquement, Mû redressa la tête. Il lui avait semblé distinguer une présence au sein du Domaine Sacré, au sein même du Zodiaque d'Or, pour être précis. Il ne s'agissait ni d'un Saint ni d'un simple garde. Mais qui ?... Plissant le front, il se concentra un peu plus et...

Rien. Alors qu'il était sur le point de discerner et de localiser l'inconnu(e) qui se trouvait sur le Sanctuaire, celui-ci disparut aussitôt de son champ de conscience. C'était une expérience assez frustrante : un peu comme un mot que l'on a sur le bout de la langue et qui s'évapore au moment où l'on est persuadé de s'en souvenir...

Peut-être avait-il eu une hallucination ou avait-il rêvé, après tout. Dès que cela lui serait possible, néanmoins, il irait s'entretenir avec son ami Aldébaran.

 

Le passage secret reliant les douze Maisons

Elle courait, à ses risques et périls. En effet, elle trébucha soudain sur un des degrés grossièrement taillés du passage secret et eut du mal à ne pas rouler au bas de l'escalier. Le cœur battant à tout rompre, elle se redressa. Les dieux soient remerciés, elle n'avait rien de cassé. Elle reprit son chemin, ralentissant à peine. Elle eut tout à coup l'impression désagréable d'être observée mais cela ne dura qu'un bref instant. Voyons, comment pouvait-on espionner quelqu'un qui n'existait pas ?

Cinnamon laissa échapper un rire bref et continua son chemin.

Elle savait parfaitement que la vraie déesse Athéna se trouvait en bas des marches du Grand Escalier. Puisqu'elle n'était pas au Sanctuaire, là où elle aurait dû être... Pas la peine d'additionner deux et deux pour savoir que, malgré ce que le Pope disait, l'adolescente qui gisait en bas était la véritable réincarnation d'Athéna. Ah si messire Shura savait cela ! Et les autres, qui étaient persuadés de se battre pour elle... Peut-être Cinnamon devrait-elle les prévenir... Mais qui la croirait ? Et avait-elle le droit de s'opposer maintenant au Grand Pope, après tout ce temps à savoir sans rien faire ? Elle était coupable elle-aussi, après tout. En se taisant, elle était devenue complice.

Ce n'était donc pas dans l'intention de prévenir les Chevaliers d'Or que la jeune fille descendait le passage secret mais bien pour espionner ces fameux Bronzes dont le premier Gardien avait réparé les armures. Et bien, avec messire Aldébaran cela ne se passerait pas comme ça ! Messire Aldébaran était loyal, lui, il n'aurait aucun mal ni aucun scrupule à arrêter ces jeunes gens. Cinnamon en était persuadée.

Cependant, elle ne pouvait se défaire du malaise qui l'avait saisie tôt au réveil. Elle avait un mauvais pressentiment mais pourquoi ? Elle ne voyait que deux choses à faire dans son désarroi. Cacher sa présence aux intrus, puisque c'était les ordres de Kyko. Ensuite se rendre chez son maître qui, elle en était certaine, saurait la rassurer. Même s'il devait l'engueuler pour avoir désobéi et quitté sa chambre, au moins il pourrait lui expliquer le drôle de comportement du Bélier... et l'assurer que personne, jamais, ne remettrait en cause l'intégrité du Sanctuaire. Les choses étaient immuables, elles devaient l'être.

 

Maison du Taureau — 10 h 30

Contre toute attente, le géant éclata de rire.

— J'ai effectivement perdu, Seiya. Tu es le premier à avoir pu me priver d'une corne.

— Mais alors...

— En effet, tu peux passer.

— Seiya !

Les autres Chevaliers de Bronze se précipitèrent autour de leur compagnon. Ainsi c'était donc vrai : il avait vaincu le Taureau ! Néanmoins, Aldébaran mit fin à l'enthousiasme ambiant. S'ils voulaient passer, il leur fallait également faire leurs preuves. Seiya rassura ses amis : très vite, ils le rejoindraient à la Maison des Gémeaux !

Et Pégase courut en direction de la sortie, confiant en ses frères d'armes.

 

Maison de la Balance

Prise d'un soudain pressentiment, Cinnamon s'arrêta et demeura un instant attentive, comme si elle percevait quelque chose. Puis elle ouvrit la porte du passage secret et se faufila derrière une colonne en frissonnant. Il faisait frais ici, très frais comme... comme dans le Temple du Verseau ! Et d'ailleurs, c'était bien messire Camus qui se tenait là, devant un grand bloc de glace. Un bloc de glace où se trouvait, emprisonné, un jeune homme aux cheveux blonds.

Il s'agissait certainement de l'un des rebelles qui osait s'en prendre au Sanctuaire. Le Chevalier du Verseau lui avait réglé son compte. Mais pourquoi s'était-il retrouvé seul dans la Maison de la Balance et pourquoi messire Camus était-il venu ici ? Bah, après tout, seul le résultat comptait et Cinnamon dut se retenir pour ne pas applaudir. Elle resta cependant cachée, invisible aux sens du Saint. Cela avait parfois du bon de ne pas exister...

La jeune fille allait reprendre son chemin lorsque quelque chose la frappa et la laissa abasourdie. Le Chevalier du Verseau avait les larmes aux yeux.

 

Dans le Grand Escalier

Enfin ils avaient réussi. Ils avaient échappé aux illusions de la Maison des Gémeaux. A présent ils courraient dans l'escalier, chacun plongé dans ses pensées. Si Seiya se concentrait sur Athéna qui gisait à demi-consciente en bas des marches, Shiryu, quant à lui, songeait au prochain Temple à traverser. Et à son gardien. Il n'avait pas oublié ce que celui-ci lui avait dit, aux Cinq Pics. Qu'ils pourraient terminer leur combat si le Dragon venait au Sanctuaire. Et bien ça y était, il était là, sur le Domaine Sacré, prêt à se mesurer une nouvelle fois à DeathMask. Il n'avait pas peur : il savait bien que la Justice et Athéna étaient de son côté. Il ne pouvait pas perdre, c'était impossible. Au fur et à mesure qu'ils gravissaient les degrés, une sorte d'excitation coulait dans ses veines. Il était prêt.

 

Maison du Cancer — 11h 43

Arrivée à peu près en même temps que les deux Bronzes, Cinnamon se cacha derrière une colonne et observa les intrus avec une curiosité inquiète. En effet la réaction des jeunes gens la déconcerta. Celui qui avait les cheveux courts tourna sur lui-même, les yeux agrandis d'horreur, et expliqua à son compagnon apparemment aveugle qu'ils se trouvaient dans un endroit horrible. L'expression de dégoût sur sa figure était éloquente.

Un endroit horrible, ce Temple ? Si cet endroit était terrifiant, ce n'était certainement pas à cause des multiples visages qui parsemaient les murs, le sol et le plafond. Non, si cette Maison mettait l'adolescente mal à l'aise, c'était à cause de ce qui s'y passait. D'ailleurs elle ressentait de nouveau cette impression familière de peur et d'espoir, de terreur et de reconnaissance envers le maître des lieux.

En parlant de maître des lieux, celui-ci venait d'apparaître devant les garçons, non sans avoir laissé échappé un rire cynique. Cinnamon se renfonça dans l'obscurité comme si elle craignait qu'il la voit. Elle savait bien pourtant qu'il avait parfaitement conscience de sa présence.

Lorsqu'il parla des dommages collatéraux inhérents aux guerres et autres conflits, les Bronzes protestèrent avec force. Comment pouvait-il dire cela, lui qui était un Chevalier d'Or et qui était censé défendre la Justice et la paix dans le monde ? Décidément cet homme était malfaisant, il ne s'agissait plus de le raisonner. Jamais il n'aurait dû porter une armure d'or pour commencer. Il était temps d'éliminer cet homme habité par le mal.

Cinnamon écoutait, effarée. Messire DM, un monstre ? Si quelqu'un ici avait le droit de se plaindre de lui, c'était bien elle. C'était elle qui devait souffrir ses caprices lorsqu'il ne l'emmenait pas à Yomotsu pour s'entraîner. Et d'ailleurs, essaya-t-elle de se persuader, ces séances près du puits des âmes valaient bien un petit sacrifice de temps en temps. De toute façon elle était tellement pourrie à l'intérieur qu'elle pouvait bien servir d'exutoire au Cancer. Qui avait tout les droits sur elle. Non vraiment, elle ne comprenait pas les intrus. Messire DM avait raison en parlant des dommages collatéraux et quant à eux, il n'avaient pas à se soumettre à son bon vouloir, comme elle.

En les entendant parler de monstre, elle frémit. Si le Cancer en était un, alors que penseraient-ils d'elle ? Décidément, elle avait raison de se considérer comme mauvaise. Elle qui avait aussi du sang sur les mains mais qui en plus avait brisé un tabou...

Un mouvement capta soudain son attention. Pégase venait d'échapper à messire DM et courrait vers la sortie. Un moment, Cinnamon pensa l'arrêter mais elle se retint. Quelque chose qui ressemblait à de la fascination morbide la poussait à rester, à observer le combat qui opposait son maître à ce dragon de Rozan. Comme elle l'avait prévu, le Chevalier d'Or n'eut aucun mal à se débarrasser de l'importun en envoyant son âme à Yomotsu.

Brusquement, le Cancer se tourna vers elle :

— Qu'est-ce que tu fiches ici, toi ? Je croyais qu'il t'avait ordonné de rester dans ta chambre !

— Pardon, messire DM mais je vou... je voulais voir les intrus...

— Et bien, tu les as vus, tu es contente ? Maintenant tu vas me faire le plaisir de retourner au Palais. Et vite si tu ne veux pas que je t'y ramène par la peau du cou.

Une lueur venait d'apparaître près du plafond. Cette lumière, semblable à un feu follet, s'approcha du corps apparemment sans vie de Shiryu et entra dans son enveloppe corporelle. DeathMask n'en croyait pas ses yeux. Ce maudit Dragon était-il capable de contrer la mort elle-même ? Peu importe, la prochaine fois serait la bonne. Il se tourna vers l'adolescente :

— J'ai un travail à terminer, dit-il. Finalement c'est aussi bien que tu sois là. Dès que j'en aurai fini avec lui je viendrai te chercher pour une séance d'entraînement. Après tout, je te l'ai promis hier. Mais en attendant, je t'interdis de me suivre ! Tu as compris ?

Cinnamon hocha la tête. Bien sûr, elle ne se risquerait pas à désobéir...

— Bien, et maintenant cache-toi !

Elle obéit et se dissimula de nouveau derrière une colonne. Une nouvelle fois, elle vit l'âme de Shiryu quitter son corps et le Cancer disparut peu après.

 

12 h 30

Un jeune homme aux cheveux verts se précipita dans le Temple et courut jusqu'au corps de Shiryu, inanimé. Les paupières de celui-ci frémirent et il ouvrit les yeux. Il ne remarqua pas immédiatement qu'il n'était plus aveugle, il fallut que son ami le lui dise. Puis il écouta respectueusement les paroles de son maître qui lui expliquait qu'il s'agissait là d'un miracle dû au septième sens. Il fut surtout soulagé d'apprendre que Shunrei était saine et sauve. Tellement soulagé qu'il faillit en pleurer de joie. En se levant il regarda autour de lui et constata que les horribles visages avaient tous disparu. Toutes ces victimes allaient pouvoir reposer en paix. Ce fut avec la conviction du devoir accompli qu'il se dirigea vers la sortie avec son ami.

Cinnamon n'avait pas bougé. Elle avait bien sûr vu les visages disparaître et le Dragon reprendre conscience alors que messire DM n'était pas revenu. Cependant, ce que cela signifiait dépassait sa compréhension. Elle était incapable d'en tirer les conclusions qui s'imposaient. Les visages n'étaient plus là mais le Cancer allait faire quelque chose pour y remédier. Quant à lui... pourquoi n'était-il pas encore revenu ? La jeune fille s'avança dans la salle et s'assit par terre. Contre toute logique, elle se mit à attendre.

Elle attendait toujours lorsqu'elle entendit des bruits de pas. Quelqu'un arrivait en courant. Aussitôt, elle se leva et alla se cacher derrière un pilier. Peu après elle reconnu Cassios, l'élève de Shina. Où allait-il comme ça et pourquoi avait-il l'air si pressé ? L'expression déterminée de son visage alerta la jeune fille, qui dut se retenir pour ne pas l'intercepter. De quel droit traversait-il ce Temple sans en demander la permission ? Ce n'était pas parce que messire DM était absent que l'on pouvait entrer ici comme dans un moulin...

Cependant elle resta cachée. Qu'il passe, après tout. Elle, il fallait qu'elle reste là pour quand le Cancer reviendrait. Ce qui n'allait plus tarder, elle le savait.

Quand Ikki passa lui-aussi, elle ne bougea pas.

 

14 h 25

Sans qu'elle sache pourquoi, elle sentit son rythme cardiaque s'accélérer brusquement. Son cœur battait si fort dans sa poitrine qu'elle avait l'impression qu'il allait exploser. La sensation, non la certitude qu'il était sur le point de se passer quelque chose d'horrible s'imposa à elle avec une telle force que, déjà assise par terre, elle courba l'échine, comme écrasée par la pesanteur.

Messire Shaka !

C'était lui, elle le savait. Quelque chose d'horrible était en train de lui arriver. Mais quoi ? Les Bronzes ? Allons donc, cette bande de gamins tout juste bons à atteindre la vitesse du son ne pourraient jamais rien contre celui qui était le plus proche de dieu. Messire Shaka était tout de même un Chevalier d'Or, et un Chevalier d'Or particulièrement puissant. Jamais ces moucherons en armures de bronze ne sauraient l'inquiéter.

Et pourtant... pourtant ce terrible pressentiment... La conviction que quelque chose de terrible et d'inéluctable était en train de se produire...

Cinnamon se leva, tremblante, et se dirigea vers le passage secret. Il fallait qu'elle voit cela de ses propres yeux. Certainement, elle se faisait des idées. Quand elle serait arrivée dans la Maison de la Vierge, ce serait pour constater avec soulagement que messire Shaka n'avait rien. Les seuls cadavres qu'elle verrait serait ceux des intrus.

 

Maison de la Vierge

Arrivée devant le totem de l'armure d'or, Cinnamon se laissa tomber à genoux et contempla la protection sacrée d'un œil vide. Autour d'elle, le Temple était dévasté et de gros blocs de marbre jonchaient le sol fracassé. Cependant la jeune fille n'y prêta aucune attention. Seule comptait la dame en or, mains jointes comme pour une ultime prière.

L'adolescente resta longtemps figée, comme assommée. Elle n'était même plus capable de penser, du moins rationnellement. Son cerveau refusait les preuves que lui transmettaient ses sens.

Elle ne comprenait rien à ce qui se passait. Elle ne pouvait comprendre.

 

Maison du Scorpion — 16 h 30

Milo regarda Hyoga s'éloigner en vacillant, néanmoins ses pas se faisaient de plus en plus assurés au fur et à mesure qu'il progressait vers la sortie. Dérouté, le Scorpion secoua la tête. Jamais encore il n'avait eu à combattre un tel adversaire. Quel courage et quelle foi dans sa cause ! Milo ne savait plus qui avait raison. Sa conscience lui passait un savon : de quel droit laissait-il passer ce rebelle ? Alors que son cœur, lui, lui certifiait qu'il avait bien agit.

Bah, de toute façon, jamais les Bronzes ne pourraient traverser les autres Temples. Ils étaient vaillants, certes, mais ce n'était toujours que des Chevaliers de Bronze, des enfants. Que pouvaient-il face à des Saint d'Or ?

Le sourire de Milo s'effaça lorsqu'il se rappela qu'un de ces enfants avait réussi à le faire douter.

 

Au pied des marches du Grand Escalier — 17 h 40

Comme animé d'une vie propre, le sceptre se leva, sa base toujours dans la main de la jeune fille à demi-consciente. Une lumière s'en échappa et alla se perdre dans l'immensité du ciel. Peu après, l'armure d'or du Sagittaire prenait place au côté de sa déesse. Une aura dorée partit du sceptre vers le totem qui se lit à luire lui-aussi. Bientôt, tous purent entendre ce son mélodieux, semblable à un carillon, qui paraissait venir de la falaise où se trouvaient les Temples du Zodiaque.

Au Palais, l'usurpateur était en proie à d'horribles cauchemars où ses ennemis triomphaient.

 

Maison du Capricorne — 18 h 25

Dissimulée derrière une colonne, Cinnamon vit Shiryu agripper Shura par derrière et lancer l'ultime dragon. La nuit venait de tomber et ils disparurent très vite dans le firmament, semblables à une comète qui viendrait de la terre.

Elle demeura là, le visage tourné vers le ciel nocturne. Attendant, espérant, croyant contre toute attente. Certes messire Shura n'était pas son Chevalier préféré – elle avait encore en tête les interminables séances où ce dernier lui parlait d'Athéna – mais c'était tout de même un Saint d'Or ! Comment un misérable petit Chevalier de Bronze pourrait-il gagner face à lui ? C'était impensable.

Elle resta là jusqu'à ce les deux combattants ne soient plus qu'un minuscule point lumineux. Puis elle se détourna. Comme c'était étrange, elle avait l'impression qu'un trou venait de se creuser dans sa poitrine.

 

Maison du Verseau — 19 h 20

Elle arriva dans ce Temple juste à temps pour assister au dernier combat de Camus et de Hyoga. Comme d'habitude dissimulée derrière un pilier, elle vit l'élève, pourtant inconscient, prendre la même pose que celle de son maître. Que croyait-il ? Qu'il avait une chance de gagner, qu'il pourrait dépasser son professeur ? Cinnamon esquissa un sourire. L'issue du combat, elle la connaissait d'avance. Messire Milo avait laissé passer cet intrus mais messire Camus allait lui donner une bonne leçon...

Son sourire s'effaça lorsqu'elle sentit un froid glacial l'envelopper. Ce n'était pas comme d'être nu en pleine tempête de neige. C'était pire. Ses extrémités gelèrent, ses cheveux se couvrirent de givre et sa peau prit l'aspect d'une statue de glace. Aussitôt, sans même qu'elle en eut conscience, son subconscient déclencha un plan d'alerte. Une chaleur surgie du néant l'enveloppa soudain, faisant fondre les froids cristaux qui menaçaient de la recouvrir tout entière.

Protégée par cette gangue de chaleur, elle reporta son attention sur le centre de la salle. Les deux belligérants semblaient aussi frigorifiés qu'elle l'avait été. C'était bien fait pour ce Hyoga. De quel droit lui et ses amis venaient-ils foutre la merde au Sanctuaire, pour parler vulgairement ? Messire Camus venait de lui donner sa dernière leçon : non les Chevaliers de Bronze ne seraient jamais capables de rivaliser avec des Saints d'Or.

Cinnamon faillit éclater de rire et se retint en observant plus attentivement le Verseau. D'accord, le givre le recouvrait lui-aussi mais c'était un Chevalier des glaces, il avait l'habitude du froid. Allons, messire Camus, dites quelque chose, bougez... Elle ne pouvait pas entendre les dernière paroles du Saint à l'attention de son élève.

Quand le Verseau s'effondra, la jeune fille eut de nouveau cette impression désagréable qu'un trou se creusait en elle-même.

Pas messire Camus, pas lui ! La veille encore, elle avait joué aux cartes avec lui et messire Milo ! Elle se souvenait encore de la bonne humeur qui régnait ce soir là. Même s'il ne se départait pas de sa froideur apparente, le Verseau savait s'amuser et sourire, bien que souvent on ne sache pas trop quoi penser tant il pouvait se montrer intimidant. Et voilà qu'il venait de s'effondrer face à un vulgaire petit Bronze, son propre élève ? Celui-ci d'ailleurs ne tarda pas à tomber à son tour mais pour lui, Cinnamon ne ressentait rien. Qu'il meure n'était que la suite logique de son combat avec son maître.

Toujours protégée par cette douce chaleur, l'adolescente s'approcha de Camus et s'agenouilla à ses côté. Elle voulait qu'il vive, mon dieu faites qu'il vive... Hélas, elle ne percevait pas le moindre pouls.

Non ! Elle ne voulait pas, elle refusait cela. Après tout, n'était-elle pas capable d'accomplir des miracles ? N'avait-elle pas un pouvoir qui lui permettait de rendre réel sa volonté ? Aussitôt elle prit la main du Saint dans la sienne et ferma les yeux. De toutes ses forces elle se concentra, jusqu'à grimacer de douleur.

En vain. Pourquoi cela ne marchait-il pas ? Elle en avait le pouvoir, non ? A moins que ressusciter les morts ne soit hors de sa portée.

Épuisée par l'effort, la jeune fille se laissa glisser au côté du Verseau qu'elle enlaça, sans prendre la peine d'essuyer le sang qui coulait de sa narine. Elle demeura là un long moment, espérant toujours malgré tout.

 

Maison des Poissons — 20 h 26

Tel un fétu de paille, Aphrodite fut balayé par la tempête nébulaire de Shun et alla s'écraser au sol. Mortellement blessé, il leva les yeux sur son adversaire.

— Moi, Aphrodite, j'ai sous-estimé ton ultime cosmos. Félicitation, Andromède. Mais ta vie va bientôt te quitter...

Ce fut sur ces dernières paroles que le Saint des Poissons expira. Aussitôt des roses rouges, blanches et noires se matérialisèrent sur son corps.

Comme il l'avait promis à son frère, Shun s'était battu comme un homme. De plus il avait vengé son maître. Hélas, il ne pourrait pas aider Seiya... Déjà un voile sombre obscurcissait sa vision et il ne pouvait se défaire d'une lourde impression de fatigue. Il se sentait faible, de plus en plus faible... Lorsque la rose fichée dans son cœur perdit sa blancheur pour se gorger de sang, prenant une teinte écarlate, le jeune Chevalier s'effondra à son tour.

Cinnamon venait tout juste d'arriver. Elle était dans un état second et, tout d'abord, son cerveau refusa d'analyser ce qu'elle voyait. Messire Aphrodite qui gisait, recouvert d'un linceul de fleurs. Agenouillée à ses côtés, elle l'appela et le secoua en vain. Pourquoi ne bougeait-il pas ? Son adversaire était mort, à présent il pouvait se relever alors qu'attendait-il ? La jeune fille avait la désagréable impression que son cœur se serrait comme un poing et qu'il allait tomber dans le trou béant qui se creusait en elle. Ses yeux miroitèrent mais aucune larme ne s'en échappa, tant elle avait pris l'habitude de ne pas pleurer.

Ce n'était pas possible, pas messire Aphrodite ! Pas lui ! Il était si gentil avec elle, même si elle ne pouvait pas tout lui dire, il était en quelque sorte devenu son confident. Il lui avait appris à jouer aux échecs et la laissait lire dans sa roseraie. Il ne pouvait pas, ne devait pas... Se refusant à penser au terrible mot, Cinnamon prit la main du Chevalier dans les siennes et courba la tête. Elle avait envie de mourir. Soudain elle se redressa en sursaut.

Saga !

Affolée, paniquée, elle se leva et se mit à courir vers la sortie du Temple.

Pourquoi, mais pourquoi était-elle si lente ? Elle avait beau courir de toutes ses forces, elle était loin d'atteindre la dérisoire vitesse du son. En fait, elle avait l'impression de vivre un cauchemar : ses mouvements étaient désespérément lents, comme si, paralysée par une énergie inconnue, elle faisait du surplace. Devant elle l'escalier qui menait au Palais semblait sans fin et quelques pétales de roses rouges en parsemaient les côtés. Leur parfum envoûtant fit comprendre à la jeune fille qu'un piège avait été tendu là récemment par messire Aphrodite. De fait, elle avait un peu la tête qui tourne et cela n'arrangeait pas la sensation de lenteur qui s'était emparée d'elle.

Il fallait pourtant qu'elle aide messire Saga. Oh bien sûr, il était tellement fort qu'il ne devait pas avoir besoin d'elle, cependant les Chevaliers d'Or avaient été vaincus par ces Bronzes de malheur. Dans le doute, l'adolescente voulait être là au cas où. Et puis, il fallait bien qu'elle se serve de son pouvoir, sinon à quoi aurait servi tous ces entraînements ? Ces maudits intrus, elle allait leur montrer ce dont elle était capable...

Brusquement, elle faillit trébucher alors qu'un souvenir prenait forme dans son esprit. DeathMask qui lui défendait de se servir de son don lorsqu'il n'était pas là. De fait, la présence du Cancer rassurait malgré tout la jeune fille qui, alors, disposait d'un bon garde-fou. Une fois, elle avait utilisé son pouvoir seule et de sa propre initiative. Elle n'avait pas perdu le contrôle mais elle se rappelait vaguement la présence d'un cosmos puissant et doux à la fois, un cosmos rassurant qui paraissait agir sur elle et la calmer. Quand DeathMask avait appris qu'elle avait éliminé les deux fouineurs, il n'avait pas été très content. Elle avait encore en mémoire le savon qu'il lui avait passé. Jamais, avait-il martelé, jamais elle ne devait se servir de son don sans lui. IN-TER-DIT.

Ce n'était pas tout. Elle se souvenait de la dernière phrase du Cancer, un ordre : "Cache-toi !" . C'était bien pour ne pas lui désobéir qu'elle était restée si longtemps à attendre dans le quatrième Temple, au lieu de se précipiter à l'aide des Saints d'Or. Finalement elle avait désobéi en quittant la Maison du Cancer mais elle ne pouvait plus attendre. Pas avec ce mauvais pressentiment qui lui perçait le cœur et lui vrillait l'estomac. Elle s'était sentie mal toute la journée, sans compter les cauchemars qu'elle avait faits cette nuit.

A présent, au fur et à mesure qu'elle se rapprochait du Palais, deux courants de pensées s'affrontaient en elle. Il fallait qu'elle apporte son aide à Saga, qu'elle montre qu'il avait eu raison de lui faire confiance en décidant de la faire s'entraîner. Dans le même temps, elle se remémorait les dernières paroles de son maître qui lui sommait de rester tranquille et à l'abri. Que devait-elle faire ?

Arrêtée au milieu des marches, Cinnamon porta les mains à sa tête, comme si elle souffrait d'une atroce migraine. Que devait-elle faire ? Déjà, rejoindre le Pope. Elle verrait ensuite sur place. Mais une chose était certaine : elle resterait cachée.

Et, durant toute sa progression vers le Palais, un mot ou plutôt un prénom s'imposa à elle, avec une telle force qu'elle faillit chanceler. Saga, Saga... Elle voulait être près de lui, elle avait besoin de lui. Si jamais il lui arrivait quelque chose... Elle en mourrait, c'était sûr.

 

Au pied du Grand Escalier — 20 h 30

Un faisceau lumineux balaya soudain le Domaine Sacré. Cette lumière était si vive que, lorsqu'elle fut sur eux, Tatsumi et les autres Chevaliers de Bronze fermèrent les yeux. Cela ne dura qu'une seconde, mais ce fut suffisant pour les empêcher de voir leur princesse nimbée de cette lueur dorée.

Tatsumi souleva les paupières et leva la tête vers la grande horloge. La flamme du signe des Poissons venait de s'éteindre.

— Éteinte... la dernière flamme... Il est trop tard... se lamenta Tatsumi, les yeux rivés sur l'horloge du Sanctuaire.

Il se passa alors quelque chose de miraculeux. La jeune fille semblait... irradier une lumière multicolore. La flèche qui perçait son cœur se désintégra entièrement et Saori Kido ouvrit les yeux.

Athéna était sauvée.

— Écoutez-moi, Chevaliers d'Or des douze Maisons du Zodiaque.

— Le Chevalier d'Or de la Balance ! reconnut Mû.

Les Saints d'Or survivants se figèrent, attentifs aux mots qui leur parvenaient télépathiquement, via le cosmos.

— Comme vous le savez tous à présent mes amis, la vie d'Athéna vient d'être sauvée grâce à ses Chevaliers, commença Dohko

— Qu'est-ce que vous voulez nous révéler ? questionna Aldébaran.

— La tragédie qui nous a frappés, répondit le vieux maître.

Et Dohko de relater les évènements qui avaient eu lieu treize ans auparavant. L'usurpation de Saga, la tentative d'assassinat d'Athéna et le dévouement d'Aioros, qui avait donné sa vie pour sa déesse. Milo protesta :

— C'est impossible ! Je connais bien le Chevalier Saga. Il est incapable de commettre de tels crimes !

— Ce Chevalier possède deux visages, l'un bon et l'autre mauvais, expliqua Shaka.

— Et, malheureusement, son ambition l'a dévoré et très rapidement le mal l'a emporté sur le bien, continua Dohko. Cet homme est plus à plaindre qu'à condamner... Le sang a déjà trop coulé au Sanctuaire.

Tout ce qui comptait, à présent, c'était de se regrouper autour d'Athéna.

Jabu et les autres Saints de Bronze virent Saori se diriger, sceptre en main, vers l'imposant escalier. Elle commença à en gravir les marches seule, puis la Licorne se précipita à sa suite, suivi par ses amis. Tous voulaient accompagner leur princesse. Et c'est ainsi que les Chevaliers d'Or, à l'exception de Mû et d'Aiolia, découvrirent pour la première fois le visage de celle qu'ils avaient juré de protéger.

Cinnamon, quant à elle, était arrivée derrière le Palais, là où un Gémeau aux yeux de sang rouait de coups un chevalier de Pégase à demi mort.