La dernière preuve

par Chrysos

 

Acte 1 : Le télékinésiste et le télépathe



Porte Est du Sanctuaire, 15h

 

Astérion s’était rarement senti aussi las. Assis sur un escarpement dominant la porte, il observait les gardes effectuant leur ronde quotidienne. Sans savoir pourquoi, cette scène d’une affligeante banalité lui apparut soudain comme étrangement rassurante. D’un ton bourru, il lança pourtant à la cantonade :

- Tu es en retard !

Surpris, les soldats levèrent un nez inquiet en direction du Saint d’argent. Réalisant que cette sentence ne les concernait pas, ils retournèrent prudemment vaquer à leurs occupations.

- Pas du tout, rétorqua une autre voix. C’est toi qui es en avance. Comme d’habitude.

Un guerrier longiligne venait de se téléporter à deux pas d’Astérion. Avec son teint diaphane, sa chevelure filasse et ses oreilles taillées en pointes, le nouveau venu ressemblait vaguement à ces elfes qui fleurissent comme du chiendent dans les romans d’héroic fantasy. Seule son armure indigo rappelait que cet être hors norme avait bien sa place dans cet univers tout aussi fantastique qu’était le Sanctuaire.

- Spartan, souffla le Saint de la Meute. J’apprécierais assez que ton subconscient cesse de me traiter de psychorigide. Je ne suis guère d’humeur à supporter ce genre de sarcasme.

- Que je sache, personne ne te force à fouiner dans mon esprit, lâcha Spartan, comprenant sa peine. Quoi qu’il en soit, je suis heureux de te voir en si grande forme. La rumeur prétendait que Marin t’avait bien amoché…

- La rumeur est bien informée. A ce propos, j’ai ouï dire, ou plutôt j’ai lu à droite à gauche que ces maudits chevaliers de bronze avaient encore agrandi leur tableau de chasse.

- Oui, cracha Spartan. Misty, Mozes, Babel, Jamian, Argol et maintenant Dante et Capella. Tous de braves et valeureux Saints tués par ces foutus gamins ! Pour parler franchement, j’enrage chaque jour un peu plus en pensant que le grand Pope ait choisi cette larve d’Aiolia pour flanquer la déculotté à ces morveux ! Ah ça, il a vraiment un drôle de sens de l’humour, notre bien-aimé dirigeant. Choisir le frère d’un parjure pour en châtier cinq autres, ça mériterait d’être gravé dans le marbre pour faire rigoler les générations futurs.

- Surveille ton langage. Même ici, les murs, ou plutôt les portes, ont des oreilles. Si tu veux éviter de te retrouver à barboter au Cap Sounion, tu ferais mieux de tenir ta langue.

- Bah, au point où nous en sommes ! Depuis notre déconvenue contre les Saints de bronze, toi et moi sommes déjà dans le collimateur du Pope. Pas besoin de se voiler la face. Je sais pertinemment que si nous foirons la prochaine mission, il n’y aura plus de deuxième chance ni de lendemains qui brillent. En parlant de ça, qu’elle est donc cette fameuse mission spécialement conçue pour deux brebis galeuse ?

Astérion, peu loquace, tendit à son interlocuteur la missive sagement posée sur ses genoux. La parcourant en diagonale, celui-ci résuma :

- Débusquer cette traîtresse de Marin et la mettre à mort. Rien que ça ! Au moins, tu auras l’occasion d’assouvir un semblant de vengeance. J’aimerai bien pouvoir en dire autant.

- Traîtresse, répéta le Saint de la Meute. C’est exactement ce que je lui ai craché au visage, ce jour-là.

Se relevant sans hâte, Astérion posa son regard sur la vallée du domaine sacré et poursuivit :

- Lorsque nous avons découvert le corps de Misty, j’ai eu tout loisir de fouiller dans l’esprit de Marin. Il ne contenait rien de vraiment significatif pouvant justifier cette subite trahison, hormis l’inévitable lien affectif avec son disciple. Toutefois, un détail m’en revenu en tête après coup. Dans un recoin de son sub-conscient se trouvait une idée fixe, à la limite de l’obsession. Plus que tout, elle désirait se rendre à Star Hill, là où : « était la clef du mystère ».

Un vent anormalement glacial caressa l’échine de Spartan, qui médita :

- Cette bougresse est encore plus folle que je ne le croyais. Toute japonais qu’elle soit, elle ne peut ignorer que Star Hill est le lieu de divination des Popes depuis les temps mythologiques. Y mettre un pied équivaudrait à connaître un sacrilège presque aussi terrible que de poser la main sur Athéna. Personne ne serait assez suicidaire pour tenter une telle expédition.

- Personne, c’est vrai. Sauf peut-être deux pauvres hères n’ayant plus grand-chose à perdre. Si mystère il y a, je serais curieux de savoir de quoi il retourne.

L’ancien adversaire de Shiryu crut à une plaisanterie et esquissa un sourire. Mais devant le faciès inflexible d’Astérion, il répondit à brûle-pourpoint :

- Tu es complètement malade ! Ne me dis pas que tu envisages vraiment de te rendre à Star Hill, juste parce que tu as perçu les divagations d’une femme assez inconsciente pour se mettre tout le sanctuaire à dos en protégeant son élève !? Dans le genre information calamiteuse, on peut difficilement faire pire !

- Même au plus fort de notre combat, Marin ne m’ait jamais apparu comme ayant perdu l’esprit. Au contraire, elle semblait savoir pertinemment ce qu’elle faisait et avoir pleinement mesuré les conséquences de ses actes.

- Quand bien même ? Même si elle assume ses délires, pourquoi voudrais-tu te mettre dans le bourbier jusqu’au cou en essayant de percer à sa place un mystère qui n’existe probablement pas ?

- Pour Mozes, Argol et tous les autres, rétorqua Astérion en haussant sensiblement la voix. S’il n’y rien à Star Hill, c’est que Marin et les bronzes renégats sont de simples fouteurs de troubles qui ne méritent d’autre châtiment que la mort. En ce cas, celle de tous nos compagnons n’aura pas été vaine, car ils auront péri en accomplissant leur devoir. Mais, dans le cas contraire…

Spartan, sans crier gare, décida de tourner les talons :

- Bon, je vois que rien de ce que je ne pourrai dire ne te fera changer d’avis. Si tu veux perdre ton temps et accessoirement la vie en courant après des chimères, libre à toi. De mon côté, j’aime autant suivre la loi du talion. Œil pour œil, dent pour dent. En tout cas, bon courage pour réussir l’ascension de Star Hill. Il paraît que nul être humain n’est parvenu jusqu’au somment, hormis le grand Pope en fonction.

- C’est bien pour cela que j’ai besoin de toi. L’ascension est certainement difficile voire peut-être impossible, certes. Mais, pour quelqu’un comme toi qui se suppose aussi puissant que Mû de Jamir, ce devrait être un jeu d’enfant que de m’y téléporter.

Sans se retourner, le télékinésiste annonça, goguenard :

- Toujours aussi indiscret, à ce que je vois. Qui plus est tu attises un feu dont nous savons tous les deux qu’il repose seulement sur des braises de vanité mal placée. Est-ce un défi que tu me proposes ?

- Plus ou moins, répondit son confrère, malicieusement.

- Je suis vraiment un poisson bien stupide pour mordre à un hameçon aussi gros, soupira le télékinésiste. Enfin, quitte à être mouillé dans cette affaire, autant clairement boire la tasse. Non seulement, je vais t’y téléporter mais je vais t’y accompagner. Et ça, même Mû du Bélier n’en aurait pas l’audace.

- Merci, conclut Astérion.

- Tu as intérêt à ce qu’il y ait vraiment autre chose que des runes divinatoire à Star Hill. Ça m’ennuierait de devoir mourir juste pour prouver que j’avais plus de tripes que le ténor de ma profession.

Alors que les deux compagnons se dématérialisaient sous l’indifférence générale des gardes en faction, une silhouette furtive s’anima derrière un rocher. Les dents crispées à s’en briser la mâchoire, une adolescente aux cheveux mordorés disparut dans les ténèbres du Yomotsu Hirasaka.



Acte 2 : L’empreinte d’un souvenir



Star Hill, quelques minutes plus tard



- Foutue barrière psychique, râle Spartan. J’ai bien cru ne jamais en venir à bout. Un peu plus et on restait coincé ad vitam æternam entre deux strates dimensionnelles. Quoi qu’il en soit, Star Hill, nous voilà !

Les deux voyageurs, sans prendre le temps d’admirer le panorama, marchèrent en direction de l’unique temple de ce lieu mythique. Pince-sans-rire, Spartan reprit :

- Pour un observatoire sacré, je m’attendais à un peu plus de luxe et de faste. Vu la tristesse du décor, pas étonnant que les Popes préfèrent admirer les étoiles. Somme toute, ça s’annonce assez mal. Ce n’est pas dans ce temple miséreux que nous…

Une vision fantasmagorique coupa la chique à l’ancien binôme d’Argol. A peine Astérion et lui eurent-ils passés la porte dudit temple qu’ils se retrouvèrent englobés par une incroyable aura doré. Au centre de cette luminescence irréelle, et tout près de l’autel de divination, un corps sans vie semblait attendre leur venue.

- Qui… Bafouilla Spartan, pourtant difficilement impressionnable. Qui est-ce, d’après toi ?

Pragmatique, le Saint de la Meute scruta les vêtements du cadavre et en tira les conclusions qui s’imposaient :

- Visiblement, c’est un ancien Pope. Étonnant ! Il doit être mort depuis des siècles, pourtant son corps est parfaitement conservé. On jurerait qu’il est simplement assoupi. Sans parler du cosmos qu’il continue à générer, même par delà la mort.

- De son vivant, ça devait être un sacré gaillard, supposa Spartan. Les ondes de puissance qu’il dégage me hérissent le poil. D’ailleurs, c’est étonnant que l’on n’ait pas perçu sa présence à l’extérieur. Ce temple doit agir comme une sorte de cloche hermétique qui retiendrait les émanations de cosmos en son sein, si tu me permets l’expression. Sans cela, tout le sanctuaire serait constamment baigné par son aura. Mais, si c’est bien un Pope, pourquoi n’a-t-il pas eu droit à une sépulture décente ?... Astérion !?

L’intéressé, intrigué, s’était accroupi au dessus du cadavre et murmura:

- Ce serait donc lui la clef du mystère ? Le corps d’un Pope abandonné dans le seul endroit inaccessible du domaine sacré. Marin, quelle intrigue as-tu bien pu chercher à résoudre ? A moins que…

Horrifiant Spartan, Astérion, qui n’était plus à un blasphème près, posa la main sur le front du défunt Pope. Aussitôt, le Saint d’argent fut pris de violentes convulsions. Haletant, il posa sa main libre sur sa poitrine, comme si son cœur semblait prêt à exploser. Son comparse, n’y tenant plus, finit par lui faire lâcher prise en le bousculant de l’épaule. Projeté sur quelques mètres, Astérion finit par se relever, les yeux totalement vides.

- J’ai visualisé les derniers instants de sa vie, avoua-t-il, comme traumatisé par l’événement. Il se nommait Shion et était notre Pope voilà de cela treize ans ! Mais cette nuit, un Saint d’or est venue lui rendre visite pendant qu’il étudiait les astres… Et l’a froidement… tué !

Un peu calmé, le télépathe fixa un regard plus normal sur un Spartan déconfit et renchérit :

- Saga des Gémeaux ! C’est lui qui a assassiné le véritable Pope et a pris sa place ! C’est pour cette raison que l’âme de Shion ne peut trouver le repos et maintient son corps ainsi ! Son cosmos ! C’est un signal d’alerte visant à prévenir ses sujets ! Et seul un télépathe pouvait arriver à déchiffrer le souvenir qui hante ce qui reste de son esprit, celui de cette nuit où…

Sondant les parois du temple, Spartan réalisa soudain :

- Saga des Gémeaux, l’homme qui s’est rendu maître des dimensions. Comme il n’a pas pu se débarrasser du cadavre de sa victime, il l’a placé dans une sorte de huis clos dimensionnel. Ainsi, il avait la certitude de la piéger, corps, âme et… cosmos. Alors, la rébellion des Saints de bronze serait…

- Nous devons prévenir les autres Saints d’or, le coupa Astérion. Eux seuls seront à même de juger de la situation. Pas une minute à perdre !

- Entendu ! Mais pour ça, il faut déjà sortir de cet endroit. Ça doit probablement être lié au piège de Saga, mais une espèce de volonté bloque toute tentative de téléportation. Retournons à l’extérieur, les parasites seront moins importants.

- Oh non, annonça une voix presque enfantine. Vous ne sortirez jamais d’ici ! Je ne permettrais pas que vous fassiez du mal à Kyko !

Bloquant toute tentative de sortie, Cinnamon s’était posté en cerbère devant l’unique porte du temple.



Acte 3 : Protection rapprochée



- Cette gamine ?! Comment a-t-elle pu arriver jusqu’ici ?

Spartan, pour une fois plus informé que son confrère, lui apprit :

- Je la reconnais ! C’est la sale morveuse qui s’était mise en tête de traverser les douze temples. La « groupie », comme la surnomme les serviteurs. A ce qu’on dit, ce sont ses mœurs assez légères qui lui auraient valu droit d’asile dans le fief du Pope.

Fixant Cinnamon droit dans les yeux, le télékinésiste enfonça le clou :

- Eh bien, ma douce, je vois que Star Hill ne sert pas au Pope qu’à s’isoler de la vie courante du Sanctuaire. S’est-il lassé de tes étreintes passionnées pour t’abandonner dans ce repaire à courants d’air ? C’est donc là que finissent tous les jouets qu’il brise.

- Ce n’est pas cela, le contredit Astérion, déchiffrant les pensées de l’adolescente. En vérité, elle a entendu notre discussion et nous as… suivis.

- Tu plaisantes ? Ricana Spartan. Comment cet asticot y serait-elle parvenue ? La seule explication possible est que j’ai dû la téléporter avec nous par mégarde. A croire que je ne contrôle plus mes pouvoirs !

Astérion aurait cent fois préféré que la version de son acolyte soit la bonne. Mais, lisant à livre ouvert dans l’océan déchaîné qu’était actuellement l’esprit de Cinn’, il blêmit de minute en minute en découvrant les sombres vérités qu’elle ne cherchait même plus à dissimuler.

- Cette fille, bafouilla-t-il. C’est…

- Une véritable plaie, compléta Spartan. Ainsi qu’un témoin gênant. Navré ma douce, mais tu en as trop vu. Pour peu que tu sois atteinte d’un bon vieux syndrome de Stockholm, comme beaucoup le suppose, tu risques d’aller prévenir Saga dès notre retour dans les basses sphères du Sanctuaire. Tu vas donc resté sagement en notre compagnie le temps que cette sale affaire ait éclaté au grand jour.

Joignant le geste à la parole, Spartan s’apprêtait à crocheter le poignet de Cinnamon. Le Saint de la Meute, revenu de son voyage éprouvant dans la psyché de l’adolescente, s’écria alors :

- Non ! Ne la touche pas !

Trop tard. A peine le télékinésiste eut-il effleuré la peau nacrée de Cinn’, qu’il se tordit de douleur. Son bras, horriblement broyé par une force inconnue, commençait littéralement à se liquéfier. Réflexe salvateur, il réussit, malgré la douleur, à se saisir psychiquement de l’adolescente. Sans ménagements, il la projeta violemment contre le plafond du temple, avant de l’envoyer rebondir sur une paroi.

- Spartan, s’enquit Astérion, volant au chevet de son semblable. Ça va ?

- J’ai connu pire, le rassura ce dernier, en songeant à sa métamorphose passée. Mais qu’est ce que c’est que cette… ce monstre ? La nouvelle arme secrète du Pope ? La façon dont elle m’a écrasé le bras n’avait rien à voir avec de la télékinésie, ni même avec le cosmos.

- Je le sais, approuva le Saint d’argent. C’est sa volonté. Il lui a suffit de vouloir te dissoudre le bras pour que cela se réalise. Elle-même ignore comment elle s’y prend et pourtant le résultat est là. Dans sa mémoire, j’ai vu quelques exploits de ce style qui auraient fait pâlir d’envie même les terrifiants Saints d’or. Sans parler de…

- Pas étonnant que Saga se soit intéressé à elle ! Dans le genre chien de garde déguisé en agneau, elle se posait là ! Enfin, le problème est résolu. Ça m’étonnerait beaucoup qu’elle ait pu survivre à un choc pareil.

- Je l’espère. En attendant, avant de mettre le feu aux poudres, il faut soigner ton bras. Crois-tu pouvoir nous ramener au bercail dans ton état ?

- Évidemment ! Donne-moi juste une seconde et…

Astérion, suivant le regard halluciné de Spartan, découvrit Cinn’, qui les scrutait de ses prunelles anormalement dilatées. Pas une égratignure ni une contusion ne pouvaient attester de la violence de l’impact qu’elle avait subi tantôt.

- Petite maligne, la félicita presque Astérion. Il lui a suffit de songer que le sol et ce mur allaient amortir sa course pour qu’ils deviennent aussi moelleux que le lit de son cher « Kyko ». Bien, s’il faut en passer par là !

Galvanisant son énergie, Astérion lança sa plus terrible (et unique) attaque. En dépit de l’exiguïté du lieu, il parut se démultiplier à l’infinie, encerclant une Cinnamon pour le moins sereine et un Spartan faisant profil bas.

- Quelle que soit la nature de ton pouvoir, tu ne pourras plus me vaincre, s’avança le télépathe. Je peux prévoir chacun de tes faits et gestes, ce qui signifie donc que tu ne peux pas t’enfuir, ni même esquiver mes coups. Quand à me toucher, cela t’ait également impossible. Tu n’es ni assez rapide ni assez clairvoyante pour me localiser. C’est la fin, petite fille ! Million Ghosts Attack !!!

Astérion n’eut pas l’occasion de mettre ses belles théories en pratique. A la dernière syllabe prononcée, tous ses « doubles » se retrouvèrent piégés dans un effroyable tourbillon. Ils disparurent aussitôt dans ce qui semblait être un trou noir, apparu comme par magie dans le plafond du temple. Seul l’original, vidé de son essence, retomba mollement aux pieds d’un Spartan médusé.

- Astérion !! Sorcière, que lui as-tu fait !?

- Je les ai renvoyé là où doivent aller les fantômes, répondit candidement Cinnamon. Au dessus du puits des âmes.

La pilule fut difficile à avaler pour le prétendu égal de Mû. Très difficile à avaler. Oubliant sa douleur, il concentra son cosmos à son paroxysme, bien décidé à ne pas laisser la mort de son ami impuni.

- Garce, vociféra-t-il. Je vais te lapider !

A ces mots, la structure du temple évolua. Une par une, toute les pierres se désolidarisèrent et se mirent à léviter au dessus des deux combattants. Sans tergiverser, Spartan expédia ces pièces de puzzle monstrueuses sur l’adolescente. Dans un vacarme apocalyptique, elles s’agglutinèrent à pleine vitesse sur une Cinnamon impassible.

Au fur et à mesure, l’œuvre de Spartan pris la forme d’une pyramide stylisée ou plutôt d’un tombeau funéraire dont Cinn’ aurait été le dernier pharaon. Lorsque la dernière pierre coiffa l’ouvrage, le télékinésiste tomba à genoux et, les yeux humides, déclara :

- As-tu vu, Astérion ? Crois-tu que Mû du Bélier aurait été capable d’une vendetta pareille ?

Fermant cérémonieusement les yeux de son compagnon d’infortune, Spartan n’en oublia pas pour autant la tâche qui lui incombait, désormais. Ce serait à lui de dévoiler la vérité sur la meurtre du Pope et à confondre Saga, si tant est que tous les Saints d’or ne soient déjà pas tous à sa botte. Et quand cette affaire serait enfin résolue, il pourrait songer à aller demander des comptes à ces Saints de bronzes infâmes qui avaient volés la vie de ses pauvres compagnons.

Tout à ses projets futurs, Spartan finit par remarquer un détail pour le moins surprenant. Alors qu’il croyait, non, plutôt qu’il savait pertinemment avoir détruit le temple de ses mains, il crut à nouveau se trouver en son sein. Se frottant les yeux de sa main valide, il dut se rendre à l’évidence, le temple était bel et bien « revenu », parfaitement reconstruit pierre par pierre.

N’osant tourner la tête, il clama :

- Ton pouvoir n’a donc pas de limite ? Tout ceci n’était-il qu’une illusion ?

Cinnamon, couverte de sang des pieds à la tête mais toujours en un seul morceau, renvoya :

- Pas du tout ! Mais je n’allais quand même pas laisser l’observatoire dans cet état. Kyko n’aurait pas été content.

Lucide, Spartan tenta malgré tout :

- Saga est un assassin et il te manipule, comme il manipule tout le domaine sacré. Si tu as un tant soit peu de respect pour la vie humaine, tu ne dois pas permettre à pareille engeance démoniaque de dominer cette terre sacrée. Il…

Fatiguée par cet être obtus qui se permettait de médire sur quelqu’un qu’il ne connaissait et ne comprenait pas, Cinnamon avait donné le coup de grâce. Messire Deathmask aurait certainement apprécié qu’elle le torture davantage, mais elle avait préféré lui briser proprement la nuque avant qu’il ne tente de filer en se téléportant.

Cinnamon n’éprouvait aucun regret d’avoir tué ces deux fouineurs. Au contraire, elle se félicitait d’avoir découvert par hasard leur manigance et d’avoir agi en conséquence. Au fond d’elle, elle savait que s’ils avaient révélés le secret de messire Saga, le sanctuaire serait devenu un vaste champ de bataille.

Tous les Saints d’or qu’elle aimaient et appréciaient se seraient probablement entretués au nom de cette notion obscure qu’était la justice. Et cela, elle n’aurait pu le supporter.

Alors que les corps de ses deux ennemis commençaient à se désintégrer, Cinnamon s’approcha du cadavre de l’ancien Pope. Elle ignorait pourquoi Saga ne s’était pas débarrassé du corps de son prédécesseur. Mais, une chose était sûre et certaine, il était la seule preuve qui pouvait encore lui nuire. Aussi, il devait disparaître.

Elle allait s’exécuter quand le cosmos du vieil homme la submergea. Un cosmos pur et rassurant, comme l’était celui de ses seuls amis, les Saints d’or. Touchée au plus profond de son être, elle resta longtemps à observer les traits fins du Pope, magnifiés par le profond baiser de la mort. Lentement, elle s’allongea et se blottit tout contre lui, avant de s’endormir, heureuse.



FIN