Jalousie

par Iris


Mercredi 11 mars 1987

Mais qu'est-ce qu'il avait, ce Jabu, à toujours être fourré auprès de Saori ? A croire qu'il était amoureux d'elle. Un examen plus attentif permit néanmoins à Cinnamon de comprendre qu'il ne s'agissait pas là d'un vulgaire béguin. Non le regard que la Licorne portait à sa princesse débordait d'un amour véritable et inconditionnel. Un soupçon d'amertume pinça le cœur de la jeune fille : elle, personne ne l'avait regardée ainsi.

Dissimulée derrière une colonne, elle observa tous ces petits gestes qui font le ciment d'une grande passion. Jabu brûlait d'amour pour Saori, c'était un fait, et pourtant jamais il ne se déclarerait. Saori était Athéna et nul mortel ne pouvait prétendre ravir son cœur. Au lieu de cela, le Bronze s'était mis à son service, de toute son âme. Cette dévotion rappelait à Cinnamon l'amour courtois du Moyen-Age, lorsque les Chevaliers se battaient pour l'honneur de leurs belles. Athéna ne pouvait qu'inspirer ce genre d'attachement, fait d'amour mais surtout de respect. Messire Shura avait bien expliqué à Cinnamon en quoi sa déesse était si exceptionnelle et elle devait admettre, vu ce qu'elle dégageait, qu'il avait eu parfaitement raison.

Les yeux de l'adolescente s'assombrirent, ses poings se crispèrent et elle serra les dents avec une telle force qu'elles se mirent à presque à grincer.

Non personne ne l'avait jamais regardée ainsi. Normal, après tout, elle n'avait rien d'une déesse comme Athéna. Athéna était si belle et elle si insignifiante. Athéna était pure et elle... si sale. Athéna suscitait l'amour et le respect partout où elle passait, alors qu'elle... elle... Seigneur, même messire Saga ! Son dernier mot avait été pour Athéna, Cinnamon, elle, avait été totalement éclipsée par la princesse. Athéna avait été la plus importante : oubliée Cinnamon ! Envolée, disparue de l'esprit de messire Saga !

Le cœur de l'adolescente se tordit et elle éprouva réellement une vive douleur au niveau de la poitrine. Le ressentiment qu'elle gardait contre Saori était en train de la détruire à petit feu. Tel un serpent de rancœur qui dévorerait son âme.

Pourquoi Athéna était-elle si gâtée par la vie et par la nature ? Ce n'était qu'une petite fille pourrie qui n'avait jamais eu à souffrir réellement. La flèche plantée dans son cœur ? De la rigolade ! Qu'elle essaie donc de vivre ce qu'elle avait vécu et on en reparlerait...

Soudain désespérée, consciente de sa propre indignité, la jeune fille baissa la tête et ferma les yeux. Il n'y avait rien à faire. Athéna était la plus belle, la plus pure, la plus aimée, la plus respectée... Elle elle n'était après tout qu'une moins que rien. Oui, c'était exactement ce qu'elle était. Une moins que rien, une pute, une chienne, une raclure. Bonne à salir, bonne à crever.

Cinnamon se força à respirer profondément et se dirigea en catimini vers le couloir qui menait à sa chambre. Il était bientôt l'heure de déjeuner mais elle voulait d'abord se passer de l'eau froide sur le visage avant de partager ce repas avec Saori et les Bronzes. Surtout respirer à fond, se composer un visage neutre, prier pour que son teint perde un peu de sa pâleur et ses joues leur rougeur. Faire bonne figure devant Athéna et ses Chevaliers, même si elle savait qu'elle aurait énormément de mal à les regarder dans les yeux. Exactement comme à l'époque, quand elle devait sourire et faire comme si tout était normal...

Saori leva la tête comme si elle venait de percevoir un bruit dans le lointain. Ses yeux pers reflétèrent la peine et la compassion qu'elle éprouvait mais cela passa inaperçu tant cela n'avait duré qu'un bref instant. Aussitôt après, elle riait de bon cœur à une pitrerie de Kiki. Les Bronzes se joignirent à elle et bientôt la salle du Pope résonna de leurs éclats de rire.

Plus tard, et comme Saori le lui avait demandé, Cinnamon vint partager leur repas. Elle ne parlait que si on s'adressait directement à elle mais elle le faisait avec une telle douceur que les Bronze ne pouvait lui en tenir rigueur. De même qu'ils furent charmés par l'adorable sourire d'excuse qu'elle adressa à Seiya alors que celui-ci lui reprochait justement son silence. Oui, cela avait sans doute mal commencé avec Cinnamon, mais à présent elle faisait partie du groupe : elle n'était plus cette adolescente frondeuse et révoltée. Au contraire, il suffisait de voir sa gentillesse pour comprendre que c'était en fait une fille très bien. Du moins c'était ce que pensait Shun.

S'il avait pu lire dans les pensées de la jeune fille, il en aurait été effrayé.