Rencontres et créatures fabuleuses
par Iris

Vendredi 20 mars 1987

Le ciel laissait passer les rayons du soleil tel un scintillement d'or sur son eau d'un bleu profond et transparent. Quelques silhouettes d'anges glissaient, paresseusement, au dessus de la tête de Cinnamon. Celle-ci resta un instant le regard levé vers les raies mentas puis elle se remit en route vers le pilier du Pacifique Nord. En chemin elle cueillit une plante marine à la corolle rouge sang et l'accrocha derrière son oreille. Elle se sentait d'humeur joyeuse. Il fallait dire que tout le monde n'avait pas la chance de voir l'océan au dessus de sa tête.

Ce fut en chantonnant une comptine que la jeune fille s'approcha enfin de l'imposant pilier. A son pied, elle leva la tête et vacilla, prise d'une sorte de vertige. Aussitôt elle inclina du chef et ferma les yeux.

— Qui es-tu et que viens-tu faire ici ?

Cinnamon sursauta et ouvrit les yeux. Le gardien du pilier se tenait juste en face d'elle, les sourcils froncés. Aussitôt l'adolescente lui adressa son plus beau sourire.

— Oh bonjour, dit-elle.

— Je peux savoir qui tu es au juste ? répéta le jeune homme.

— Et bien je... je m'appelle Cinnamon et je suis, heu... arrivée ici il y a quelques jours...

— Ah vraiment ? C'est étrange, personne ne m'a prévenu.

La jeune fille émit un petit rire gêné.

— En fait, je suis censée rester dans ma chambre mais, chut ! Ne le dites à personne.

Sa tentative de détendre l'atmosphère tomba à plat. Le général la fixait toujours avec sévérité.

— Vraiment ? fit-il, sceptique. Bon, je suppose que tu ne représentes aucun danger. Mais si j'étais toi, je tacherais de ne pas me promener comme ça n'importe où. J'ai failli t'attaquer tout à l'heure.

— Heu... oui oui, je ferai attention, promis.

Cinnamon leva la main en signe de salut tout en souriant. Puis elle se détourna. Mieux valait prendre congé. Néanmoins cette rencontre ne la dissuada pas de retenter l'expérience. Aussi se dirigea-t-elle vers le Pacifique sud. A un moment, une ombre recouvrit le sol. Levant la tête, l'adolescente put voir la silhouette d'un requin nager paresseusement au-dessus d'elle. Ah ce qu'elle aimait cet endroit !

Arrivée devant le pilier, elle s'arrêta.

— Il y a quelqu'un ? appela-t-elle.

Le gardien sortit de derrière l'imposante colonne. Ses prunelles étaient d'un rose tirant sur le brun, tandis que sa chevelure arborait un rose soutenu.

— Heu... bonjour.

— Bonjour, répondit-il en souriant.

Cinnamon faillit pousser un soupir de soulagement. Celui-là au moins avait l'air bien disposé.

— Ce n'est pas un endroit pour te promener, tu sais, poursuivit-il. Ça peut être dangereux pour une non-combattante.

— Oh, heu, oui, je m'en doute. Je voulais juste rencontrer les gardiens et leur faire un petit coucou, c'est tout.

— Et bien, tu m'as vu. Quel est ton nom ? Moi je m'appelle Io de Scylla.

— Cinnamon, répondit-elle en esquissant une révérence.

— Tu devrais te montrer prudente et ne pas te promener comme ça n'importe où.

— Oui, vous avez raison. Mais je suis ravie d'avoir fait votre connaissance.

Le général sourit. Il ouvrit la bouche pour dire quelque chose lorsque...

— Je peux savoir ce que tu fabriques ici ?

Cinnamon sursauta et se retourna. Le Dragon des Mers avançait vers eux. Son casque dissimulait les traits de son visage, mais la jeune fille était certaine qu'il arborait un regard noir.

— Elle ne faisait rien de mal, répondit Io. On faisait juste connaissance, c'est tout.

— Dois-je te rappeler ton devoir, général de Scylla ? Tu es censé protéger ce pilier, pas faire ami-ami avec la première venue !

L'adolescente ouvrit la bouche pour protester mais le gardien du Pacifique sud fut plus rapide :

— Justement, ici c'est mon pilier. J'ai donc toute latitude pour traiter mes invités comme je l'entends.

Kanon émit un petit rire méprisant.

— Ah oui, fit-il. Comme tu voudras. Je dois juste te prévenir : cette fille n'est pas très... équilibrée.

— Hé !

Ignorant l'intervention de Cinnamon, Io répondit :

— Et alors, du moment qu'elle ne représente aucun danger. C'est bien gentil de me prévenir, Dragon des Mers, mais j'estime être le seul à savoir qui je dois arrêter ou non.

Durant un instant, le gardien de l'Atlantique nord demeura muet, comme s'il réfléchissait, puis il arbora un large sourire.

— Ah d'accord... Je vois. Cinnamon, va dans ta chambre, tu veux ?

— Mais je...

— Tout de suite !

Devant le ton employé, l'adolescente se détourna et marcha en direction du palais. Resté seul avec Io, Kanon put voir le regard dont celui-ci enveloppait la jeune fille. Il avait vu juste.

— Un conseil, ne t'amouraches pas de cette fille. C'est un vrai danger public

— Qui, moi ? Allons donc !

Mais oui, c'était cela... Le pauvre Io était tombé sous le charme de cette folle furieuse. Le Dragon des Mers allait devoir surveiller tout ça de très près. A moins... à moins que ce ridicule petit béguin ne puisse servir ses propres intérêts... Il faudrait qu'il y réfléchisse.

Lorsque l'adolescente revint voir Io un peu plus tard, celui-ci était prêt à la recevoir. Il sorti de derrière le pilier, sourire aux lèvres et mains dans le dos.

— Content que tu aies pu venir, commença-t-il.

— A vrai dire, je me suis échappée, répondit la jeune fille en souriant.

Io lui rendit son sourire et s'approcha d'elle. Sortant la main de derrière son dos, il lui présenta alors une sphère entièrement faite d'eau de mer, et cerclée d'or au niveau de ses pôles.

— Qu'est-ce que c'est ?

— Une petite surprise. Nous les Généraux avons chacun une sphère qui nous permet de voir ce qui se passe dans nos océans respectifs. Mais ce n'est pas pour te montrer cela que je l'ai amenée. Regarde.

Cinnamon se concentra alors sur la boule d'eau. Tout d'abord, elle ne vit qu'une sorte de brume, puis une silhouette se dessina, devenant de plus en plus précise au fur et à mesure qu'elle s'approchait. Interdite, l'adolescente finit par distinguer une sorte de calmar affublé d'une coquille droite. L'animal avait l'air de bonne taille, ce que confirma Io :

— C'est un Nautiloïde Orthocère géant, expliqua-t-il. Il vivait il y a quatre cent-cinquante millions d'années. A l'époque, il n'y avait ni plantes, ni même le moindre insecte sur la terre. Et si tu croisais un de ces monstres, il ne ferait de toi qu'une bouchée. Mais ce n'est pas tout...

La brume envahit la sphère, rendant invisible l'Orthocère. Une autre silhouette apparut. Celle d'un étrange poisson d'une taille impressionnante, à la tête et le haut du corps cuirassés.

— Voici un Dunkléostéus, qui vivait il y a trois cent-soixante millions d'années. Et ça, dit Io alors que le poisson disparaissait dans la brume, c'est un Basilosaurus.

Cette fois, il s'agissait d'une sorte de baleine au corps effilé, longue de dix-huit mètres. Ensuite, ce fut le tour du requin géant, le Mégalodon.

— Tu pourrais tenir debout entre ses mâchoires supérieure et inférieure. Avec ses quinze mètres de long, Il surclasse largement le grand blanc.

— Waow, fit Cinnamon, conquise par ses créatures fabuleuses. C'est incroyable, j'ignorais que les océans pouvaient abriter de telles merveilles. C'est vrai, on parle toujours des dinosaures mais, apparemment, les mers étaient bien peuplées.

— Tout à fait, acquiesça le Général, heureux d'avoir produit l'effet désiré sur la jeune fille. Mais si tu veux, je peux te montrer l'océan Pacifique sud à notre époque. C'est tout aussi fascinant.

Aussitôt la brume dans la sphère s'épaissit avant de disparaître, laissant voir des récifs de coraux fréquentés par des petits poissons multicolores. Plus haut, près de la surface, c'était une myriade de méduses, elfes de mer translucides et irisés. L'adolescente sourit.

— C'est tellement beau... C'est... magique !

Io se rengorgea, satisfait de la réaction de Cinnamon. Il tenait particulièrement à son petit coin d'océan et à ses créatures marines, présentes ou passées. Et il était heureux de constater que son amour de la faune océanique avait également conquis la jeune fille.

Le Dragon des Mers lui avait déjà fait part de la bataille qui se préparait, et des inévitables sacrifices qu'il faudrait concéder à l'élaboration d'un monde nouveau. Si le Général de Scylla avait d'abord émis quelques doutes, il s'était souvenu ensuite de son propre dégoût et de sa colère lorsque son océan était pollué sans vergogne par les hommes. Chaque fois qu'il voyait des dauphins se faire prendre par les filets des pêcheurs, chaque fois que l'on chassait le requin pour ses ailerons, chaque fois enfin que l'on bafouait la vie sous-marine, Io se sentait venir des envies de meurtres. Il ne cautionnait certes pas le meurtre d'innocents, mais qui l'était vraiment parmi les êtres humains ? Peut-être qu'effectivement, il fallait un grand bouleversement, un électrochoc salutaire pour réveiller les consciences.

De toute façon il répondrait présent lors de l'affrontement qui les opposerait aux Chevaliers d'Athéna. C'était son devoir vis à vis de son empereur et aussi vis à vis de ses animaux marins.

— C'était vraiment super, merci beaucoup Io, dit Cinnamon, l'arrachant à ses pensées. Mais je dois retourner au Palais maintenant, sinon le Dragon des Mers va me disputer.

— Alors vas-y. Mais je serais heureux que tu acceptes de revenir me voir de temps en temps.

— Avec plaisir ! Au revoir, Io !

Et l'adolescente, après un dernier salut, se détourna et se dirigea vers le palais du dieu des mers.