Chapitre 01 : La chaleur derrière le métal

 

Le soleil termine sa course pour se voiler derrière les collines abruptes du domaine sacré consacré aux dieux anciens. Athéna y règne en maîtresse absolue. Les hommes parqués dans leur camp, les femmes regagnent les bains pour délasser leurs muscles groguis par les effets d’une journée de labeur et de combats. Le sable de l’arène est leur seul compagnon. Tous et toutes, ils se battent pour obtenir un avenir meilleur, pour l’honneur, pour l’armure.

Le camp des femmes est silencieux, seuls quelques rires ou chuchotements se font entendre derrière les volets clos. La nuit délie les langues et les vierges échangent leurs impressions sur la journée passée, avant de sombrer dans le silence et l’épuisement. Seule près de l’océan, une jeune femme aux cheveux roux avance le long de la plage. L’eau salée, rafraîchissante, chargée d’iode et d’embruns vient caresser ses pieds déchaussés. Elle a ôté ses épaulettes, ses bas et ses jambières. Ne reste sur son corps de jeune femme qu’un maillot noir et une protection métallique sur le buste. La chaleur de la journée met du temps à s’estomper. Il en est toujours ainsi en Grèce, surtout lors de la période estivale. Les touristes de passage ne prêtent pas attention à ce qui se cache derrière la colline de l’Acropole, cela est mieux pour eux. Seules les personnes habituées à cette terre ingrate survivent mais leur peaux en porte la marque. Bronzées, tannées par le soleil mais restées douce grâce aux huiles dont le pays regorge. Ces peaux meurtries sont celles de ceux qui n’ont pas véritablement choisis leurs destins. 

Mater æternam, la Grèce éternelle. Mère nourricière elle est aussi un carcans doré duquel les apprentis chevaliers ne ressortent pas indemnes. Quiconque arrive au Sanctuaire ne peu en ressortir que les pieds devant ou chevalier. La jeune femme s’arrête et observe les étoiles. Son apprenti est encore jeune, il dort déjà. Epuisé lui aussi par les souffrances que son maître lui a fait endurer toute la journée durant. La rousse se met à songer…

« Oui mais je fais tout ça pour ton bien. Tu es fort Seiyar. Un jour tu deviendras un grand chevalier, j’en suis persuadée. Tu parviendras à remporter l’armure de bronze que tu désires tant et qui symbolise ton étoile protectrice… Tu pourras retourner au Japon, tu pourras retrouver ta soeur. Pégase… »

Comme en réponse à ses réflexions intérieures, une comète passe rapidement à travers le ciel avant de s’effacer à l’horizon. La chaleur s’apaise à présent. Marine observe les vagues et décide de se délasser. Prenant garde à ce qu’aucun importun ne vienne troubler son bain de minuit, la jeune femme fait glisser les derniers remparts à sa nudité et avance paisiblement dans l’obscurité. Un soupir de contentement s’échappe de sa gorge nouée par l’aridité de l’air, à mesure de son immersion dans l’eau profonde. Elle plonge, ressort et plonge à nouveau. Un sourire éclatant s’affiche sur son visage angélique. Elle jette un coup d’œil à la plage dont elle s’est éloignée… le masque est posé sur le sable, petite masse inerte sur un océan de grains… la source de son renoncement, la source de son malheur. Qu’aurait donc été sa vie sans ce masque ? Oui mais elle n’aurait jamais eu l’occasion de rencontrer Seiyar, ni de devenir chevalier. Un chevalier d’argent, voilà ce qu’elle était devenue. L’aigle était son attribut, l’aigle de Zeus, l’aigle gardien du foudre divin, une vierge n’ayant jamais connu l’amour. Les vagues heurtant sa peau nue la ramènent à la réalité.

« Il est temps de rentrer… »

L’amour… y avait-elle jamais songé ? Elle eu une pensée pour un jeune homme, croisé plusieurs fois près du camp d’entraînement des femmes chevaliers. Il était grand et beau, probablement du même âge qu’elle ou à peine plus âgé. Toujours il venait assister aux luttes, spécialement lorsqu’elle y prenait part. Depuis peu il semblait s’intéresser à Seiyar, sans qu’elle sut véritablement pourquoi. Un trouble profond s’empara d’elle. Qui était t-il ? Un Gold Saint ? Un simple chevalier ?... Marine sentait chez lui une aura bienveillante mais se refusait à toute interprétation malvenue. Elle était ici dans un seul but et ne pouvait espérer partager sa couche avec un homme un jour, si beau soit-il. Les femmes étaient si peu considérées au sanctuaire que pour se faire reconnaître par ses pairs mâles il fallait prouver sa valeur au combat. Elle l’avait déjà fait… que demander de plus ? Non… Marine attendait que Seiyar devienne chevalier. Elle s’était attaché à son jeune disciple comme à un frère et mettait un point d’honneur à l’épauler jusqu’au bout. Un frère… oui elle cherchait à retrouver son frère. De vagues souvenirs, deux enfants perdus et dans la misère. Deux enfants séparés par le destin ce jour là… Secouant la tête, la jeune femme mit fin au fil incessant de ses pensées.

« J’ai peu de temps pour y songer… d’ailleurs il n’est plus temps… j’ai fait un choix… je dois le respecter »

Sur ces mots, elle rejoignit la plage et se sécha. Une sensation étrange s’empara d’elle alors qu’elle se rhabillait, comme une caresse sur sa peau. Elle s’empressa de replacer le masque sur son visage et se retourna prestement.

« Qui est là ?!!! »

Silence

« Montrez-vous !!!... »

Toujours rien

La sensation disparue aussi vite qu’elle était venue. Marine tremblait. Pendant l’espace d’un instant elle eu l’impression désagréable d’avoir été épiée entre le moment où elle était entrée et celui où elle était sortie de l’eau.

« Etrange… »

Jugeant que la fatigue se faisait sentir, et que peut-être celle-ci était la cause de son malaise, Marine rentra se coucher au village.

Lorsqu’elle entra dans la petite maison de bois et torchis située aux pieds de la colline, elle trouva Seiyar profondément endormi, une jambe dépassant de la couverture, la bouche grande ouverte. Un ronflement strident se fit entendre, ce qui faillit déclencher son rire mais elle prit garde de ne pas le réveiller. Il profitait d’un repos bien mérité…

Elle gagna sa propre chambre, séparée de celle de son apprenti par un épais rideau de laine, ôta son masque devenu blessant par le métal puis se coucha après avoir ôté le sel de sa chair à l’aide d’un peu d’eau, de savon et d’un linge propre. Dans ses rêves, elle ne pu s’empêcher de revoir le sourire si plaisant du grec. Un prénom raisonna dans son esprit… « Aiolia, je m’appelle Aiolia ».

Après cette étrange soirée, les jours s’étaient écoulés aussi vite que les heures, implacables et rudes. Marine avait réussi à pousser son disciple au maximum de ses possibilités. L’heure de son combat pour l’armure de bronze approchait. Elle espérait de toutes ses forces que ce jour soit pour lui synonyme de victoire. Il affronterait Cassios, disciple d’une de ses camarades de camp, une dénommée Shaina. Chevalier d’argent du cobra, elle était égale à Marine sur de nombreux plans. Mais ce qui lui donnait l’avantage était une rage incontrôlée, un besoin toujours impérieux de vouloir être la meilleure et ce, en toutes circonstances. Son masque pouvait aussi bien dissimuler la haine que l’amitié. Difficile de savoir à quoi s’attendre avec elle…

« Marine ! »

La voix de Seiyar l’éloigna de ses réflexions.

« Seiyar ?... ne devais-tu pas faire des 500 tractions à la rivière ? »

« Ne monte pas sur tes grands chevaux tu veux !... je voulais te prévenir… quelqu’un veut te voir ! »

La jeune femme ne montra aucune expression, son masque faisant barrage. Au risque de passer pour insensible, elle répondit sévèrement.

« Peu importe ! Rappelle toi que tu n’as plus qu’une semaine pour te préparer au duel organisé par le Pope pour la possession de l’armure de Pégase. Si tu veux mettre toutes les chances de ton côté, tu dois persévérer ! Que quelqu’un veuille me voir ou non ça ne doit pas te perturber dans ton entraînement. Si cette personne désire me voir elle n’a qu’à se présenter et faire comme tout le monde ! ».

La curiosité l’emporta cependant sur son devoir de maître. Elle ajouta…

« Qui est-ce ? »

« Qui ? »

« Seiyar ne joue pas à ça avec moi et répond à ma question !!! »

« Je croyais que ça ne t’intéressais pas !! Eh eh !! »

Sur ces mots il s’enfuit à travers le camp d’entraînement, Marine sur ses talons.

« Attends un peu que je t’attrape tu vas voir !!! »

« Ah Ah !! Si tu veux tout savoir c’est un certain Aiolia »

Lorsqu’elle entendit ce prénom la jeune femme s’arrêta immédiatement. Que faire ? Que lui voulait-il ?

« A… Aiolia tu dis ? »

« Oui tu as bien entendu ?!! Ben… qu’est-ce que tu as ?? »

« Rien… a-t-il ajouté autre chose ? »

Seiyar se garda bien de poser la question qui lui brûlait pourtant les lèvres, à savoir « tu le connais ? ».

« Il a dit qu’il attendrait sur la falaise… »

« Je dois aller voir de quoi il retourne. De ton côté continue à t’entraîner, je ne serais pas longue »

« Oui chef !! »

Seiyar eu à nouveau son sourire de gamin et s’éloigna en direction des arènes. Marine n’avait pas bougé. Bizarrement l’idée que l’homme qu’elle trouvait si beau puisse lui donner un rendez vous la troublait.

« Tu es ridicule… il veut probablement te donner des consignes pour les jeunes recrues ou bien simplement bavarder… »

Elle essaya de se rassurer et se rendit sur la falaise, peu convaincue par la pertinence de son monologue intérieur. Elle distingua une silhouette élancée, postée sur le rebord. Elle approcha.

« Tu voulais me voir chevalier ? »

La silhouette se retourna avec un sourire timide et se présenta.

« Oui… pardonne moi. Je crois que nous nous sommes vus déjà. Je suis Aiolia »

« Je te connais… du moins tu sembles avoir une certaine réputation au sanctuaire. Mon disciple est venu me voir pour m’informer de ton désir de me parler et me voici… »

« Je… je t’ai vu combattre dans l’arène. Tu te débrouilles bien, vraiment bien. Que t’as t-on dit à mon sujet ? »

Gênée, la jeune femme ne sut quoi répondre. Puis elle se décida.

« Aiolia chevalier d’or du signe du lion qui a obtenu son armure après un combat épique. Beaucoup parle de toi à travers la mémoire de ton frère, un dénommé Ayoros. Je l’ai vu lorsque je suis arrivée ici. J’étais encore bien jeune. Certaines personnes ici on salit sa mémoire, je ne sais quoi en penser. Nous autres femmes chevaliers n’avons que peu de contacts avec vous. Les gold saints sont cantonnés dans leurs maisons et ont peu de liens au village. A ce que je constate tu es différent… »

Il ne dit rien mais fixa son masque avec intensité, comme s’il cherchait à lire au travers. Marine ne bougea pas.

« Seiyar est un jeune garçon prometteur, il a bénéficié de précieux conseils. Je pense qu’il a ses chances face à Cassios »

« Est-ce pour me parler de Seiyar que tu m’as fais venir ici ? »

« Oui et non… »

Le jeune homme s’approcha d’elle en souriant franchement cette fois.

« Ne te rappelles-tu pas ? »

« Je ne comprends pas »

« Les circonstances de ta venue ici… as-tu volontairement oublié ? »

Marine senti la panique s’emparer d’elle, si calme et pondérée en temps normal. Des images lui revinrent en mémoire. Ce jour là… elle… son petit frère dans ses bras… l’arrivée d’un homme en armure noire qui désirait les tuer. L’intervention du futur lion, la disparition de son frère dans les abîmes du temps, la perte de connaissance, son réveil au sanctuaire… une nouvelle vie… une vie de souffrance, son choix : tout oublier. Ce sourire… Serait-il possible que ce fût lui ?

« Je… je ne souhaite pas en parler »

« Pourtant je sais que tu es toujours à sa recherche et je ne me pardonnerais jamais ce qui est arrivé. Je suis venu te demander le droit de veiller sur Seiyar, afin de racheter ma faute »

« Tu es seulement responsable de mon arrivée ici, pour le reste… tu n’y peux rien »

« Si je ne m’étais pas occupé de toi tu serais morte toi aussi… mais ton frère… »

Le mot « frère » rouvrit une plaie béante dans la poitrine de la jeune femme. Tous les souvenirs occultés refirent surface dans l’instant… Aiolia s’était trouvé là, leurs destins s’étaient croisés… il avait voulu sauver le frère et la sœur il y a treize ans, mais il n’avait pu sauver qu’une vie. Il s’en voulait, il la surveillait pour la protéger, comme il l’avait toujours fait. Mais Marine désirait oublier, sa présence l’embarrassait.

« Je te suis redevable de m’avoir sauvée la vie. Nous étions jeunes, j’ai perdu mon frère ce jour là. Tu n’es pas responsable… en revêtant ce masque la petite fille a cessé d’exister… désormais je suis une femme chevalier. Le passé n’a plus d’importance j’ai choisit de l’oublier ».

Aiolia fronça les sourcils, perplexe et peiné à la fois.

« Laisse moi néanmoins veiller sur toi et sur Seiyar… je me sens coupable de ta peine »

« Tu ne me dois rien Aiolia !!... »

Elle fit volte face et allait partir lorsqu’il l’en empêcha, saisissant son bras de la main. Un sentiment de chaleur intense s’imposa. Gêné, il la lâcha.

« Tu as perdu un frère comme j’ai perdu le mien. Je ne laisserais personne vous discréditer parce que vous êtes japonais. Seiyar mérite de remporter le combat. Je serais là pour vous si tu as besoin. Et ne dit pas que tu ne ressens plus rien… je t’ai vu pleurer l’autre soir… »

En entendant cela, Marine recula affolée.

« Vu ?... où ? Quand ? De quoi parles-tu chevalier ? »

« Tu ne devrais pas trop t’éloigner du camp des femmes la nuit, la plage n’est pas un endroit sur. Des déserteurs rôdent de ce côté par les temps qui courts… soit vigilante la prochaine fois ! ».

Aiolia ponctua sa phrase d’un clin d’œil et disparut à la vitesse de la lumière, la laissant seule, en colère après lui et après elle-même, totalement perturbée ! Elle comprit trop tard que le chevalier d’or avait déjà vu son visage…