Pardonné
(Kyo)

 

J’ouvre les yeux. Une lumière trop vive m’aveugle et je rabaisse vite mes paupières. Je sens quelque chose de léger et doux sur ma peau, ainsi qu’un poids sur mon ventre. Le peu que j’ai pu voir, lorsque j’avais les yeux ouverts, était blanc, clair, lumineux.
Où suis-je ? Qui suis-je ? Qu’est ce que je fais dans cet endroit trop éblouissant pour moi ? Pour mes yeux… Pour mon corps entier… Qui a été si longtemps privé de lumière…

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« Lys !! Mais qu’est ce que c’est que ça ?!! »
Il me gifle. Je tombe par terre et me recroqueville sur moi-même. Non… Je ne veux pas… Je ne veux pas que ça recommence… Pourtant, je n’ai rien fais de mal… C’est vrai que je me suis un peu trompé dans les doses, j’ai mis trop de sel dans le plat. Mais je n’ai que quatre ans et c’est la première fois que je cuisine ces aliments…
« Papa… Je ne l’ai pas fais exprès, je ne savais pas… »
Il me donne un coup de pied qui me fait rouler jusqu’au mur. Il ne m’écoute pas… Il ne m’a jamais écouté… Ni lui, ni Maman, ni ma Tante, ni ma Grand-mère…

Je suis l'enfant d'un peuple sourd

Papa prend le fouet qu’il garde toujours sur lui. Il me fouette avec. Je crie, je pleure, je me débats. Mais rien n’y fait. Une douleur atroce s’empare de tout mon corps. Mes jambes, mes bras, mon dos affreux où les traces des coups s’incrusteront, comme les autres… Ma chemise ne tarde pas à se déchirer et les claquements se font plus intenses sur ma peau. Je hurle plus fort. Je voudrais appeler ma mère, mais elle ne fera rien pour m’aider, elle se fiche de moi et de ce que je peux devenir. Ma tante et mon oncle ? Ils sont loin et même s’ils étaient là, ils ne feraient rien n’ont plus pour m’aider. Ma grand-mère ? Elle me regarderait avec tristesse sans rien faire, sa fausse pitié me faisant encore plus mal au cœur…

Qu'on vienne à mon secours

Il s’arrête. Il sort rapidement de la salle à manger, me laissant là, allongée, dans une petite mare de sang. Je ne bouge plus, fatiguée, blessée. Je ferme les yeux pour calmer mon cœur qui bat à m’empêcher de respirer, me déchirant la poitrine. J’entends des petits bruits de pas sur le carrelage. Mes paupières se soulèvent doucement et une petite fille aux cheveux verts d’à peine un an me regarde, retenant avec peine ses larmes. Elle se baisse. Elle me caresse doucement les cheveux, mais je me dégage. Ce n’est une petite fille, mais je me méfie quand même d’elle. C’est de nature. Je ne connais que peu de personne et un seul monde qui est ma maison sous terre, sous une grande tour que je n’ai jamais vue. Je ne pourrais sortir d’ici que lorsque j’aurai cinq ans.
Je me redresse. L’enfant s’approche à nouveau de moi et je m’écarte. Elle ne peut pas me faire de mal, mais c’est comme ça. Je suis seule et tiens à le rester, pour que jamais je ne souffre d’une autre douleur qui est celle du cœur.
« Laisse-moi, Jade… »

J’ai construit ma vie et des barrières autour
Sans jamais voir le jour

Maman est enceinte. Voilà plusieurs années qu’elle attend un bébé et qu’il meurt lorsqu’elle accouche. Mais maintenant, c’est finit. J’ai supplié mon père pour qu’il m’accepte comme assistant à la place de ma mère pour qu’elle puisse se reposer et que le bébé puisse survivre. Un petit frère ou une petite sœur… Ainsi je ne serai plus seule et j’aurai quelqu’un à m’occuper. C’est peut-être égoïste, mais comment ne pas l’être, dans la situation où je vie ? J’ai déjà sept ans… Sept ans… J’ai réussi à supporter les coups de mon père durant tout ce temps sans être morte ? Il faut croire que oui.
« Apporte-moi un verre d’eau.
- Tout de suite, Mère. »
Si elle peut rester tranquille avec ça, autant que je le lui apporte. De toute façon, je ne suis bonne qu’à ça…

J’ai prié mes dieux enfermé seul dans ma tour

« Tu es sûr que tu veux sortir ?
- Oui ! Je veux voir le soleil !
- Ne viens pas pleurer si tu as mal aux yeux après ! »
Il me regarde, le visage rayonnant. Mû est né il y a maintenant un an. Le vingt-sept mars, j’assistais mon père dans une de ses opérations, qui consistait à désempoisonner mon oncle de je ne sais quel poison. Mais, quelques minutes après, ma mère a eu ses contractions. Mon géniteur m’a laissé faire le travail pendant qu’il s’occupait de ma mère. Il fallait enlever peu à peu le sang de son corps, retirer le poison du prélèvement et remettre le bon liquide dans le corps, tout ça en veillant à ce qu’il ne meure pas. Je n’ai jamais pratiqué ce genre d’opération de ma vie et, quand j’en ai eu finit, j’ai foncé dans ma chambre pour m’effondrer dans mon lit. Je suis resté malade toute la journée et je n’ai pu me lever que le lendemain matin. Je suis allée directement dans la chambre de mes parents. Ma mère n’y étais plus, et une boule de drap était posée sur la table juste à côté du lit, apparemment à la va-vite. Je m’en suis approchée et j’ai entrouvert les linges où j’ai découvert un bébé maigre, sale et les joues creusées sans doute par les larmes et la faim. Je l’ai pris doucement dans mes bras et l’ai nourrit. Puis, je lui est donné ce nom : Mû. Un dérivé de Mü.
Il me prend la main pour aller plus vite. Toutes les barrières que j’avais créées autour de moi disparaissent quand je suis avec lui. Il est mon soleil, ma raison de vivre. Avant sa naissance, je n’avais jamais souri. Il remplit ma vie froide et difficile de bonheur et de joie. C’est un trésor tombé du ciel que mes parents ne voient pas. Dés qu’il fait une bêtise, mon père veut le battre. Mais je m’interpose et reçoit le double de ce qui lui était destiné. Je ne veux pas, en aucun cas, que sa peau claire et douce soit souillée de ces coups, que sa voix d’enfant pousse des cris de douleur, et que ses yeux curieux se remplissent de larmes. Moi, je suis habituée, je n’ai plus peur de me faire battre. D’ailleurs, je ne fais que crier, alors qu’avant j’hurlais ma souffrance.
Nous nous arrêtons. Nous voilà en dessous de la trappe qui nous permet de sortir. Avec force, je la pousse vers le haut, puis sur le côté. Je prends mon frère sur mon dos et sort de la galerie. Mû descend de mon dos et je l’assoie sur une des fenêtres, moi juste derrière lui. Il regarde dehors, émerveillé.
« C’est comme ça dehors ?
- Non. Ici, ce n’est que Jamir. Le monde est immense.
- J’aimerais bien le voir…
- Tu le verras un jour.
- Quand ?!
- Je ne sais pas… Mais il faut déjà que tu grandisses, car sur terre, tu n’existes pas, pour personne
- Pourquoi ?
- Parce que les mûens vivent à l’écart du monde des hommes normaux. Personne ne sait que nous existons. Mais un jour, tout ça va changer, ne t’inquiète pas. »
Il se repose contre moi et je l’enlace. J’aimerais tant lui offrir plus… Mais que ferait une gamine de huit ans de leur monde ?…

Comme toi j'ai voulu un visage
Et voir du paysage

Moi aussi je voudrais partir, loin d’ici, de mes parents, des coups, avec toi pour seul bagage. J’aimerais crier au monde que nous sommes là, tout les deux. Que tu souffres de ta solitude et moi de mon impossibilité à la combler. Je voudrais partir, m’en aller…

Prendre le large, écoutez mon message

« Regardes-les encore… N’est-ce pas merveilleux ? Leur sang « pourri »… Leur visage « immonde »… Te voilà débarrassé d’eux, à tout jamais… Maintenant, tu as ton frère pour toi toute seule… Tu es contente ?… »
NON !!
Non… Je ne suis pas contente… Je voulais partir… Avec Mû… J’ai souvent souhaité leur mort… Mais je n’en suis pas contente !! Nous sommes seuls, maintenant ! Cesse de me torturer, Perséphone ! Je n’en peux plus !…
« Pourtant c’est ce que tu as voulu… Je n’ai fait qu’exaucer ton souhait… »
Mais je ne voulais pas ! Regardes Mû ! Regardes le ! Même s’il ne les connaissait pas bien, il est quand même triste ! Et moi qui ne peux rien faire contre ça… Laisse-moi ! Je t’en prie ! Je suis incapable de le prendre dans mes bras, maintenant…
« Lys… Tu m’appartiens… Je ferais ce que je veux de toi… Aussi bien te laisser vivre… Comme t’enfermer en toi-même… »
Des images atroces défilent devant mes yeux… Mes parents… qui se font pendre… décapiter… lacérer…
« Lys… »
Sa voix…
« Tu veux bien jouer avec moi ?… »
La scène repasse devant mes yeux…
« Non, Mû. Pas maintenant…
- Mais Lys ! Je me sens seul ! Depuis que Papa et Maman ne sont plus, là tu ne t’occupes plus de moi ! La maison commence à se remplir de poussière… »
Les images défilent de plus en plus rapidement. Je n’arrive même plus à entendre ses paroles. Mais sa voix change… Elle se remplit de sanglots…
« Mais tu vas te taire !! Je n’ai pas le temps de jouer avec toi !! J’ai beaucoup de choses à faire, alors arrête de pleurer comme un bébé et d’être toujours dans mes pattes !!! »
Une colère folle s’empare de moi et je ferme mon poing d’un coup. La tour derrière explose dans un grand bruit.
Mais… Qu’ai-je fais ?…
« Tu viens de crier sur ton frère et de faire exploser la tour… »
Des larmes coulent le long de mes joues. J’ai du mal à respirer. Je tombe à genoux et enfuit mon visage dans mes mains. Je n’en peux plus… Malgré mes yeux clos, la scène repasse encore dans ma tête… J’ai mal… si mal…
Je sens soudain deux bras frêles m’entourer. Mû… Je glisse les miens autour de sa taille et murmure un « pardon » à peine audible. Mais je n’en fais pas plus. Je ne peux pas…

Les barreaux d'une cage

Je sens une main caresser mes cheveux. Longuement, calmement… Une main plus large que celles de mon frère, plus réconfortante… Je relève la tête. Malgré les atrocités que je vois, le visage calme de Sion apparaît devant mes yeux. Je lui saute au cou et sanglote de plus belle. Il me serre contre lui et me caresse le dos. Je pleure, pleure sans pouvoir m’arrêter. C’est comme si le temps s’arrêtait, que mes larmes emportaient ma douleur… Peu à peu, la pression qui empêchait mon esprit d’aligner un mot devant l’autre commença à s’apaiser. Les images cessèrent de défiler, la voix s’arrêta, mon cœur se remit à battre normalement…

Peuvent céder sous le poids des larmes

Je pardonne mes parents. Ils ne m’ont jamais porté tellement d’attention, une quelconque preuve d’amour. J’ai toujours rêvé d’avoir des parents qui m’aimeraient, mais finalement, ma situation n’est pas si mal. C’est grâce à eux que je vis. C’est grâce à eux que Mû est né. Malgré la rancune qui ne pourra jamais s’effacer de mon cœur et de mon esprit, je leur pardonne tout.

J'ai pardonné
Et j'ai fermé les yeux, j'ai appris à rêver

Je leur pardonne tout ça… Mais s’ils savaient à quel point je les déteste… De m’avoir abandonné… Dans ce monde où la réalité est trop dure à supporter…

Et j'ai pardonné
Et j'ai fermé les yeux sur ma réalité

« Lys… Mais que fais-tu ?! »
Ça ne se voit pas ?
« Je t’interdis de faire ça ! »
Je suis désolée, Perséphone, mais c’est moi ta réincarnation. Fais de moi ce que tu veux, tu me tuer, je le sais. Alors laisses les autres en dehors de ça, c’est une affaire entre toi et moi.
« Mais tu vas te faire tuer ! Par le meilleur ami d’Aioros… C’est ce que tu veux ? »
Je suis en trop sur cette terre. Je ne sert à rien, si ce n’est à faire du mal aux autre : je suis un poison ambulant ! À cause de ma foutue malédiction, Kanon est enfermé et Aioros et Sion sont morts ! Ça ne peut plus durer !

Je suis la cible qu'il te faut
Le satellite en trop

Shura fonce vers moi. C’est la fin. Finalement, ma vie aura été bien courte et bien peu heureuse. Mais j’ai joué mon rôle. J’ai vécut, j’ai tué mes parents, j’ai élevé mon frère, j’ai aimé mes amis. J’ai accepté et me suis plié à mon destin. Ma vie est finie désormais… Je ne regrette rien…

J'ai courbé les épaules et j'ai joué mon rôle, je suis comme tout le monde

Mais j’ai peur… Peur de ce qui va m’arriver en bas… en enfer…

Pourtant malgré moi de la peur je suis l'hôte

Moi, une descendante du peuple de Mü, qui n’ai pas le droit de me joindre Athéna, qui est emmenée mon frère avec moi, j’ai enfreint les règles… Mais qui me comprendra, m’écoutera ?

Je suis l'enfant d'un peuple sourd

Au secours… Aidez-moi…

Qu'on vienne à mon secours

« Personne ne viendra… Il est trop tard… Tu as construits tes barrières entre ta vie et l’extérieur… Personne ne te connaît, si se n’est les saints d’or… Ta vie continue… comme tu l’as construite… »

J'ai construit des barrières, la vie suit son cours

C’est vrai… Tu as raison… De toute façon, personne ne m’a jamais compris… Personne ne le pourra jamais…

Je n'attends plus le jour

Je ne crois plus en ces dieux dont j’ai souvent lu les mérites… Elles n’existent pas… ces divinités qui vous viennent aide…

J’ai renié mes dieux pour toujours

Mais je n’ai aucun regret… Non, aucun… Je ne leur en veux pas… Ils pourront me croire traître, ce n’est pas grave… Ils peuvent m’oublier… Mais moi, jamais je ne les oublierais…

J'ai pardonné
Et j'ai fermé les yeux, j'ai appris à rêver
Et j'ai pardonné
Et j'ai fermé les yeux sur ma réalité

Je ne suis pas morte… Non… Me voilà dans le sanctuaire de Poséidon…

Marcher ensemble, sauter ensemble, c'est parfait,
Tomber ensemble, mourir ensemble c'est parfait,

Et maintenant à Asgard…

Marcher ensemble, sauter ensemble,
Tomber ensemble, mourir ensemble,

L’île d’Artémis…

Partir en cendre, ne rien entendre,
Finir en sang, ne plus attendre,

Le sanctuaire d’Abel…


Marcher ensemble, sauter ensemble,
Tomber ensemble, mourir ensemble,

Enfin… Le pire de tous… Les Enfers de Lucifer…

Partir en cendre, ne rien entendre,
Finir en sang, ne plus attendre,
Ne plus attendre…

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Je suis… Lys, la réincarnation de Perséphone… à ma vie ?…

Pardonné…
Et j'ai fermé les yeux, j'ai appris à rêver
Et j'ai pardonné
Et j'ai fermé les yeux sur ma réalité

Quelle est cette chanson que j’entends ? Cette musique si douce, mais aux paroles si dure, qui me font autant penser
J’ouvre les yeux, malgré la lumière trop vive. Un homme est à demi allongé sur moi. Il devait être fatigué… Je souris en reconnaissant le visage de Milo. Il a beaucoup changé… Mais je le reconnaîtrais entre mille… Je tourne doucement la tête. Une radio est posée sur ma table de chevet…

Et j'ai pardonné
Et j'ai fermé les yeux, j'ai appris à rêver
Et j'ai pardonné
Et j'ai fermé les yeux sur ma réalité

Ces paroles ont raison… Oui… Moi, Lys, j’ai pardonné le mal que l’on m’a fait à tout le monde…

Sauf une… Celui qui m’a torturé pendant dix ans… Toi… Lucifer…