Reviens vers la lumière
Les Enfers sombraient dans le néant.
Cà et là, on voyait des ruptures se former dans le paysage, grignotant
petit à petit la réalité d’Elision. Le ciel s’obscurcit
mais ni Saori, ni ses fidèles Chevaliers ne s’en rendaient compte.
La Terre était sauvée, mais eux avaient perdu un morceau de leur
âme. Ils avaient perdu Seiya. Seiya dont le sang ternissait l’éclat
si éblouissant de l’armure d’Athéna, couvrait ses
mains et se mêlait à ses larmes. Shun sanglotait dans les bras
de son frère qui pleurait en silence, à l’instar de Shiryu
et Hyoga, appuyés l’un contre l’autre.
Un grondement terrifiant se fit entendre, tandis que tout un pan de paysage
s’effondrait dans le vide. Saori ne releva même pas la tête,
trop immergée dans sa douleur, mais les Chevaliers de Bronze réagirent.
La tâche n’était pas terminée : leur déesse
était encore en danger. Ils devaient la ramener sur Terre saine et sauve,
coûte que coûte. Ikki fut le premier à sécher ses
larmes. Repoussant doucement son frère, il s’approcha de la jeune
fille.
– Saori, il faut partir.
Elle ne semblait pas l’entendre. Ikki tendit une main et la posa sur l’épaule
de sa déesse. Celle-ci sursauta, leva des yeux hagards. Le Chevalier
Phénix répéta sa phrase. Elle baissa les paupières
quelques secondes, puis entreprit de se lever. Une fois debout, elle se retourna
résolument, le regard incroyablement dur, et lança :
– Allons-y.
Elle fit un pas, puis deux. Au troisième, son armure se mit à
vibrer. Au quatrième, la vibration se fit tremblement. Au cinquième,
la protection se détacha de son corps et reprit sa forme originelle,
petite statue de métal au creux de sa main.
Saori fit volte-face et regarda le corps sans vie de Seiya. Elle n’avait
pas le droit. Pas le droit d’y retourner, et pourtant ses jambes, faisant
fi de sa volonté, la portèrent jusqu’à lui. Elle
tomba à genoux. Les Chevaliers de Bronze revinrent vers elle, et tout
ce qu’ils entendirent, entre deux sanglots, était :
– Je ne peux pas… Pardonnez-moi… Je ne peux pas…
Elle se tourna vers eux et ils virent le désespoir dans ses yeux, ses
larmes qui s’étaient remises à couler.
– Partez ! Allez vous-en, sauvez-vous ! Sortez de ce monde tant
qu’il en est encore temps ! (Voyant qu’ils ne bougeaient pas,
elle hurla :) Je vous ordonne de partir !
Sa voix se brisa.
– Je n’en peux plus… Laissez-moi…
Les Chevaliers se regardèrent. Il fallait sortir Athéna des Enfers.
Contraîrement à Seiya, elle était encore vivante, et leur
devoir était de protéger cette vie au péril de la leur.
Shiryu s’avança vers elle. Mais quand il voulut la relever, une
petite lueur violette dansa autour de sa main, alla visiter ses quatre compagnons
et revint se poser un instant sur l’épaule de Saori, palpitante.
Puis elle s’éloigna un peu, s’immobilisa dans les airs. Se
fit alors sentir une puissante montée de cosmos, tandis que la lueur
grandissait, prenant peu à peu forme humaine. Quand son éclat
s’estompa, ils découvrirent une jeune fille portant une robe aussi
noire que celle d’Athéna était blanche jadis – avant
que le sang et la poussière ne viennent la souiller. Elle était
parée d’argent et de grenats ; sa chevelure était sombre
comme le jais, à l’exception des pointes qui, elles, étaient
d’un rouge profond, tout comme les deux mèches qui encadraient
son visage parfait. Les longs cils d’ébène bordant ses paupières
closes se soulevèrent soudain et sa bouche vermeille s’ouvrit pour
lui permettre d’inspirer une longue goulée d’air – la
première depuis bien longtemps.
Les Chevaliers avaient instinctivement adopté une posture défensive
– ils étaient habitués à affronter des créatures
à la beauté mortelle – mais aucun d’entre eux ne se
faisait d’illusions : épuisés comme ils l’étaient,
un enfant aurait pu les mettre à terre. Alors affronter une déesse…
car il était évident que l’être qui s’était
matérialisé devant eux était de sang divin – seuls
les dieux pouvaient se rendre à Elision, disait la légende. Cependant,
au lieu de les attaquer, la jeune fille leva une main apaisante et déclara :
– Je suis là pour vous aider.
Ikki ne put retenir un grognement ironique, reflet des pensées de ses
frères. Les aider ? Cela leur paraissait hautement improbable. Toutes
les divinités qu’ils avaient rencontrées jusqu’ici
étaient des ennemis, pourquoi cela changerait-il ?
Ces pensées s’évaporèrent sous le regard de la déesse.
De prime abord, ses yeux avaient l’air noirs mais, en les observant avec
plus d’attention, les Chevaliers réalisèrent que ces prunelles
étaient de la couleur de l’or le plus sombre. Le plus surprenant
était le fait qu’elle ne semblât même pas en colère
devant leur scepticisme. Mais elle les comprenait. Eux, les Chevaliers de l’Espoir,
étaient au bord du gouffre. C’était à elle de leur
tendre la main, de raviver cette lueur qui brillait jadis si fort en eux et
qui menaçait désormais de disparaître. C’était
d’ailleurs pour cela qu’elle était restée à
Elision, alors qu’elle aurait pu sortir directement du monde des Ténèbres.
Elle leur devait bien ça.
Un tremblement de terre les fit tous vaciller, lui rappelant qu’elle avait
beaucoup de choses à faire et pas beaucoup de temps. Elle invoqua son
cosmos. Une vague violette entoura les quatre Chevaliers rescapés et
Athéna, guérissant leurs blessures. Puis elle s’approcha
de Seiya, dont le corps inerte gisait toujours à terre. Elle lança
une sphère de cosmos à la recherche de son âme, et son aura
violette augmenta en intensité. Heureusement, l’âme de Pégase
n’était pas bien loin, comme s’il répugnait à
s’en aller pour de bon.
Tant mieux.
Encore sous le coup de leur guérison, Saori et ses Chevaliers virent
le cosmos de la jeune fille envelopper Seiya, palpitant lentement ; le
corps s’élevait dans les airs en même temps que les bras
de la déesse. Elle avait fermé les yeux et des gouttes de sueur
perlaient sur ses tempes. Tout-à-coup, ils comprirent. Les pulsations
du cosmos agissaient comme un massage cardiaque. Cette déesse venue de
nulle part était en train de ressusciter Pégase !
Le cœur battant, les Chevaliers et Saori ne quittaient pas la scène
des yeux, à l’affût du moindre mouvement qui pourrait trahir
une reprise de conscience.
Un frémissement de paupière les fit tous sursauter. Les cils se
soulevèrent, retombèrent, frémirent à nouveau. Puis
l’œil s’ouvrit pour de bon.
La déesse en noir baissa lentement les bras et redéposa doucement
le corps de Pégase à terre, son cosmos l’entourant toujours
pour refermer ses plaies. A peine avait-il touché le sol qu’il
se releva d’un bond, sur ses gardes, mais encore aveuglé par l’aura
violette qui brillait autour de lui.
Un cri déchira l’atmosphère et Saori se jeta dans les bras
de son Chevalier, manquant de le renverser. Des larmes de joie inondaient son
joli visage. Seiya lui rendit son étreinte, se demandant où était
passé Hadès. Ses yeux errèrent sur le paysage en ruine,
puis se posèrent sur ses frères, et il en ravala son air de surprise.
Où étaient donc passées leurs blessures ? Mais…
et lui ? N’aurait-il pas dû être… mort ? Les
souvenirs ressurgirent dans sa mémoire. Hadès pointant son épée
sur Athéna. La force immense qui l’avait alors envahi, lui permettant
de briser la bulle de vie qui l’emprisonnait. Il avait frappé le
dieu de plein fouet, mais cette douleur cuisante dans sa poitrine… cette
sensation d’engourdissement… la voix d’Athéna, de Saori,
qui le suppliait de rester en vie, de penser à sa sœur qui l’attendait
sur terre, cette voix devenait de plus en plus lointaine… et sa vie lui
échappait comme du sable filant entre ses doigts, alors qu’il savait
très bien qu’Hadès n’était pas mort, qu’il
allait se relever. Le cœur transpercé par la lame divine, Seiya
ne pouvait plus rien faire, son cosmos faiblissait de seconde en seconde. Il
mourait.
Plongé dans ses souvenirs, il remarqua soudain une jeune fille qui le
regardait, le sourire aux lèvres, entourée d’une aura violette.
C’était donc elle qui… c’était une autre déesse.
Cette certitude s’imposa à lui, pas tant à cause de sa résurrection
– qui était déjà une preuve en soi – que de
cet incroyable charisme qui émanait d’elle.
Elle se détourna de cette scène touchante, et son sourire s’évanouit
pour faire place à une intense concentration. Ressusciter Seiya n’avait
pas été facile, mais une tâche autrement plus ardue l’attendait :
recréer des corps à partir de rien. Elle invoqua son cosmos, le
fit exploser. Treize sphères violettes fusèrent, se ruant à
travers les dimensions à la recherche des âmes des Chevaliers d’Or,
éparpillées par l’explosion du Mur des Lamentations –
et, bien sûr, le sacrifice de Kanon.
Les yeux fermés, la déesse guidait simultanément chaque
sphère. Sous ses pieds, le sol tremblait maintenant en continu. Il fallait
faire vite. Soudain, une boule de cosmos descendit du ciel sombre déchiré
d’éclairs. En son centre brillait une petite étincelle dorée,
semblable à un soleil miniature : une âme. Elle fut bientôt
rejointe par une autre, puis une autre et encore une. Quelques instants plus
tard, toutes les sphères étaient revenues et formaient un cercle
autour de la jeune fille. Elle intensifia sa cosmo-énergie. Celle-ci
se propagea et vint baigner les treize sphères étoilées.
Son corps était tendu comme un arc, ses yeux clos, ses longues mèches
se soulevant, électrifiées par l’intensité de son
cosmos divin. Elle fronça les sourcils. C’était trop peu.
Elle était en train de s’épuiser en vain et, si cela continuait,
elle perdrait les âmes. Définitivement. Les Chevaliers et Athéna
resteraient enfermés ici, prisonniers de ce monde en destruction, jusqu’à
ce que le néant les engloutisse. Elle ne pouvait le permettre. Serrant
les dents, elle augmenta encore son cosmos, mais il lui aurait fallu un miracle.
Sa respiration devenait laborieuse, le sang battait à ses tempes et elle
avait l’impression que son crâne allait éclater, mais il
fallait tenir bon. Pour eux. Si seulement quelqu’un pouvait l’aider…
Elle était consciente que le groupe des Chevaliers Divins l’observait
avec curiosité, mais ils ne pouvaient rien faire, pas plus que Saori
dont le cosmos était totalement épuisé par la bataille.
Soudain, quelque chose vint perturber sa concentration. Elle sentit une main
fraîche saisir la sienne, qui tremblait sous l’effort, et la stabiliser.
Athéna était entrée dans sa cosmo-énergie. Il ne
lui restait plus beaucoup de forces mais elle tenait à lui offrir cette
once de cosmos doré qui se mêla au sien. La déesse aux cheveux
noirs et sang joignit ses mains fines à celles d’Athéna
et, ensemble, elle créèrent un miracle. Leurs cosmos se renforçaient,
s’épaulaient. Unis, ils devinrent un éclair blanc, aveuglant,
qui recouvrit les treize âmes pendant une fraction de seconde avant de
se volatiliser. A la place des sphères de cosmos gisaient à présent
treize corps plongés dans l’inconscience.
La déesse inconnue chancela, s’appuya sur Athéna. Elle planta
son regard d’or sombre dans les prunelles de la jeune fille pour lui signifier
que le plus dur les attendait encore. Il fallait maintenant sortir d’Elision,
traverser les dimensions et revenir sur Terre, en ramenant avec elles les dix-huit
chevaliers… Saori refusa de penser aux difficultés, se força
à croire que c’était possible. Ensemble, elles avaient bien
réussi à ressusciter les Chevaliers d’Or, pourquoi devraient-elles
échouer ici ? La réponse était évidente mais
elle la chassa de son esprit, et inclina légèrement la tête
pour indiquer à celle qui lui faisait face qu’elle état
prête.
Les deux déesses enflammèrent leurs cosmos et les mêlèrent,
chacun s’accordant lentement à celui de l’autre pour ne plus
produire qu’une même vibration. L’harmonie y était,
mais il manquait la force. Comprenant cela, et voyant que leur déesse
était en train de s’épuiser dangereusement, les Chevaliers
Divins échangèrent un regard et entrèrent dans le cercle
à leur tour. Une faible aura dorée brillait autour de chacun d’eux,
dernier reliquat de leur cosmos.
Saori sursauta. Intensément concentrée, elle n’avait pas
senti Seiya s’avancer derrière elle. Ses mains chaudes –
vivantes ! – se posèrent sur sa taille gracile ; ses
frères formaient un arc de cercle autour d’Athéna, chacun
touchant l’épaule ou le bras de leur déesse. Hyoga et Ikki
serraient entre leurs doigts les épaules de Shun et Shiryu, eux-même
en contact avec Seiya. Ainsi placés, ils formaient une toile qui concentrait
leur cosmos. La déesse sentit la faible contribution de ses Chevaliers
couler en elle et cela lui redonna courage. Ils allaient s’en sortir.
Tous.
La déesse en robe noire ferma les yeux. Il manquait encore de la puissance.
Les Chevaliers de Bronze faisaient ce qu’ils pouvaient, mais elle avait
beau leur avoir redonné de la force physique, le cosmos mettait plus
de temps à revenir. Ses mâchoires se crispèrent. Non. Elle
avait attendu trop longtemps, pas question de se retrouver à nouveau
enfermée pour elle ne savait combien de temps. Une pensée la traversa.
Plutôt mourir. Elle la chassa immédiatement. Elle avait survécu
jusqu’ici, et ne comptait pas abandonner tant qu’il y aurait une
lueur d’espoir. Ses yeux tombèrent sur les Chevaliers d’Or.
Si seulement elle pouvait les réveiller…
Chevalier !
Une voix. A travers la brume qui enveloppait tous ses sens, il distingua une
voix claire, douce, mais qui transportait un appel impératif, désespéré.
Chevalier !
C’était étrange. Il aurait pourtant juré qu’il
était mort, il avait senti son corps se désintégrer au
moment de l’explosion, son âme avait été soufflée,
emportée à travers ces dimensions qu’il connaissait si bien…
et voilà qu’il se remettait à entendre. Et à penser.
Chevalier !
Il n’avait pas envie de revenir. Il ne voulait pas quitter le néant
si accueillant.
Chevalier !
L’appel était de plus en plus pressant. Presque malgré lui,
il tenta de comprendre le contenu du message.
Athéna a besoin de toi !
Ce fut le déclic. Ce qui remit en marche toute la machinerie organique.
La voix ne s’adressait d’ailleurs pas seulement à lui, elle
tentait de tous les ramener.
Réveillez-vous, Chevaliers ! Pour l’amour d’Athéna,
debout ! Votre déesse est en danger !
Tout autour de lui, il les sentait s’éveiller. Ses compagnons,
ses frères. Mais il était le premier. Il parvint à remuer
un doigt, à ouvrir un œil. Il se trouvait toujours dans le monde
des ténèbres, et sentait aux tremblements de terre qui le secouaient
que quelque chose n’allait pas. Plus aucune trace du cosmos oppressant
d’Hadès. L’avaient-ils vaincu ?
Il releva lentement la tête, et soupira de soulagement en apercevant Saori
– dépourvu de cosmos, il ne pouvait plus la sentir – entourée
de ses Chevaliers de… Bronze ? Non cette dénomination ne pouvait
plus s’appliquer à eux. Observant leurs armures, et tout en s’étonnant
que son cerveau fonctionne encore, il conclut qu’ils étaient devenus
ce qu’on appelait des Chevaliers Divins, aussi puissants que les dieux
eux-mêmes. Il remarqua ensuite l’autre déesse.
Celle qui l’avait appelé.
Il tenta de se relever mais son corps refusait de lui obéir. Par un miracle
de volonté, il arriva à se mettre à genoux. Le sol instable,
secoué de tremblements, ne lui facilitait pas la tâche. Encore
un effort. Il ferma les yeux pour rassembler ses forces.
Debout !
De nouveau cet appel pressant, qui le poussa à se lever. Il chancela,
se rétablit, ancra fermement ses pieds dans le sol et attendit que sa
tête arrête de tourner. Ouvrant les yeux à nouveau, il vit
la lueur des cosmos du groupe et comprit que, quoi qu’ils aient l’intention
de faire, ils n’étaient pas assez forts. Il chercha instinctivement
à enflammer son cosmos et, avant de se rappeler qu’il l’avait
totalement consumé pour produire de la lumière solaire, il se
rendit compte qu’il lui en restait un peu. C’était l’occasion
de l’utiliser.
Des taches aussi sombres que sa chevelure dansaient devant les yeux de la déesse,
son cosmos commençait à flancher. De grosses gouttes de sueur
roulaient sur son visage, collant ses mèches rouges sur ses joues, et
des frissons couraient en continu le long de son épine dorsale. Elle
avait épuisé ses dernières forces pour lancer cet appel
à l’aide, et elle ne savait même pas s’il avait été
entendu. A bout de volonté, elle était en train de sombrer lentement
dans l’inconscience.
Soudain, quelque chose la rappela à la surface. Une main s’était
posée sur son épaule et elle sentait un cosmos étonnamment
fort l’envahir, s’unir au sien puis à celui des autres.
Athéna souriait à quelqu’un derrière elle, sur sa
gauche. La jeune fille jeta un regard dans cette direction. La première
chose qu’elle vit fut une longue chevelure bleue soulevée par la
tempête. Puis elle croisa son regard durant une fraction de seconde. Déjà
d’autres Chevaliers se relevaient, venaient soutenir leur déesse
et leurs compagnons. La jeune fille ferma les yeux, sentant que leur puissance
était enfin assez grande pour leur permettre de s’échapper.
Elle étreignit plus fort les mains d’Athéna et ils partirent.
Cette nuit-là, les étoiles semblaient plus proches, plus scintillantes qu’à l’ordinaire. En particulier, dix-sept constellations se détachaient nettement sur le velours du ciel tout autour de la Terre. Cependant, peu de gens pensèrent à lever les yeux pour les admirer, alors qu’une étrange étoile filante traversait les ténèbres en direction du Sanctuaire.
Tout était paisible sur le domaine d’Athéna. Les patrouilles
de nuit étaient rares, la dernière guerre sainte ayant été
gagnée – le soleil en témoignait tous les jours –
et de toute façon, il ne restait plus grand monde au Sanctuaire pour
monter la garde. On attendait toujours le retour des vaillants Chevaliers et
de leur déesse – personne ne voulait se résoudre à
l’idée qu’ils étaient morts, d’autant plus que
l’on pouvait parfois sentir leurs cosmos s’enflammer, de si loin
semblait-il.
Mais cette nuit-là, la nature paraissait attendre quelque chose. Il n’y
avait pas un souffle de vent et même les cigales s’étaient
tues. Aucun nuage ne voilait le ciel nocturne et les étoiles brillaient
telles de minuscules diamants dans leur écrin sombre.
Tout-à-coup, un éclair rouge s’abattit sur Star Hill. S’il
y avait eu quelqu’un pour le voir, cette personne se serait certainement
demandée d’où sortait cet éclair, puisqu’il
n’y avait pas de nuage. Elle aurait aussi remarqué, si elle avait
été assez près, qu’il y avait maintenant quelque
chose sur le Mont Etoilé. Et cette personne aurait sursauté en
voyant une forme bouger.
La déesse brune s’éveilla en premier. Elle se releva précautionneusement.
Son corps était couvert de blessures et elle devait avoir plusieurs os
brisés, mais cela irait. Elle regarda autour d’elle et compta soigneusement
les corps l’entourant : dix-huit. Parfait. Aucun ne manquait à
l’appel. Tous étaient plus ou moins dans le même état
qu’elle, mais elle ne put réprimer un sourire en remarquant que
Seiya avait entouré Saori de ses bras – ou était-ce elle
qui avait recherché sa protection ? Puis elle fronça les
sourcils, contrariée, en voyant que même les armures divines et
la Kamui d’Athéna n’avaient pas résisté au
voyage. Ils avaient erré pendant ce qui leur avait paru des siècles,
mais elle savait que c’était un effet produit par le passage des
dimensions. Par chance, ils avaient réussi à rester tous ensemble,
et l’expérience des Chevaliers des Gémeaux leur avait été
infiniment précieuse…
Elle marqua un temps d’arrêt.
Les Chevaliers des Gémeaux ?
Elle recompta les corps : une déesse, cinq Chevaliers Divins et…
douze Chevaliers d’Or. Une sueur froide se fraya un chemin le long de
sa colonne vertébrale. Grands dieux ! Elle en avait perdu un !
Elle traversa le groupe en direction du Chevalier à la longue chevelure
bleue qui reposait face contre terre. S’agenouillant près de lui,
elle le retourna malgré les protestations de son corps endolori et reconnut
Kanon. Elle se releva avec difficulté et étendit son cosmos faiblissant
à la recherche des êtres vivants aux alentours, espérant
sans grande conviction que Saga serait tombé un peu plus loin. Comme
elle s’y attendait, elle ne trouva que quelques cigales, un chat sauvage
et deux couleuvres en chasse autour du Sanctuaire. Elle ferma les yeux. Le dernier
passage avait été extrêmement difficile. Les jumeaux, aidés
par Mu, avaient ouvert une brèche vers la Terre. Kanon était passé
en premier et son frère avait poussé tout le monde à travers
la fissure dimensionnelle… avant de rester lui-même prisonnier,
certainement à bout de forces.
Une larme roula sur la joue de la déesse. Le sel brûla sa chair
mise à vif par une écorchure. Elle se reprit, secoua la tête,
et ses longs cheveux noirs aux pointes de feu dansèrent dans son dos.
Malgré l’épuisement qui la gagnait, elle pouvait toujours
partir à sa recherche. Elle leva les yeux, vit la constellation des Gémeaux
qui brillaient au-dessus de l’horizon. Cela lui redonna courage. Elle
baissa les paupières et laissa son esprit s’échapper, errer
à travers les dimensions proches.
Elle sentit soudain une anomalie dans le tissu dimensionnel et comprit qu’elle
l’avait retrouvé. Mais comment le ramener ? Il était
aux portes de la mort. Elle s’approcha, son esprit le toucha doucement.
Il sembla sortir un instant de sa torpeur pour y replonger aussitôt. Elle
ne se découragea pas. Elle n’avait pas le droit de le laisser là.
Elle tenta de le contacter télépathiquement.
Chevalier !
Aucune réponse. Elle réessaya, en vain. Son énergie faiblissait
de minute en minute, il fallait faire vite. Elle décida alors de changer
de tactique.
Saga !
Un léger frémissement l’encouragea à continuer dans
cette voie.
Viens, Saga ! Reviens vers la lumière, vers moi !
La réponse lui parvint de très loin :
Vers la souffrance.
Elle répliqua :
Vers l’amour.
Il y eut une hésitation.
Qui es-tu ?
Quelqu’un qui veut que tu reviennes… que tu vives.
La déesse crut entendre un rire amer.
Ce n’est pas suffisant pour me ramener de là où je suis.
Un point pour lui. Seule sa volonté lui permettrait de revenir. Elle
devait le convaincre.
Et ton devoir de Chevalier ?
La réponse fut cinglante en apparence, mais elle traduisait une immense
lassitude :
Je ne suis plus Chevalier d’Athéna. J’ai utilisé
l’Athena Exclamation, je suis par conséquent radié de l’ordre
de la Chevalerie. Kanon fera un meilleur Chevalier des Gémeaux que moi.
Elle sauta sur l’occasion :
C’est ton jumeau. Vous êtes liés. Crois-tu qu’il
pourra supporter ta mort… ton abandon ? Encore ?
Il est fort. Il survivra. Il a toujours survécu.
Pas cette fois.
Bien joué. La jeune fille décela un trouble dans l’esprit
de Saga.
Comment le sais-tu ? Serais-tu une Parque ?
Non. Je sais simplement que nous aurons besoin de toi. Ta destinée
n’est pas de mourir maintenant. (Elle tendit une main immatérielle
vers lui.) Viens, Saga.
Au bout d’un temps qui lui parut une éternité, le Chevalier
ouvrit les yeux et observa le corps éthéré de la déesse.
– Cela fait deux fois que tu me ramènes à la vie.
Il n’attendait pas de réponse, c’était une simple
constatation. Elle rétorqua néanmoins :
– J’ai promis à Athéna de tous vous ramener, elle
ne m’aurait pas pardonné de t’avoir laissé en arrière.
Tu es encore Chevalier d’Athéna, Saga, que tu le veuilles ou non,
ajouta-t-elle avec un sourire.
Elle se retourna vers la faille qu’elle avait créée et qui
se rétrécissait dangereusement. Il n’y avait plus une seconde
à perdre. Elle augmenta son cosmos au maximum pour maintenir la brèche
ouverte pendant que tous deux s’y engouffraient.
Un nouvel éclair rouge s’abattit sur Star Hill, plus précisément
sur la silhouette qui s’y tenait immobile. Quand la lueur s’estompa,
un nouveau corps gisait parmi les Chevaliers.
La déesse ouvrit les yeux, paniquée. Elle étouffait. Quelque
chose pesait sur elle, l’empêchant de respirer. Si elle ne trouvait
pas rapidement la force de déplacer ce poids écrasant, elle périrait
asphyxiée. Elle rassembla le peu d’énergie qui lui restait
et repoussa le corps du Chevalier. Enfin libérée, elle prit une
profonde inspiration – qu’elle regretta aussitôt, ses côtes
cassées manifestant douloureusement leur présence. Regardant autour
d’elle, elle remarqua l’ironie du destin et sourit. Ils avaient
atterri au Sanctuaire. Depuis combien de temps n’était-elle pas
venue ici ? Une éternité, eut-elle envie de répondre.
C’était si bon de revenir sur Terre, enfin.
Il lui restait une dernière chose à faire. Elle invoqua le reste
de cosmos dont elle disposait et s’insinua dans les esprits des dix-huit
Chevaliers inconscients, effaçant de leur mémoire toute trace
de son intervention. Elle rechercha ensuite télépathiquement la
première personne qui se trouvait dans les parages et lui souffla l’intuition
de monter ici. Puis, pâle d’épuisement, elle s’évanouit
dans une lueur violette, une ombre de sourire dansant toujours sur ses lèvres
livides.
~ ~ ~
NOTES : Bon pas grand chose à dire sur ce premier chapitre…
Vous aurez remarqué que mon petit chouchou est Saga-sama, grâââh
je l’adore. D’autre part, j’ai lu tellement de fictions qui
dénigraient Seiya et Saori (je ne critique pas, ce ne sont pas mes personnages
préférés à moi non plus…) que j’ai eu
envie de les traiter normalement, pour une fois.
Mais qui est donc cette mystérieuse déesse ?? J’attends
vos conjectures en review… De même, si ça vous plait, ou
si ça ne vous plait pas mais que vous avez des critiques constructives
à me faire, écrivez-moi : silverjade91@hotmail.com.