Chapitre 5 : Tu n'es personne
Hadès
Je m'apprêtais à quitter le lieu de désolation qu'était devenu Elysion.
Avant de franchir le vortex je me retournai une dernière fois vers mon royaume.
Je me surpris à verser une larme, mais venait-elle de moi ou de mon frère qui
avait accepté de me servir d'hôte ? J'aurais été bien incapable de le dire,
le big will avait occulté une grande partie de la conscience de cet être généreux
mais je sentais qu'il restait quelque chose de lui que j'étais le seul à pouvoir
faire remonter à la surface, un peu comme le sang d'Athéna avait réveillé l'âme
de Shun que je pensais avoir écrasé.
Toujours est-il que je scrutais les prairies herbeuses d'Elysion qui se teintaient
de noir à mesure que le néant approchait.
Pourtant j'avais de quoi être content de moi : la plupart des elfes et des héros
avaient été sauvés, j'avais réussi à trouver un hôte pour mon âme en un temps
record et pourtant je sentais un goût amer me remonter jusqu'aux lèvres et c'est
la voix tremblante que j'articulai en mouillant de mes larmes la terre sacrée
de mon domaine " Athéna. Si tu savais. Si seulement tu pouvais savoir. COMBIEN
JE TE HAIS !!! "
Ma douleur passée j'envisageai un moment de dédier un épitaphe à mon paradis
perdu mais j'eus beau réfléchir rien ne me vint à l'esprit, enfin autant en
emporte le vent.
Tiens c'est pas mal du tout çà et ça ferait un bon titre mais malheureusement
je crois que c'est déjà pris.
D'aucuns pourraient penser que ma haine était motivée par la honte de la défaite
mais ce n'est là qu'une partie de la vérité. Quoiqu'en pense Athéna mon amour
pour la Terre égale le sien à cette différence près que j'aurais voulu une Terre
sans hommes ou du moins sans les hommes qu'on y voyait actuellement. A l'instar
de Poséidon j'avais toujours voulu qu'Utopia se réalise sur Terre. Mais pour
côtoyer les hommes chaque jour j'avais pu me faire une idée exacte de leur nature
: ils étaient tristes non pas qu'ils aient été affligés à la naissance d'une
nature mélancolique, bien au contraire ils débordaient d'une énergie que la
seule Terre ne pouvait satisfaire, ils allaient toujours plus loin pour chercher
à s'étourdir et oublier que Thanatos se trouvait toujours au bout du chemin
et alors ils sentaient la tristesse car ils sentaient qu'ils étaient passé à
côté de quelque chose. Les humains sont ainsi faits : ils ne savent pas se contenter
de ce que Dieu leur a donnés, par suite leurs actes ne sont qu'outrance. A bien
y réfléchir c'est pour cela que j'avais crée Elysion : pour repeupler la Terre
d'êtres élus qui ayant fait l'expérience de l'éternité sauraient se contenter
de ce que la Terre pourrait leur offrir… Et maintenant, sous mes yeux mon rêve
s'effondrait et cela par la faute d'une déesse qui ne sait que se cacher derrière
ses chevaliers qui eux-mêmes justifient leurs crimes accumulés sous la quête
d'un idéal chimérique d'amour, QUELLE INJUSTICE !!
Ecoeuré par les récents évènements je me tournais vers la route de la Terre
quand une voix qui n'était pas celle de ma conscience m'arrêta.
- Seigneur Hadès !!
- Qui es-tu ?
- Je suis Ulysse à qui vous avez oublié de prêter une armure divine pour pouvoir
rejoindre la Terre.
- Ce n'était pas un oubli.
- Comment ?! mais je ne comprends pas, pourquoi m'avoir permis de séjourner
à Elysion si c'était pour me laisser mourir ici ?
- On ne fait pas toujours ce qu'on veut, certains dieux touchés par ton héroïsme
ont fait pression sur les 3 juges pour que tu sois admis ici.
- Mais enfin vous ne pouvez pas me laisser mourir ici après tous les efforts
que j'ai faits pour retrouver ma femme et mon fils, Homère en a même fait une
Odyssée.
- Si tu parles de Pénélope et de Télémaque rassure-toi ils sont tous deux hors
de danger, quant au récit de tes aventures laisse-moi te poser une question
" comment as-tu dit que tu t'appelais au cyclope Polyphème quand il t'a demandé
ton nom ? "
- Eh bien je lui ai répondu que je m'appelais " Personne " car il voulait me
manger et comment manger personne, répondit Ulysse dont le visage s'éclaira
à l'évocation de ce souvenir.
- Et ainsi quand tu lui as crevé son œil unique, après qu'il eut mangé douze
de tes compagnons, il a été réduit à répondre aux autres cyclopes qui lui demandait
qui l'attaquait " personne ", ces derniers ne pouvant attaquer ce qui n'existe
pas n'ont pas pu lui venir en aide, complétai-je.
- La belle ruse n'est-ce pas ?
- En effet mais laisse moi te poser une question maintenant que tu m'as révélé
ton nom : Pourquoi alors que le néant approche perdrais-je du temps pour sauver
personne ?
Personne resta un moment bouche bée puis répondit
- Mais enfin mon nom est Ulysse et tout le monde l'a toujours su.
- Ah Oui et les prétendants de Pénélope, leur as-tu dit que tu étais Ulysse
quand ils ont mis entre tes mains l'arc qui t'a permis de les tuer !! Non bien
sûr c'est tellement plus facile de commettre des crimes en endossant l'identité
d'un simple vagabond. Et ce chien qui t'a attendu pendant 20 ans et reconnu
à ton retour à Ithaque, as-tu eu l'humanité de lui confirmer que tu étais bien
son maître adoré avant qu'il rende le dernier soupir à tes pieds !!
- Mais il ne fallait pas compromettre la réalisation de mon plan balbutia-t-il.
- Ulysse, pendant ces 20 ans d'exil tu n'as jamais pensé qu'à ton intérêt propre
et pour cela tu as été assez vile pour renier ton nom devant le danger. Tout
à l'heure tu m'as demandé pourquoi je t'avais permis de vivre à Elysion, à bien
y réfléchir je crois que c'est parce que je n'avais pas encore inventé un enfer
pour les menteurs. Mais je crois que j'ai trouvé un enfer qui t'ira très bien.
Regarde derrière toi si tu veux connaître ta destinée.
Ce faisant je lui désignai le néant qui finissait d'engloutir Elysion et j'ajoutai
:
- Adieu roi d'Ithaque, cet enfer que les chrétiens appellent les limbes est
celui où vont les enfants qui n'ont pas reçu de nom mais je crois qu'il conviendra
très bien à un homme qui a renié le sien.
Ce faisant j'adressai alors un dernier adieu à mon paradis perdu mais pas à
cet homme qui symbolisait pour moi le plus sombre de l'homme et m'engouffrai
dans le vortex qui communiquait avec la Terre.