La salle était entièrement plongée dans le noir et seule
la lumière que dégageait l'écran permettait de dissiper
l'ombre. Des rangées de fauteuils de velours rouges étaient restées
vides car cette séance de la nuit n'était pas très prisée.
Ce n'était d'ailleurs pas un mal selon le chef projectionniste qui commençait
à avoir les yeux fatigués à force de voir toutes ces images
bouger sans cesse sous ses yeux sans qu'il ait la force de s'attacher à
l'histoire.
Le silence était complet et les quelques spectateurs semblaient s'ennuyer
fermement, détournant toutes les minutes leurs yeux de l'écran.
Le film passait en noir et blanc et le visage de chacun baignait dans une curieuse
couleur grisâtre.
Un homme, d'une vingaine d'années, renversa son paquet de confiseries
par terre, alors qu'une femme lui lança un regard venimeux. Elle était
probablement la seule à se prendre de passion pour les aventures diffusées.
Un soupire générale semblait s'élever de la salle alors
que tous se rendaient compte qu'ils n'étaient pas présent depuis
plus d'une heure. Quelle idée n'avaient-ils pas eu de s'engager ici...
la nuit aurait certainement passé plus agréablement s'ils s'étaient
trouvés chez eux, tranquillement entrain de profiter des bras de Morphée.
La pellicule se mit doucement à bourdonner, sans que personne ne s'en
rende vraiment compte tant l'intérêt général était
porté ailleurs. Pourtant, quand le bruit d'une pulsation fut émis
dans la pièce, toutes les personnes présentes rouvrirent brusquement
les yeux, se levant de leur siège.
On aurait dit comme un roulement, un bruit frénétique et qui revenait
à une certaine fréquence, presque toutes les secondes en l'occurence.
Et qu'entendait-on si l'on tendait plus l'oreille, si l'on décidait de
s'accrocher à cet étrange son qui provenait de nulle part... n'était-ce
pas un coeur entain de battre? Le rythme était inquiètant car
il s'accélerait de plus en plus, comme pour faire monter la tension déjà
ambiante dans toute la salle.
-Mais que se passe-t-il? C'est une plaisanterie? déclara la seule personne
passionée par le film.
Tout l'air se mit à vibrer et certains durent porter leurs mains à
leur oreilles pour se protéger les tympans. Aucun n'avait plus la force
de courir vers la sortie tant ils étaient figés sur place. C'était
incompréhensif et pourtant...
Avec la soudaineté et la brieveté d'un coup de tonnerre, le plafond
se mit à trembler puis à voler en éclats sous l'impulsion
d'un météore aurait-on dit... comme si de l'Or pur venait s'écraser
sur terre.
Des cris de terreur retentirent de partout, chacun essayant de se voiler le
regard, tenant les raisonnements des enfants qui pensent que ne pas voir permet
de se protéger.
Un déplacement d'air incroyable suivi la boule de feu alors qu'elle continuait
sa trajectoire dans les airs, provoquant l'effroi et l'épouvante sur
son passage. Les visages se déformaient en cri de terreur mais rien n'y
faisait, le phénomène n'était pas un cauchermar car bel
et bien réel.
Le météore percuta soudainement le plancher avant de s'abîmer
contre l'écran, qu'il perfora avec violence, le déchirant sur
toute sa hauteur. Les images, jusqu'à présente encore diffusées
cessèrent, plongeant la salle dans le noir le plus absolu.
C'est sans doute pour cela que personne ne vit immédiatement que cette
étoile venue trouver repos sur la terre n'était en fait autre
qu'un homme. Il avait les jambes prisent dans l'écran et ne pouvait s'empêcher
d'avoir envie de rire de la situation. On lui avait toujours appris à
voir le meilleur côté des choses, et son optimiste ne le perdait
pas.
Maintenant qu'il était en bas, dans ce lieu béni qu'il souhaitait
retrouver depuis ce qui lui semblait des lustres, il n'avait plus la moindre
chance de perdre la vie. Même s'il n'avait pas la plus petite idée
d'ou il se trouvait, il comprenait qu'il était chez lui. Sur terre.
Il secoua vaguement la tête, ainsi, sous la forme d'une des boules de
lumière qu'il envoyait à ses adversaires, il venait d'échoire
dans une salle obscure. Aiolia, le chevalier du Lion, esquissa un sourire avant
de perdre conscience en sachant que, comme à son habitude, il avait dissipé
l'ombre en devenant clarté...
Ikki
Ce volcan je ne le connaissais que trop bien et je m'étais senti comme
attiré par lui alors que je ne savais nullement jusqu'ou m'aventurer.
Tous mes frères avaient eu pour leur part une idée en tête,
un endroit précis ou se rendre pour raviver leur foi et leurs souvenirs,
mais pour ma part, je n'avais d'attache nulle part, je ne connaissais pas l'envie
tiraillante de revoir quelqu'un ou de me ressourcer dans un lieu qui m'aurait
évoqué mon passé... non, celui-ci était bien trop
sombre de toute manière.
J'esquissais un sourire ironique alors que je m'asseyais sur la pierre dont
était faite les parois du volcan. Je venais toujours pour me retrouver
ici, pour reprendre ces forces qui me servaient en permanence et dont j'avais
toujours besoin. Mes compagnons d'armes ne partageaient pas le même avis
que moi, en n'avaient de cesse de dire que leur cosmos ne leur servait dorénavant
plus à rien, car tout était terminé. Je comprenais ce qu'ils
entendaient par là, mais j'étais tout de même loin de partager
cette vue.
Non, ma puissance me servirait encore, car la vie en elle-même était
une lutte permanente et nous forçait à nous débattre sans
arrêt, et puis, enfin, mon instinct me soufflait quelque chose. J'avais
à l'esprit que Saori n'était pas morte, qu'elle vivait encore
quelque part, peut-être dans le Chaos, je n'en savais rien, mais j'avais
l'étrange impression qu'elle était pareille au Phoenix et que
pour l'instant, elle dérivait dans l'obscure pour enfin nous revenir.
Je secouais la tête pensivement, alors que mes songes ne m'entraînaient
encore plus loin que de coutume. Athéna était probablement pareille
à nous, ses chevaliers, et devait en ce moment-même toucher les
confins du néant. Mais son retour ne faisait plus aucun doute, même
si personne ne semblait véritablement s'en apercevoir, ce qui n'était
pas étonnant.
Et si Saori trouvait le moyen de regagner son Sanctuaire, cela signifiait que
les guerres recommenceraient, forcément. Et c'était bien pour
cette raison que je me trouvais près du volcan de mes régénérations.
Nous n'avions plus de pouvoirs, moi comme les autres, et j'incluais dans le
groupe les chevaliers d'Or eux-mêmes, ce qui n'était pas peu dire.
Nous avions tous usé de nos forces jusqu'à l'épuisement
de nos possibilités et nos sources de cosmos s'étaient taries.
La téléportation était même rendue impossible pour
eux, et je n'étais même plus capable d'atteindre la vitesse du
son! Et c'est pourquoi j'avais décidé de me rebeller une fois
encore contre la fatalité.
J'étais le chevalier Ikki et ma célébrité tenait
en partie du fait que je ne me laissais jamais submerger par les évènements
et que je trouvais toujours le moyen de renaître de mes cendres. Je n'étais
donc pas près de baisser les bras.
Je me relevais brusquement alors que mes yeux parcouraient le paysage rocailleux
m'entourant. J'allais puiser une nouvelle existence dans cette terre si riche
malgré les apparences désertiques qu'elle donnait.
J'allais repartir de rien, comme toujous.
Hilda
Le Sanctuaire d'Athéna... cela me donnait matière à réfléchir,
autant que le chaud soleil de Grèce qui m'étouffait et me forçait
à rester à l'ombre des colonnes de la Chambre Sacrée.
J'étais assise devant les lourdes portes de Bronze derrière lesquelles
se trouvait la salle du trône et j'avais encore du mal à y croire.
J'étais sur les terres d'Athéna, et non plus à Asgard,
dans mon propre domaine que je ne connaissais que trop bien. Ici, tout n'était
pour moi que nouveauté et ma curiosité restait en éveil
permanent. Je ne me lassais jamais de caresser du regard tous les objets qui
s'offraient à ma vue, ni même de parler avec tous ces hommes revenus
de nulle part.
Je restais d'ailleurs pantoise devant leur extraordinnaire courage, devant ces
guerriers auxquels je n'arrivais pas à la cheville et pour qui je ressentais
une admiration sans borne.
Le soirée de mon arrivée, ils s'étaient réunis autour
de moi, alors que Dohko avaient décidé d'une réunion. Ils
m'avaient, un à un, raconté leur rentrée en ce monde qu'ils
avaient cru perdre à jamais et je n'avais guère pu contenir mon
émerveillement devant la témérité de ces chevaliers.
Ils étaient pourvus, selon moi, de toutes les vertus existantes, ne reculant
devant rien quand il était question d'Athéna et de l'humanité,
terrassant la mal sous toutes ses formes et luttant pour leur propre survie
afin d'honorer une dernière fois Athéna...
Quand ils avaient évoqué leur déesse, j'avais entendu leurs
voix vaciller sans pour autant se briser, j'avais vu leurs yeux se poser dans
le vague, sans pour autant s'embrumer de larmes, j'avais eu la chance de constater
l'amour qu'ils lui portaient et j'étais, une nouvelle fois, retombée
dans les chaînes de mon passé.
Je devais pourtant garder mon calme et me contenter de leur apporter réconfort
et aide si toutefois je leur étais utile. Je ne savais d'ailleurs pas
vraiment à quand programmer mon retour pour mon pays natal car j'hésitais
encore à les laisser. Mais avaient-ils vraiment besoin de moi? Des hommes
capables de travers des espaces-temps avaient-ils réellement besoin du
maigre secours que j'aurais aimé leur apporter?
J'esquissais un sourire amusé avant de serrer mes genoux et mes jambes
contre ma poitrine, en une position que je jugeais presque enfantine. Mes longs
cheveux me tenaient chauds alors que le crépuscule n'allait maintenant
plus tarder. J'avais pourtant l'impression d'être dans un véritable
torrent de feu tant les témpératures étaient difficiles
à supporter pour ma nature hivernal.
J'entendis tout à coup des bruits de pas au bout de l'immense salle au
sol et aux colonnes de marbre poli. Qui pouvait bien venir à cette heure
se recueillir sur les ruines d'une Chambre ou le fantôme d'Athéna
règnait encore? La réponse m'apparut alors comme évidente,
n'importe lequel des chevaliers...
Je vis l'ombre d"un homme aux longs cheveux se dessiner... sa stature me
rappella soudainement Siegfried mais je chassais ce souvenir de mon esprit,
souhaitant, pour une fois, m'adonner entièrement au présent.
-Princesse Hilda...
La voix était douce, comme celle du chevalier d'Alpha et je fermais les
yeux, porté par ma propre utopie. Pourtant, j'avais déjà
deviné la personne dont il s'agissait. Saga, des Gémeaux, probablement
le plus troublé de tous les Saints.
-Saga... que faites-vous donc là? demandais-je, un sourire aux lèvres
et une expression de douceur au fond du regard car je ne pouvais m'empêcher
de ressentir son bouleversement intérieur.
Quelque chose agitait cet homme et je savais ce dont il s'agissait. Nous étions
tous les deux confrontés aux mêmes problèmes, comme deux
rescapés d'un passé qui n'avait de cesse de nous rattrapper. Et
j'avais encore du mal à comprendre qu'il était inutile d'essayer
de fuir sa mémoire et que mieux valait y faire face.
J'observais avec intensité les yeux de Saga, comme si j'avais tenté
de lire au travers afin d'apercevoir son âme. Mais cet homme était
beaucoup trop complexe pour se révéler dans un simple regard.
-Princesse, je suis désolé de vous déranger. Je venais
simplement regarder de vieux souvenirs et probablement mettre mon courage à
l'épreuve.
Il s'avança de quelques pas vers les portes de bronze et en caressa délicatement
la surface. J'avais presque l'impression qu'il communiquait avec cette matière
pourtant sans vie et je préférais le laisser faire en silence.
Etrangement, je sentais que cet homme avait besoin de parler à quelqu'un,
et mieux valait que ce fut à moi plutôt qu'à quiconque d'autre.
Je saisissais ce qu'il avait traversé à la perfection car je n'adhérais
pas à la thèse comme quoi il aurait été victime
d'un dédoublement de personnalité. Non, ce que je reconnaissais,
ce que je distinguais dans les traits tendus de son visage, c'était les
marques, les cicatrices d'un destin défiguré par une possession
qui avait duré treize années.
-Vous savez, j'ai vécu pendant trop longtemps ici... si l'on peut appeler
cela vivre évidement.
Il posa ses yeux dans le vague et esquissa un sourire, même si j'étais
incapable de décréter s'il avait été ironique, amusé
ou triste.
-J'aurais peut-être préféré ne me rendre compte de
rien, être totalement pris dans ce tourbillon de folies que j'avais moi-même
engendré, mais non, je restais les yeux grands ouverts, à regarder
le spectacle dont j'étais le principal acteur tout en étant le
spectateur... cela a été l'enfer, bien pire que ces quelques mois
que j'ai passé dans l'Hadès lui-même. Je trahissais tout
ce en quoi je croyais, mes amis, mes idéaux... et pire encore, Athéna.
J'ai même failli venir à bout de cet enfant bénit, et tout
cela, sans que je puisse agir de mon gré, retenir cette main qui s'abattait
sur son berceau.
"Je ne sais guère ce qui a été le plus odieux dans
ma vie, mes actes ou ma propre personne. Mais enfin, grâce aux chevaliers
de bronze, tout cela a pris fin, et je me suis suicidé, sous les yeux
même de celle que j'avais voulu détruire par tous les moyens. Durant
la guerre contre Hadès, je me suis racheté, bien que je ne songe
pas que ce fut suffisante... et maintenant qu'Athéna a disparu, je ne
vois guère comment je pourrais lui exprimer tout ce que je vous ai dit.
"Enfin, une chose est certaine, je fus probablement le pire ennemi de mon
déesse, tout comme l'un de ses meilleurs serviteurs. Et je n'oublierai
pas non plus toutes ces heures passées dans cette chambre, à méditer
des plans diaboliques, à me passer tous mes caprices, à voir la
situation se détriorer sous mes yeux... tout cela restera à jamais
gravé en moi comme des blessures impérissables.
Il se tut subitement et faisant claquer sa langue contre son palet. Il ferma
les yeux et me sourit avec douceur. En ces instants, je ne pouvais pas croire
les paroles de cet homme qui semblait plus tenir de l'ange que du démon.
Je hochai lentement la tête avant de me relever et de poser une main sur
son bras. Je ne pouvais rien dire pour l'apaiser, rien faire car il devait se
livrer combat à lui-même, et il était le seul à posséder
la clé de sa délivrance, cependant, je remarquais qu'il venait
de me réconforter. Sans même le savoir.
J'avais saisi que mes souffrances, à cause de ma possession, n'étaient
rien en comparaison des siennes, que ce qu'il avait du enduré pendant
treize années, était une douleur que je ne pourrai jamais comprendre.
Il venait de remettre les choses en place dans mon esprit. S'était-il
sciemment rendu compte qu'il m'aidait, ou n'était-ce que le fait du hasard?
Je n'en avais pas la moindre idée et je doutais de ne jamais le découvrir
avec un homme aussi mystérieux que le chevalier des Gémeaux.
Rhadamanthe
La nuit succèdait indéfiniment au jour depuis ce qui me semblait
être des semaines sans que j'aperçoive même l'ombre de ma
mémoire. J'étais fatigué de me chercher, et Mélios
lui-même s'en était rendu compte.
Je me souvenis qu'un soir, il était entré dans ma chambre pour
me parler et m'avait conseillé de me rendre près du père
Laïos, un prêtre du village de Rodorio non loin de la maison dans
laquelle j'habitais dorénavant. On prétendait qu'il était
capable de guérir tous les maux de l'homme... je ne l'avais pas expliqué
à l'homme qui m'avait recueilli, mais je ne souhaitais pas être
guéri, j'espérais simplement avec toute la force de mon âme
retrouver ma véritable identité. Etait-ce trop demander que de
chercher à comprendre qui l'on était ou devais-je plutôt
me contenter de cette existence sans soucis que je menais et qui pesait très
visiblement sur mes épaules?
Je n'en avais pas la moindre idée alors que je parcourais le sentier
qui longeait la ferme sous un ciel constellé d'étoiles. Je frappais
du pied dans une petite pierre qui alla s'écraser plus loin, dans un
champs alentour.
Cette marche dans les ténèbres me rappelait des souvenirs, un
vague parfum de mon passé s'élevait dans l'air sans pour autant
que je puisse saisir cette fumée qui n'avait de cesse de me filer entre
les doigts.
Rhadamanthe... ce nom me disait quelque chose, non pas parce que c'était
le mien comme me l'avait indiqué Kanon, mais cela avait rapport avec
de vieilles légendes de la mythologie si je ne m'abusais... un fils de
Zeus, frère de Minos et de Sarpédon, un demi-dieu en somme. Il
avait mené une vie exemplaire, ne comettant guère d'impaire et
en récompense de sa loyauté et de son courage durant toute son
existence, Zeus lui avait accordé l'immortalité et le poste de
juge des enfers dans le royaume du sombre Hadès.
J'esquissais un fugace sourire sans que je comprenne ce qui m'arrive ni pourquoi
j'avais soudainement pris une expression si dure. Enfin, les origines de mon
prénom ne m'apportaient point de renseignements sur mes origines tout
court. Pourtant, je me sentais assez similaire du Rhadamanthe de la mythologie,
du moins en caractère.
Je parcourais des yeux le paysage nocturne et silencieux. Dans de telles conditions,
je me sentais réellement à ma place, une ombre parmi les autres,
prête pourtant à en sortir... combien d'imbécilités
ne débitais-je pas aujourd'hui?!
J'allais rencontrer le père Laïos, mais je me demandais réellement
ce que cet homme pourrait m'apporter de plus que ce que je savais déjà.
Pourquoi aurait-il été au courant d'un morceau de mon existence,
à moins, bien évidemment, qu'il se trouve capable d'entrendre
les oracles... ce qui n'aurait pas manqué de m'étonner.
Ces derniers temps, je m'habituais un peu mieux à mon existence. Il fallait
dire que je n'avais plus tellement le choix depuis que j'avais saisi que ma
mémoire ne ressurgirait peut-être que dans une dizaine d'années.
Je ne pouvais donc faire autrement que de continuer une vie monotone et qui
ne me convenait en aucun point.
Pourtant, je m'attachais un peu à Mélios car sa bonté d'âme
finissait par me toucher, même si je ne le laissais pas voir. Je m'étais
longtemps montré méfiant à son égard, mais je commençais
à baisser ma garde et a réellement pouvoir tenir une conversation
avec lui sans pour autant ressentir quelque sentiment contradictoire.
Et, après tout, si je me rendais chez ce prêtre de Rodorio, n'était-ce
pas pour lui faire plaisir? En tous les cas, ce n'était certainement
pas pour mon propre compte.
Enfin, avec un peu de chance, le destin mettrait peut-être sur ma route
un nouveau souvenir...
Aiolia
Pour moi, il n'y avait aucun doute, je me trouvais en Espagne, dans une clinique
ou tout le monde s'activait autour de moi. Il n'y avait pas de quoi s'étonner,
car j'étais probablement leur cas le plus difficile et le plus irrécupérable.
Je me serai volontiers laisser aller à rire si mon état n'avait
pas été si catastrophique.
Je gardais pour l'instant les yeux obstinément clos, pour ne pas avoir
à donner d'explications sur mon arrivée plus qu'étrange
au beau milieu d'une salle de cinéma, sous la forme d'une boule de feu.
Il fallait dire que cela avait de quoi en surprendre plus d'un.
Combien de Saints m'avaient précédé? Je n'en avais pas
la moindre idée, je ne savais d'ailleurs même plus si j'étais
capable de compter jusqu'à trois, mais je devinais qu'au bout du compe,
nous finirerions probablement pour tous nous retrouver au Sanctuaire. J'avais
encore du mal à y croire... tous les chevaliers réunis au sein
du Domaine Sacré, pour la première fois depuis des années,
cela tenait presque du miracle. Il me tardait temps de revoir mes amis et aussi
et surtout mon frère Aioros.
Il avait été le grand absent de mon existence tout en étant
l'homme le plus présent de ma vie. Cela avait été rendu
possible pour deux raisons : tout d'abord il avait disparu, et chacun avait
songé qu'il s'agissait d'un traître et s'était vengé
sur moi. Je lui en avais voulu pendant des années à cause de cela,
ne comprenant pas que je vivais dans l'erreur et que jamais je n'aurais du douter
de celui qui m'avait élevé durant les premières années
de mon existence. Absent car mort, présent car il était l'ombre,
le fantôme d'un passé qui venait me hanter et ternir ma propre
existence.
Je commençais à m'agiter dans mon lit et je sentais à peine
la main d'un docteur se poser sur moi. J'avais perdu pratiquement tout mon sens
du toucher et je ne ressentais plus guère la douleur.
Oui, ma vie avait intégralement baigné dans la lumière
alors que j'avais vécu au côté de mon frère que j'admirais
plus que quiconque, dans l'ombre, alors que je m'étais retrouvé
en but avec tous les chevaliers du Sanctuaire, puis à nouveau dans la
lumière lorsque j'avais saisi la vérité et que je m'étais
battu dans les rangs d'Athéna. Mon raisonnement m'apparaissait comme
évident et je m'étonnais presque de ne pas l'avoir eu avant.
Et maintenant, qu'allais-je faire? Tenter de me rétablir un peu pour
pouvoir regagner le Sanctuaire. J'aurais d'ailleurs aimé pouvoir rassurer
les médecins sur mon état, mais je savais que cela n'aurait pas
été d'une grande utilité. Ils n'auraient jamais cru à
mes incroyables facultés de récupération ni à ma
résistance hors du commun. Avec un peu de chance, pourtant, d'ici quelques
jours, j'allais être capable de me mettre debout et de m'enfuir de ce
lieu ou je n'avais rien à faire.
Je sentais déjà que j'allais devoir m'embarquer illégalement
de trains en trains pour rejoindre le domaine béni de ma déesse.
Je constatais que c'était une aventure des plus originales pour un chevalier
d'Athéna... ah, les Spectres n'auraient probablement pas manqué
de rire en me voyant m'infiltrer dans un wagon comme un écolier inquiet
d'être surpris par un adulte alors qu'il comet un impaire. Mais après
tout, avais-je le choix?
D'autant plus que j'étais vraiment prêt à tout pour rejoindre
les maisons du Zodiaque.
Tous les chevaliers d'Or de retour au Sanctuaire regardaient fixement l'horizon,
comme pour essayer de s'y perdre. La princesse Hilda avait décidé
de repartir le lendemain matin, et ils avaient préféré
la laisser se reposer alors que la nuit n'avait commencé à étendre
son sombre manteau que depuis quelques heures. Il était même à
peine minuit d'après ce que précisa Shura en regardant la lune.
Une légère brise, qui transportait encore la chaleur de la journée
passée vint caresser leur visage, faisant danser leurs cheveux. Ils n'avaient
plus idée du temps qui passait depuis qu'ils étaient revenus sur
terre, comme si tout se mélangeait confusément dans leur esprit
fatigué par les épreuves.
Dohko parcourut lentement du regard le haut de la colline qui s'étendait
devant lui. Il ne pouvait nullement apercevoir la pente, mais son instinct lui
soufflait que quelque chose était entrain de se produire et plus les
secondes s'égrenaient, plus son étrange impression s'intensifiait.
Il tourna enfin un regard inquiet vers les autres avant de déclarer d'une
voix calme :
-Quelqu'un vient...
-Comment est-ce possible? Nulle ne connaît le chemin du Sanctuaire, répliqua
Aioros
-Personne excepté Rhadamanthe, ajouta à voix basse Kanon qui ne
comptait pas révéler ses pensées.
Saga lui lança un regard, alors qu'ils étaient assis côte
à côte, et esquissa un sourire. Il ne savait pas si son frère
n'était pas plus inquiet qu'il ne l'aurait du à cause de ce Spectre
revenu à la vie. C'était d'ailleurs une chose qui ne s'était
jamais produite auparavant, mais après tout, est-ce que beaucoup de guerriers
d'Athéna étaient parvenus à s'extraire de dimensions lointaines
pour revenir sur terre?
Dohko serra soudainement le bras de Shura, assis non loin de lui et pointa son
index vers la ligne qui délimitait l'horizon. En haut de la colline était
entrain d'apparaître une forme, une silhouette sombre dont on ne distinguait
rien. Pourtant, elle leur était quelque peu familière.
Le chevalier de la Vierge, jusqu'alors en recul pour pouvoir méditer
plus amplement sur les derniers jours qu'il avait vécu, se releva. Tout
son corps paraissait tendu, non pas impatient, mais... paisible. Un sourire
serein parut soudainement sur son visage et il hocha lentement la tête
et murmurant quelques paroles inaudibles aux oreilles de ses confrères.
La silhouette stoppa tout à coup son ascension. Tous les chevaliers d'Or
se relevèrent d'un même bond et attendirent. Une longue minute
s'écoula alors que l'on entendait plus guère que les bruits de
la nuit provenant de la nature. Ils se faisaient face mutuellement et ce fut
une voix qui brisa cette étrange instant.
-Ce n'est pas... ce n'est pas vrai... vous... vous...
L'ombre éclata en sanglots alors que l'on pouvait maintenant distinguer,
grâce à un rayon de lune, d'immenses cheveux mauve pâle et
un visage au teint diaphane et aux traits réguliers.
Mu se précipita avec vivacité en avant alors que tous ses frères
s'élançaient à sa rencontre, comme s'ils n'avaient plus
été que des gamins heureux de se revoir après une longue
séparation.
Tous, tous autant qu'ils étaient se retrouvèrent dans les bras
les uns des autres et l'on entendait plus que des cris de joie. Camus lui-même
se lançait aller à l'euphorie qui venait tous de les prendre avec
soudaineté à la gorge.
La joie de retrouver l'un d'entre eux se mêlait étrangement à
la mélancolie d'être séparé de ceux qui n'étaient
pas encore revenus. Toutes leurs émotions se mêlaient, ils mettaient
leurs âmes à nues, la dévoilant aux autres alors qu'ils
serraient leurs mains, leurs épaules, se donnaient de joyeuses accolades.
Ils accomplissaient sans cesse des miracles et en étaient enfin récompensés...
-Je ne peux pas y croire... j'ai cru mille fois mourir, déclara Mu en
retenant un sanglot de douleur autant que de bonheur.
-A qui le dis-tu! lança Shura d'une voix étrangement rauque.
-Ce n'est pas possible, continua le chevalier du Bélier... dites-moi
que ce n'est pas vrai... Aioros du Sagittaire... Saga des Gémeaux...
oh! oh! Kanon, je ne t'avais pas vu... Camus si l'on m'avait dit que tu étais
revenu!! Mais... mais... Vieux maître, c'est incroyable, maintenant...
mais vous êtes Dohko... et... oh... si j'avais su, si je m'étais
douté que... Shaka... mon ami Shaka... que fais-tu un peu à l'écart...
viens plutôt me voir... il y a si longtemps que...
Toutes les paroles se mélangaient confusément les unes aux autres
alors que l'on entendait aussi bien des éclats de rire que des sanglots
étouffés qui provenaient de ce groupe. Pour une fois, ils avaient
réellement l'impression d'avoir vingt ans et surtout, pour la première
fois depuis des siècles, ils étaient vivants.
Leurs cris résonnaient entre toutes les collines, ils n'avaient plus
conscience de qui ils étaient, ni de ce qu'ils avaient représenté
pour la terre. Tout ce qui comptait à présent était la
minute qui passait et c'était là un mode de pensée auquel
ils avaient toujours aspiré mais qu'ils goûtaient seulement ce
jour-là.
Le chevalier du Bélier serrait à présent Shaka dans ses
bras avec le peu de force qu'il lui restait. Il se souvenait de la mort de son
ami, à Twin Sal, de la manière dont il avait immédiatement
compris ce que ce dernier avait eu en tête... il se rappelait de l'intelligence
dont il avait fait preuve devant le mur des Lamentations. Mais tout ceci n'était
que souvenirs et il ne voulait pas se replonger dans un temps ou il n'avait
plus rien faire. Maintenant, seul comptait l'instant présent.
Pendant plusieurs heures ils resteraient à crier, rire ou pleurer comme
de simples enfants, à profiter de ces retrouvailles qu'ils avaient tous
souhaité du plus profond de leur coeur, faisant vibrer leurs âmes
à l'unisson alors qu'ils traversaient les dimensions les séparant
de la terre.
Et pourtant, tout ce qu'ils avaient vécu se résumait par une seul
phrase. Et ce fut Mu qui la prononça.
-Nous... nous sommes de retour.
Milo
J'étais maintenant en Espagne, à Madrid plus précisement
et je me demandais encore comment j'étais parvenu à accomplir
l'impossible.
J'étais sorti avec une facilité dont je m'étais moi-même
étonné de la clinique dans laquelle les photographes anglais m'avaient
placé. Il m'avait ensuite suffi de m'infiltrer dans un avion me ramenant
pour l'Europe et je m'étais retrouvé en Espagne. Le plus difficile
de cette épreuve avait probablement été de m'embarquer
illégalement... mais avec mon ingéniosité coutumière
j'y étais parvenu, car après avoir survécu à une
traversée dans toutes les dimensions, comment aurais-je pu échouer
dans la simple entreprise de prendre l'avion!
J'esquissais un sourire alors que je marchais douloureusement dans ce pays que
je n'avais jamais eu l'occasion de visiter.
Les rues étaient très animées car nous étions en
milieu d'après midi. Je regardais les vitrines, les enfants entrain de
discuter, tous rassemblés autour d'un banc publique... étrangement,
cela me donnait l'impression d'être un passant normal, un homme qui aurait
été comme les autres et qui passait agréablement une heure
dehors... comme le monde que je décrivais me semblait loin de moi alors
que pourtant j'y évoluais. Mais mes blessures étaient souvent
là pour me rappeler que j'étais quelqu'un de différent,
ce dont j'étais plus que fière!
Je portais une main vacillante à ma poitrine. Mes souffrances ne m'aidaient
pas vraiment à continuer ma route, d'autant plus que je me dirigeais
vers la gare qui était assez éloignée de l'endroit ou je
me trouvais d'après les vagues informations que j'avais pu saisir sur
les panneaux indiquant diverses directions.
Je passais devant un hopitâl et ne pus m'empêcher de réprimer
une petite grimace. Je plaignais simplement ceux qui étaient enfermés
à l'intérieur car cela donnait presque l'impression de se trouver
dans une prison. Du moins, c'est ce que j'avais ressenti en Afrique, alors que
je somnolais difficilement dans ma chambre.
J'avais encore du mal à réaliser tout ce qui m'était arrivé
depuis que j'avais attérri sur terre... l'Afrique, l'Espagne et bientôt
les trains qui traverseraient toute l'Europe, j'aimais l'aventure mais blessé
et épuisé, je devenais plus que réticent!
Je continuais d'avancer inlassablement lorsque je vis un homme qui marchait
du même pas que le mien, légèrement courbé en avant.
Sa chevelure châtain bouclée n'était pas sans me rappeler
quelqu'un que j'avais bien connu et avec qui j'avais partagé pas mal
de souvenirs...
Je m'approchais lentement de lui, et lorsque j'arrivais à son niveau
j'entendis un murmure -en grec!- s'élever de sa bouche. Cette voix ne
pouvait guère me tromper, il s'agissait là de mon comapgnon de
Cocyte!
Je posais ma main sur son épaule ce qui le fit bondir. Il se retourne
brusquement vers moi en poussant un cri, si bien qu'il me fit peur et que je
ne pus que joindre ma voix à la sienne. Le chevalier du Lion et moi-même
nous tenions l'un en face de l'autre à crier de frayeur alors que nous
nous retrouvions!
Je croisais son regard et nous partîmes alors d'un même fou rire,
sous le regard étonné et désapprobateur de la plupart des
passants. Ils nous trouvaient probablement trop bruyants à leur goût
et ne se rendaient nullement compte de tout ce que nous avions enduré.
Mon ami Aiolia, mais la dernière fois que je l'avais vu était
il y avait de cela des millénaires et maintenant, nous nous retrouvions
comme cela, à un coin de rues, comme si nous étions deux personnes
normales!
Je le serrais dans mes bras presque compulsivement alors que je sentais ses
mains se refermer avec force sur moi. Je lui tapais amicalement le dos tandis
qu'il me rendait mas accolades... c'était sans doute l'un des plus beaux
instants de ma vie. J'avais eu raison de vivre jusqu'à ce moment, je
m'en rendais dorénavant compte alors que je repensais à mon atterrissage
en Tanzanie.
-Milo... si j'avais cru te revoir ici... mais...
Nous nous remîmes à marcher l'un à côte de l'autre
alors que nous nous tenions difficilement par les épaules, comme les
deux rescapés que nous étions. Certains nous dévisageaient
dans la rue, mais nous n'y faisions guère attention. Nous devions avant
tout nous diriger vers la gare, seul moyen de nous ramener au Sanctuaire, mais
en même temps, rien ne nous empêchait de discuter agréablement,
comme les deux inséparables amis que nous étions.
-Toi aussi tu as attéri à Madrid, mon ami? interrogea Aiolia d'un
air aussi surpris que ravi.
J'esquissais un sourire en revoyant la tête du zèbre entrain de
m'observer.
-Non, pas vraiment... en fait, je suis arrivé ce matin figure-toi. Tu
ne devineras jamais d'ou mon périple a commencé! J'ai atterri
en Tanzanie!
-Oh là là! Milo... s'écria Aiolia et mettant une main sur
sa bouche. Dis donc... on peut dire que j'ai été plus chanceux
que toi.
Je le toisais des pieds à la tête et esquissais un sourire ironique.
-Ca dépend du point de vue d'ou l'on se place!
-Ce qui signifie? s'emporta Aiolia en serrant les poings avant de se mettre
à rire en même temps que moi.
Etait-ce donc cela l'amitié? Etait-ce donc si magnifique, si merveilleux,
si pur?
Un frisson me parcourut alors que j'observais gravement le chevalier du Lion.
J'étais bien avec lui, j'étais moi-même, il me comprenait
aussi bien que je l'écoutais. Il existait entre nous maintenant plus
qu'un simple lien d'amitié, c'était... une fraternité qui
ne serait pas passé par les liens du sang. En tous les cas, je ne voyais
pas d'autre explication.
-Moi, je suis arrivé en plein milieu d'un cinéma... je peux te
dire que j'ai eu mon petit succès!
-Tu m'étonnes! répliquai-je, un sourire aux lèvres. Je
suis même certain que tu as plus attiré l'attention que les personnes
qui se trouvaient sur grand écran...
Le rire d'Aiolia se transforma au bout de quelques instants en une furieuse
quinte de toux. Je lui donnais une tape dans le dos ce qui eut pour effet immédiat
de le faire cesser. Il me regarda avec des yeux étonnés de ma
dextérité et je hochais orgueilleusement la tête.
-Qu'est-ce que tu veux, le génie ne s'apprend pas! En fait, il m'est
arrivé la même chose en Afrique et j'ai bien du trouver le moyen
de me taire car je devais m'embarquer illégalement dans un avion... aura-t-on
déjà vu aventure plus incroyable que celle que nous vivons, tous
aux quatre coins du globe, en ce moment?
Aiolia
Nous étions maintenant en plein coeur de la gare et je constatais que
je ne m'étais jamais senti mieux. Je devinais sans peine que cela était
du à la présence de Milo qui me réconfortait. L'amitié
était bien le plus beau, le plus grand des sentiments, je n'en avais
à présent plus le moindre doute, si tant est qu'un jour je n'y
ai pas cru.
Milo regada les panneaux qui indiquaient les différentes destinations
avant de hausser les épaules. Il n'avait, tout comme moi, pas la moindre
idée de la direction qu'il fallait prendre.
-Je ne connais pas très bien les villes espagnoles... j'aurais du plus
étudier la géographie, déclarai-je pensivement en parcourant
des yeux tous les noms qui ne me disaient rien.
-Ne m'en parle pas! rétorqua Milo en secouant la tête. C'est sur
Shura que nous aurions du tomber.
Je hochai la tête en souriant. Nous n'étions guère avancés
et pourtant, la Grèce n'était pas si éloignée que
cela de l'Espagne. Je regrettais, une nouvelle fois, amèrement de ne
pas avoir eu la force de me diriger vers le Sanctuaire en sortant des dimensions
ou j'avais si longtemps dérivées.
-Alors, que fait-on? demandai-je en passant une main inquiète sur mon
menton. On devrait peut-être se décider à la destination
la plus près possible des Pyrénées... proches de la France,
nous nous y dirigerions par l'Italie et les côtes de la Méditérannée.
Qu'en penses-tu?
-Cela risque de prendre un certain temps... mais au point ou l'on en est, pourquoi
pas? me déclara Milo en s'avançant déjà vers le
quai d'embarcation.
Nous avions, l'un et l'autre, l'impression de repartir dans le passé,
de redevenir ces deux disciples du Sanctuaire qui se préparaient à
jouer un mauvais tour et à ne pas être surpris. Nous avions toujours
eu un comportement espiègle et particulièrement rusé et
c'est sans doute ce qui avait fait notre amitié.
Je me souvenais aussi de sa disparition alors que mon aîné venait
juste de mourir, je revois encore les chevaliers d'Argent le prenant à
part en lui demandant, ou plutôt lui ordonnant, de ne plus aller me voir...
mais il ne m'avait jamais abandonné et il avait continué à
me rencontrer chaque jour, mais de préférence alors que la nuit
tombait. Il avait été l'un de mes seuls soutiens durant cette
période difficile qu'avait été mon entraînement.
Je soupirais et mes poumons me brûlèrent soudainement, mais je
finissais par avoir l'habitude. Milo me lança un regard en biais et me
désigna du menton le train qui devait nous emmener loin du lieu de mon
atterrissage.
-On a pas le choix... dis-je d'une voix teintée d'amusement et d'une
impatience enfantine.
-Non... et puis, cela nous fera quelque chose à raconter aux autres :
comment deux chevaliers d'Or se sont fait arrêter durant leur embarcation
illégale dans un train! Tu imagines, on aura l'air fin, ironisa Milo
en secouant la tête en signe de négation. Allez en route...
Ce fut sans trop de difficulté que nous nous glissâmes le long
du train et que nous réussîmes à pénétrer
dans un wagon à moitié vide. Je désignais à mon
ami deux places tranquillement à l'écart et nous nous regardâmes,
plongeant notre regard dans celui de l'autre.
-Je n'ai pas l'impression que tout ceci est bien réel, commençai-je
tout en m'appliquant à empêcher ma voix de vaciller brutalement,
c'est comme si tout se passait comme dans un étrange rêve. Je suis
sur terre, parmi les hommes, je vais revoir mes frères alors qu'il y
encore de cela une semaine, je me trouvais dans d'autres dimensions. Non, tout
va trop vite, tout se dérobe à ma raison et pourtant, je crois
que je n'ai jamais été aussi heureux.
Milo hocha gravement la tête alors que son regard se dirigeait vers la
fenêtre, comme s'il rêvait de la voir voler en éclats pour
s'envoler par cette issue.
-Nous sommes probablement tous plus ou moins traumatisés par l'expérience,
mon frère, et nous ne risquons pas de nous accoutumer à nos retours
avant de longues semaines. Il va falloir se souvenir de ce qu'est vivre, ce
qui promet d'être long. Mais nous sommes ensemble, nous serons bientôt
tous réunis et c'est ce qui compte.
Un silence tomba entre nous mais alors que nos voix avaient disparu, je me sentais
toujours à mon aise. Le chevalier du Scorpion et moi partagions les mêmes
pensées aux mêmes instants, car, après tout, n'avions-nous
pas traversé le même drame?
-Et Athéna... murmurai-je, comme si un ton trop fort n'aurait pas honoré
ma déesse.
-Oui, je sais...
Je crus que sa voix venait de se briser mais son visage était pourtant
de marbre et ne laissait pas transparaître la moindre émotion.
Pourtant, je devinais qu'à l'intérieur, tout était cassé,
qu'il ne restait plus rien que des ruines devastées qu'il devrait reconstruire.
Mais j'étais, nous étions semblables à lui et c'était
grâce au soutien que nous nous apporterions les uns les autres que nous
pourrions parvenir à nous créer un avenir, ou tout du moins un
passé que nous pourrions regarder sans vagues à l'âme.
Mon enfance... ma vie. C'était étrange d'y penser en ces instants
difficiles car mon regard sur mon existence était férocement lucide.
J'avais toujours été une personne faite d'ombres et de lumières,
j'avais connu des périodes fastueuses comme dramatiques mais j'avais
toujours su garder la tête haute.
Je relevais orgueilleusement le menton. Ce n'était pas maintenant que
j'allais changer d'attitude.