L'hôpital de la Charité connaissait, comme toujours, l'effervescence
dû au samedi soir, à croire que tout le monde attendait ce jour
précis pour avoir des accidents de voitures, ou autres problèmes
de santé...
Deux infirmières se précipitèrent en salle d'urgence alors
qu'un nouveau patient arrivait par hélicoptère. Elles devaient
préparer le bloc opératoire à toute allure, avant que les
médecins n'arrivent en courant, poussant un brancard en sifflant leurs
ordres sur leur passage.
A la réception un jeune homme tentait de se dépétrer d'une
femme âgée d'une soixantaine d'années et qui contestait
sa feuille de paiement avec autant de ferveur que d'autres dénonçaient
les crimes. Il secoua la tête, alors que la cliente n'avait de cesse de
répéter les quatre même phrases.
Devant lui, deux brancardiers s'engageaient dans l'ascenceur. Ils allaient chercher
un enfant pour son opération de l'appendicite, rien de bien grave en
somme. Les portes de l'appareil se refermèrent sur eux tandis qu'ils
continuaient leur discution animée sur leur prochain week-end.
-Une semaine à attendre avant d'avoir un nouveau jour de repos! Et on
dit les hôpitaux anglais évolués? Moi, j'appelle ça
de l'esclavage! s'emporta le brun qui tenait d'une main la tête du brancard.
Le blond haussa les épaules avec peu d'entrain et fixa son regard bleuté
sur son ami.
-Tu sais, on ne peut rien y faire... soit on travaille, soit on travaille...
alors!
Les portes de l'ascenceur se rouvrirent et ils en sortirent sans précipitation.
Ils traversèrent le long couloir vide sans s'apercevoir qu'ils étaient
suivis par une pulsation.
Ils ouvrirent d'un même mouvement la porte donnant sur la chambre du jeune
garçon, alors que le médecin était déjà en
pleine conversation avec son patient, dont le regard soucieux trahissait sa
peur de son opération.
Dans la pièce, on entendait peu à peu le bruit d'une chute s'intensifier,
remplir toute la salle alors qu'aucun ne semblait véritablement y faire
attention. Le personnel hospitalier devait probablement songer qu'il s'agissait
d'un problème d'hélicoptère, ou quelque autre soucis de
ce genre où il n'avait nullement la possibilité d'intervenir.
On entendit comme les battements d'un coeur frapper la surface des murs tandis
que les brancardiers amenèrent le chariot près du lit, pour permettre
au jeune garçon d'y monter sans encombre.
L'enfant fit une légère grimace devant l'action des deux hommes,
qui l'encourageaient du regard à les suivre. Le médecin lui adressa
une phrase encourageante alors que soudainement, une explosion retentit comme
si quelque chose venait d'exploser... mais... mais oui!
L'air était devenu si lourd que chacun avait eu l'impression de le porter
et tout à coup, la toiture venait d'être percée, le béton
projeté partout dans la pièce, frappant le mobilier, dévastant
le sol en y faisant des dégâts que certains n'auraient pas hésité
à taxer d'irréparables.
La poussière s'éleva partout autour des quatre personnes se trouvant
dans la chambre, tous criant plus fort les uns que les autres alors que les
lumières vacillaient. Les ampoules éléctriques sautèrent,
ne faisant qu'accroître la panique incrustée dans tous les esprits
tandis que tout était plongé dans le noir le plus absolu.
Puis le silence.
-Que... que s'est-il passé? demanda le médecin qui reprenait rapidement
ses esprits, habitué comme il l'était au brusque montée
d'adrénaline.
Le petit garçon sanglotait à présent alors que plus personne
ne distinguait son voisin.
Tout à coup, la lumière revint, baignant le lieu sinistré
de clarté. On pouvait voir un trou d'environ 1 mètre 50 de diamètre
ainsi que les fragements de béton et de charpente du toit reposer à
terre.
Les trois hommes présents dans la pièce poussèrent un même
cri de frayeur unanime : sur le brancard reposait un homme d'une taille et d'une
carrure impressionante, presque blessé à mort.
Chacun évita soigneusement de croiser le regard de l'autre tandis que
personne n'osait s'avouer que l'homme venait de tomber des cieux.
Il n'arrivait pas à croire qu'enfin, il avait touché terre, après
des semaines et des semaines de dérive dans des dimensions parallèles,
il était enfin parvenu à accomplir ce qui avait toujours ressemblé
à l'impossible.
Il savait qu'il était le dernier à être attendu, qu'il était
celui qui fermait le cercle des arrivées. Il soupira tandis qu'il comprenait
que tous ceux partis dans l'Hadès se trouvaient maintenant sur terre,
parmi les hommes, parmi leurs frères humains qu'ils avaient défendus
au péril de leurs existences. Tous, exceptée Athéna, restée
dans le royaume des ombres pour l'éternité.
Non, il ne devait pas penser à cela immédiatement, il devait attendre
d'avoir les idées claires... et de toute manière, il n'avait qu'une
hâte.
Maintenant, il n'avait plus qu'à retourner dans le Sanctuaire pour y
retrouver ses compagnons d'armes, mais il savait qu'avant cela, il faudrait
faire preuve de patience car il avait besoin d'être soigné... et
quelle ironie! Tomber en plein milieu d'un hôpital, sur un chariot prêt
à être emmené! C'était ce que l'on pouvait appeler
un geste du destin...
Aldébaran, chevalier du Taureau, venait de complèter la roue du
Zodiaque.
Aphrodite
J'étais assis près d'Aioros, sous un maigre olivier censé
nous procurer un semblant d'ombre. Nous partagions depuis maintenant plusieurs
minutes un silence qui n'avait rien de pesant, mais qui restait malgré
tout assez significatif.
J'avais su que Saga était le Grand Pope, j'avais su qu'il était
mort en vain et je n'avais rien dit... et pourtant, je me trouvais aujourd'hui
près de lui, un demi-sourire imperturbable sur le visage. C'était
incroyable de voir comme le temps pouvait apporter de nouveau comportement,
permettait d'évoluer.
Je sentais la présence de Shura et de Saga à côté
du chevalier du Sagittaire et je n'arrivais à y croire... tous les anciens
chevaliers, ceux qui avaient connu le gardien de la Troisième Maison
du Zodiaque maléfique étaient là, réunis dans le
même amour de la paix et de la justice. Je remarquais alors qu'il ne manquait
plus guère que Masque de Mort pour que le groupe soit complet.
J'étais revenu dans le Domaine Sacré hier après-midi, alors
que le crépuscule baignait les ruines dans lesquelles j'étais
entré, les larmes aux yeux de fouler ce sol béni pour qui je m'étais
battu. J'avais ressenti la force qui se dégageait de ces pierres, qui
me traversait et j'avais été littéralement bouleversé
en voyant mes pairs s'approcher de moi, tous autant qu'ils étaient et
me sourire, m'accueillir à bras ouverts.
Et maintenant, une seconde vie se déroulait devant nous, même si
nous hésitions encore à nous y engager, qui plus est sans Athéna.
La jeune fille était morte, ou tout du moins disparue et il nous répugnait
de gérer son Sanctuaire sans sa présence, même si cela allait
s'avérer inévitable.
-Que pensez-vous de Poséidon? demanda soudainement Shura de son habituelle
voix ferme.
Il avait tué Aioros et pourtant, il quêtait en ce moment une réponse
dans son regard... c'était cela que la véritable amitié,
que j'avais moi-même connue autrefois mais que j'avais perdu alors que
les années s'estompaient dans des teintes délavées que
ma propre trahison colorait. Et Shura n'avait fait qu'obéir à
un ordre, même s'il n'avait pas réfléchi, il avait eu des
raisons... contrairement à moi. Cependant, mes pensées avaient
été sincères, j'avais cru à une nouvelle ère
de paix, je m'étais laissé aveugler, comme chacun, par l'intelligent
Saga.
-Je ne sais pas... de toute manière il viendra à nous, répliqua
à mi-voix Aioros.
-On ne peut pas attendre gentiment qu'il dégne nous attaquer! rétorqua
avec vivacité Shura en fixant son meilleur ami d'un oeil réprobateur.
-Et que proposes-tu? demanda son interlocuteur avec une pointe d'amusement dans
la voix.
Shura lui adressa une sorte de petite grimace qui me fit sourire avant de continuer
son idée :
-Il faut que nous nous rendions chez lui pour lui demander ce qu'il en est.
Cela vaut toujours mieux que de rester assis et d'attendre une offensive. J'ai
toujours dit que la meilleure défense était l'attaque, alors autant
agir rapidement avant qu'il n'arrive dans le Sanctuaire et qu'il tente de se
l'approprier.
-Tu lui prêtes des intentions néfastes qu'il n'a peut-être
pas... déclara Aioros en secouant la tête. Et puis, tu ferais mieux
de ne pas te précipiter tête baissée et de patienter...
réfléchir est souvent la meilleure des solutions lorsque l'on
a pas toutes les données en mains.
Le chevalier du Capricorne blêmit soudainement en revoyant un ancien souvenir
qui paraissait flotter devant ses yeux. Aioros posa une main sur son épaule,
lui prouvant que cela n'avait rien à faire entre eux, et sûrement
pas aujourd'hui.
-De toute manière, que peut-il bien faire? demanda Saga en esquissant
un sourire ironique que je lui avais déjà vu lorsqu'il était
au combat. Il est seul ou avec un de ses Mariners, je crois... qu'avons-nous
à craindre alors que Poséidon est numériquement si faible?
Saga prit une profonde inspiration avant de continuer sur sa lancée :
-Certes, me direz-vous, nous n'avons pas ou peu de cosmos, mais cela, il n'est
guère censé le savoir ou être au courant. Et puis, notre
nombre est assez dissuasif. J'admets qu'il n'est jamais bon de vivre comme cela,
sur les lacunes de l'ennemi, mais qui nous prouve que le dieu de la mer est
réellement un opposant? Il se peut fort bien qu'il soit devenu un allié,
étant donné la manière dont il a agi durant la guerre,
en conduisant les armures d'Or vers Elision.
Je hochais, comme mes autres compagnons, vigoureusement la tête. Le chevalier
des Gémeaux n'avait rien perdu de ses habitudes de Grand Pope. Il gardait
au fond de lui un côté autoritaire et une confiance en lui hors
du commun alors qu'il possédait en plus de cela une intelligence pénétrante
et, chose fort rare chez la plupart des personnes, une capacité à
rassurer tout le monde.
Comment un homme aussi bon aurait-il pu connaître un dédoublement
de personnalité? Je n'arrivais pas à y croire, cette thèse
était trop facile pour un homme qui avait été d'une pureté
telle qu'on le comparait à un dieu.
-De toute manière, quelque soit ses intentions, il viendra à nous,
affirmais-je en accompagnant ma phrase d'un geste de la main aussi gracieux
que volontaire. Et mieux vaut ne pas être dans sa position, celle du demandeur,
car il va devoir venir nous visiter sur notre propre terrain... ce qui nous
laisse encore un avantage.
Saga appuya ma requête d'un claquement de langue énergique alors
que Shura et Aioros partageaient visiblement la même opinion.
Il était si facile de s'entendre avec eux que je m'en trouvais presque
effrayé, oui, j'avais du mal à croire que l'amitié pouvait
être aussi merveilleuse, un tel sentiment de pureté, léger
juqu'au miracle et agréable jusqu'à en devenir îvre. J'aimais
l'amitié, ce sentiment, autant que mes amis, et c'était étrange
à dire de cette façon... mais pourtant vrai.
-Aioros... commençai-je.
-Oui?
-Me pardonneras-tu jamais?
L'atmosphère devint soudainement non pas plus pesante, mais plus grave,
sérieuse aurais-je même été tenté de dire.
Le chevalier du Sagittaire me regarda, alors qu'un lent sourire se dessinait
peu à peu sur son visage éclairé d'une joie intense.
Saga aussi me regardait avec une indulgence qui lui était probablement
inspirée par sa compréhension vis à vis de ma situation
étant donné qu'il vivait la même, en sans doute bien plus
difficile, tout comme Shura qui m'adressa un simple clin d'oeil d'encouragement.
-Je n'ai jamais voulu être néfaste et pourtant... je croyais que
la paix reviendrait avec Saga, je pensais que tout serait plus simple, que sa
dureté, que sa force était nécessaire à ramener
la tranquillité dans le Domaine Sacré et partout sur le monde.
J'ai été aveuglé, non pas par le chevalier des Gémeaux,
mais par moi-même, par ma propre crédulité, par mon propre
besoin irraisonné de puissance... et je n'ai rien dit même si je
savais tout.
"Je n'ai pas le coeur si noir que certains le prétendent, non, c'est
par idéale que j'ai servi une cause injuste, en songeant sincèrement
que tout serait mieux, plus vivable sur terre. Mais ne dit-on pas que les chemins
de l'enfer sont pavés de bonnes intentions? Alors maintenant, je demande
ton pardon, Aioros.
Le gardien de la neuvième maison du Zodiaque m'observa attentivement
pendant quelques secondes sans se dépareiller de son sourire.
-Je t'ai toujours compris, Aphrodite, et je n'ai jamais pensé que tu
étais un homme à l'âme couleur de jais...
Il soupira longuement et plongea soudainement son regard dans le mien.
-Mon pardon? Je te l'ai donné en mourrant.
Aldébaran
J'étais en Angleterre, je pouvais l'affirmer sans crainte car je saisissais
la langue que l'on parlait et que leur accent ne pouvait guère me tromper.
Je ne me demandais guère comment j'avais attéri car je devinais
que cela s'était produit grâce au hasard, qui avait eu la merveilleuse
idée de m'amener directement dans un hôpital, lieu duquel j'avais
décidement le plus besoin.
J'étais le dernier chevalier à être revenu sur terre et
j'avais suivi les traces de cosmos de mes paires au travers des dimensions,
car ceux passés avant moi avaient songé aux autres, malgré
le peu de force qu'ils avaient alors, malgré la peur de rester à
jamais dans le néant, ils n'avaient pas oublié les liens de l'amitié
qui nous unissaient.
Je soupirais alors que mon thorax se soulevait douloureusement. J'étais
fatigué, épuisé... et incapable de ne rien faire d'autre
que de me laisser aller à une langueur qui me paralysait le corps. Je
me sentais flotter entre deux eaux, au gré du vent, je me laissais porter
par cette sorte de léthargie qui avait pris possession de moi. Je n'avais
pour l'instant plus le besoin de lutter et j'en profitais malgré les
souffrances que je devais endurer.
J'étais bien ancré sur terre, et je ne comptais pas en partir
avant de longues années... tout comme mes compagnons probablement.
Je me revoyais soudainement affrontant Niobé... cela avait été
terrifiant et il était probablement l'un des Spectres les plus puissants
existants. Je revoyais son sourire pédant se dessiner sur son visage
marqué de cruauté et d'une confiance en lui l'amenant à
la suffisance. Il avait pensé que j'avais perdu l'âpre lutte que
nous nous étions livrés mais je savais qu'il en allait alors tout
autrement. J'étais parti tranquille car il ne tenait plus debout que
par miracle et je savais que Mu, qui passerait probablement dans mon temple,
saurait le lui faire comprendre.
Je souris soudainement orgueilleusement. J'étais mort debout, comme mon
rang de chevalier d'Or me l'inculquait et je n'avais subi cette défaite
que dans l'honneur... j'avais perdu la vie et maintenant, je respirais à
nouveau et il me suffisait d'ouvrir les paupières pour voir la lumière.
J'avais d'ailleurs terriblement mal aux yeux, car pendant de longues semaines,
j'étais devenu aveugle à tout... excepté à la douleur.
Et maintenant que j'étais sorti du néant, j'éprouvais une
grande difficulté et beaucoup de peine à me réhabituer
à tout ce qui m'entourait et plus particulièrement à la
clarté.
Je soupirais de nouveau alors que j'entendais plusieurs personnes s'agiter au-dessus
de moi. Je comprenais parfaitement leur inquiétude étant donné
l'état alarmant dans lequel je devais me trouver cependant, je savais,
contrairement à eux, que tout cela passerait et que bientôt, avec
quelques jours de sommeil, je serai de nouveau sur pieds.
Qui avais-je le plus envie de revoir? L'interrogation me traversa soudainement
l'esprit et je fixais toutes mes réflexions sur cette question. Tout
le monde évidemment... mais deux visages s'imposaient plus particulièrement
à moi.
Mu, le calme, le froid et pondéré chevalier du Bélier qui
avait toujours été assez proche de moi et Seiya. J'éprouvais
un vif sentiment d'amitié à son égard et le combat que
nous nous étions livrés dans ma maison m'avait inexorablement
lié à lui d'une certaine façon. Car n'était-ce pas
face à moi qu'il avait découvert pour la première fois
de son existence, le fameux septième sens?
Oui, et j'aimais la personnalité determinée, courageuse et têtue
de ce jeune garçon dont les pouvoirs tenaient presque du miracle tant
ils pouvaient s'étendre à l'infini. Malgré mon rang de
chevalier d'Or, j'admirais ce combattant fervent et juste, il était le
modèle de ce que chacun de nous aurait du être.
Mais nous étions tous semblables à lui, seulement, nos personnalités
se déclinaient dans des teintes différentes, allant de couleurs
violentes et emportées aux pastels doux et froids... nos différences
faisaient souvent notre force puisqu'elles nous permettaient de nous compléter.
De repenser à tout cela, à toutes ces personnes que j'avais eu
la chance de côtoyer, je me mis à m'agiter, accentuant un peu plus
l'accès de fièvre que je devais subir depuis déjà
quelques heures. Je n'avais plus qu'une idée en tête : me lever
et partir pour le Sanctuaire.
Masque de Mort
- Le onzième chevalier à revenir, déclara Dohko en me
regardant dans les yeux avec approbation tandis que je sentais tout autour de
moi une certaine effervescence, voire même fébrilité, que
je n'avais pas la vanité d'attribuer uniquement à mon retour.
J'observais derrière un regard pénétrant et ironique tous
ceux qui m'entouraient... dix Gold Saints et trois Bronze Saints étant
donné que ce cher Shiryu et Ikki n'étaient pas là. Je dénombrais
aussi Kanon, que je ne savais guère dans quelle catégorie classer.
Ils avaient l'air anxieux tout en gardant leur calme mais je devinais sans peine
que Poséidon était la cause de cette agitation.
-Oui, l'avant dernier, précisais-je pour souligner mon manque de ponctualité
qui m'amusait.
J'avais toujours aimé être différent des autres, avoir des
entrées et des sorties fracassantes et on pouvait dire que durant toute
mon existence, j'y étais parvenu, même si ce n'était pas
forcément dans le bon sens car je m'étais souvent fait remarquer
pour de mauvaises raisons.
L'odeur putride émanant de mon temple me revint soudainement aux narines
mais je n'esquissais pas le moindre geste. Je n'avais jamais eu peur des Spectres
du passé, surtout pas maintenant que j'avais décidé de
changer.
Aphrodite esquissa un de ses lumineux sourires en face de moi. Il était
probablement le seul à apprécier mon retour à sa juste
valeur étant donné qu'il vivait la même situation que moi
- en nettement moi difficile cependant car il n'avait pas passé de longs
mois à jouer les bourreaux et à massacrer de nombreuses personnes.
Je le saluais avec désinvolutre et nous faillîmes nous mettre à
rire en même temps. Nous avions partagé une certaine amitié
durant les années sombres du Sanctuaire et notre complicité, malgré
ce que nous avions traversé et malgré notre décision de
revenir à des principes de justice que l'on aurait jamais du quitter,
existait toujours.
Pourtant, le chevalier des Poissons n'avait jamais été une personne
facilement abordable, autant à cause de son caractère indiscernable
que de sa beauté plus que troublante. Cependant, je n'avais jamais été
homme à m'intéresser à l'apparence des gens -mais seulement
à leur force- et c'est pourquoi j'avais abordé sans détour
Aphrodite qui s'était révélé être un ami d'exception.
Il n'avait jamais eu conscience de tous les crimes que je comettais, et j'avais
eu trop peur de l'effaroucher par mes actes pour les lui avouer, d'autant plus
qu'il n'aurait pas été homme à les tolérer, encore
moi à les absoudre car il accordait son pardon assez difficilement. Et
j'avais vite découvert qu'il affectionnant particulièrement la
paix et plus encore la force, dont il faisait presque un mode de vie. Tout comme
moi.
Il se tenait à présent en face de moi, auprès de Kanon,
dont le nombre de victimes s'élevait largement au-dessus du mien.
Mais l'heure du pardon était venue et nous avions tous enterré
notre passé dans les dimensions que nous avions traversées.
Tout à coup, j'entendis derrière moi un cri d'exclamation laissé
échappé par Seiya puis les voix de Hyoga et de Shun qui hurlaient
à la cantonade. Je me suis vivement retourné, m'attendant à
découvrir un de leurs enfantillages -car malgré ce qu'ils avaient
accompli, ils restaient pour moi des gamins- quand je me suis retrouvé
nez à nez avec Shiryu.
Le chevalier du Dragon me souriait tandis que j'écarquillais les yeux
de surprise, ma mine devant être franchement comique étant donné
les éclats de rire que j'entendis partout autour de moi.
Ainsi, je me retrouvais en face de celui que j'avais combattu, par deux fois
alors que je me trouvais encore dans cette sombre période de ma vie que
j'avais moi-même décidé. Je me souvenais de tout, alors
que j'avais été aux Cinq Pics, sur ordre de Saga pour tuer le
Vieux Maître et que le jeune chevalier du Dragon s'était interposé.
A l'inverse de beaucoup de chevaliers d'Or, je n'avais pas été
touché par son courage et sa témérité à s'attaquer
à quelqu'un de beaucoup plus fort que lui, au contraire, j'avais séverement
jugé cette action de folie et il n'avait fait qu'exciter mon énervement,
autrefois si facile à déclencher.
Et puis Mu était arrivé, portant secours au jeune disciple de
Dohko, et j'avais décidé de ne pas me battre contre lui, car j'avais
plusieurs fois entendu sa réputation de guerrier hors du commun, même
si cela n'avait jamais été vérifié, et je n'avais
nullement envie de me lancer dans un combat stérile et fratricide, comme
je le lui avais souligné avant de me retirer.
Et puis, nous nous étions opposés dans mon temple avant de finir
sur les bords du puit de la Mort... je frémis soudainement à la
seule pensée de ce gouffre, qui semblait en permanence prêt à
happer tous ceux qui s'en approchaient.
-Masque de Mort! s'exclama Shiryu alors que je voyais ses yeux voilés
par son handicap se fixer sur moi. Je n'arrive pas à y croire... après
tant de luttes, nous nous retrouvons enfin, au sein du Sanctuaire, comme les
frères que nous sommes finalement. Je crois que c'est l'un des plus beaux
jours de mon existence et le fait de te sentir de nouveau proche d'Athéna
me remplit d'allégresse!
Je hochais lentement la tête. Le chevalier du Dragon m'offrait son pardon
avant même que je ne lui demande, en somme, il me facilitait les choses
et je lui en étais gré. Demander à être absous n'est
pas une chose facile et j'étais moins que quiconque prêt à
le faire.
Je pris alors sa main dans la mienne et la serrais vigoureusement.
Rhadamanthe
"Souviens-toi, Rhadamanthe du Wyvern, souviens-toi que je ne suis jamais
loin des hommes, puisque je marche derrière eux tout au long de leur
existence, avant de couper aussi soigneusement que cruellement le fil de leur
vie..."
Cette voix, je la connaissais, je savais à qui elle appartenait mais
je ne pouvais le dire. Je me sentais m'agiter dans mon propre sommeil.
"Dors, Rhadamanthe, tu sais que c'est mon rôle que d'assurer ton
repos, ainsi que celui de tous les autres, mais n'ait crainte, je ne t'enverrai
pas dans les bras de mon frère"
Cette seconde voix, qui n'était pas sans me rappeler la première
en plus douce ne fit qu'augmenter un peu plus la tension et la fièvre
qui s'infiltrait dans tout mon corps. Mais qui tentait de communiquer avec moi
au travers de mes songes?
"Ecoute, Rhadamanthe, tu m'as toujours fidèlement servi depuis la
nuit des temps, et maintenant, je compte toujours sur toi. Je suis celui qui
attend les morts, je suis celui qui les regarde vivre dans son royaume mythique.
Tu ne m'as pas oublié, je vis encore au fond de ta mémoire, comme
Athéna vit dans celle de ses chevaliers."
Cette dernière voix m'était probablement la moins familière
et pourtant, elle résonnait dans mon esprit, dans mon sang, dans ma peau
comme si elle avait été mienne, comme si je l'avais entendu me
chuchoter ces étranges paroles depuis la création du monde.
Je me tournais vivement dans mon lit, défaisant tous les draps alors
que la chaleur étouffante de ce début d'automne m'écrasait.
Trois hommes -hommes?- essayaient de me parler, mais je n'arrivais pas à
savoir de qui il s'agissait même si peu à peu, je sentais le fin
voile obscure qui s'était placé devant mes yeux se déchirer
lentement. Je voyais des sortes de flash de lumière passer et découvrais
des scènes de mon existence à commencer par mon enfance.
Mon père, les îles Féroé tout cela s'incrustait de
nouveau dans mon cerveau comme la marque d'un sceau maudit dont je ne pouvais
pas me dépareiller... mon adolescence au travers du monde et cette étoile
sombre qui ne cessait de me guider vers la Grèce... je redécouvrais
des dizaines de passages de ma vie, de cette existence ou j'avais souffert mais
ou j'avais appris à m'endurcir, à devenir dur comme un roc et
froid comme la glace car ce caractère impassible et ce regard impénétrable
que je possèdais servirait mes intérêts.
J'avais toujours su que mon existence me ménerait à quelque chose
d'unique, à un destin hors du commun, dans le bon sens ou non. Mais quel
était, finalement, ce fameux destin que je n'avais de cesse d'évoquer?
Au moment ou l'ombre d'un château se découpait dans un ciel d'ébène,
je me réveillais en sursaut dans mon lit.
Julian
Ils me dévisageaient tous avec un étonnement au moins égale
à leur méfiance, et je ne pouvais que les comprendre car je m'effrayais
finalement moi-même.
J'étais Poséidon... il ne s'agissait tout de même pas là
d'une mince nouvelle et je ne savais comment me dépétrer dans
les fils de ma mémoire, récemment retrouvée. Pour ne pas
dire malheureusement.
Si je m'exprimais de cette façon, c'était sans doute car je réalisais
enfin pourquoi j'avais tant tenu à venir en aide aux personnes en détresse
qui avaient été touchées par les raz de marées propagés
sur la planète, selon mes propres ordres. Et je réalisais enfin
pourquoi, même après avoir consacré une partie de ma fortune
dans des aides et autres dons, je ne m'étais jamais senti apaisé.
Ne voyais-je pas, dans le visage de cette petite fille désormais orpheline
le reflet de ma propre folie? Ou peut-être était-ce dans cet homme
ayant perdu tous ses enfants que je découvrais les propres traits de
mon âme?
Ces questions, je me les étais posé mille fois et j'avais eu raison.
Je n'osais simplement pas en donner la réponse à voix haute. J'avais
commis l'irréparable, et même si je tentais à présent
d'expier mes crimes, je me rendais cruellement compte que rien ne faisait revenir
un mort à la vie, pas même le souhait d'un dieu. Car il existe
autre chose, une puissance supérieure devant laquelle les divinités
elles-mêmes doivent plier genoux et courber l'échine : le destin.
Maintenant que j'avais compris pourquoi mes nuits étaient sans paupières,
seulement bercées par le bruit des vagues s'échouant sur la plage
proche de ma maison, je ne savais pas si je n'aurais pas préféré
rester dans l'ignorance. Enfin, je comprenais qu'il s'agissait là d'une
solution lâche, et qui ne me permettrait jamais de me relever des horreurs
que mon bref, mais décisif pour des milliers de vies, règne avait
engendré.
Mon âme était séparée en deux à présent
que j'avais retrouvé mes facultés, pour une raison encore obscure,
celle de Julian que je connaissais le mieux et qui gouvernait dorénavant
l'autre, pleine de remords et de bonne volonté et enfin, celle de Poséidon,
étrangement paisible mais dénuée de pitié envers
la race humaine, même s'il semblait ne pas la haïr avec la méprisante
souveraineté d'un Hadès en puissance.
Je me sentais, malgré ses deux aspects que j'avais parfois du mal à
gérer, parfaitement moi-même, comme de nouveau réunifié
et enfin apaisé par le fait que je comprenais ces étranges troubles
de conscience dont j'avais été victime, bien que fort troublé
car je saisissais l'ampleur de mes fautes... et l'impossibilité de les
expier, du moins de la façon dont je l'aurais voulu.
Je revoyais Saori face à moi, tentant de me faire comprendre la vérité,
cette Vérite qu'elle prônait depuis toujours et qui s'appelait
tout simplement la foi en l'homme... j'étais ensuite transporté
à cet instant ou j'étais venu en aide aux chevaliers de bronze,
alors qu'ils se trouvaient à Elision, face à l'effroyable Thanatos.
Qu'avais-je voulu exactement à cet instant? Avais-je voulu préserver
ce que je jugeais comme étant mon bien, la terre autrement dit, d'une
ruine que je désirais moi-même assurer, ou bien, m'étais-je
soudainement ouvert à ce qu'Athéna défendait corps et âme?
Je ne le savais pas, je ne voulais pas le savoir, mais je comprenais que maintenant
réunifié, c'était Julian qui allait décider d'orienter
sa vie selon ses désirs, et non plus Poséidon.
Je hochais vigoureusement la tête, sans que personne ne saisisse pourquoi,
avant de fixer les chevaliers un à un.
Je n'en connaissais pas la plupart, uniquement Seiya et ses trois compagnons,
mais je me doutais pourtant de leur identité. Je laissais errer mes yeux
sur eux, alors qu'ils s'étaient présentés à peine
quelques minutes auparavant.
Cet homme, aux yeux à demi-clos, les bras croisés sur la poitrine
et la mine réfléchie ne pouvait être que le célèbre
Vieux-Maître, plus connu dans le monde divin comme étant le gardien
de la tour des 108 étoiles maléfiques.
Quant à ce garçon, aux grands yeux violets et à l'air distant
et inaccessible, il s'agissait sans doute de l'achmisite capable de réparer
des armures... Dohko et Mu... ils s'appelaient de cette façon d'après
ce qu'ils m'avaient dis.
Quels autres hommes évoquaient des images précises en moi? Ah!
Bien-sûr! J'allais oublié ce jeune homme aux immenses cheveux blonds
et l'irradiante luminosité dont la réputation d"homme proche
de la perfection était arrivée aux oreilles divines... Shaka,
ou Bouddha selon le nom qu'on voulait lui donner.
Je passais en revue les autres, Aphrodite à la grâce langoureuse
et aux yeux intelligents, Camus glacé et pondéré, Aioros
à l'enviable tranquillité d'esprit, l'orgueilleux Shura, l'ironique
Milo, l'emporté Aiolia, l'amusé Masque de Mort... non, je n'avais
aucun mal à les cerner car ces hommes ne savaient pas mentir sur cette
personnalité que la destinée leur avait forgée. Leur complexité
pouvait effrayer, car ils n'étaient pas faits d'un seul et unique bloc,
mais d'une multitude de détails qui les rendait probablement si intéressants
à fréquenter.
J'arrêtais soudainement mon regard sur Saga, cet homme torturé
par ses remords et au regard aussi triste que son sourire était sarcastique.
Je ne pouvais m'empêcher de remarquer ce contraste qui sautait aux yeux,
qui différenciait l'homme, au coeur pur et fragilisé par son existence
difficile, du combattant, fort et sûr de lui... son histoire était
plus que célèbre et...
Je me figeais.
Mais qui voyais-je maintenant... hormis Kanon, mon général, Dragon
des Mers comme il aimait à se faire appeler en usurpant une identité
alors qu'il voulait s'approprier mon royaume.
Je sentis comme un tressaillement, sorti de l'âme de Poséidon et
non plus de celle de Julian, me saisir, mais je le réprimais rapidement.
Comme il était étrange de revoir cet homme aux moeurs justes et
au courage maintes fois prouvé dans l'Hadès, dans ces conditions...
et aujourd'hui était un jour bien étrange pour des retrouvailles!
Sorrento bougea légeremment à côté de moi ce qui
me fit redescendre rapidement sur terre alors que je voyais le visage de Dohko
prendre une expression ou se mêlait méfiance et intérêt.
-Savez-vous vous-même, commença-t-il en posant sa main sur l'épaule
de Mu, pourquoi votre âme, enfin, celle de Poséidon, à regagner
votre corps?
Je lui trouvais le ton du professeur parlant à un disciple avec sa sagesse
coutumière et j'esquissais un sourire assuré, probablement hérité
de l'empereur des Mers ou de mon habitude à attirer les regards.
-Non... mais je ne pense d'ailleurs pas avoir récuperé l'intégralité
de mes pouvoirs divins étant donné que je puis encore me contrôler.
Je ne sais cependant pas pourquoi je suis présent...
Sorrento hocha la tête, pour approuver mes paroles autant car il les croyait
lui-même que par habitude de me soutenir.
-Attendez... déclara Shura, vous voudriez nous faire croire que vous
êtes revenu sans la moindre intention? Que vous venez nous voir sans la
moindre idée en tête? Cela me paraît, comme à la plupart
d'entre nous, si je puis me permettre de parler au nom de mes compagnons, un
peu difficile à avaler!
-Du calme, murmura Aioros, visiblement coutumier du fait de tempérer
son ami.
-Même si Shura a oublié d'y mettre les formes, continua le chevalier
du Verseau alors que son regard froid et dur se posait sur moi, je ne peux m'empêcher
de lui donner raison.
Un bref silence tomba entre nous alors que je ne savais guère quoi répondre.
Je ne leur avais pas menti en leur déclarant ne rien savoir à
propos de cette subite renaissance, mais je compenais aussi parfaitement pourquoi
ils ne voulaient, ni même ne pouvaient, me croire.
-Nous ne demandons qu'à vous croire, enchaîna subitement Aioros,
avec calme, seulement, nous aimons tous le concret et nous avons besoin de preuves.
Je vis un sourire ironique fendre le visage de Milo, visiblement certain, au
moins autant que moi, que je ne serais pas capable de donner cette fameuse preuve
que l'on me demandait de fournir.
-Il nous a aidé en enfer, intervint le chevalier d'Andromède,
alors que sa voix douce résonnait étrangement dans l'immensité
de la chambre sacrée... nous ne pouvons donc pas le condamner sans l'avoir
même ne serait-ce qu'écouté.
-Il n'est pas question ici de condamnation ou de quelqu'autre jugement, renchérit
Aphrodite dont le sourire lumineux démentait le regard aiguisé
et pénétrant qui cherchait à me sonder, mais bel et bien
de compréhension.
Ils m'acculaient tous contre un mur duquel je n'arrivais pas à me déroger
et j'eus du mal à avaler ma salive dans ma gorge sèche qui me
faisait souffrir. Ils avaient entièrement raison, mais cependant, je
savais que mes intentions n'étaient pas néfastes, et il était
de mon devoir de le leur faire comprendre.
-Si j'avais été votre ennemi, je ne serai pas venu ici, à
découvert, sans la moindre arme et alors que je n'ai pas retrouvé
la totalité de ma puissance... que pourrais-je faire contre plus d'une
dizaine de chevaliers à la force légendaire?
J'entendis le rire légeremment ironique de Sorrento teinter alors que
je m'appuyais sur sa présence car celle-ci était un soutien face
à cette table qui, sans être prête à me condamner,
n'était tout de même pas aisée à convaincre.
-J'ai parcouru le monde dans le but de racheter des crimes qui n'ont pas de
prix, j'ai tout fait, alors même que je n'avais pas conscience de mes
méfaits, pour regagner un semblant d'honneur et pour aider ceux que j'avais
moi-même démunis. Le spectacle de ce que j'ai commis est amplement
suffisant à faire venir en moi plus de remords que quiconque ne pourra
jamais en éprouver. Je suppose que plusieurs d'entre vous sont capables
de comprendre ce qu'est une erreur et combien il est difficile de la réparer.
Je reprenais mon souffle alors que je regardais tour à tour Saga, Masque
de Mort, Kanon, Shura ou encore Aphrodite.
-Je ne vous veux pas le moindre mal, au contraire. Shun a raison lorsqu'il dit
que je suis venu en aide à Athéna en amenant à ses serviteurs
les armures d'Or et je peux dire que sans moi, la Victoire était loin
d'être assurée. Je sais pourtant que tout le mérite revient
à Shiryu et aux autres mais cependant, il est utile de s'interroger sur
le devenir de la planète si j'avais décidé de rester tranquillement
dans mon coin.
J'avais l'habitude de convaincre des assemblées depuis mon enfance, car
les entreprises de mon père me forçait bien souvent à être
éloquent en publique, et j'étais pour une fois heureux d'avoir
assisté à toutes ces ennuyeuses réceptions et autres réunions.
-Et puis... je ne sais pas pourquoi je suis revenu, pourquoi mon âme est
parvenue à se délivrer du sceau d'Athéna, pourtant apposé
avec le plus grand soin, je puis vous en assurer, et tant qu'il n'y aura pas
de réponse à cette question, je suis tout prêt à
subir une surveillance rapprochée.
Je me tus car je venais de dire le nécessaire et je ne pouvais plus qu'espèrer
les avoir convaincus.
C'est alors que je vis peu à peu leur visage perdre ces traits qui durcissaient
leur physionomie et que Dohko prit la parole :
-Vous avez raison, nous en convenons tous. Cependant, le mystère reste
entier.
Il n'avait guère tort et je me demandais, alors que tous les chevaliers
m'observaient maintenant avec un peu moins de méfiance, qui serait capable
de lever le voile.
Aldébaran
J'étais parti de la clinique depuis maintenant deux jours, et j'avais
traversé la Manche puis parcouru une partie de l'Europe avant de finalement
me retrouver dans cette terre bénite pour laquelle je serai mort sans
hésiter, la Grèce.
Mon voyage avait été extrêmement mouvementé, je m'en
rendais compte à présent qu'il était terminé et
que je marchais sous un soleil de plomb qui marquait le début récent
de l'automne.
J'avais du monter dans des trains à vive allure, en tentant de ne pas
me faire remarquer, ce qui était plutôt difficile avec ma carrure
plus que notable. A maintes reprises, à cause de mon physique, j'avais
failli me faire prendre... et je n'avais pas manqué de trouver les situations
dans lesquelles je me retrouvais plongé plus que comiques!
Un chevalier d'Or en proie aux griffes d'un contrôleur, c'était
en effet une plaisanterie que je ne manquerai pas de raconter. Mais je supposais
que mes confrères avaient du vivre les mêmes tourementes, et qu'ils
auraient eux aussi plus d'une aventure à me rapporter.
Pour l'instant, je sentais mes forces m'abandonner et je me raccrochais à
la puissance d'Athéna que je sentais pourtant autour de moi, comme si
les ruines des abords du Sanctuaire portaient sa marque depuis des siècles
et des siècles.
Je n'arrivais d'ailleurs toujours pas à croire à sa mort. Ma déesse...
je lui avais dédié ma première vie, si l'on pouvait appeler
cela ainsi car j'avais l'impression que ce voyage entre les dimensions ou j'aurais
du rendre mon dernier souffle avait abouti sur une seconde existence, que je
vouerai encore à la justice. Cependant, sans Athéna sur terre,
je me demandais à quoi allait ressembler nos vies de chevaliers.
Nous allions probablement entraîner des disciples, cette prochaine génération
de combattants qui viendrait prendre la relève et qui ne connaîtrait
pas les guerres saintes que nous avions traversées. Non, ces enfants
qui revêtiraient un jour nos armures seraient simplement destinés
à en éduquer d'autres, à veiller sur la paix des êtres
humaines et je leur souhaitais d'aimer autant les hommes que je le faisais moi-même.
J'esquissais un sourire empreint de mélancolie. Est-ce que l'histoire
se terminait comme cela? Est-ce qu'après avoir accompli autant de miracles
nous allions retrouver une existence paisible, faite de joies simples que nous
pourrions trouver au Sanctuaire?
Je trébuchais à cause d'une fissure faite dans le sol et me rattrappais
de justesse à un olivier que je jugeais un rien trop malingre, tout étouffé
qu'il était par la chaleur qui régnait partout.
Je ne savais plus que penser de l'avenir, sans doute car cela faisait trop longtemps
que j'étais seul, aussi bien dans les dimensions, que sur cette terre
ou je n'avais pas encore rencontré l'ombre d'une personne que je connaissais.
Je n'avais pourtant pas perdu mon optimisme, ni ma détermination et ma
jovialité, au contraire, je me sentais prêt à vivre de nouveau,
car je méritais bien les jours qui s'ouvraient devant moi.
Cependant, la disparition d'Athéna provoquait une curieuse mélancolie
dans mes pensées que je ne savais pas vraiment expliquer. Je me posais
des questions quant à l'avenir du Domaine Sacré que nous avions
maintenant le devoir de gérer...
Mais toutes mes interrogations furent balayées en moins d'une seconde
lorsque je les apperçus, tous assis sur les marches du temple du Bélier,
entrain de parler et de s'animer.
Je pouvais discerner onze chevaliers d'Or, Kanon, second chevalier des Gémeaux,
et quatre chevaliers de Bronze... Seiya, Hyoga, Shun et Shiryu. Il ne manquait
plus que moi... et Phoenix d'après ce que je pouvais voir.
Mon coeur éclata dans ma poitrine et je n'eus pas la force d'ouvrir la
bouche pour les appeler alors que les larmes me montaient aux yeux, que mon
esprit se laissait submerger par les émotions que je savais stagnantes
en moi depuis plusieurs jours. J'avais l'impression que tout mon sang s'échappait
de mon corps avant d'affluer de nouveau à toute allure dans mes veines,
le monde tournoyait autour de moi et plus rien n'avait de sens que cette vision
de mes compagnons qui m'avaient manqué plus encore que les mots ne savaient
l'exprimer.
Et ils me virent, se figèrent, incrédules devant la découverte
du dernier d'entre eux, avant de se précipiter dans ma direction, comme
un groupe d'écoliers désordonnés et criant de joie.
En moins de quelques minutes, ils furent autour de moi, tous autant qu'ils étaient,
m'entourant de leur présence que j'avais cherchées depuis que
j'avais été propulsé dans l'espace. Je sentais l'espoir
qui battaient en eux, et je savais qu'avec nous, la vie ne mourrait jamais,
qu'elle ne prenait fin que lorsque nous l'avions décidé... nous
étions tous là, présents pour le prouver.
Tous les chevaliers se trouvaient maintenant réunis sur le sol du Sanctuaire.