Chapitre 08 : Prémices

 

11 février 1991
Nord de l’Extrême-Orient russe 

Encore bleu et dégagé une vingtaine de minutes plus tôt, le ciel était désormais envahi par de sombres nuages à l’aspect menaçant. Un fort vent s'était levé et la neige s'était mise à tomber en rafales drues, rapides et épaisses. Perdu au coeur de ce blizzard où la visibilité était très réduite, Hyôga avançait avec peine, assailli par de violentes bourrasques glacées. A ce qui lui semblait, plus il progressait et plus le déchaînement des éléments s'accroissait, comme si ceux-ci essayaient de l'empêcher d'aller plus loin. Pour le Chevalier du Cygne qui connaissait parfaitement le climat sous ces latitudes, l’étrangeté de ce phénomène ne pouvait signifier qu’une seule chose, il se rapprochait de son objectif.
Sa théorie tendit à se confirmer lorsque le jeune homme repéra des individus qui le suivaient à une certaine distance, dissimulés au sein même de la tempête. Ces personnes appartenaient-elles à un quelconque corps de garde de Blue Graad ou alors s’agissait-il de simples voyageurs eux-mêmes égarés dans la tourmente ? La probabilité que la seconde hypothèse fut la bonne était des plus réduite, car il fallait être un imbécile pour s’aventurer aussi loin du dernier village connu, alors qu’il n’était censé rien y avoir au-delà. Estimant que ses conjectures ne le mèneraient nulle part, Hyôga prit la décision de demander à ces gens de l’aider. Après tout, que risquait-il vraiment ? S’ils avaient eu des intentions malveillantes, ils l’auraient déjà attaqué. Au pire, il passerait pour un fou.
Les langues possibles étant multiples dans cette partie du pays, il ne sut pas vraiment comment s’adresser à eux. Employaient-ils le russe, l’ukrainien ou bien encore un dialecte propre aux minorités ethniques de ces régions ? Grâce à Camus, son défunt maître, il avait acquis quelques rudiments dans chacune, mais pas suffisamment pour en avoir une maîtrise correcte. Son choix se fixa donc très vite sur le russe, sa langue maternelle. Son souffle formant des panaches de vapeur, il mit ses mains en porte-voix pour que ses paroles portent par-dessus le mugissement du vent et il cria à pleins poumons :
- Je suis un Chevalier au service de la déesse Athéna ! Je cherche à me rendre à Blue Graad en tant qu’émissaire du Sanctuaire ! Je ne vous veux aucun mal !
Une poignée de minutes durant, Hyôga pensa que ces gens n’étaient pas ceux qu’il espérait ; jusqu’à ce qu’ils se manifestent finalement. Vêtus d'armures mêlant du métal à de la fourrure blanche qui avait vraisemblablement appartenu à un ours ou à un loup, ils se déplaçaient comme des fantômes. L’ayant encerclé, les sentinelles le couvèrent d’un regard méfiant. Certaines avaient des armes, d’autres non, et chez elles, le métis sentit l’éveil du cosmos. Un homme se distinguant par le port d’un collier de griffes fendit le cercle et se planta face à lui.
- Tu dis que tu es un Chevalier, étranger. Je suppose donc que ce que tu transportes dans cette toile est ton Armure, fit-il en désignant le dos de Hyôga d’un mouvement du menton.
- C’est exact.
Un hochement de tête accueillit sa réponse.
- Nous allons te conduire jusqu’à Blue Graad, envoyé du Sanctuaire. Mais avant cela, remets-nous ton Armure, lui intima le chef des sentinelles.
Le jeune homme défit les sangles qui maintenaient sa Pandora Box en place, la laissant choir au sol. Se délester de ce qui illustrait son statut de Chevalier ne l’enchantait pas vraiment, toutefois, il avait évalué la situation et ne l’avait pas jugée dangereuse. Même sans elle, il restait un adversaire on ne peut plus redoutable.
Le chef fit signe à l’un de ses subordonnés qui récupéra l’objet et le chargea sur son propre dos. Ensuite, le groupe se mit en route. La notion du temps devenant abstraite dans cette tourmente, Hyôga n'essaya pas de calculer la durée que le trajet leur prit. En revanche, ce qu’il estima au bout de plusieurs kilomètres, c’était qu’il avait beau être engoncé dans un épais manteau et doté d’une grande résistance au froid, la fatigue n’en demeurait pas moins une ennemie pernicieuse. Sans guide, il aurait continué son interminable errance et elle aurait fini par avoir raison de lui. Il n’était qu’un homme après tout.
 Au bout d’un moment, il constata que l'atmosphère s'éclaircissait, la neige ne tombant plus qu'en de lents flocons. Le ciel était toujours aussi couvert, mais au moins, la visibilité était bien meilleure. A travers la brume, Hyôga aperçut les proches abords de la cité. Il touchait enfin au but.

En pénétrant dans la ville, le jeune homme comprit pourquoi elle portait le nom de Blue Graad. En effet, le givre et la glace recouvraient en grande partie les bâtiments, leur conférant un magnifique aspect bleuté ; véritables féeries immaculées. Observant davantage les alentours, il vit que seules quelques rares tours et habitations étaient en réalité encore debout. Pour ce qui était du reste, cela tenait plus de la ruine qu'autre chose. Sur le moment, il se demanda s’ils étaient bien au bon endroit.
Ils traversèrent d'anciennes rues qui avaient dû être animées par le passé et entrèrent dans ce qui semblait être un temple dont le toit était effondré. A l'intérieur, le groupe emprunta une longue allée avant de déboucher dans une salle à ciel ouvert. Une épaisse couche de neige s’était amoncelée sur l’ensemble de la zone, sauf devant le mur du fond qui curieusement était exempt de toutes traces. Se plaçant face à celui-ci, l’une des sentinelles actionna un mécanisme caché. Avec un sourd grondement, la cloison se scinda en deux parties qui s'écartèrent l'une de l'autre pour dévoiler un escalier. Dès qu’ils l’eurent emprunté, le Chevalier du Cygne nota que l’air ambiant était bien plus chaud. Pas seulement comme dans un lieu abrité du vent, mais plutôt à la manière d’un feu qui réchaufferait une pièce. Il en fit part à l’un de ses suivants :
- Depuis que l’on a passé l’entrée, l’atmosphère est devenue … comment dire ...
- Plus accueillante.
- Oui, c’est ça. Par quel moyen obtenez-vous ce résultat ? Je n’ai pourtant vu aucune flamme brûler nulle part.
- Le système que nous utilisons est une de nos plus grandes fiertés. En fait, c’est la Terre elle-même qui nous fournit cette chaleur, grâce à la géothermie. Elle réchauffe l’eau qui circule dans toute la ville et rend cet endroit … disons, moins glacial. Nous n’avons recours au feu que rarement.
- Ah, je comprends mieux !

Après avoir descendu plusieurs centaines de marches, éclairées par d’étranges gemmes incrustées dans les parois, ils débouchèrent sur de nouvelles portes. Une fois celles-ci franchies, Hyôga fut le témoin d’une vision inattendue. Située cinq cent bon mètres plus bas, par rapport à sa position, une vaste cité souterraine occupait une immense dépression. Assez grande pour abriter plus d’un millier de personnes, sa forme évoquait celle d’un croissant dont les pointes étaient tournées vers l’arrière, se confondant avec la pierre. D’apparence moyenâgeuse, les constructions suggéraient un sentiment de robustesse et de force propre à ceux qui vivent dans de rudes conditions. Un imposant château, tant par sa taille que par sa majesté, était accroché à la falaise opposée, de manière à surplomber tout l’ensemble. Pour compléter ce tableau magique, la voûte de la caverne était d’une transparence qui rappelait celle du cristal, laissant la cité toute entière baignée dans une douce clarté bleutée. Le ballet étincelant qu’offrait la lumière en se réfléchissant sur les multiples facettes était un spectacle merveilleux aux yeux du jeune homme.

Contraint de quitter le promontoire, Hyôga suivit le groupe de sentinelles qui descendait un autre escalier, taillé à même la roche. A présent au niveau de la ville, ils durent franchir une sorte de plaine avant d’en atteindre l’entrée proprement dite.
Un simple geste à l’adresse des remparts suffit pour que le portail s’ouvre sur leur passage. Leur trajet se poursuivit à travers une enfilade de rues pavées plus ou moins larges qui, au bout du compte, allaient certainement les mener jusqu’au château, comprit le métis. Durant leur cheminement, le jeune homme aperçut de nombreuses personnes qui lui jetèrent un coup d’œil insistant, probablement plus par curiosité que par réelle défiance. A ce qu’il pouvait en juger, ces gens ne vivaient pas dans l’opulence, mais ils n’avaient pas l’air miséreux non plus. Aucun n’avait un teint maladif ou les joues creusées par la faim et leurs vêtements n’étaient pas une succession d’éléments rapiécés. Blue Graad semblait jouir d’une bonne situation. Après quinze minutes de marche, ils parvinrent au pied de la falaise.
Hyôga constata qu’afin d’accéder au château, ils allaient apparemment devoir gravir la pente rocheuse. Encore des escaliers, songea-t-il avec désagrément.
Mais contre toute attente, les sentinelles n’empruntèrent pas ce chemin. Au lieu de ça, elles le conduisirent à une nacelle qui se trouvait un peu plus loin le long de la paroi. A l’aide de celle-ci, le groupe pourrait effectuer le voyage beaucoup plus rapidement. Ayant embarqué, le porteur du collier de griffes prit un petit cor qui pendait à sa ceinture et souffla brièvement deux coups. En réponse, un treuil situé au sommet se mit en marche, faisant cliqueter ses chaînes et l’ascension débuta.
Durant celle-ci, Hyôga put à nouveau contempler la ville depuis les hauteurs jusqu’à ce que leur nacelle s’immobilisât finalement avec un cahot. A peine eurent-ils quitté leur embarcation qu’ils se retrouvèrent face à une double porte surmontée d’une arche. La dépassant, ils pénétrèrent à l’intérieur de la demeure du souverain de Blue Graad.
Cumulant à la fois l’architecture ordonnée de l’être humain à celle, plus brute, de la nature, le palais avait un aspect minéral très marqué. Par endroits, des fleurs de cristal luminescent affleuraient de la roche, rendant le lieu un moins sinistre. Toutefois, le jeune homme n’eut pas le loisir de l’observer plus en détail, car il fut rapidement conduit dans une pièce où on lui demanda d’attendre. Son lourd manteau devenant étouffant pour lui, il l’enleva et le posa sur l’un des deux fauteuils qui, en dehors d’une table, constituaient l’unique ameublement. Hyôga avança vers la fenêtre qui perçait le mur et s’accouda à celle-ci, son regard glissant sur la cité en contrebas.

Cela faisait peut-être dix minutes qu’il étant dans cette position lorsque la porte s’ouvrit pour laisser entrer un sexagénaire. D’apparence frêle, il était vêtu d’une tunique noire à haut col, où était placé un insigne argenté, ainsi que de chausses de même couleur. Ses cheveux gris étaient ramenés vers l’arrière dévoilant un front dégagé et ridé. Ses yeux se fixèrent sur le métis et un sourire affable fendit ses lèvres, brisant l’austérité de ses atours.
- Bienvenue à Blue Graad, Chevalier, déclama-t-il dans un russe impeccable. Je m’appelle Stavyor, je suis le chancelier du roi Alekseï. Pardonnez-nous de vous avoir dépouillé de votre Armure, mais comprenez que ce n’est qu’une simple précaution de notre part. Elle vous sera rendue dès que nous serons avisés de vos intentions.
Je ne peux pas les blâmer pour ça, pensa le jeune homme. Ils protègent leur nation et un émissaire reçu par le Sanctuaire subirait sans doute le même traitement. Et de toute façon, je dois gagner leur confiance sinon ma mission sera un échec.
- Si cela peut vous rassurer, chancelier, je veux bien m’y plier. Mon nom est Hyôga, Chevalier de Bronze du Cygne. Cela fait très longtemps que le contact a été rompu avec votre cité et je sais que par le passé, le Domaine Sacré a entretenu des relations de suzeraineté par rapport à votre peuple. (La remarque suscita un imperceptible changement dans le maintien du secrétaire du roi. Un regard un tantinet plus dur, une posture plus droite. Autant de détails qui témoignaient d’une défiance face à l’autorité grecque.) Cependant, je ne suis pas là pour remettre en cause votre indépendance, ni vous replacer sous le joug du Sanctuaire. Au contraire, je puis vous assurer de notre soutien si nécessaire. Et en disant ça, je parle par la bouche même de la déesse aux Yeux Pers.
- Eh bien, voilà qui fait plaisir à entendre, Chevalier, fit le chancelier visiblement soulagé. En toute honnêteté, je dois vous avouer que j’avais été chargé de vous éconduire promptement si cela avait été le cas. Mais si Athéna s’est réincarnée à notre époque, cela n’augure rien de bon, n’est-ce pas ?
- Au contraire, le détrompa le jeune homme. Elle est la gardienne de la paix et nous avons remporté toutes les batailles que nous avons menées à ses côtés pour sauvegarder la Terre. D’ailleurs, c’est justement dans cette optique-là que j’ai été délégué auprès de votre régent. Car pour continuer à remplir notre devoir, nous allons avoir besoin de son aide.
- Vous requérez notre appui ? Pour quelle raison ? demanda Stavyor redevenu méfiant tout d’un coup.
- Ne le prenez pas mal, mais votre souverain est la personne à qui j’aimerais en parler en premier lieu.
- Ma foi, vous avez été honnête jusque-là, alors je peux vous concéder ça.
Le conseiller se détourna brusquement de son invité.
- Très bien, je vais vous laisser. Le roi Alekseï devrait vous recevoir dans quelques minutes.

A nouveau seul, Hyôga repensa au mois écoulé, sa quête ayant débuté lors d'un banal séjour au Sanctuaire.
Dès qu'elle avait eu vent de sa présence, Saori Kido l'avait pris à parti, car elle voulait lui confier une tâche spécifique. Il apprit ainsi qu'une semaine auparavant, la jeune femme avait consulté d'anciens parchemins qui recelaient de possibles éléments de réponses quant au mystérieux artefact dérobé. Il s'agissait là de leur première piste sérieuse et il s'était avéré qu'ils l'avaient eue sous leur nez dès le départ. En effet, les bibliothécaires avaient isolé ces documents au fin fond d'une réserve poussiéreuse censée accueillir les ouvrages incomplets ou considérés comme inutiles. Le hasard avait voulu que Saori mette la main dessus au détour d'un simple rangement de cette section. A ce qu'il avait pu en juger, ce souvenir semblait la rendre crispée, son cosmos émettant de sourdes vibrations quand elle lui en parla – en questionnant plus tard le capitaine Nereus sur cet "incident", ce dernier avait expliqué à Hyôga que le sol du Domaine Sacré en avait même tremblé ce jour-là ; anecdote qui prêtait toujours le jeune métis à sourire.
Redevenue plus calme, elle lui avait annoncé que ces textes avaient malheureusement été rédigés dans une langue qu'aucun érudit n'avait été en mesure de traduire. Le seul indice notable s'étant présenté sous la forme d’un nom : Blue Graad. Après quelques recherches, il s’était avéré que cette cité était rattachée au Sanctuaire. Seulement, la localisation de cette dernière était imprécise et surtout, le fief grec ne semblait pas avoir eu de contacts avec cette nation depuis plusieurs siècles. Ainsi, du fait de ses connaissances de la région sibérienne, le Chevalier du Cygne était le plus apte à remplir cette mission. Fort de celle-ci, le jeune homme avait alors commencé son enquête en interrogeant des historiens de plusieurs grandes villes russes.
Toutefois, ceux-ci ne possédaient que peu de notes sur le sujet, la plupart ne comprenant pas d’ailleurs qu’on puisse s’intéresser à un mythe aussi improbable. Son investigation s’était poursuivie auprès des habitants de villages reculés. Là encore, les seuls éléments qu’il avait pu récolter tenaient plus de vieilles légendes et d’histoires issues du folklore local, dont il était difficile de dissocier le vrai du faux. Après un mois de recherches infructueuses, il s'était finalement enfoncé dans les terres gelées de la toundra sibérienne, livré à lui-même avec seulement quelques maigres informations.
En fin de compte, c'était la ville qui l'avait trouvé et non l'inverse.

Réfléchissant à sa future conversation avec le monarque, il se repassa mentalement les connaissances dont il disposait sur la fondation de Blue Graad.
D’après les renseignements fournis par Saori, trois Chevaliers avaient découvert, neuf cents ans plus tôt, de curieuses inscriptions, gravées à même la roche dans une caverne, alors qu’ils cherchaient à s’abriter d’une tempête lors d’un voyage en Sibérie. Intrigués, ils en avaient recopié une partie sur du parchemin et l’un d’entre eux l’avait ramené au Domaine Sacré tandis que les autres restaient sur place pour garder le site. Athéna n’étant pas réincarnée, c’était le Grand Pope de l’époque qui leur avait demandé de s’installer là-bas avec suffisamment d’hommes pour les étudier. Environ soixante ans plus tard, une explosion – peut-être dû à du gaz emprisonné – avait provoqué l’effondrement de la grotte ainsi que la destruction de ses secrets. Les travaux effectués par les érudits grecs avaient subi un sort identique puisqu’ils se trouvaient au même niveau. Le projet étant irrécupérable, Blue Graad devint alors une simple annexe du Sanctuaire, servant de camp d’entraînement pour certaines recrues. La nation sibérienne continua donc son développement en ayant de moins en moins de contacts avec le fief grec et chacun oublia plus ou moins involontairement la raison qui avait poussé à la fondation de celle-ci.
 
Lorsque la porte s’ouvrit pour la seconde fois, ce fut pour laisser passer des gardes. Ces derniers guidèrent le jeune homme auprès du monarque de la cité. Le seuil de la salle du trône franchi, le métis observa les lieux. Des tapisseries aux riches couleurs ainsi que des fourrures étaient tendues sur les murs de gauche et de droite. Avançant le long de l’allée centrale, il songea que la rangée de piliers de pierre de chaque côté de celle-ci donnait un aspect robuste et antique à l’endroit. L’éclairage était assuré par des gemmes semblables à celles qu’il avait vues précédemment. Des gardes disposés çà et là, étaient prêts à intervenir en cas de menace. Parmi eux, Hyôga reconnut deux des sentinelles qui l’avaient escorté. Quelques personnes qui devaient être des conseillers ou d’un statut similaire, puisqu’ils n’avaient pas le physique de guerriers, faisaient également partie du lot de spectateurs. Enfin, un peu retrait par rapport au souverain se trouvait le chancelier Stavyor.
Assis sur un trône décoré de gemmes cristallines, le roi de Blue Graad était un homme d’une quarantaine d’années à la forte carrure. Ses cheveux noirs atteignaient ses épaules et une barbe de la même couleur ornait ses joues. De ses yeux bleus glacés irradiait toute son autorité. Il portait une protection qu’on aurait dite taillée dans du cristal. S’agirait-il d’une Armure de Chevalier ? s’interrogea le métis. Sur un second siège plus petit, mais tout aussi beau, siégeait une femme d’âge mûr. Une certaine chaleur transparaissait dans son regard brun et ses traits étaient fins et délicats, là où ceux de son époux étaient grossiers et anguleux. Reposant sur son épaule gauche, sa chevelure blonde, à laquelle avaient été adjointes quelques plumes de harfang, était tressée en une natte.
S’inclinant face à eux, le jeune homme déclara :
- Salutations à vous, roi Alekseï et reine …
- Kyrilia, compléta celle-ci. Bienvenue Chevalier.
- Sois le bienvenue en ces lieux, Chevalier Hyôga, dit à son tour le souverain. Il y a très longtemps que le Sanctuaire n’a pas cherché à prendre contact avec nous. Trois siècles pour tout dire. Alors pardonne mes méthodes un peu rudes, mais d’où peut venir ce soudain regain d’intérêt ? Stavyor m’a appris que ce n’était pas pour nous faire revenir sous votre joug. C’est louable de votre part, acheva-t-il ironique.
- Seigneur, je peux comprendre votre scepticisme, néanmoins, je tiens à vous assurer du bien-fondé de nos promesses d’amitié.
- Soit, je veux bien te croire, dit le souverain à la manière d’un homme qui n’a pas envie de s’appesantir sur un sujet ennuyeux. En tout cas, j’imagine que tu as quelque chose d’autrement plus important à me dire. Suffisamment pour que tu préfères l’évoquer uniquement face à moi, ce qui m’intéresse davantage que le reste.
- C’est exact, roi Alekseï. Pour commencer, vous n’êtes pas sans savoir que vos ancêtres se sont établis ici suite à un ordre du Sanctuaire. Ceci afin de veiller sur d’anciennes inscriptions.
- Bien sûr que j’ai connaissance de tout cela ! grogna son interlocuteur. De plus, toi comme moi, sommes pertinemment au courant du fait qu’elles ont été détruites.
- En réalité, elles ne l’ont pas été totalement. En effet, au cours de recherches au sein de notre bibliothèque, nous avons découvert des copies de ces inscriptions. Cependant, comme vous pouvez vous en douter, nous ne sommes pas parvenus à les déchiffrer. Aussi, je suis venu en ces lieux avec l’espoir que votre peuple ait pu conserver une quelconque traduction.
Pensif, le souverain passa une main dans sa barbe.
- Il est effectivement possible que nous possédions la clé qui vous fait défaut. Toutefois, avant toute chose, je voudrais connaître les raisons de ces recherches.
Hyôga hésita. En effet, il n’avait pas l’aval de Saori pour révéler autant d’informations. Mais ne devait-il pas faire preuve de franchise s’il souhaitait amener le dirigeant à de meilleurs sentiments à leur égard ?
Sa décision arrêtée, il prit une profonde inspiration et commença à relater les évènements survenus quatre ans plus tôt. A peine eut-il terminé, que des murmures s’élevèrent dans les rangs des conseillers ; le monarque les fit taire d’un seul regard dur comme le silex.
- Ainsi, continua le métis, bien que nous n’ayons pas tous les éléments en main, nous pressentons qu’une nouvelle menace fera surface dans un avenir proche. Voici la raison pour laquelle nous avons besoin de votre appui. Alors avec votre permission, seigneur Alekseï, pourrais-je avoir accès aux connaissances des vôtres ?
- Non, répondit-il simplement.
Sa réponse négative laissa le jeune homme perplexe. Certes, il avait envisagé un refus au rang des possibles résultats de cette entrevue ; au début. Maintenant qu’il avait démontré l’importance de sa mission, il s’attendait plutôt à une offre de soutien.
- Crois bien que je mesure tout à fait l’enjeu que représente ta demande, Chevalier, reprit le roi de sa voix grave. Seulement, de mon point de vue, j’ai l’impression que vous demandez quelque chose, pour ne pas dire exiger, et que je devrais y accéder. Comme si Blue Graad était sous votre domination. Pourtant, il me semble bien t’avoir entendu indiquer tout à l’heure que ce n’était pas le cas. (Il marqua une pause sans pour autant lâcher son vis-à-vis des yeux.) Selon toi, Chevalier, les bases d’une bonne entente ne devraient-elles pas reposer sur un échange entre les deux parties ? A la façon dont je vois les choses, elles m’ont l’air de n’abonder que dans un seul sens ; le vôtre.
- Roi Alekseï, Athéna n’a jamais eu l’intention de vous tromper.
- Peut-être, oui, rétorqua le roi. Peut-être que je suis trop prompt à juger. De plus, ta plaidoirie sonne trop juste pour ne pas l’être. Malgré tout, cela ne change rien à la justesse de mes propos, tu ne penses pas ?
La situation semblait complètement échapper au contrôle de Hyôga.
- Non, c’est vrai, avoua-t-il. Alors, qu’attendez-vous de la part du Sanctuaire ?
Un sourire triomphant s’afficha sur le visage du monarque.
- Bien peu de choses en fait. En échange de l’aide apportée par notre nation, je souhaite simplement que l’un de mes sujets reçoive une formation pour être Chevalier.
Le métis resta interdit.
- Mais n’avez-vous aucun professeur au sein de votre peuple ? demanda-t-il quand il eut repris contenance.
- Si, évidemment. D’ailleurs, ils arrivent à enseigner la maîtrise du cosmos, mais leurs élèves ne sont pas sacrés pour autant. Je désire donc qu’un maître du Sanctuaire prenne en charge la personne que j’aurais choisie pour que celle-ci le soit et revête une Armure.
- Un échange de bons procédés en quelque sorte ?
- C’est cela.
- Je serai ce professeur-là, répondit Hyôga presque instantanément. Je m’y engage.
- Parfait ! s’écria le souverain de Blue Graad. Le meilleur de nos érudits partira pour la Grèce dès que l’entraînement aura commencé !
- Pourrais-je au moins connaître l’identité de mon futur élève ?
- Il s’agit de mon fils puîné, Andrei.
A l’annonce de ce nom, Hyôga remarqua que les mains de la reine Kyrilia se crispèrent sur son giron.
Elle a peur pour son enfant et c’est tout à fait normal, songea-t-il. Cependant, au vu de sa réaction, son époux a dû prendre cette décision dans l’instant.
Le monarque avait vu une opportunité de se servir du Sanctuaire et l’avait saisie au vol. Une sorte de revanche ?
- Très bien, dit-il. Je rédigerai une lettre à l’attention d’Athéna afin de lui expliquer la situation. Je la remettrai à mon "remplaçant" avant qu’il ne parte.
- Parfait.
- Chevalier Hyôga, intervint la reine, je vais vous faire préparer une chambre. Vous devez être fourbu après un si long voyage. De plus, l’entraînement peut bien attendre un jour ou deux, n’est-ce pas ?
Sa question sonnait comme une plainte aux oreilles du jeune homme. Il lui sembla qu’elle voulait retarder le plus possible le moment, même lointain, où son enfant lui serait en quelque sorte arraché.
- Je vous remercie pour votre hospitalité, reine Kyrilia. Si votre époux y consent, j’aimerais en bénéficier de suite.
Elle jeta un coup d’œil à son mari qui opina du chef.
- Slavomir te servira de guide, ajouta-t-il.
Un homme d’une cinquantaine d’années, portant un fin collier de barbe où se mêlaient des poils blonds et gris, s’avança et salua. Ses cheveux coupés courts lui donnaient un aspect sévère et inflexible, que dénotait son regard noisette bienveillant. De sa main tendue, il enjoignit Hyôga à le suivre.

Pourvue d’un lit et d’un secrétaire sur laquelle reposait une lampe en cristal, la pièce qui lui était attribuée se révéla plus accueillante que la première. Sorte d’ajout à son "confort" personnel, sa Pandora Box l’attendait dans un coin. Apparemment, ils lui faisaient suffisamment confiance pour lui rendre l’Armure qu’ils avaient prise en "otage". Tournant la tête vers la fenêtre, le métis remarqua que la luminosité semblait avoir décliné. La nuit devait s’avancer à grands pas. Il s’assit sur le matelas.
La tournure des évènements est pour le moins inattendue, songea-t-il. Je me suis catapulté maître alors que je ne sais même pas si je serais à la hauteur. Il bascula pour s’allonger sur le lit. Etait-ce un bon choix ? D’ailleurs, l’était-il pour chacun d’entre eux ?
Ces questions, ainsi que beaucoup d’autres, tinrent longtemps compagnie à son esprit avant que le sommeil ne vienne le trouver.

12 février 1991
Nord de l’Extrême Orient Russe, Blue Graad

Le lendemain matin, à la demande de Hyôga, Slavomir l’emmena voir le prince Andrei.
- Par ici, Chevalier, dit le guide, nous ne sommes plus très loin.
Longeant un long couloir, ils bifurquèrent à droite puis à gauche, avant de se retrouver face à une grande porte à double battant. L’ayant franchie, ils atteignirent une galerie qui faisait saillie au-dessus d’une vaste pièce. Les murs de pierre noire de cette dernière avaient gardé l’aspect naturel et irrégulier de la roche. Des fleurs de cristal apparaissant par endroits diffusaient une douce lueur plus que bienvenue dans le sombre lieu.
De leur emplacement surélevé, les deux hommes pouvaient englober l’intégralité de la salle au-dessous d’eux. En son centre se battaient deux garçons d’une douzaine d’années sous le regard attentif de leur professeur. Leur cosmos déployé, ils s’affrontaient seulement au corps à corps. Il suffit à Hyôga de comparer l’intensité de leurs énergies pour déduire quel serait le vainqueur. L’un était manifestement plus développé que l’autre. D’ailleurs, sa puissance était bien supérieure à ce qu’il avait imaginé la veille. Il jeta un coup d’œil en coin à son guide. En réponse à sa question muette, ce dernier hocha la tête.
- Oui, c’est le prince Andrei. Venez, nous allons les rejoindre en bas.
Le Chevalier du Cygne partit de nouveau à la suite de l’homme. Ils repassèrent par l’entrée de la galerie et prirent un chemin qui les conduisit à un escalier. L’empruntant, ils parvinrent à l’étage inférieur qui correspondait au niveau de la salle d’entraînement. Lorsqu’ils y pénétrèrent, ils eurent juste le temps de voir l’enfant aux cheveux blond cendré achever le combat. Son cosmos bleuté formant un halo autour de lui, il donna une violente bourrade en pleine poitrine à son opposant et l’envoya au tapis. Leur professeur leva une main pour signifier la fin de l’exercice.
- T’es vraiment nul ! lança le prince d’un ton mordant. Pourquoi est-ce que je dois m’entraîner avec toi !? J’en ai assez !
- Jeune maître, intervint l’instructeur, si je vous ai mis en binôme avec Piotr, c’est justement parce que vous êtes le plus doué.
Andrei fronça les sourcils sous l’incompréhension.
- Apprenez-lui ce que vous savez pour l’aider à progresser, expliqua l’enseignant. Tous les hommes ne sont pas dotés de votre force. Il vous faut savoir tirer le meilleur parti de chaque individu si vous voulez un jour régner.
- Pourquoi me soucierais-je de ces choses-là alors que c’est mon frère aîné qui est appelé à prendre le pouvoir à la suite de notre père. Moi, tout ce que je vois, c’est un boulet fixé à mes pieds, fit Andrei en brandissant un index accusateur sur son pauvre partenaire.
- Je pense que ce sera dans son intérêt – et le vôtre, répondit l’homme plus vivement qu’il ne l’avait voulu.
- Non, je ne crois pas, Velemir. Je refuse de continuer avec lui. D’ailleurs, je vous relève de vos fonctions.
Son regard chargé de mépris glissa de son professeur interloqué au nouveau venu qui l’observait avec attention. D’une stature bien proportionnée, celui-ci avait des cheveux blonds aussi lumineux que le soleil ; lorsqu’il daignait se montrer dans cette région. Son œil droit arborait le bleu d’un glacier tandis que son opposé affichait une couleur plus terne, comme tâché, mais sans que cela ne semble affecter sa vue.
- Slavomir, qui est-ce ? interrogea-t-il le cinquantenaire.
- Prince Andrei, permettez-moi de vous présenter Hyôga. Il s’agit de votre nouveau professeur …
- J’espère qu’il a un meilleur jugement. (Il se tourna vers le métis.) Très bien, voyons ton niveau.
Dans un recoin de son esprit, Hyôga avait craint que l’enfant ne soit comme ça ; un être si pourri gâté qu’il en tyrannisait les gens du commun du fait de son statut particulier. S’il devait le former, il devait lui apprendre l’humilité le plus tôt possible. Aussi il se contenta de le dévisager froidement et répondit :
- D’ordinaire, c’est au professeur de juger du talent de l’élève et non l’inverse.
Agacé par l’attitude impassible et effrontée du jeune homme, l’enfant rétorqua :
- Ah oui ? Eh bien, tu vas regretter de me l’avoir demandé ! Apprends à connaître ta place !
En un instant le cosmos de l’héritier enfla et du gel se manifesta autour de ses pieds. Il projeta un souffle glacial sur l’auteur de l’insulte. Hyôga tendit simplement la main et bloqua l’offensive. Un mince sourire ourla involontairement ses lèvres quand il se rendit compte que la scène ressemblait trait pour trait à son combat contre Camus. Prenant ça pour de la raillerie, le prince redoubla d’effort pour appuyer son coup.
- Tu es un futur Chevalier des glaces, Andrei ! le réprimanda-t-il. Tu dois demeurer de marbre face à tes émotions, sinon elles te submergeront et te feront faire des choses stupides ! (Le métis déplaça légèrement la main qui contenait l’attaque.) Et dans ce cas, tu ne vivras pas suffisamment longtemps pour les regretter.
Insufflant un peu de son propre cosmos au sein de la bourrasque d’air froid, il la retourna contre Andrei. Percutant le visage de l’enfant, celle-ci lui fit l’effet d’une gifle. Surpris, le jeune prince en resta bouche bée.
- Ceci est ma première leçon en tant que maître ! Tu as du potentiel. Un grand potentiel. Il serait déplorable de le gâcher par de simples caprices.

Sa main plaquée contre la joue qui le cuisait, l’enfant bouillait de rage. Toutes les autres personnes présentes s’étaient figées attendant une réaction … qui ne vint pas. A la mention du mot Chevalier, toute l’animosité du prince s’était évaporée pour laisser place à un sentiment d’excitation incroyable. Il avait entendu les récits sur ces hommes hors du commun, détenteur d’une Armure et d’un énorme pouvoir. Devenir l’un d’entre eux, Andrei en rêvait depuis sa plus tendre enfance. Et maintenant, en face de lui, se trouvait la personne qui pouvait lui procurer ce statut, alors autant ne pas la contrarier – ce qui ne serait pas facile.
- Veuillez me pardonner, maître, dit-il non sans faire un effort évident.
Cependant, il n’en oubliait pas l’outrage qu’il avait subi. Pour l’instant, pensa-t-il, je ressemble au parfait disciple, mais dès que c’est possible, je lui donne une bonne leçon.
Toutes les personnes présentes restèrent médusées devant le changement d’attitude chez le prince ; Velemir s’autorisa même un petit sourire qu’il dissimula bien vite. Hyôga, quant à lui, était plutôt mitigé. Certes, il était satisfait, dans un sens, d’avoir fait taire l’orgueil de l’enfant, toutefois, ce soudain revirement lui paraissait louche au plus haut point. Devait-il s’attendre à quelques mauvaises intentions de la part d’Andrei ?
Ne pouvant rien prédire, il se contenta d’acquiescer à l’excuse du jeune garçon. D’ici à ce que celui-ci se lance dans une potentielle vendetta, il aurait peut-être réussi à désamorcer le conflit.

15 avril 1991
Afrique, Libye, Tadrart Acacus, près de la frontière avec l’Algérie

Dans cette partie du désert saharien, une des plus arides du continent africain, le soleil était un ennemi des plus vicieux. En journée, il dardait ses rayons ardents, rendant la température insupportable pour tout être vivant – paradoxalement, les nuits étaient glaciales. Très peu d’ombre où se reposer et seulement quelques points d’eau pour se désaltérer. En un mot comme en cent, c’était un endroit inhospitalier, implacable avec les faibles et dur avec les forts. Pourtant, certains hommes pouvaient s’enorgueillir d’avoir appris à le connaître et à déjouer ses pièges. Parmi eux, on pouvait compter un jeune Asiatique ayant tout au plus la vingtaine.
Vêtu d’une longue tunique et coiffé d’un chèche gris passé, Jabu gravissait une grande dune, ses pieds s’enfouissant parfois dans le sable. Parvenu au sommet, il essuya la sueur qui lui coulait dans les yeux, tandis qu’un courant d’air aussi chaud que sec, prenait d’assaut son visage et ses voies respiratoires. Six années durant, il avait affronté ce même climat desséchant en Algérie pour conquérir son Armure de Chevalier, et sa peau en était devenue si tannée qu’elle paraissait aussi brune que celle des habitants de ces terres.
Le jeune homme laissa vaguer son regard sur l’horizon qui ondulait sous l’effet de la chaleur. Du sable, encore et toujours du sable, pensa-t-il. Sous l’action du vent, l’environnement était en perpétuel changement. Du moins, il savait que ce n’était pas tout à fait exact. Des rochers aux formes étranges évoquant celle de tours érodées par le travail du désert étaient des éléments immuables au sein de ce décor. De même que d’énormes massifs rocailleux ou des gorges profondes, remplaçaient tantôt les dunes. Après réflexion, cette diversité était ce qu’il préférait dans ce milieu envahi par le sable.
Jabu plongea la main dans sa besace et en retira une outre de peau. Il la porta à ses lèvres et laissa couler le précieux liquide entre ses lèvres gercées. Même tiède, il n’en restait pas moins délicieux par une telle chaleur, aussi humidifia-t-il sa paume, avant de la passer sur son visage et sa nuque afin de savourer son contact. Ce périple à travers le Sahara représentait un entraînement supplémentaire destiné à éprouver son endurance. Et jusque-là, cela marchait plutôt bien.
Faisant rapidement l’inventaire de ses possessions, il s’aperçut que ses provisions n’étaient pas des plus abondantes – de même que son eau. Il lui fallait trouver le moyen de se ravitailler au plus vite et si ses souvenirs étaient bons, d’ici quelques kilomètres, une oasis répondrait à ses besoins. Peut-être y rencontrerait-il des nomades qui lui vendraient quelques vivres. Il aurait aussi pu essayer de se rendre à Ghat, mais il préférait éviter les villes autant que possible. Non pas qu’il ait envie de fuir toute trace de civilisation, mais il pensait que c’était mieux pour son entraînement de rester indépendant au maximum. Finalement, le Chevalier de la Licorne descendit la dune en tâchant de ne pas tomber et poursuivit sa route. Tandis qu’il marchait, il observa les traces ondulées caractéristiques dues aux déplacements du corps serpentin d’une vipère des sables. Contempler la nature qui l’entourait était un acte reposant pour lui ; il laissa dériver ses pensées.
La marche du temps continuait inlassablement son cours et Jabu pensait de plus en plus au fait d’avoir un élève. Plusieurs de ses compagnons d’armes avaient un disciple à l’heure actuelle – certains avaient même été sacrés Chevaliers depuis peu – et il avait lui aussi envie de transmettre son savoir à quelqu’un. Pour une personne avec un tempérament aussi impulsif que le sien, c’était peut-être présomptueux. Toutefois, il pensait avoir mûri pendant les dernières années écoulées. A présent, il ressentait comme un besoin le fait d’apporter sa pierre à l’édifice de la nouvelle Chevalerie. Une génération qui, il l’espérait sincèrement, n’aurait pas à connaître son lot de trahisons et de morts.
Ce que le jeune homme ignorait, c’était que le destin allait bientôt répondre à son appel.

L’enfant sortit de la tente familiale en pestant. Son père venait encore de le réprimander pour avoir occupé oisivement son temps à gratter les cordes de son oud plutôt qu’à faire ses corvées. Il devait donc s’en charger dans les plus brefs délais s’il ne voulait pas écoper d’une sévère punition. A l’ordre du jour, il fallait paître les chèvres.
En arrivant à l’endroit où les animaux étaient rassemblés, il fut accueilli par un concert de bêlements plaintifs. Les maux de tête qu’il avait depuis son réveil ne s’améliorèrent pas face à ces nuisances, de même que son humeur.
- C’est bon, donnez-moi une minute ! grogna-t-il.
Il s’empara de son bâton et le brandit à la manière de la baguette d’un chef de chœur pour guider sa petite troupe. Il les emmena à plusieurs centaines de mètres du village de tentes, là où elles auraient quelques pousses sèches à consommer. Affamés, les animaux se jetèrent sur les pauvres végétaux, ne leur laissant aucune chance. Il les vit même s’attaquer aux arbustes.
- Comment pouvez-vous manger des trucs pareils ?
Une question purement rhétorique, il le savait bien.
Le jeune garçon sentit le vent faire voleter les boucles noires qui dépassaient de son chèche de la même façon qu’il soufflait le sable au sommet des dunes, créant une ondulation semblable au mouvement des vagues. Du moins, c’est ce qu’on lui avait dit, car il n’avait jamais vu la mer. Ce souvenir le poussa à s’interroger sur son futur. Son existence entière allait-elle se résumer à ça ? Vivre dans le désert à nourrir les chèvres et les dromadaires ? La seule chose qui pouvait le sortir de son quotidien, c’était la musique. Néanmoins, son père n’aimait pas qu’il s’adonne à cette pratique et il n’était pas censé s’opposer à ses désirs, surtout du haut de ses onze ans.
Suffisamment repus, ses petits compagnons voulurent satisfaire leur curiosité naturelle en se dispersant, ce qui eu pour effet de tirer le garçon de ses tribulations. Rassembler les fuyards ne fut pas une partie de plaisir, mais il parvint à ramener tous ses protégés à bon port. Alors qu’il pénétrait dans la tente familiale, il aperçut du coin de l’œil ses parents qui discutaient avec sa tante à l’extérieur.
Le rabat franchi, il entendit des bruits étouffés venant de la portion qui lui servait de chambre. Ecartant la toile qui en délimitait l’accès, l’enfant découvrit ses deux cousins, des jumeaux âgés de deux ans de plus que lui, en train de manipuler son oud. D’habitude, cela ne le dérangeait pas outre mesure que l’on touche à ses affaires, mais avec cet instrument, c’était différent. De facture toute simple, sans fioritures aucunes, il avait pourtant une grande valeur à ses yeux, car il s’agissait du cadeau d’un défunt oncle ; celui qui lui avait appris à jouer et qui était mort peu de temps après en lui léguant l’instrument. Poursuivre la pratique de son art était un moyen pour l’enfant de lui rendre hommage.
- Eh, Fares ! s’exclama l’aîné des jumeaux, tu devrais écouter ça. J’ai composé une nouvelle chanson.
Il se mit à racler les cordes sans aucun ménagement, leur arrachant plus des gémissements qu’une vague mélodie. Pour ne rien arranger, il chantait horriblement faux et ses paroles, n’avait ni queue ni tête. Fares fit un pas vers lui dans l’intention de lui reprendre l’instrument.
Avant qu’il ait pu en faire un second, une corde se cassa sous l’action frénétique et brutale des doigts de son cousin. Le cœur du garçon se serra lorsqu’il entendit la plainte qu’elle émit en se rompant. Puis, la colère prit l’ascendant sur sa tristesse. Il devait libérer son bien de l’emprise de Saïf.
- Rends-le moi, tout de suite.
Il planta son regard dans celui de son aîné et espéra avoir paru suffisamment convaincant. Soudain, Saïf se mit à rire.
- Tu as presque réussi à me faire peur, tu sais. Ououh, fit-il en agitant ses mains devant lui.
Comprenant qu’il ne dériderait pas Fares, il ajouta juste :
- Tiens, attrape !
Il lui lança l’oud qui tournoya de façon grotesque dans les airs avant que le jeune garçon ne le rattrape in extremis. Un soupir de soulagement accompagna la réussite de son geste.
- Viens Malik, on s’en va, lâcha Saïf. Ce n’est plus amusant.
- J’arrive, répondit le cadet.
En passant dans le dos de son cousin, il le bouscula. Pris par surprise, Fares s’étala de tout son long alors qu’un son déchirant accueillait son contact avec le sol recouvert de tapis. En se relevant, il constata avec désespoir qu’il avait écrasé son instrument sous lui. Il n’en restait désormais plus que des éclats de bois brisés. Il les caressa du bout des doigts. Une sourde colère monta en lui. Que Malik l’ait poussé par pure méchanceté ou par simple vengeance ne faisait pas la moindre différence pour Fares. Aucune expression suggérant que son cousin était désolé ne s’afficha sur son visage. Ses maux de tête revinrent à la charge en réponse à sa fureur. Penché au-dessus de ce qui restait de l’oud, il voulut crier, hurler, les injurier. Au lieu de ça, quelque chose d’autre jaillit de lui.
Une énergie se mit à tourbillonner autour de son corps, balayant les débris de son instrument, faisant claquer la toile de la tente comme les jours de grand vent. Tout son être vibrait au rythme de cette énergie tandis qu’une lueur ardente l’enveloppait. La température monta en flèche. Dans les yeux des jumeaux, dilatés par la peur, il vit que les siens avaient pris une teinte orangée.
- Je suis désolé, dit Malik. Je t’en trouverai un nouveau ! S’il te plaît, Fares, arrête, ça brûle !
Les suppliques de ses cousins avaient beau parvenir à ses oreilles, il ne pouvait rien faire pour y répondre. Il n’avait aucun contrôle sur le déchaînement énergétique qui émanait de son frêle corps.
Très vite des flammes apparurent au creux de ses mains sans pour autant le blesser. A l’inverse de son environnement. Une odeur croissante de brûlé emplit ses narines. Pas seulement celle du tissu, mais aussi celle de la viande laissée trop longtemps sur un feu. Il se rendit compte qu’il n’entendait plus les jumeaux. Il regarda autour de lui et les vit affalés sur le sol, leur peau rougie couverte de cloques. Ils ne bougeaient plus.
Fares se mit à paniquer, car il ne pouvait pas s’arrêter.
- Que quelqu’un m’aide, cria-t-il, je vous en prie ! Je ne contrôle rien !
La douleur dans son crâne était telle qu’elle lui donnait l’impression qu’un étau se refermait sur lui. Et soudain, son monde alentour devint d’un intense blanc lumineux.

A environ trois cent mètres de là, Jabu venait de franchir le somme d’une dune, ce qui lui permit d’apercevoir le chaos qui se déchaînait au loin sous la forme de longues langues de flammes. Un puissant cosmos semblait être à l’origine de ce tumulte et Jabu n’avait aucune idée sur la nature de son propriétaire. Ami ou ennemi ? Il ne pourrait pas le savoir sans aller sur place et commença donc à courir, bien que ce soit difficile du fait de l’instabilité du sol sur lequel il prenait appui. Couvrant la distance rapidement, il se morigéna au passage de ne pas avoir pris son Armure avec lui.
Arrivé sur les lieux, il découvrit avec horreur un camp de nomades en proie à un véritable enfer. Des braises voletaient dans les airs, les tentes flambaient et un vent ardent soufflait, transportant l’odeur caractéristique de la chair brûlée. Les hommes comme les animaux couraient en tout sens, apeurés, piétinant les corps de quelques malheureuses victimes qui n’avaient pas pu s’enfuir à temps.
Prostré, un couple aurait fini carbonisé si le Japonais ne s’était pas porté à son secours. Se plaçant devant eux, il déploya son cosmos et frappa le sol de son poing, élevant un mur de sable. Les flammes vinrent s’écraser à sa surface avant de se dissiper. L’Asiatique réalisa que sa tâche allait se révéler difficile s’il devait affronter la cause de cet incendie, surtout sans Armure tout en protégeant des civils.
- Fuyez ! leur ordonna-t-il.
Son ton ferme suffit à les extirper de leur abattement et ils s’enfuirent en ne cessant de répéter le mot Ifrit. Bien que les connaissances de Jabu en matière de religion musulmane se résument à des notions, il comprit que ces gens voyaient dans cette attaque, celle d’un démon. En d’autres occasions, il aurait pu s’amuser de cette remarque, cependant la situation présente ne s’y prêtait pas du tout.
Jetant un coup d’œil à la ronde, il vérifia qu’aucun nomade n’était encore sur place. Rassuré, il reporta son attention sur son principal problème. Sa vision s’adaptant, il parvint à discerner une forme humaine à travers le bouillonnement incandescent qui l’entourait. Son visage afficha un air de surprise lorsqu’il comprit que la source de l’énergie qu’il avait ressentie se trouvait être un gamin d’une dizaine d’années. Son apparence laissait à penser qu’il faisait partie de la même ethnie que les habitants du désert et ses yeux éteints ne regardaient rien en particulier.
On dirait qu’il est dans une sorte de transe, jugea le Japonais. Je ne sais pas si cet enfant a sciemment fait appel à son cosmos, mais il en a complètement perdu le contrôle maintenant. S’il continue sur cette voie, son organisme ne le supportera pas et s’autodétruira.
Faisant écho à sa réflexion, l’énergie qui se dégageait du frêle corps franchit un nouveau seuil de puissance, dépassant celle du Chevalier de Bronze.
Je doute arriver à le "réveiller" avec de simples mots. Le faire sombrer dans l’inconscient paraît être la meilleure option.
Toutefois, ce n’était pas sans risque. Le brasier avait acquis une intensité remarquable et, même protégé par son cosmos, le jeune homme avait de grandes chances d’être brûlé vif. Il n’aurait droit qu’à un seul essai.
Préférant garantir au maximum la liberté de ses mouvements, il retira ses vêtements de voyage destinés à le préserver du soleil et, ironiquement, aussi de la chaleur. Une énergie aux nuances violacées s’éleva de son corps et fut canalisée pour qu’elle recouvre la surface de sa peau. Une partie se concentra dans ses jambes afin de les rendre plus puissantes. S’en remettant à la déesse Athéna, il entama sa folle course.
D’abord en ligne droite, celle-ci se fit tortueuse à mesure qu’il évitait les flammes projetées par les poings de l’enfant. La vitesse de Jabu avait beau être supérieure à celle d’un être humain normal, il parvenait tout juste à se dérober à temps, l’instinct combatif du jeune garçon guidant chacun de ses gestes.  Dans de telles conditions, son parcours lui sembla infiniment plus long.
Désormais proche de son objectif, il profita d’un bref moment de répit entre deux attaques pour balayer la zone devant lui d’un ample mouvement du bras. Ce faisant, il souleva un nuage de sable suffisamment dense pour le soustraire au regard de sa cible. Espérant l’avoir désorienté, Jabu bondit par-dessus la vague minérale, juste avant que celle-ci ne soit transpercée par un énième jet de feu. Sa diversion ayant porté ses fruits, il se réceptionna derrière l’enfant et le frappa à la nuque. Ce dernier s’effondra tandis que son cosmos refluait. Jabu se pencha pour prendre son pouls. Celui-ci était lent et régulier. Libéré de ses craintes, le Japonais inspira à pleins poumons et sourit inconsciemment d’être encore en vie ; le moment de constater les dégâts viendrait ensuite.

A proximité du jeune homme, le campement n’était plus qu’un champ de ruines. Tel un lion s’acharnant sur la carcasse d’une gazelle, le feu finissait de dévorer ce qui lui avait été offert. Soulevant le petit Lybien, il l’emmena un peu plus loin et construisit un abri de fortune avec les rares toiles épargnées par les flammes. Ensuite, il s’attela à la dure tâche de fournir une sépulture décente aux morts. Durant les deux heures qui suivirent, Jabu vérifia de temps à autre l’état du jeune garçon et lui humidifiait le front.
Quand il eut terminé sa besogne, il entreprit de se soigner. La peau de son avant-bras et d’une partie de son visage était rougie. Quelques cloques avaient fait leur apparition bien que le contact n’eût duré qu’une poignée de secondes. Ses jambes en revanche n’avaient pas souffert, protégées par le pantalon. Alors qu’il finissait de bander ses blessures, il perçut un léger grognement. Les paupières papillonnantes, l’enfant émergea de l’inconscience en se massant l’arrière du crâne. Il se redressa, adoptant une position assise.
- Comment te sens-tu ? l’interrogea Jabu.
- Fatigué et j’ai un peu mal à … qui êtes vous ?
Le gamin eut un mouvement de recul.
- Détends-toi, je ne te veux pas de mal. Je m’appelle Jabu. Et toi, quel est ton nom ?
- Fares. Qu’est-ce que vous faites ici ?
- Tu ne te rappelles pas de ce qui s’est passé ?
- Quoi ? Non, je … j’étais dans notre tente. Je me disputais avec mes deux cousins, car ils avaient cassé mon oud et puis…
Il tourna brusquement la tête vers l’extérieur et sortit de l’abri en trombe. Des images confuses et éparses se bousculaient dans son esprit. Des cris que lui seul entendait emplissaient ses oreilles. Et l’âcre fragrance que le vent n’avait pas réussi à dissiper s’insinua dans ses narines. Il tomba à genoux, des larmes brouillant sa vue et il vomit.
- Ce n’est pas possible, bredouilla-t-il après une quinte de toux, je n’ai pas fait ça.
- Je suis désolé, dit le Japonais une main sur son épaule. J’aurais aimé arriver plus tôt.
- Est-ce que… mes parents sont morts ? Est-ce que tout le monde est mort ?
- J’ai enterré beaucoup de personnes, mais j’ai réussi à sauver un couple qui, je pense, avait à peu près mon âge.
Najib et Adiba, déduisit inconsciemment Fares.
Soudain, il aperçut dans le sable un bracelet. C’était celui de sa mère. Naguère doré, ce dernier arborait désormais une teinte fuligineuse. La terrible réalité le frappa de plein fouet. Son monde s’était écroulé, consumé en un instant. Et c’était de sa faute.
- Je ne comprends pas ce qu’il s’est passé. Est-ce que j’ai été possédé par quelque chose qui m’a poussé à le faire ?
- Non, je peux te l’assurer.
- Alors pourquoi est-ce arrivé !?
- Je pourrais te dire que c’était ton destin et que ce qui s’est produit était inévitable. Néanmoins, ce serait cruel, aussi je vais te donner la vraie raison. C’est parce que tu n’as pas pu contrôler ton cosmos.
- Qu’est-ce que c’est que cette histoire de "cosmos" !? Je ne comprends rien à ce que vous me racontez !
- Ce n’est pas bon de rester au soleil dans ton état ; rejoins-moi sous l’abri et je t’expliquerai ce que tu dois savoir.
Serrant les dents, l’enfant obtempéra et s’assit lourdement au sol. Occupé à ronger son frein, il avisa que l’étranger avait plusieurs bandages ; encore une nouvelle marque de sa "folie". Sa tension baissa d’un cran.
- C’est moi qui vous ai … ?  demanda-t-il sans oser finir sa phrase. J’en suis désolé.
De piètres excuses, il le savait, mais c’était tout ce qu’il pouvait faire à cet instant.
- Oh, ne t’en fais pas, je guéris assez rapidement. (Il but à son outre et lorsqu’il fut certain d’avoir toute l’attention du jeune garçon, Jabu enchaîna :) Ce qui s’est produit ici est un triste concours de circonstances. Mes explications pourront te paraître insensées, seulement, c’est la stricte vérité.
Sitôt ces mots prononcés en guise de préambule, le serviteur d’Athéna se lança dans un exposé sommaire de sa caste ainsi que de l’origine et de l’utilisation du cosmos.
- Tu l’as vu et tu l’as ressenti. Tu sais que je ne te mens pas. Ce que je vais t’annoncer est abrupt, mais nécessaire. Tu dois venir avec moi et devenir Chevalier. Sans mon aide, tu n’arriveras pas à maîtriser cette force qui est en toi Fares. Tu as le droit de refuser bien sûr. Cependant, tu risques de blesser d’autres personnes à l’avenir. Cela pourrait aller jusqu’à te détruire. Tu n’as quasiment aucune alternative et crois-moi quand je te dis que je le regrette.

Après cette ultime phrase, Jabu se tut, laissant Fares plongé dans ses pensées. Posée de cette manière, sa proposition sonnait comme un ultimatum, il le savait. Et c’était d’ailleurs ce que c’était. L’enfant devait faire un choix.
Un certain nombre de questions se pressaient dans la tête du jeune garçon. Toutefois, ce qu’il retenait surtout, c’était qu’il avait mis un terme à l’existence d’êtres qui lui étaient chers, à cause d’un pouvoir dont il ignorait tout et qu’il n’avait pas été à même de contrôler. Il ne pouvait décemment pas faire comme si rien ne s’était passé. Ce serait un crime envers sa défunte famille. Non, il devait apprendre à se maîtriser. Bien qu’il estime que cela ne suffirait pas à lui apporter le pardon, il utiliserait cette force pour sauver des vies. Autant qu’il en avait prises, et même plus. Il ne lui restait donc plus qu’à dire :
- J’accepte.

10 octobre 1994
Dimension inconnue

L’homme vêtu d’un kimono aux couleurs marines s’avança dans la clairière. Cette fois-ci, la masse noire familière avait évolué pour devenir une vaste forêt. Par une trouée dans la frondaison des arbres, il vit une lune aussi artificielle que tout ce qui l’entourait. Toutefois, sa clarté factice faisait luire ses cheveux de jais d’un éclat argenté, de même que la garde et le fourreau nacré de son arme.
D’une teinte orageuse, ses yeux sondaient sans relâche les ténèbres qui jalonnaient son parcours nocturne. Soudain, une brindille craqua sous son pied. Il s’étonna de la sentir ainsi se briser, car il savait que tout n’était qu’illusion en ce lieu et pourtant cette dernière était plus vivante et tangible que n’importe quelle réalité. Chaque odeur, chaque son paraissaient magnifiés. A nouveau, l’irrésistible envie de posséder un tel pouvoir s’insinua en lui.
Tandis qu’il songeait au détenteur de cette fabuleuse capacité, celui-ci se détacha des ombres, comme à son habitude, sa silhouette affichant toujours l’aspect éthéré de leur première rencontre. Susanoo tourna la tête vers le nouvel arrivant, en prenant soin d’éviter de plonger son regard dans le néant qui tenait lieu et place de visage. Par le passé, il avait appris que c’était une expérience désagréable.
- Pourquoi cet empressement à vouloir me parler, Susanoo ? s’enquit l’entité.
Trop tard pour se rétracter. L’être avait répondu à son appel et il devait s’exprimer – bien que sa présence soit source d’une certaine oppression pour le dieu japonais.
- J’ai conscience que mon comportement va vous paraître audacieux, mais je veux des réponses.
- A quel propos ?
- Notre immobilisme. Quelle est sa raison d’être ? Nous restons en sommeil, alors que de nombreux atouts jouent en notre faveur. Aucun de ceux qui pourraient nous poser problème ne sont en mesure de suivre nos déplacements, de découvrir notre identité ou quoi que ce soit d’autre. En outre, il leur est impossible de localiser les artefacts contrairement à nous. (Il marqua une courte pause, avant de reprendre d’un ton qui s’était durci :) J’aimerais donc comprendre ce que nous attendons pour passer à l’acte et retrouver les autres. A moins que vos soi-disantes capacités ne soient finalement que du vent.
Instantanément, une pression écrasante, à laquelle il aurait peut-être pu résister s’il ne s’était pas emporté, s’abattit sur ses épaules. Contraint par la force, ses genoux se plièrent jusqu’à ce que l’un d’eux touche le sol, le plaçant dans une position de soumission.
- N’insulte pas mes pouvoirs, Seigneur des Tempêtes. Certaines clés échappent à mon regard, car elles comportent davantage de protections et que je suis loin d’avoir recouvré l’intégralité de ma puissance. Prends donc garde à tes propos, car si je tolère l’audace, il n’en va certainement pas de même avec l’impertinence. Ta frustration ne doit pas te faire oublier à qui tu t’adresses.
- Je … pardonnez-moi, dit-il, les dents serrées.
Apparemment, cela suffit à contenter l’entité puisque sitôt ses excuses prononcées, la déité japonaise retrouva petit à petit sa liberté de mouvement. Il se remit debout pour faire face à son interlocuteur.
- Je t’ai déjà averti sur le fait que cela serait long, reprit ce dernier. Mon influence sur le monde réel est limitée, cependant, une chose contribuera à la renforcer. Et elle est en rapport avec les actions de Loki.
- Parce qu’il est censé récupérer l’un des artefacts ?
- En partie, oui. Seulement, son acte aura un impact plus profond que ça. En effet, la bataille qu’il livrera à Asgard créera une perturbation qui fera vaciller un équilibre déjà précaire. Afin d’obtenir cet avantage, il te faudra lui apporter ton soutien.
- Loki serait donc fin prêt pour lancer son assaut ?
- Etant relié à lui depuis qu’il a utilisé l’orbe, je peux te dire qu’il le sera d’ici quelques mois. Alors tâche de l’épauler avec tes guerriers lorsque le temps sera venu. J’espère que cela te confortera dans la poursuite de nos objectifs.
- Tout à fait.
- Bien.
La silhouette de l’être s’évanouit dans les ténèbres tandis que l’environnement disparaissait avec lui, comme aspiré dans le néant, ne laissant qu’un univers noir et glacé.

Laissé seul, Susanoo prit le temps de méditer sur les mots qui résonnaient encore à ses oreilles. Finalement, son entretien s’était révélé plus fructueux que ce à quoi il s’était attendu de prime abord – et encore plus à partir du moment où il s’était emporté. Cet écart était indigne de lui, mais en raison de l’intérêt personnel qu’il portait à toute cette histoire, il n’avait pu s’en empêcher. Ce qui lui importait vraiment, c’était la réussite de son entreprise. Aussi devait-il s’assurer du bon déroulement de la prochaine étape. Et pour cela, il devait envisager tous les cas de figure qui divergeraient du schéma initial.
Il était persuadé que son frère le surveillait d’une manière ou d’une autre. Toutefois, en-dehors de "l’incident" qui s’était produit en Grèce lors de la récupération de l’épée d’Hadès, il n’avait plus été pour ainsi dire confronté à Tsukuyomi. La rencontre de leurs guerriers aurait-elle été fortuite ? Peut-être. Néanmoins, comme à son habitude, il préférait ne pas négliger le fait que son frère puisse malgré tout intervenir.
Le bon côté des choses, c’était qu’en raison de la fierté de Tsukuyomi, ce dernier cherchait toujours à régler lui-même ses problèmes. C’est pourquoi il n’irait pas contacter Athéna ou une quelconque autre divinité. L’avantage était de son côté et Susanoo devait en profiter. Bientôt, il contacterait ses Gardiens Célestes afin qu’ils se préparent à se rendre au royaume d’Asgard. Fermant les yeux, il s’extirpa du "monde" de l’orbe.

28 décembre 1994
Grèce, Sanctuaire

La nuit était tombée sur le fief de la déesse de la Sagesse et un fort vent soufflait dans les rues désertes, ballottant les feuilles essaimées ici et là par l’automne. Pour bon nombre d’habitants, il était temps de s’abandonner au sommeil. Pourtant, tous ne semblaient pas prêts à rendre les armes devant les sortilèges de Morphée, puisqu’une faible lueur orangée était encore visible depuis les hautes fenêtres de la bibliothèque.
Installé derrière un bureau patiné par les années, un homme d’âge mûr dévisageait les documents qui lui faisaient face. Son nom était Dvarog et il s’agissait de l’érudit envoyé par Blue Graad en échange du tutorat prodigué par le Chevalier de Bronze du Cygne. Poussant un long soupir, il passa une main dans sa tignasse blonde avant de retirer ses petites lunettes pour se masser la base du nez. Dans ses yeux bleu gris se reflétait la flamme de la chandelle disposée tout près, éclairant un visage aux traits tirés.
Depuis son arrivé au Sanctuaire, il y aurait de cela bientôt quatre ans, la majeure partie de sa nouvelle vie s’était résumée au décryptage d’anciens écrits découverts en Sibérie. Son peuple ayant pu les étudier durant des décennies, Dvarog aurait dû se révéler être le mieux placé pour le faire. Hélas, tout n’était pas aussi simple. En effet, il ne restait aucune trace des recherches menées par ces ancêtres et les seuls éléments saufs s’étaient transmis oralement, ce qui avaient bien entendu déformé leur contenu. De plus, bien que le langage usité soit sommaire et que le côté fragmentaire du texte, imputable à ceux qui l’avaient recopié, ne soit que peu significatif, aucune traduction n’était ressortie de ses recherches. Les ouvrages qui l’entouraient regorgeaient d’informations utiles, mais pas une seule ne lui permettait de découvrir la clé du mystère.
- Eh bien, fit-il en étouffant un bâillement, ce ne sera pas encore pour cette fois.
Reculant sa chaise, Dvarog se leva et attrapa son manteau. Guère épais, ce dernier aurait tout juste suffi à protéger un habitant de ces terres contre la bise froide qui sévissait en hiver. Toutefois, pour quelqu’un ayant grandi dans un climat aux rigueurs extrêmes, il lui donnait presque chaud.
- Ah, quel maladroit ! pesta-t-il, lorsque le vêtement accrocha les notes griffonnées pour les éparpiller.
Alors qu’il regardait intensément la paire de feuillets qu’il tenait dans sa main, il remarqua un curieux détail. Saisi d’une intuition, il les exposa à la clarté lunaire. Un éclair de compréhension traversa son esprit en pleine ébullition. Les symboles jusqu’ici incompréhensibles paraissaient prendre tout leur sens une fois qu’ils se trouvaient superposés ; prenant des formes qu’il avait déjà vues. Collectant le reste des documents, il déposa une pile de livres traitant des différentes formes d’écriture à sa gauche et les transcriptions vieilles de neuf cent ans à sa droite. Assis sur le sol de pierre, Dvarog les examina d’un regard nouveau. Parfois, il levait ses notes puis reprenait son travail, marmonnant pour lui-même.
L’aube pointait au-dehors quand il reposa finalement sa plume, ses doigts tâchés d’encre. Il vérifia à trois reprises ses interprétations et lut ce qu’il avait écrit :
- Le conflit opposa les enfants au père et le sang coula … Recueilli, il fut concentré dans des vaisseaux, les rendant aussi indestructibles que l’était leur pourvoyeur … Sachant qu’ils ne pourraient vaincre, il décidèrent de l’emprisonner jusqu’à ce que la création entière s’effondre … La porte de la prison fut verrouillé par sa propre essence … Mais ils savaient que les clés étaient également faites pour ouvrir une serrure … Aussi, celles-ci furent séparées et confiées aux plus justes qui …
L’érudit ne comprenait pas vraiment la signification de ce texte, mais la déesse Athéna l’avait expressément enjoint de l’informer dès qu’il découvrait la moindre chose. Il rassembla donc ses travaux et s’en fut immédiatement.

A l’extérieur, l’astre solaire commençait à émerger des sommets montagneux auréolés de brume, dardant ses rayons qui n’apportaient qu’une relative chaleur à cette période de l’année. Les lieux étaient calmes, dépourvus de la plus petite trace d’activité. Du moins, il savait que dans d’autres parties du Domaine Sacré, comme les baraquements des soldats ou le village de Rodorio, la tendance étaient certainement à l’inverse. Bien sûr, d’ici une heure, il en irait pareillement pour cette place, mais pour l’instant, il appréciait ce silence.
Par chance, la déesse aux Yeux Pers devait être dans la résidence qu’elle avait fait construire non loin de là. Acte qui avait été motivé par l’envie de briser l’image d’inaccessibilité qu’elle entretenait auprès du peuple du Sanctuaire, par son retranchement derrière les Temples de ses protecteurs ; et accessoirement parce que cela représentait une distance moindre pour y parvenir avait-elle précisé avec amusement.
Située tout au plus à cinq minutes à vol d’oiseau, la maison était établie au sommet d’un dénivelé qui rallongeait la durée du trajet, en plus de le rendre éreintant pour un homme peu sportif à l’exemple de Dvarog. Nul doute que s’il avait croisé des piétons à ce moment-là, ceux-ci l’auraient curieusement regardé avec son allure débraillée. Le souffle court, il tomba nez à nez avec Athéna. Celle-ci était vêtue d’une chemise de lin que recouvraient des atours de cuir ainsi que d’un pantalon et de bottes assorties. Des brassards ceignaient ses avant-bras et une écharpe entourait son cou ; unique touche de couleur vive au milieu de ces teintes guerrières monochromes. Et ses courts cheveux châtains aux reflets d’or avaient été ramenés en une courte queue de cheval qui dégageait ses traits harmonieux. A vingt et un ans, elle était une jeune femme splendide à la beauté sans pareille.
Elle devait se rendre aux arènes, pensa-t-il.
- Dvarog ? s’étonna-t-elle. Bonjour. Qu’est-ce qui vous amène de si bon matin ?
Elle constata alors les cernes sous ses yeux et son air fatigué.
- Tout va bien ? s’enquit-elle. Vous ressemblez à quelqu’un qui a passé sa nuit à travailler ; en plus de sa journée.
- C’est … le cas, réussit-il à dire lorsqu’il put respirer plus normalement. Cela m’a d’ailleurs permis de mener à bien la mission que vous m’aviez confiée, ajouta-t-il en agitant les papiers qu’il tenait à la main.
A ces mots, l’humeur joviale de Saori Kido s’effaça pour laisser place à une attitude plus circonspecte.
- Mais, comment ? Enfin, pardonnez-moi, mais vous avez trouvé la réponse à une énigme qui vous a tenu en échec pendant plusieurs années en une seule nuit ?
- Eh bien, en réalité, le hasard a joué un rôle déterminant dans cette découverte.
Brièvement, il lui résuma ce qui avait provoqué le déclic dans son esprit et lui tendit ses travaux. Convaincue, la jeune femme se fit soucieuse de connaître le contenu des feuillets qu’on lui présentait. Sa lecture achevée, son visage prit une légère teinte blême.
- C’est tout ce qu’il y avait ? demanda-t-elle.
- J’ai bien peur que oui, admit-il. Les Chevaliers qui ont recopié ces symboles n’ont pas prit la peine de le faire entièrement, ni en suivant une quelconque logique, piochant des phrases par ci par là, aussi est-ce le mieux que j’ai pu en tiré. Il est déjà réconfortant en soi de ne pas avoir été freiné par ces "trous". Le sens général reste toutefois obscur pour moi.
- N’y a-t-il aucun indice sur ceux qui sont censés avoir hérité de ces objets ?
- Non, malheureusement.
Elle se mordit la lèvre inférieure sous le coup de la contrariété.
Nous avons finalement des réponses, mais elles ne nous sont que d’une utilité réduite, réalisa-t-elle. Je devine que celui qui cherche à réunir ces artefacts en a au moins deux en sa possession, mais qu’en est-il des autres ? Sait-il où ils se trouvent ? Quelles peuvent être ses motivations ? Et quelle peut être l’identité du prisonnier ? A en croire les traductions, ce dernier est suffisamment puissant pour avoir obligé plusieurs personnes à s’allier pour l’enfermer. Est-ce cette force que son libérateur recherche ? Autant de nouvelles interrogations engendrées.
- Il nous est donc impossible de connaître leur nombre exact ou leur localisation, reconnut-elle en fin de compte.
- Je ne serais pas aussi catégorique là-dessus, intervint soudainement une voix.
Simultanément, Saori et Dvarog se tournèrent vers son propriétaire. Leurs regards se posèrent sur un individu qui avançait dans leur direction. D’apparence svelte, ce dernier tenait un sac de toile par-dessus son épaule et ses traits étaient dissimulés. Ils notèrent que ses habits, un genre de robe brodée de motifs, n’appartenaient pas au Sanctuaire.
- Qui êtes-vous ? lança Dvarog.
- Je pourrais vous retourner la question, rétorqua l’inconnu, mais je suppose que ce serait impoli de ma part.
Arrivé à leur hauteur, il rabattit son capuchon, dévoilant un visage d’adolescent. Les yeux bleu-vert de la jeune femme s’agrandirent sous le coup de la surprise. Bien qu’ils soient plus longs que dans ses souvenirs, les cheveux arboraient l’inimitable couleur auburn qu’elle connaissait si bien.
- Kik … non, Arion ! s’exclama-t-elle, heureuse d’avoir une raison pour oublier l’espace d’un instant ses problèmes.
- Athéna, fit-il en s’agenouillant face à elle.
- Oublie le protocole ! protesta-t-elle en essayant de paraître fâchée. Tu es un ami avant d’être un de mes protecteurs.
Elle posa ses mains sur ses épaules pour lui intimer de se relever.
- Très bien, lui concéda-t-il en souriant, tandis qu’ils s’enlaçaient brièvement.
- C’est bon de te revoir.
- Merci. Cela me fait tout autant plaisir.
Le regard de Saori croisa alors celui de l’érudit, plutôt décontenancé.
- Ah, excusez-moi, fit-elle à son encontre. Dvarog, je vous présente Arion, un ami de longue date. (Elle se tourna ensuite vers l’adolescent pour parachever les présentations.) Dvarog est un érudit originaire de Blue Graad, une nation alliée.
Ces derniers se saluèrent mutuellement.
- A ce que j’ai pu en voir, le Domaine Sacré a pas mal changé en mon absence.
- Je suis persuadée que tu retrouveras très vite tes marques. (Sa bonne humeur la quittant, elle enchaîna :) En attendant, je souhaiterai revenir sur ce que tu disais.
- Oui, je crois être en mesure de vous aider. J’ai une idée sur le lieu où va se jouer le prochain acte.
Sous l’oreille attentive de la déesse de la Sagesse, Arion narra ce qu’il savait. A la suite de quoi, celle-ci prit quelques minutes, afin de bien mesurer les multiples implications et d’établir la marche à suivre. Au terme de ces réflexions, elle annonça :
- Je dois réunir les Chevaliers au plus vite.

30 décembre 1994
Japon, Tokyo

Depuis l’aurore, les cieux étaient gris et le jour avançant n’y changeait rien. De légers flocons blancs tombaient en virevoltant de manière ininterrompue sur la capitale nippone, tels de petits morceaux de papier que l’on aurait déchirés.
Bruyantes, les rues étaient bondées de gens qui s’affairaient à préparer les fêtes du nouvel an. Certains les passeraient en famille, d’autres à l’étranger. Enfin, il y en avait pour qui la fin de l’année ne signifierait pas joie et félicité. Ceux-là étaient réunis autour de la plaque chauffante d’une table dans un restaurant teppanyaki.
Un homme à la quarantaine passée, au crâne rasé et à la barbe éparse, humait avec un appétit anticipé, les tranches de viande qui cuisait. A sa droite, à une chaise d’intervalle, était installé une jeune femme à la chevelure noire coupée court qui observait la nourriture sans vraiment la voir. Lâchant ses futures "victimes" des yeux, celui-ci recentra son attention sur sa voisine.
- A quoi penses-tu, Yûki ? lui demanda-t-il.
Chez les Gardiens Célestes, elle était Seiryû, mais en tant qu’humaine, tel était son nom.
- Rien d’important.
- Ah, pas à moi. Je suis persuadé que tu te demandes où est ton petit copain.
- Je ne vois pas de qui tu parles, répondit-elle d’une voix sans timbre.
- Bien sûr. Et les bruits que j’entends depuis ta chambre la nuit, c’est parce que …
Cette fois-ci, elle riva son regard dans celui de Genbu et ses lèvres frémirent légèrement.
- Hum, c’est ce qui me semblait.
- Que fait-il ? demanda-t-elle en feignant de ne pas avoir entendu. C’est une manie de toujours être en retard chez lui ?
- Ne t’inquiète pas, il va arriver. On est venus ensemble. Il m’a juste demandé de partir devant, car il devait faire quelque chose et qu’il n’en avait pas pour longtemps.
La porte de l’établissement s’ouvrit à ce moment-là pour laisser entrer un jeune homme qui les repéra très vite. Trahissant son métissage, ses yeux verts irradiaient comme des émeraudes et ses cheveux noirs étaient attachés sur sa nuque.
- Désolé pour l’attente, fut la première parole qu’il leur adressa lorsqu’il s’installa sur le siège laissé libre.
- Eh bien, tu t’es fait attendre, lança le plus âgé du trio. Yûki croyait que tu étais allé rendre visite à une autre femme.
- Quoi !? laissa échapper cette dernière involontairement. C’est faux.
Les deux se regardèrent d’un air confus.
- Au moins, à voir vos visages, j’en suis tout à fait sûr maintenant, déclara-t-il en riant. Allez, ce n’est pas tout, mais je commence sérieusement à avoir l’estomac dans les talons. Mangeons.
Rapidement, chacun fit un sort aux différents mets, savourant tour à tour, du bœuf, du poulet, des crevettes et des légumes cuits à l’huile de soja. De temps à autre, Genbu ne manquait pas de remarquer que ses deux compagnons joignaient leurs mains sous la table. Ils le faisaient à l’abri des regards, comme si le fait d’être dévoués à leur mission les empêchait d’avouer publiquement leur relation. Le premier dissimulait son coeur dans la discipline, la seconde au sein d’une beauté glaciale agissant à l’instar d’un masque. Malgré tout, s’ils parvenaient à éprouver quelque chose l’un envers l’autre, il ne lui restait plus qu’à être content pour eux. Finalement repus, ils entamèrent la conversation qu’ils avaient retenue durant le repas.
- Merci de nous avoir invités, c’était délicieux, lui confia Byakko.
- Ah, tant qu’on peut arroser le tout de saké, c’est toujours bon, argua le quarantenaire. Et puis, il le fallait bien puisque nous risquons de ne pas pouvoir refaire un aussi bon festin avant un bout de temps.
- Pour quelle raison ? s’enquit aussitôt Seiryû.
- Parce que nous allons devoir partir pour Asgard, la renseigna Byakko. C’est tout ce que m’a appris Genbu.
- Et je vais vous raconter le reste.
- Est-ce le seigneur Susanoo qui l’a ordonné ? l’interrogea-t-elle.
- Oui, il nous faut rejoindre Loki.
- Le dieu nordique avec qui nous avons noué une alliance il y a plusieurs années ? Ne peut-il effectuer sa part du contrat, sans nous impliquer davantage, lâcha-t-elle.
- Peut-être notre seigneur veut-il s’assurer de sa loyauté, avança le jeune homme.
- C’est possible, admit Genbu. Tu étais avec moi, Yûki, quand nous nous sommes rendus à Asgard. Tu sais que c’est un être retors. Toutefois, notre mission consistera plus en du soutien, si besoin est, qu’à de l’espionnage. Apparemment, la réussite passe avant tout pour le seigneur Susanoo. Aussi, tous les moyens sont bons, même s’il nous faut trahir. Chose que je n’apprécie que modérément.
- Si elle est justifiée, je n’y vois pas plus d’inconvénient que ça, répliqua la jeune femme.
Difficile de savoir si elle est sincère ou si elle entretien sa muraille de froideur, songea le quarantenaire.
- Nous ne serons que trois ? demanda Byakko pour dévier quelque peu du sujet.
- Non, Suzaku devrait également être de la partie, répondit Genbu.
- Dans ce cas, lui aussi sera à surveiller. Je n’abhorre que trop son côté pervers pour la violence.
- Tu as raison. Je m’occupe de garder un œil sur lui. Mais autant éviter de parler de sujets désagréables.
- Il n’y aura donc que Kirin pour rester auprès du seigneur Susanoo, dit Seiryû.
- Ne t’inquiète pas, lui assura Genbu. Même s’il est le plus jeune d’entre nous, il est on ne peut plus capable. Et puis, rien ne devrait le menacer, car nos agissements se font dans l’ombre, sans témoins susceptibles de représailles.
- Dans ce cas, dit-elle, je n’aurais qu’une dernière question.
- Laquelle ?
- Le départ est prévu pour quand ?
- D’ici trois ou quatre jours.

31 décembre 1994
Japon, Tokyo

Le jeune homme toqua à la porte, mais ne reçut pas de réponse. Il regarda sa montre.
Dix heures. C’est vrai qu’il est encore tôt, pensa-t-il. Enfin, pour elle.
Posant sa main sur la poignée, il s’aperçut que cette dernière n’était pas verrouillée, aussi entra-t-il. En refermant derrière lui, son regard argenté croisa le reflet que lui renvoyait le miroir accroché près de l’entrée. Celui d’un individu d’une vingtaine d’années aux cheveux en bataille gris cendrés ; une cicatrice oblique barrait son visage.
- Ayame, tu es là ? appela-t-il.
L’appartement de la jeune femme était petit et ne comptait que trois pièces. A ce qu’il pouvait en juger, la salle de séjour était un modèle de désordre avec des vêtements entassés sur le canapé. Soudain, une tête émergea depuis l’embrasure de la chambre.
- Eh, qui est-ce qui … tiens, Rikimaru. On ne t’a jamais appris à frapper avant d’entrer, le réprimanda-t-elle.
En proie aux mèches rebelles, ses cheveux bruns ébouriffés suggéraient que son amie s’était levée peu de temps auparavant. Elle se dirigea vers la cuisine et mit de l’eau à chauffer.
- Je l’ai fait, se défendit-il, seulement personne ne m’a répondu. De plus, c’était ouvert.
- J’ai simplement dû oublier de fermer hier soir.
- Tu dis ça avec une telle nonchalance, lui fit-il remarquer.
- Bah, ce n’est pas très important. Je ne crains pas grand-chose. Au fait, tu veux un peu de thé ? l’interrogea-t-elle en se dirigeant vers la table avec sa bouilloire fumante et une paire de tasses.
- Volontiers, admit-il.
Chacun prit donc place sur un siège et ils se mirent à discuter pendant que leur breuvage refroidissait.
- Alors, qu’est-ce qui t’amènes ? En dehors du fait d’avoir escompté me trouver nue sous la douche.
Frappé de stupeur, les mots que le jeune homme voulait prononcer, peinaient à s’échapper de sa bouche.
- Eh, tu ne vas pas nous faire une attaque, j’espère, fit-elle espiègle.
- Je … Ah, tu viens de ruiner mes espoirs, concéda-t-il en tâchant de sembler aussi déçu que possible.
- Essaierais-tu de faire de l’humour, Rikimaru ? demanda-t-elle, amusée. Parce que si c’est le cas, ce n’est pas encore tout à fait ça, mais je loue l’effort.
- Tu sais, dit-il en souriant malgré lui face à ce compliment, à force de t’écouter, je commence à progresser. (Néanmoins, ses traits enjoués reprirent très vite leur gravité coutumière.) Plus sérieusement, je suis venu parce que j’ai des nouvelles de la part du seigneur Tsukuyomi.
- De quel genre ?
- Il nous a confié une mission.
- Là, tu m’intéresses ! Alors que fait-on ? Où allons-nous ?
- En Norvège, à Asgard. A ce qu’il m’en a dit, les Gardiens Célestes de Susanoo devraient partir d’ici peu.
- Attends, il n’y avait pas déjà eu une histoire d’alliance entre lui et un dieu nordique. Hum… Loki, c’est ça ?
- Tout à fait. A l’époque, on ne savait pas vraiment pour quelle raison il l’avait fait. Théoriquement, on ne le sait toujours pas. Seulement, j’avais songé à l’éventualité que Susanoo manœuvrait dans le but de récupérer un autre des artefacts qu’il convoite. Loki devait peut-être le trouver pour lui en échange d’une obscure rétribution.
- Et donc, poursuivit Ayame tandis qu’elle brossait ses cheveux, tu crois qu’ils sont censés aller le chercher. Ce qui nous offrirait l’occasion de l’intercepter.
- En gros, oui. Après, il est tout à fait possible que je me trompe, admit-il, et qu’il s’agisse d’autre chose. Cependant, je crois qu’il y a tout de même une part de vérité dans mon hypothèse. Dans tous les cas, le meilleur moyen de le découvrir est de se rendre sur place.
- Et Athéna ? Il n’est toujours pas question de la contacter ?
- Je n’ai pas reçu d’ordre en ce sens-là. Mais avant que cela ne revienne sur le tapis, la prévint-il, je tiens à te dire que je considère qu’en tant que déesse protectrice de la Terre, elle trouvera certainement le moyen de remonter la piste. J’estime qu’elle en est tout à fait capable faute de quoi elle ne serait pas ce qu’elle est. Aussi, je suis persuadé que nous la retrouverons tôt ou tard à nos côtés.
- Je souhaite que tu aies raison. Alors, quand a lieu le grand départ ?
- Dans deux jours, je pense.
- Super ! s’exclama-t-elle. Au moins, on va pouvoir fêter le réveillon ! D’ailleurs, tu n’as qu’à m’accompagner.
- Je ne sais pas, fit-il hésitant. Tu sais que je n’aime pas vraiment la foule. En plus, il va falloir se préparer et …
- Oh, tu peux bien me concéder ça, je n’ai pas râlé pour la question Athéna. Tu peux aussi choisir de me faire plaisir ! Allez, ça va être amusant !
Au diable mes réticences ! s’exaspéra-t-il.
- Bon, d’accord.

2 janvier 1995
Norvège, Asgard, Province Centrale, Capitale

Les bras chargés d’une pile de linge propre, une servante du château – pas la plus importante, mais assurément l’une des plus belles – avançait sans hâte le long d’un couloir glacial. Passant près d’une fenêtre qui surplombait la cour, son regard vert clair fut attiré par un mouvement. Des cavaliers venaient de faire irruption, piétinant la fine couche de neige qui recouvrait le sol. Les montures, vraisemblablement fourbues, furent conduites aux écuries par les palefreniers, tandis que les trois hommes qui venaient d’arriver marchaient d’un pas rapide vers les portes de la forteresse, leurs capes gonflées par le vent. A leur tête se trouvait Kostya, le chef en second de la garde ; un homme courageux, mais arrogant et imbu de sa personne. La jeune femme les regarda entrer dans le bâtiment principal et pensa qu’ils allaient certainement faire leur compte-rendu à leur supérieur. Quand elle s’écarta, la buée que son souffle avait engendrée recouvrait une partie des carreaux de verre.
La servante reprit son labeur et pénétra dans la chambre de la souveraine d’Asgard. Se mettant à l’ouvrage, elle commença par faire la poussière sur les imposants meubles de la pièce. Puis, lorsqu’elle étala la housse et les draps sur le matelas, l’air frais de la pièce se chargea d’une douce fragrance. Pour lui donner du gonflant, elle tapota l’édredon en plumes d’oie et arrangea les oreillers. Ensuite, la jeune femme balaya et racla les cendres du foyer avant de remettre des bûches. Elle vérifia également que le cabinet de toilette était pourvu en serviettes et ressortit afin de se rendre aux cuisines pour la poursuite de ses corvées.
Elle avait presque atteint sa destination au moment où elle croisa Kostya, mâchonnant un morceau de viande séchée.
Probablement soutiré en échange d’un baiser, pensa-t-elle.
- Ah, la belle Ilsia ! s’écria-t-il en l’apercevant. Je te cherchais justement !
La domestique lui sourit. A peine était-il parvenu à sa hauteur, qu’il la poussa contre le mur. Sa bouche occupée jusqu’ici à ingérer de la nourriture, s’employa à appliquer des baisers sur son cou. Sa main remonta le long de sa jambe, entraînant dans son sillage le bas de la robe de laine et se plaqua sur la rondeur accueillante de ses fesses. Elle frissonna et le repoussa doucement.
- Pas maintenant, Kostya. On pourrait nous surprendre, expliqua-t-elle posément. Et je vais être punie si on croit que je tire au flanc.
Frustré, mais compréhensif, il se mit à jouer avec les cheveux qui s’échappaient des tresses que la jeune femme avait nouées.
- Rejoins-moi dans ma chambre cette nuit, lui enjoint-il en s’éloignant.
Ce n’était pas la première fois que le chef en second de la garde se comportait de cette façon. Il couchait souvent avec les servantes et en changeait pratiquement chaque mois. Toutefois, avec Ilsia, cela durait depuis plus longtemps que ça. A croire qu’il avait du mal à s’en lasser. Quoi qu’il en soit, elle était consciente du fait qu’elle n’était là que pour réchauffer son lit.
Pendant encore plusieurs heures, elle s’occupa de préparer des plats, nettoyer ou repriser des vêtements et échanger quelques ragots avec ses amies Malusha et Hilda. Enfin, vint la nuit.

La sombre voûte céleste s’était parée de joyaux iridescents quand Ilsia traversa la cour du château, enveloppée dans un manteau qui la protégerait du froid mordant. Des nuages masquaient la lune et il n’y avait que les lumières des torches pour lui indiquer son parcours. Mais même dans le noir absolu, elle aurait été capable de trouver son chemin. Bientôt, la jeune femme poussa une porte en bois, marcha jusqu’à une seconde et toqua rapidement à quatre reprises. En réponse, cette dernière s’ouvrit sur-le-champ et elle s’engouffra à l’intérieur.
Un feu brûlait dans l’âtre, diffusant un éclat tamisé dans la chambre.
- Te voilà enfin, dit Kostya. J’ai bien cru que tu ne viendrais pas.
Il lui apparut dans son plus simple appareil.
- Bien sûr que si. Je ne manquerai cette entrevue pour rien au monde.
L’homme commença là où il s’était arrêté dans la journée. Ses mains firent tomber la robe et ses caresses se firent plus aventureuses, passant savamment des cuisses à la poitrine de la domestique. Leurs souffles devinrent courts et l’excitation se lisait dans leurs pupilles. Poursuivant, ils parlèrent peu, burent beaucoup et finirent par s’effondrer sur le lit qui émit une plainte face à cet assaut brutal. A contrario de leurs préliminaires, leur étreinte fut brève, à l’étonnement de la jeune femme qui, visiblement un peu éméchée, prit plus de libertés que d’habitude.
- Alors, mon beau, fit-elle en laissant glisser un de ses fins doigts sur son torse, qu’est-ce qui s’est passé ? Tu es plus performant que ça en temps normal.
Il y avait comme du reproche dans sa voix et le regard de Kostya, qui fixait jusque là le plafond, se chargea de colère. Cependant, celle-ci disparut aussi vite qu’elle s’était manifestée.
- C’est vrai, avoua-t-il en souriant. J’ai eu une mauvaise journée.
- C’est en rapport avec ta cavalcade de ce matin ? D’ailleurs, je te signalerais que tu montais ton cheval avec bien plus d’entrain que moi.
Il gloussa puis lui jeta un coup d’œil étonné.
- Tu m’as vu arriver ?
- Depuis une fenêtre non loin de la chambre de la reine Ylva. (Elle enchaîna aussitôt :) Qu’est-ce qui t’a donc empêché d’être au mieux de ta forme ?
L’esprit embrumé par l’alcool et errant dans un demi sommeil, il répondit :
- Il y a eu plusieurs attaques de villages dans les provinces nord et ouest.
- Cela n’est-il pas monnaie courante ?
- Certes, mais elles paraissaient parfaitement orchestrées et bien plus destructrices qu’un raid organisé par de simples brigands. D’une part, parce que ceux-ci rançonnent habituellement les petites bourgades au lieu de les raser complètement, sinon ils n’auraient plus rien à en tirer. (Il bâilla.) Et des noms finissent toujours par s’ébruiter. Or, là, ce n’est pas le cas. Ce qui est plutôt problématique.
Les traits d’Ilsia se décomposèrent et elle se redressa légèrement.
- Ils ne vont pas nous attaquer quand même, hein ?
- Non. Qui qu’ils soient, ils ne s’en prendront jamais à la forteresse. Tu n’as rien à craindre. Surtout si je suis là.
Elle sourit, rassérénée.
- Prouve-le moi.
- Ce sera … avec … plaisir.
Consumé par la fatigue et le sommeil plus que par sa passion ravivée, il s’endormit. Assurée qu’il ne se réveillerait pas, la jeune femme récupéra ses vêtements et quitta la pièce à pas de loup. Elle retraversa la cour et rejoignit sa propre résidence. Une fois à l’intérieur, Ilsia verrouilla derrière elle et alluma une lampe à huile. Elle s’agenouilla à côté de son lit et chercha quelque chose au dessous. Ses doigts agrippèrent une pierre descellée et elle la retira. Dans la cavité ainsi libérée, la servante s’empara d’un morceau de tissu. Ecartant les pans, elle révéla un médaillon d’argent incrusté de plusieurs gemmes bleutées.
Elle ferma les yeux et se concentra sur l’objet. Une minuscule étincelle de cosmos naquit dans son bras et elle l’envoya à la rencontre de l’objet. Une autre énergie lui parvint en retour. Dans son esprit, les mots se formèrent.
- Seigneur Poséidon, appela-t-elle.
- Parle, Narya, je t’écoute, répondit une voix aussi profonde que l’océan.
- D’après ce que j’ai pu glaner, cela fait plusieurs mois que les forces de Loki s’en prennent à des villages, bien que cela ressemble davantage à l’action de pillards. Néanmoins, ces derniers temps, ils se sont intensifiés. Je pense qu’il passera bientôt à l’action. Encore que j’ignore sous quelle forme.
- Son objectif semble-t-il être la forteresse ?
- Je ne sais pas. Son armée n’est peut-être pas encore suffisamment conséquente pour s’en prendre au cœur d’Asgard. A moins, que ce ne soit le cas, mais qu’il préfère affaiblir la capitale en la privant de ressources avant de lancer un assaut massif.
L’Empereur des Mers parut pensif.
- La menace est tout de même bien réelle, aussi, je préfère prendre les devants et envoyer d’autres Marinas pour surveiller l’évolution des évènements. Il faudra peut-être que tu les aides à entrer dans la ville.
- J’accomplirai votre volonté.
- Parfait. Tu as fait du bon travail, Narya. Continue en ce sens.
La communication cessa et la jeune femme ré-enveloppa à nouveau le pendentif dans le tissu. Elle le replaça dans sa cachette et s’assit sur son lit, perdue dans ses pensées.
Cela faisait désormais deux ans et demi qu’elle servait d’espionne à Poséidon en Asgard. L’apparition de ce besoin d’informations avait coïncidé avec l’arrivée d’Einar. Natif de cette contrée, le garçon avait raconté son histoire et l’incendie de son village par des troupes qui apparemment servait Loki. Le fait qu’un dieu, emprisonné par ses pairs depuis des lustres, se mette soudainement à bouger, alors qu’il n’avait pas fait de remous durant tout ce temps –d’autant plus deux ans à peine après le vol d’artefact subi par Athéna – relevait du pur hasard. Et l’Ebranleur du Sol n’y croyait pas. Aussi, profitant du don de Narya pour les langues, il avait enjoint Einar à lui enseigner la sienne, un dérivé du norvégien. Dès qu’elle fut prête, la Marina de la Selkie se rendit sur les terres d’Odin. Morgan n’avait pas été très enclin face à ce plan, mais la volonté de Poséidon faisant force de loi, il s’y était plié.
Avant son départ, un médaillon lui fut remis par son mentor, Sorrento. Ce dernier lui expliqua que l’objet recelait une infime partie du cosmos de l’Empereur des Mers et que grâce à lui, elle pourrait communiquer avec le dieu à tout moment. Narya commença donc sa carrière d’espionne en travaillant dans une taverne, avant de trouver rapidement la place qu’elle occupait encore aujourd’hui. Le meilleur endroit où recueillir des renseignements étant sans aucun doute, le château du souverain d’Asgard. Il suffisait de laisser traîner ses oreilles et ses yeux un peu partout – personne ne prêtant attention à une domestique – ou d’écouter les confessions sur l’oreiller, comme elle l’avait fait quelque minutes plus tôt. Il lui avait simplement fallu flatter l’ego de Kostya et feindre l’ivresse et le désir pour obtenir ce qu’elle voulait.
En tout cas, son rôle toucherait bientôt à sa fin et ce n’était pas pour lui déplaire, bien qu’elle se soit attachée à certaines personnes qu’il lui faudrait donc quitter, non sans regrets.

 

Géothermie :
Du grec géo (la terre) et thermie (la chaleur), il s'agit de la science qui étudie les phénomènes thermiques internes du globe terrestre et la technique qui vise à l'exploiter. Par extension, la géothermie désigne aussi l'énergie de la Terre qui est convertie en chaleur. Cette énergie est exploitée dans des réseaux de chauffage et d'eau chaude depuis des milliers d'années en Chine, dans la Rome antique et dans le bassin méditerranéen.

Harfang :
Grand oiseau blanc aux yeux jaunes très reconnaissable, pouvant atteindre jusqu'à 70 cm de longueur. Le mâle est d'un blanc pur alors que la femelle et les jeunes sont légèrement tachés ou barrés de brun. En Amérique du Nord on le considère comme un hibou, car il possède des petites plumes sur sa tête, appelé aigrettes (invisibles, car elles sont très petites et repliées sur sa tête). Le milieu naturel du harfang est le Grand Nord : la toundra arctique. On le retrouve dans 6 provinces et territoires au Canada, soit le Territoire du Yukon, les Territoires du Nord-Ouest, le Nunavut, le Manitoba, le Québec et Terre-Neuve-et-Labrador.

Chèche :
Le chèche est une sorte de turban d'environ 4 à 8 mètres de long, porté notamment par les Touaregs, qui s'enroule sur la tête pour se protéger du soleil, du vent, de la pluie, du sable, du froid, ... .

Ifrit :
Sorte de djinn (esprit) que l’on le considère généralement comme malfaisant.

Oud :
Instrument de musique à cordes pincées très répandu dans les pays arabes, en Turquie, en Grèce et en Arménie. Son nom vient de l'arabe al-oud (le bois), transformé en Europe en laute, alaude, laud, liuto ou encore luth.

Teppanyaki :
Signifiant littéralement « grillé sur une plaque en fer », il s’agit d’un type de cuisine japonaise où l'on utilise une plaque chauffante pour cuire les aliments.