Chapitre 07 : La mystérieuse requête du Pope

 

Le temple du Grand Pope était devant nous, haut de plusieurs mètres dans la clarté éblouissante de l'après midi. Il était uniquement fait de marbre, mis à part la grande porte à double battant sculptée dans le bois. Celle-ci était encadrée par deux groupes de quatre colonnes striées de larges rayures convexes et ornées d'un lourd chapeau carré. Le monument était si grand que je me brisais la nuque pour essayer de le voir en entier.
La porte semblait imprenable. D'énormes clous de fer martelaient les planches et au milieu de chaque battant, un puissant butoir à tête de lion attendait patiemment en nous observant. Déjà, les larges marches s'étalaient à nos pieds. J'étais profondément émue et impressionnée de me trouver là. Parce que cela signifiait que nous étions sur le point de terminer notre mission et aussi parce que cela avait toujours été mon rêve. Pour un peu, je me croirais presque chevalier d'Athéna moi aussi... je me mis à secouer la tête pour me réprimander : j'étais un ange de Zeus, il ne fallait pas l'oublier ! Soudain je plongeai la main dans ma poche pour m'assurer que le parchemin était toujours là. Mes doigts frôlèrent le papier et je me préparai à entrer. Kan nous ouvrit la route encore une fois. Il monta les marches, s'empara du butoir qui reposait sur le battant droit et frappa deux coups. Le bruit sourd des impacts résonna un instant contre le marbre des murs puis finit par s'éteindre. Alors la porte s'ouvrit, comme par magie.
- Veuillez me suivre, lança le Bélier en souriant.
Jonas s'engagea rapidement derrière lui et Aaron marcha à mes côtés. J'étais tellement angoissée que mon coeur accélérait sans cesse et mes yeux étaient fixés droit devant sans que je sois capable de discerner quelque chose. Les battements dans ma poitrine se répercutaient jusque dans ma tête et je les entendais très nettement, à moins que ce ne fût le rythme de nos pas sur les dalles... Je ne savais plus très bien. Et puis tout à coup, nous arrivâmes devant le trône du Pope, devant le grand maître du Sanctuaire. Seule ma fidélité envers Zeus m'empêcha de tomber à genoux face à lui et je vis qu'il en était de même pour mes compagnons. Le Pope était un personnage vraiment très impressionnant. Sa cosmo énergie était presque palpable. Tout dans son allure était droit et juste, jusqu'à sa longue cape raide qui balayait le sol. Pourtant on ne pouvait pas voir son visage : un masque semblable à celui d'Aria le dissimulait. Deux grandes ailes bleues en partaient et montaient vers le ciel. En réalité, de lui, on ne voyait que ses cheveux, longs et bouclés qui s'étendaient sur ses épaules. Leur couleur mauve tranchait furieusement avec le sombre de sa tunique et lui donnait un air plus doux.
A notre entrée, le Pope se leva et attendit qu'on se présente devant lui. Aaron, Jonas et moi nous inclinâmes avec respect. Le chevalier du Bélier avait mis un genou à terre.
- Mon seigneur, voici trois messagers qui cherchent à vous rencontrer, expliqua-t-il. Ils disent avoir une commission importante à vous faire et j'ai cru bon de les escorter jusqu'ici au plus vite.
Le Pope croisa les mains derrière son dos.
- Je te remercie Kan, tu as bien fait, dit-il. J'attendais effectivement un message mais je ne pensais pas qu'il viendrait si vite.
Son visage impassible se tourna vers nous.
- Quant à vous chevaliers, je vous remercie d'avoir apporté ces informations jusqu'ici. Votre service a été impeccable et honore votre maître.
J'en rosis de plaisir et m'inclinai encore une fois.
- Merci Grand Pope, fis-je.
Jonas me fit alors signe de lui donner notre message et je m'empressai de sortir le rouleau scellé de ma poche. Je m'avançai aussitôt et le présentai humblement au Pope. Celui-ci le prit avec douceur et je ne notai la chaleur que dégageait sa main lorsque ses doigts effleurèrent les miens.
- Merci.
Alors que je reculais pour regagner ma place, il fit volte-face pour aller se rasseoir sur son siège. Sans attendre, il décacheta le parchemin dont le sceau partit en poussières et déplia le feuillet cérémonieusement. Je ne vis pas ses yeux bouger pour suivre les lignes, je ne vis même pas le changement dans son expression quand il apprit la nouvelle mais j'aurais bien aimé savoir ce qu'il y avait dans ce message. Toutefois, après quelques secondes de lourd silence, le Pope froissa vivement le parchemin dans sa main. Il serra le poing à s'en faire éclater les phalanges et tout à coup, il balança la feuille au sol d'un geste rageur. Interdits, mes compagnons et moi regardâmes le message prendre feu brusquement. Les langues orangées le comsumèrent à une vitesse étonnante et bientôt, il n'en resta plus une trace.
Le Pope semblait furieux et je sentis soudain la culpabilité m'envahir. Qu'avais-je fait en portant ce message ? Qu'avait fait Zeus pour le mettre ainsi hors de lui ? Le maître du Sanctuaire frappa sèchement du poing sur son accoudoir et lança une exclamation enragée.
- Est-ce là tout ce que nous méritons ? Est-ce là l'honneur dû à Athéna ? fulmina-t-il en me faisant sursauter. Comment peut-il agir de la sorte !
Ma panique augmenta et je jetai un regard affolé à Aaron. Ce dernier recula instinctivement d'un pas et secoua la tête pour me faire entendre qu'il ne comprenait rien non plus. Que se passait-il par Zeus ? Qu'y avait-il donc dans ce message ?
Le chevalier du Bélier semblait paralysé et n'osait plus faire un geste. Lorsque ses yeux se posèrent sur moi, je vis le doute briller dans ses prunelles. Non ! Ce n'était pas notre faute ! Nous ne voulions aucun mal au Sanctuaire ! Nous n'avons pas menti ! Le Pope n'était visiblement pas de cet avis. Il nous héla soudain avec force :
- Dites à votre maître que j'apprécie énormément sa grandeur d'âme ! cria-t-il. Que tout le Sanctuaire l'apprécie beaucoup ! Soyez fiers ! C'est cela, très fiers !
J'étais mortifiée, prête à m'enfuir en courant. Qu'avions nous fait ? Quel était ce message ? Et quel rapport avec nous ? Nous n'étions que des messagers, des intermédiaires ! Nous n'avions rien à y voir ! Tout à coup, Kan se releva et je contins un mouvement de peur. Mais ses yeux étaient fixés sur le Pope.
- Seigneur... pardonnez-moi, fit-il. Quelque chose de grave est-il arrivé ?
Le temple entier parut trembler de la fureur du Pope et mon hoquet de surprise alarma Aaron qui vint me protéger.
- Trahison ! tonna le Pope. Un tel comportement est inimaginable ! Justice et équilibre ! Que fait-il de la justice et de l'équilibre ?
Kan paraissait dépassé.
- Par pitié seigneur, calmez-vous, implora-t-il. Ce message était-il si terrible ? Nous ne comprenons pas...
Je regardai le Bélier avec gratitude. Il avait compris que nous n'en savions pas plus que lui. Nous n'étions pas responsables de ce que Zeus avait écrit. Le Pope dut alors remarquer l'inquiétude de son chevalier et la peur qui nous faisait trembler. Jonas avait les yeux écarquillés, Aaron avait reculé de plusieurs pas et je m'étais réfugiée derrière lui, apeurée. Le Pope se calma sensiblement et se laissa à nouveau tomber sur son trône.
- Pardonnez-noi, dit-il. Nous sommes perdus...
Il avait soudain l'air d'avoir pris plusieurs années. Sa voix était lasse, désespérée.
- Seigneur... intervint Kan.
- Ma requête a été refusée, expliqua-t-il. Je sais bien que... C'est la loi... mais cette injustice me révolte.
Il se redressa et fit un signe de la main dans notre direction. Sa violence avait peu à peu disparu.
- Veuillez m'excuser chevaliers, je n'ai absolument rien à vous reprocher. Vous avez fait votre devoir de façon exemplaire, votre maître a fait le sien et je dois également faire le mien. Acceptez l'hospitalité du Sanctuaire durant quelques jours avant de repartir chez vous...
Je n'avais plus la moindre envie de m'attarder dans un endroit où on nous traitait de la sorte. En réalité, je ne voulais plus qu'une chose, c'était rentrer à Babel pour retrouver mon maître et ma demeure, le plus loin possible du Sanctuaire où je ne reviendrai jamais. Depuis notre arrivée, nous n'avions cessé d'être repoussés, soupçonnés, insultés...
Cependant, dans le silence qui devenait gênant, je croisai le regard de Jonas. Une lueur flottait dans ses yeux que je n'aimais pas du tout. Il voyait très bien que je n'avais plus envie de m'attarder ici, je le savais. Son expression se fit désolée et mon coeur s'emballa. Il n'allait quand même pas... ? Je cherchai de l'aide du côté d'Aaron mais soudain je me figeai. Lui aussi avait l'air navré. Avant que je n'aie pu dire un mot, Jonas s'avançait vers le Pope.
- Nous acceptons avec plaisir Grand Pope, lança-t-il.

- Nous n'avions pas le choix Sara ! s'exclama Aaron pour la cinquième fois.
Voilà un bon quart d'heure qu'il essayait avec Jonas de me convaincre du bien fondé de leur décision. Mais j'étais bornée moi aussi.
- Je ne vois pas pourquoi, fis-je. Nous avons livré notre message, nous avons été "gracieusement" remerciés et nous n'avons plus rien à faire ici ! D'ailleurs tout le monde voudrait nous voir disparaître.
Aaron soupira.
- Le Pope nous offre l'hospitalité, lâcha-t-il. Il n'était déjà pas satisfait du contenu du message de Zeus, décliner son invitation aurait été une grave insulte. Une mission concerne aussi ce genre de choses.
- Cela s'appelle la diplomatie princesse, renchérit Jonas.
Je me mordis la lèvre inférieure. Evidemment, ils avaient parfaitement raison. Zeus n'aurait pas apprécié qu'on bafoue les règles de l'hospitalité et qu'on ternisse sa réputation par dessus le marché. C'était la seule chose à faire, je le savais. La vérité c'est que j'avais été très déçue par le Sanctuaire et que je ne voulais pas l'admettre. Pour moi, les chevaliers d'Athéna ne pouvaient qu'être des hommes à l'attitude exemplaire et voilà que ce n'était pas le cas. L'atmosphère de tension qui régnait ici commençait à me peser.
- Oui, dis-je enfin à contrecoeur. Vous avez raison.
- Ce ne sera que pour quelques jours, reprit Jonas. Juste pour la forme et ensuite nous repartirons.
Aaron partit s'asseoir sur sa couchette. A la demande du Pope, Kan nous avait conduit dans ce qui serait nos appartements pour quelques jours. Il s'agissait d'une aile isolée du temple du Pope où nous disposions chacun d'une petite chambre. Il fallait reconnaître que nous étions traités en invités de marque.
- Je croyais que tu étais folle de joie d'être ici, remarqua Aaron. Ce n'est pas ce que tu voulais ?
- Ce que je voulais, répliquai-je, c'était rencontrer les chevaliers d'Athéna, pas une troupe de paranoïaques agressifs ! J'ai cru que le Pope allait nous tuer tout à l'heure ! Tu as vu dans quel état il s'est mis ? Tu trouves ça digne du représentant d'Athéna sur Terre, toi ?
Jonas secoua la tête.
- Tu es trop dure Sara. Il ne nous aurait pas fait de mal, d'ailleurs, il s'est excusé, objecta-t-il. C'est ce message qui l'a déçu j'ai l'impression. Dommage qu'il ait brûlé, j'aurais bien voulu savoir le fin mot de cette histoire.
Aaron échappa un large sourire en le regardant.
- Mon dieu mais tu te dévergonde, Jonas ! Tu voudrais faire des choses interdites maintenant ? Nous sommes vraiment de mauvaises fréquentations pour toi !
- Ohé, du calme, lâchai-je. Parle pour toi mon vieux.
Aaron me tira la langue et je répondis de même.
- Vous ne voulez pas être sérieux deux minutes ? lança Jonas. Il y a vraiment quelque chose d'étrange.
- Quoi ? fis-je. Que le Pope soit un survolté ?
- Personne n'est parfait, renchérit Aaron.
Jonas souffla bruyamment et se leva pour arpenter la pièce de long en large, l'air songeur. Il se frotta vaguement le menton avec sa main, signe qu'il était vraiment très préoccupé.
- Je veux parler de ce qu'a dit le Pope tout à l'heure, expliqua-t-il. Vous vous souvenez, il a dit : "Ma requête a été refusée".
Je me souvenais maintenant qu'il avait effectivement dit quelque chose dans ce genre là. Je me mis à réfléchir moi aussi.
- Cela veut dire que le Pope avait fait une requête à Zeus et que celui-ci l'a rejetée ? fis-je.
Jonas acquiesça.
- Quand aurait-il formulé une requête ? demanda Aaron. Et de quel ordre ? Nous n'étions même pas au courant.
- C'est vrai, remarquai-je. Un messager du Pope serait venu dans la Cité des Cieux ? Comment serait-ce possible ? Les humains ne volent pas !
Jonas repoussa cette idée d'un geste évasif et reprit le fil de sa pensée.
- Il y a d'autres moyens pour cela. Si le Pope le veut, il peut accéder à Babel, c'est la loi des Dieux. Non, ce qui me chiffonne c'est cette fameuse requête. Elle avait l'air d'être très importante pour le Pope et le Sanctuaire. En quoi pouvait-elle bien consister ?
- Peut-être que le Pope a demandé de l'aide à Zeus et que notre maître n'a pas voulu la lui accorder ? proposa Aaron.
- C'est plausible, affirmai-je. Le Sanctuaire a beaucoup de difficultés en ce moment. Mais pourquoi Zeus aurait-il refusé ? Ce serait injuste !
- Quoi qu'il en soit, notre maître doit avoir de bonnes raisons d'avoir agi de la sorte, déclara Jonas. C'est un dieu, nous n'avons pas à contester ses décisions.
Je ravalai ma réplique, un peu honteuse de mes pensées envers mon maître. Mais si nos suppositions étaient justes, Zeus venait d'abandonner le Sanctuaire à son sort sans même lever le petit doigt. Ce n'était pas très digne envers Athéna, sa propre fille ! Le Sanctuaire se relèverait forcément de toutes ses blessures un jour où l'autre mais un peu d'aide ne lui aurait pas fait de mal. Et puis la Cité des Cieux avait tellement d'anges, nous aurions pu nous entraider ! C'était une attitude très égoïste de la part de Zeus. Et inhabituelle en plus. Peut-être nous trompions nous ? Oui, ce devait être ça. Ce ne pouvait être que ça... Dès que nous serions de retour à Babel je demanderai à Zeus d'aider le Sanctuaire. Nous pouvions bien faire ça !
- Pourtant... marmonna Jonas.
- Quoi ? demandai-je. Pourtant quoi ?
- Pourtant, reprit-il, il y a quelque chose qui ne colle pas. Ou alors, il nous manque une information. Pourquoi le Pope aurait-il demandé de l'aide à Zeus, à supposer que c'est bien de cela qu'il s'agit ? Cela n'a pas de sens, le Sanctuaire est parfaitement autonome. C'est étrange...
- Tu sais Jonas, intervint Aaron, peut-être que tout cela ne nous regarde pas. Les affaires des dieux ne nous concernent pas, c'est plus prudent de ne pas chercher à savoir.
Je lui jetai un regard courroucé.
- Te dis ça parce que tu te fiches complètement de ce qui peut arriver au Sanctuaire ! sifflai-je.
- Il faudrait savoir ce que tu veux toi aussi ! rétorqua-t-il. Il y a cinq minutes, tu voulais partir le plus loin possible !
- Cela n'a rien à voir, dis-je. Ce sont des chevaliers comme nous, on ne peut pas les abandonner comme des malpropres ! Et la solidarité alors ?
- Sara, tu dépasses les limites de ce que doit penser un simple messager ! gronda Aaron avec sérieux. Cela ne nous concerne pas, nous ne sommes pas des Dieux. Il faut rester à la place qui est la notre.
Brusquement, je croisai les bras sur ma poitrine et me détournai. Il n'en restait pas moins que tout cela était injuste et je ne pouvais croire que Zeus soit aussi égoïste. Ce n'était pas possible...
- Vous savez, lança soudain Jonas, il nous reste encore quelques jours pour essayer de découvrir de quoi il retourne...
J'ébauchai un sourire.
- Aaron a raison ménestrel, répondis-je. Nous avons vraiment mauvaise influence sur toi !

Il fallut attendre plus d'une heure pour que quelqu'un vienne enfin nous tenir au courant de ce qu'il se passait. La femme frappa à la porte et entra quelques secondes plus tard. Ce devait être une servante car elle ne portait ni masque, ni armure et était vêtue d'une simple tunique blanche. Elle nous informa que le Pope nous recevrait le soir même pour le repas et qu'il nous expliquerait tout ce qui concernait notre séjour au Sanctuaire. Puis elle nous laissa, non sans nous avoir indiqué les bains et tout le nécessaire pour nous refaire une toilette décente. Le Pope acceptait de nous parler, il ne fallait pas en demander trop à la fois. Il ne nous restait plus qu'à nous rendre à nouveau présentables et nous rendre à son rendez-vous.
Le moment venu nous suivîmes tous les trois les longs couloirs pour arriver jusqu'aux appartements du Pope. La salle où il nous avait reçus un peu plus tôt était maintenant occupée en son centre par une immense table ovale. J'étais surprise du nombre de sièges et en les comptant rapidement, j'atteignis le nombre douze. Je n'eus pas le temps de me demander pourquoi. Soudain, Aaron me tira par le bras.
- Regarde qui est là, dit-il.
Ebahie, je reconnus les sept personnes qui se trouvaient déjà dans la pièce en habit doré.
- Les chevaliers d'or ! m'exclamai-je.
Kan, Sedeth, Aria, Mao, Roan, Ooko et Timoklès étaient tous là, discutant tranquillement en attendant l'arrivée du Pope. J'étais plutôt heureuse de retrouver ceux qui nous avaient témoigné de la sympathie lors de notre montée. Voilà donc pourquoi il y avait autant de sièges. Je supposais que le dernier était pour Denon, le chevalier du Scorpion qui était absent pour le moment.
Je ne m'attendais pas à une telle réunion.
- C'est bien que vous ayez accepté de rester quelques jours, lança Kan en nous rejoignant.
Jonas sourit.
- Oh, c'était avec plaisir, assura-t-il.
Je vis le discret coup d'oeil qu'il me jeta et me sentis rougir. Heureusement le chevalier du Cancer arriva à ce moment-là et personne ne le remarqua. Aria semblait de très bonne humeur et elle sauta au cou de Kan qui prit un air confus.
- Sara, je suis contente de te revoir si vite ! Est-ce que tu as tenu, entourée par tous ces hommes ?
Je me mis à rire.
- Des hommes ? pouffai-je. Non, il n'y a pas d'hommes avec moi.
- Ah non ? firent Aaron et Jonas ensembles.
- Non, affirmai-je. Jonas est un ménestrel et Aaron, une limace...
Tout le monde éclata de rire sauf Aaron qui me gratifia d'un coup de poing sur l'épaule.
- Nous ne savions pas que vous deviez être là aussi, dit Jonas aux deux chevaliers d'or. C'est une bonne nouvelle.
- Le Pope nous a demandé à tous de venir au temple ce soir, expliqua le Bélier. Exceptionnellement.
- Ah bon ? Pourquoi ? demanda Aaron.
Aria sourit.
- A cause de vous, pardi ! Le Pope voulait s'assurer que nous vous avions tous acceptés en tant qu'amis du Sanctuaire. Vous êtes des invités importants, dit-elle.
J'étais agréablement surprise.
- Voilà une vraie bonne nouvelle ! approuvai-je.
Si tous les soupçons qui pesaient sur nous n'étaient plus de rigueur, cela changeait beaucoup de choses. Je balayai la salle des yeux et vis qu'en effet, les chevaliers d'or paraissaient légèrement plus détendus que dans leurs maisons. Je croisai alors le regard intense du chevalier de la Balance et me figeai. Roan me toisa quelques secondes d'un air fermé puis détourna la tête. Pourquoi donc était-il si froid ? Je ne comprenais pas...
- Regardez, je crois que le Pope arrive, déclara Kan et je revins à la réalité.
De fait, la grande porte s'ouvrit et le Pope fit son apparition dans l'embrasure.

La soirée passa à une vitesse que je n'imaginais pas. Le Pope confirma plus tard que nous étions tous les trois, Aaron, Jonas et moi, l'objet de cette réunion. Le Sanctuaire nous reconnaissait officiellement comme des amis et cela supposait que nous soyons traités comme tels par tous les chevaliers. Aria m'expliqua qu'il aurait été impossible de réunir tous les chevaliers de toutes les castes ce soir et que nous rencontrerions les chevaliers d'argent et de bronze le lendemain.
Les chevaliers d'or furent tous très aimables avec nous, du moins, s'ils nous étaient toujours hostiles, ils le cachèrent parfaitement bien. A vrai dire, c'est plutôt moi qui me tins sur mes gardes avec certains d'entre eux. Dès que j'avais aperçu Mao, mon inquiétude était revenue. J'étais loin d'avoir oublié l'épisode de l'après-midi et cela me taraudait toujours. Avait-il vraiment tout deviné ? Je me le demandais. En tous cas, il se comporta tout à fait normalement ce soir-là et ne nous fit aucune réflexion désobligeante. En fait, il ne nous fit aucune réflexion du tout. Je crois qu'en réalité, il ne parlait pas beaucoup, même avec les autres chevaliers d'or. D'ailleurs, il fit avec nous comme si de rien était et s'il avait réellement deviné que nous étions des anges, il n'en laissa rien paraître. Il resta presque totalement muet toute la soirée et garda ses yeux fermés. Il m'intriguait vraiment beaucoup. Finalement, je cédai à la curiosité et me penchai vers Aria, ma voisine de table.
- Dis-moi Aria, fis-je, le chevalier de la Vierge...
- Mao ?
- Oui. Il est toujours comme ça, un peu bizarre ?
Aria lança discrètement un coup d'oeil en direction de son frère chevalier et hocha la tête.
- Il a toujours été plus mystérieux que les autres, avoua-t-elle. En fait, depuis le début, nous ne parlons pas beaucoup avec lui. Simplement des relations polies de chevalier à chevalier. Il n'est pas du genre à faire de grandes démonstrations d'affection.
J'opinai du chef, les yeux rivés sur l'homme en question.
- Oh... et tu peux me dire pourquoi il a un point rouge au milieu du front ? interrogeai-je. C'est comme ceux de Kan ? A quoi cela sert-il ?
Aria parut surprise de cette question et se mit à rire.
- Pour l'un comme pour l'autre, c'est à cause d'une tradition. La différence vient du fait que ceux de Kan sont permanents. C'est la marque de son peuple, la tribue de Mû. Il les a de naissance.
Elle indiqua ensuite le chevalier de la Vierge d'un geste du menton.
- Quant à Mao, c'est un rituel de son pays, dit-elle.
- Les "Indes", c'est ça ? me souvins-je.
- Oui. On raconte que depuis des générations, le chevalier de la Vierge est un favori de Bouddha. C'est pour cela qu'il est toujours originaire des Indes. C'est le pays de Bouddha.
J'avais un peu de mal à suivre.
- Qui est Bouddha ? Un chevalier ?
Aria sourit, visiblement très amusée.
- Non, rectifia-t-elle. Bouddha est le dieu des Indous, les habitants des Indes ! Tu ne sais pas ça ? Tu viens d'une autre planète, c'est pas possible autrement !
Je rougis subitement de m'être faite découvrir aussi facilement. Mon ignorance était, il est vrai, honteuse. Aria ne se rendait sûrement pas compte de combien elle était proche de la vérité. Heureusement, elle prit cela en riant. J'en profitai donc.
- Alors Mao est un favori de Bouddha, c'est pour cela qu'il est chevalier de la Vierge ? récapitulai-je.
- Oui, on dit que c'est l'homme le plus proche de dieu, confia le Cancer.
Ces quelques mots eurent un grand effet sur moi et je regardais le chevalier de la Vierge tout autrement à présent. L'homme le plus proche de dieu... Une idée me vint tout à coup.
- Est-ce que par hasard le chevalier de la Vierge peut voir l'avenir ? Je veux dire, hésitai-je, est-ce qu'il... sait des choses que les autres ne savent pas ?
Aria prit un petit air mystérieux.
- Personne ne le sait, fit-elle. Mais je suis contente que tu sois de mon avis. Moi aussi je trouve qu'il a quelque chose d'extraordinaire. Tu as remarqué quelque chose de spécial qui pourrait nous servir de preuve ?
Je me figeai.
- Non, répondis-je précipitamment. Non, absolument rien.
- Bon... tant pis.
Je soupirai de soulagement. J'avais tendance à oublier que Aria ne devait pas découvrir qui nous étions non plus. Elle m'était tellement sympathique qu'il me semblait que je pouvais tout lui confier.
Au bout d'un moment, Jonas me tapota sur l'épaule pour que je me retourne.
- Tu as entendu Sara ?
- Non, dis-je. Que se passe-t-il ?
Jonas et Aaron discutaient depuis tout à l'heure avec le Pope et les chevaliers du Verseau et des Gémeaux. Les visages se tournèrent vers moi.
- Le Pope nous autorise à circuler à travers les douze maisons autant que nous le voudrons durant notre séjour pour pouvoir visiter le Sanctuaire, m'expliqua Jonas.
J'esquissai un large sourire.
- C'est vrai ? Merci infiniment Grand Pope ! m'exclamai-je débordante de gratitude.
Contre toute attente, Timoklès se mit à rire.
- Cela te fait donc autant plaisir de visiter un vieux Sanctuaire ? me lança-t-il.
J'acquiesçai.
- Oui, bien sûr, répondis-je. Vous savez, vous êtes célèbres chez nous. Votre réputation va loin dans le monde ! Cela faisait longtemps que je rêvais de rencontrer les valeureux chevaliers d'Athéna.
Ils parurent extrêmement flattés du compliment. Sedeth hocha la tête en remerciement.
- Tu nous honores, dit-il.
- Je ne savais pas que notre réputation était si grande, dit Timoklès. Merci beaucoup.
Le Pope rit à son tour.
- Dans ce cas, profites-en avec tes amis Sara, fit-il.
Je souris. Une question me brûlait les lèvres depuis un bon moment et je ne savais pas si je devais la poser. Mais la bonne humeur générale finit de me convaincre.
- Je peux vous poser une question Grand Pope ? demandai-je.
- Si je peux y répondre, ce sera avec plaisir, dit-il.
Jonas me regardait d'un air perplexe. Je me lançai.
- Pourquoi portez-vous ce masque affreux ?
Brusquement, tout le monde s'immobilisa et le silence tomba sur nous. Tous les visages se rivèrent sur moi et sur le Pope avec des moues gênées, interdites ou bien choquées. Il n'y avait plus un bruit et je ne savais plus quoi faire. Jonas se mordit une lèvre et secoua la tête d'un air résigné. Ben quoi ? J'avais bien le droit de savoir... Mais à la seconde où je pensais que tout était fini pour nous, le Pope éclata de rire. La tension disparut comme par magie et de discrets sourires apparurent sur les lèvres des chevaliers d'or. Plusieurs se mirent à rire et enfin, le Pope lâcha :
- Ta franchise est désarmante Sara ! C'est tout à ton honneur ! Pour être franc avec toi moi aussi, je ne l'aime pas vraiment ce masque. Mais c'est la règle du Sanctuaire. Peut-être devrais-je l'abolir ?
A ce moment là, Aria réagit.
- Grand Pope, c'est une excellente idée !
Alors toute la salle se mit à rire et Jonas posa une main sur ma tête.
- Tu es intenable princesse, dit-il. Surtout ne change pas !
Je souris et haussai les épaules.
- Merci ménestrel.

Du coup cela avait détendu tout le monde et les discutions allèrent ensuite bon train. Je trouvai la soirée très agréable et en oubliai même tous nos petits problèmes. Je constatai que beaucoup de chevaliers d'or que je croyais froids et distants étaient en fait, comme Sedeth et Timoklès, très gentils. Je fus déçue que cela se termine et regagnai ma chambre sans enthousiasme.