Chapitre 13 : Le nouvel ennemi d'Athéna

 

Les chevaliers d'or entrèrent et s'installèrent sur les sièges mis là pour l'occasion. Il n'en manquait pas un. Le Pope avait déjà pris place dans un coin où tout le monde pourrait le voir et conservait un mutisme angoissant. Je fixai mes mains croisées sur mes genoux sans bouger, redoutant je ne savais quoi exactement. Mes deux compagnons n'étaient jamais très loin de moi et je devinai qu'ils s'inquiétaient eux aussi. Cette réunion n'avait aucune raison d'être. Ou plutôt, nous n'aurions pas du y assister, nous n'avions plus rien à voir avec le Sanctuaire. La peur me rongeait les entrailles.
Les derniers arrivants finissaient de s'installer dans des crissements de chaises et de capes froissées. Je levai finalement les yeux et la première chose que je vis fut le visage de Roan tourné vers moi. Son regard vert sondait le mien d'un air inquiet. Il avait du voir mon angoisse. Après une seconde, il hocha la tête et esquissa un léger sourire. Ses lèvres remuèrent à peine mais je l'avais vu et j'étais certaine qu'il voulait me rassurer. Etrangement, cela me calma. J'eus même envie de prendre sa main pour que la mienne arrête de trembler mais il était trop loin. Finalement c'est le Pope qui me sortit de ma rêverie en toussotant poliment pour attirer l'attention. Le silence se fit instantanément.
- Puisque tout le monde est là, nous allons pouvoir commencer, annonça-t-il.
Son masque inerte ne trahissait toujours rien.
- Certains d'entre vous doivent se demander quel est l'objet de cette réunion, reprit-il. Je ne vais pas vous faire attendre plus longtemps et vous l'expliquer aussitôt.
Je supposai qu'il faisait allusion à nous trois.
- Aaron, Sara et Jonas ont quitté le Sanctuaire il y a quelques jours et ont du revenir en catastrophe car ils étaient blessés. J'ai bien peur que nous ne soyons en partie responsables de cette attaque et en plus de nombreuses excuses, nous devons vous présenter nos plus plates excuses.
Je tressaillis et restai complètement interdite. Jonas avait échappé un hoquet de surprise, Aaron un grognement à mi-chemin entre la colère et l'incrédulité. Mes oreilles devaient forcément me jouer des tours, il n'y avait pas d'autres explications. Les chevaliers d'or étaient tous de marbre. Pourquoi, par Zeus, ne disaient-ils rien ? Pourquoi ne réagissaient-ils pas ?
- Que voulez-vous dire ? demanda froidement Jonas.
Le Pope croisa les mains dans son dos, baissa la tête.
- Je comprends votre colère et je ne peux pas vous la reprocher, admit-il. Sûrement aurais-je du vous le dire tout de suite mais cela ne me semblait pas une bonne idée.
Alors ils nous cachaient bien tous quelque chose. Tout cela n'était pas le fruit de mon imagination. Mais il restait toujours le problème de cette attaque mystérieuse.
- Quel est le rapport avec l'agression ? Je ne comprends pas, lâchai-je. Avez-vous un quelconque rapport avec tous ces rayons lumineux ?
Cette pensée réveilla en moi une peur panique. Aaron et Jonas s'étaient redressés, prêts à bondir pour se défendre s'il le fallait. Cette fois, nous ne nous laisserions pas faire. Nos cosmos s'enflammèrent. Les chevaliers d'or sursautèrent.
- Ne dis pas n'importe quoi Sara, rétorqua Sedeth. Nous n'avons rien à voir avec ça.
Denon serra les poings.
- Nous ne vous avons pas attaqués, dit-il. Vous n'avez pas à avoir peur de nous.
Aaron sauta sur ses pieds.
- Nous n'avons pas peur de vous ! siffla-t-il.
Je voulus le retenir par le bras et me soulevai de ma couchette mais brusquement une douleur fulgurante me faucha en plein ventre et je me pliai en deux.
- Aaron, ne fais... Aargh !
Le choc me fit perdre l'équilibre et je faillis basculer par-dessus le lit. Aaron et Jonas se précipitèrent vers moi.
- Sara ! Est-ce que ça va ? s'inquiéta Jonas.
Il m'aida à me redresser. Entre-temps Roan et Aria s'étaient levés pour me porter secours. Aaron leur bloqua rageusement le passage.
- Ne vous approchez pas d'elle ! tonna-t-il.
Roan serra les poings et le foudroya du regard, à la limite de se jeter sur lui. Aria le retint et j'essayai de retenir Aaron.
- Arrêtez ! cria-t-elle.
Je repris mon souffle et fis signe à Jonas que c'était bon. Alors je regardai le Pope, sentant un mélange de colère, de chagrin et de désespoir monter en moi.
- Que... Qu'avez-vous fait Pope ? demandai-je d'un ton accusateur.
Jonas se redressa.
- Oui, dites-nous ce que vous savez. Et si oui ou non vous avez joué un rôle dans cette attaque ! Répondez ! Nous avez-vous pris en chasse ?
- Est-ce vraiment toute la confiance que vous avez en nous ? s'écria Ooko. Vous croyez que nous aurions pu faire cela ?
- Ce n'est pas une réponse ! fulmina Jonas.
- Et moi je crois que vous nous cachez beaucoup de choses depuis le début ! cingla Aaron.
Roan semblait faire preuve d'une très grande retenue pour ne pas le frapper.
- Parce que vous, vous nous avez dit toute la vérité sans doutes ! répliqua-t-il. Vous n'avez plus aucun secret pour nous ! N'est-ce pas ?
Aaron serra les dents, Jonas tiqua et j'eus un terrible sursaut. Cette remarque me fit l'effet d'une gifle. Le silence s'abattit sur nous avec force. Il avait raison. Une lourde colère planait encore dans l'atmosphère comme si les deux camps allaient s'étriper d'une seconde à l'autre.
- Assez maintenant ! ordonna soudain le Pope. Asseyez-vous tous et calmez-vous ! Nous ne sommes pas là pour nous battre !
Les chevaliers d'or s'exécutèrent à contrecoeur et Aaron leur jeta à tous un regard furieux avant de regagner sa place. Jonas se détendit et j'émis un soupir de soulagement.
- Si vous voulez bien me laisser quelques instants, je vous expliquerai de quoi il retourne. Maintenant, je vous assure que nous ne sommes pas responsables de cette attaque, que nous n'avons absolument rien à y voir et que nous ne l'avons jamais envisagée. Me croyez-vous ?
Je détournai le regard, serrant la main de Jonas dans la mienne. Il baissa la tête vers moi et nous échangeâmes un coup d'oeil un peu honteux. Aaron était encore pris par sa colère et ne bougea pas. Je relevai alors la tête.
- Nous vous croyons, dis-je enfin.
L'assemblée des chevaliers d'or relâcha la tension qu'elle accumulait depuis le début et l'air se fit soudain plus fluide et plus léger.
- Ce n'est pas du tout ce que je voulais dire, expliqua le Pope. Je pensais simplement que si j'avais eu un peu plus de lucidité, j'aurais pu au moins vous mettre en garde contre ce genre de menace. Peut-être alors ne vous seriez-vous pas fait surprendre.
Jonas plissa les yeux pour réfléchir.
- Vous essayez de nous faire comprendre que vous connaissez l'identité de nos agresseurs ? lança-t-il. C'est bien ça ?
Aaron et moi tressaillîmes en même temps.
- Est-ce que c'est vrai ? soufflai-je.
Le Pope fit quelques pas dans la pièce. Peut-être ne savait-il pas comment nous exposer la chose.
- C'est possible, admit-il. Sûrement certain même car je ne vois pas d'autres solutions.
- Eh bien ! Dites-nous, fit Aaron. Je suis curieux de l'entendre !
Le ton moqueur de sa voix n'avait certainement échappé à personne et je vis les chevaliers d'or se forcer à ne pas rétorquer. Nombre de mâchoires s'étaient contractées. Je fronçai les sourcils.
- Aaron ! sifflai-je.
Il me jeta un regard.
- Quoi ? rala-t-il.
- Tais-toi un peu ! dis-je.
Il marmonna quelque chose entre ses dents et s'enfonça dans son siège sans protester. Je me tournai vers le Pope.
- Expliquez-nous, le priai-je.
Il acquiesça et fit un geste de la main en direction du chevalier du Bélier. Celui-ci se leva aussitôt et sortit un rouleau de parchemin rouge sang de sa manche.
- Après la dernière guerre, il y a quelques mois, dit le Pope, Athéna est morte. Ou plus précisément, son enveloppe charnelle. Le Sanctuaire a été très affaibli et comme vous le voyez, nous commençons à peine à nous relever. Mais nous sommes toujours une proie facile et privilégiée en attendant.
A ce moment-là, Kan nous apporta le rouleau écarlate et nous le présenta. Un peu hésitant, Jonas s'en saisit et le déplia délicatement. Plusieurs lignes d'un noir de jais s'étalèrent sur le papier et Aaron se rapprocha de nous pour pouvoir lire. Dès la première ligne, les mots nous sautèrent à la gorge. Je retins mon souffle.
- C'est une déclaration de guerre ! constatai-je ébahie.
- Seulement une menace en fait mais elle ne laisse planer aucun doute, rectifia le Bélier. Nous l'avons reçu il y a quelques jours, avant que vous n'arriviez. Il était noué à une flèche qui a tué un garde.
J'observais toujours le parchemin, comme hypnotisée.
- C'est pour cela que vous étiez tous si méfiants en nous voyant venir, fit Jonas. Vous pensiez que nous allions vous attaquer.
Kan hocha la tête.
- Mais vous m'avez prouvé le contraire, finit-il.
- Il fallait que nous restions sur nos gardes car nous ne savions pas quand est-ce qu'il allait passer à l'attaque, expliqua le maître du Sanctuaire.
Je haussai des sourcils interrogateurs.
- "Il" ? demandai-je. Qui est "il" ?
- Arès, lâcha Roan. Le dieu de la guerre et son armée de Berserkers.
J'en restai bouche bée. Voilà qui expliquait la couleur du rouleau ainsi que l'atmosphère tendue du Sanctuaire et la méfiance des chevaliers d'or. Ils se préparaient tous depuis longtemps à recevoir les envoyés d'Arès.
- Pourquoi ne rien nous avoir dit ? lança Jonas. Cela aurait évité pas mal de problèmes.
- Cela ne vous concernait pas, remarqua le Pope. Vous ne faites pas partie du Sanctuaire, vous ne pouviez rien y faire. Maintenant, c'est différent.
- En quoi est-ce différent ? interrogea Aaron.
C'est alors que je fis le lien et tout pris un sens dans mon esprit.
- Parce qu'ils pensent que ce sont les Berserkers qui nous ont attaqué, dis-je. C'est cela, n'est-ce pas ?
- C'est l'idée que nous avons eu en effet, confirma Kan. Suite à ce message de menace, nous n'avons plus rien reçu. Arès a promis d'attaquer mais nous ne savons pas quand. Il nous laisse ruminer notre angoisse, c'est son petit jeu. Mais nous pensons qu'il surveille le Sanctuaire en attendant le moment propice. Arès est un dieu cruel, il tient à profiter de notre faiblesse et du fait qu'Athéna ne soit plus là.
- Mais il n'a pas le droit de faire ça ! m'écriai-je. Il n'a pas le droit de vous prendre en traître comme ça !
- Malheureusement si, répondit le Pope. Rien dans les lois des dieux ne l'en empêche.
Aaron fixait un point sur le sol, semblant perdu dans ses pensées. Peut-être essayait-il de se souvenir de l'attaque plus en détail pour confirmer les suppositions.
- Arès nous aurait pris pour des alliés du Sanctuaire, vous croyez ? fit-il.
- Si nous vous avions mis au courant de cette menace plus tôt, vous ne vous seriez sûrement pas fait surprendre, dit le Pope. C'est donc un peu de notre faute.
Le soulagement m'envahit. Aaron s'était trompé, je m'étais trompée et ce n'était ni le Sanctuaire, ni Zeus qui avait commandité cette attaque. Je préférais ça ! Je me sentais si légère à présent que j'échappai un large sourire.
- Merci ! Merci beaucoup ! m'exclamai-je.
Tout le monde ouvrit des yeux ronds et me regarda d'un air interdit. Visiblement ils me prenaient tous pour une dingue. Cela me fit rire.
- Pourquoi nous remercies-tu ? s'étonna le Pope.
- Je préfère cent fois que la menace vienne d'Arès plutôt que de vous ou de... enfin d'ailleurs, quoi.
Je rosis légèrement.
- J'avoue que durant un moment nous vous avons sérieusement soupçonnés, confiai-je. Nous sommes désolés d'avoir douté de vous... excusez-nous.
Je m'étais inclinée autant que ma position me le permettait et après une seconde le regard de Jonas s'éclaira. Il sourit et s'inclina à son tour.
- Oui, pardonnez-nous, c'était honteux de notre part, dit-il.
Comme Aaron ne bougeait pas, je lui flanquai un généreux coup de coude dans les côtes et il sursauta. Enfin, il s'inclina lui aussi, à contrecoeur.
- Oui... euh... pardon, lâcha-t-il comme si cela lui brûlait la langue.
Un moment passa et quelques sourires apparurent. Alors Ooko se mit franchement à rire et plusieurs de ses frères suivirent aussitôt son exemple. Je trouvai la journée merveilleuse.
- C'est un grand soulagement, avouai-je.
- Oui, enfin, nous sommes quand même menacés par Arès et ses Berserkers, rappela Aria. Ce n'est pas une plaisanterie !
Je me repris immédiatement.
- Bien sûr, ce n'est pas ce que je voulais dire, fis-je précipitamment. Mais les Novices seront bientôt au point et vous êtes en pleine forme. Arès n'aura aucune chance contre vous.
Le Pope ne paraissait pas convaincu.
- J'ai bien peur au contraire que cela ne soit plus difficile que nous ne l'imaginions, objecta-t-il. Arès est plus fort que jamais.
Je regrettai soudain de ne pas pouvoir les aider, de combattre à leurs côtés et de leur assurer la victoire. Si seulement nous en avions le droit ! Juste cette fois, parce qu'ils étaient en difficultés et que Arès - ce lâche ! - profitait de leur faiblesse. Je pressentais malheureusement que Zeus ne nous laisserait jamais la possibilité de le faire.

Je découvris peu de temps plus tard que le chevalier du Cancer était un vrai tyran. Assistée d'un bataillon d'infirmières - d'abominables furies - elle m'obligea à garder le lit pour deux jours encore. J'avais utilisé tous les moyens possibles et imaginables pour essayer de la faire fléchir. Même la corruption ! Elle m'enchaîna quasiment au montant du lit et je fus surveillée 24 heures sur 24. Je crus devenir folle.
- Aria par pitié laisse-moi sortir ! gémis-je. Je t'assure que je vais très bien, je suis en pleine forme ! Je veux juste prendre l'air, je n'en peux plus de ce lit, je sens que je vais craquer ! J'ai besoin de me dégourdir les jambes !
Mais il n'y avait visiblement rien à faire. Mon terrible geôlier resta intraitable.
- Hors de question ! rugit-elle. Tu es blessée, tu dois te reposer. Je ne veux pas te voir debout avant au moins deux jours et on ne discute pas !
Alors en premier recours, je me tournai vers des âmes charitables qui pourraient me prêter main forte dans l'adversité.
- S'il te plait...
Aaron, Jonas comme les autres ne voulaient rien tenter de peur d'affronter le Cancer et abandonnèrent leur fidèle compagne à son triste sort. Ils ne pouvaient rien pour moi.
- Pitié...
Kan était apparemment encore moins enclin que les autres à affronter Aria. Elle dut le menacer de quelque chose de vraiment très cruel car il se tut, ne tenta plus quoi que ce soit et ne se risqua plus à la contrarier. Le Bélier devenait un petit agneau inoffensif devant sa dame ! Alors il me fallut aller chercher de l'aide plus en hauteur et je jouai ma dernière carte.
- Je vous en supplie...
Le Pope était impuissant. Je lui disais, je lui demandais, je l'exhortai à jouer de son influence pour me libérer de ma prison mais il n'avait pas assez de cran lui non plus. Personne, pas même le maître du Sanctuaire ne pouvait prendre l'infirmerie d'assaut pour libérer une pauvre demoiselle en détresse. Je me sentais comme une âme prisonnière des Enfers, d'où Cerbère l'empêcherait de sortir. Ma colère se déchaîna.
- Lâches ! Peureux ! Vous n'avez aucun honneur ! lançai-je. Vous m'abandonnez sans le moindre scrupule ! Vous n'êtes plus mes compagnons, c'est terminé !
Aaron et Jonas ébauchèrent des mines navrées, fortement contrastées par l'immense sourire moqueur qui étirait leurs lèvres.
- Allons Sara, lâcha Jonas. Ce n'est pas si grave...
- Oui, railla Aaron, tu as simplement l'air d'une vieille limace trop molle pour bouger !
Je saisis mon oreiller et le leur balançai dessus tandis qu'ils s'enfuyaient en courant vers la porte.
- Bande de couards ! Revenez ! criai-je.
Les rires fusaient un peu partout autour de moi et je me renfrognai, ruminant des idées de meurtres durant les trois heures qui suivirent.

Il était clair que je ne pouvais compter que sur moi-même. L'idée de rester enfermée là encore deux jours me faisait m'arracher les cheveux. Je devais sortir coûte que coûte, ne serait-ce que pour quelque heures, que je revoie enfin le soleil ! Il était temps d'agir.
Après de nombreux échecs d'évasions, je décidai cette fois de tenter autre chose et d'être plus discrète. Très fière de mon idée, je plaçai un coussin et des serviettes sous les draps pour simuler un corps allongé et je rabattis très haut la couverture. Aria me croirait endormie et n'oserait pas me réveiller.
- A la guerre comme à la guerre...
Puis je me blottis dans le couloir, cachée par un tas de bric à brac en attendant que Cerbère vienne me rendre sa visite quotidienne. L'après midi débutait, je voulais à tous prix en profiter. Et à ma grande surprise, tout fonctionna parfaitement, comme prévu. Aussitôt je me glissai dehors et m'éloignai à pas de loup pour qu'elle ne me voie pas. Puis je me cachai autant que possible jusqu'à ce que je me sois suffisamment éloignée. Je voyais les chevaliers circuler ou s'entraîner un peu partout et je pris garde à ce que personne ne me remarque. Je gagnai ensuite un endroit isolé, là où on ne me trouverait pas. Alors, après dernière vérification des alentours, je m'installai sur un rocher et me détendis.
Il faisait un soleil radieux et j'en profitai largement après des jours enfermée à l'infirmerie. Tout était calme, il n'y avait pas un bruit à part les cigales et comble de tout, pas d'Aria en vue ! Je me demandais comment j'avais tenu jusque là. Un vrai miracle. Et je ne comptais pas rentrer de sitôt ! Qu'ils aillent tous au diable !
Complètement sereine, je m'allongeai et fermai les yeux, prête à faire la sieste.
- Tiens, tiens... une fugitive !
Je me redressai d'un bond, le coeur affolé et jetai des regards paniqués autour de moi. Je découvris alors Roan à quelques pas qui m'observait d'un air amusé. Je portai une main à ma poitrine et soupirai.
- Tu m'as fichu une de ces trouilles ! m'exclamai-je.
Il s'approcha. Aujourd'hui, il ne portait pas son armure et était vêtu d'une simple chemise dont il avait coupé les manches et d'un pantalon noir.
- Tu ne devrais pas te promener toute seule aussi loin Sara, dit-il. C'est dangereux, tu le sais maintenant.
Peut-être, pensai-je, mais j'étais prête à tout pour ne pas rentrer tout de suite. Je lui souris.
- Je ne suis pas toute seule puisque tu es avec moi, objectai-je. D'ailleurs, comment m'as-tu trouvé ? J'étais persuadée que personne ne venait jamais par ici.
- Je t'ai suivie, répondit-il. Tu avais l'air pressé de quitter l'infirmerie. Aria doit être furieuse...
- Oh non, pitié ! Ne lui dis pas que je suis là ! m'écriai-je. Je ne veux pas rentrer tout de suite, j'ai besoin de prendre l'air. Je ferai tout ce que tu voudras !
Il se mit à rire et s'assit à son tour sur mon rocher.
- Tu n'as pas besoin d'aller jusque là, assura-t-il. Je ne te dénoncerai pas, c'est promis.
- Je t'en serai éternellement reconnaissante ! Merci beaucoup ! Cerbère m'aurait dévorée toute crue !
Il mit un moment à comprendre que "Cerbère" était en fait le chevalier du Cancer et il rit de plus belle. C'était la première fois que le voyais aussi léger. Je fus très heureuse de cette constatation. La joie transformait les traits de son visage. Ses yeux pétillaient, il semblait plus doux. Je trouvais son sourire magnifique.
- Combien de temps dois-tu rester cloîtrée là-bas encore ? demanda-t-il soudain.
Je sortis de ma rêverie.
- Deux jours, m'indignai-je. Une vraie torture. Aria refuse de céder, je n'en peux plus. Elle est toujours comme ça ?
Il hocha la tête.
- Seulement pour les choses qui lui tiennent vraiment à coeur. Elle veut que tu te remettes rapidement, fit-il. Elle a eu très peur pour toi. Nous avons tous eu très peur quand nous t'avons vu dans cet état. Ce n'était pas beau à voir.
Il se figea tout à coup, réalisant sûrement que je pouvais mal interpréter sa phrase et rougit.
- Euh... je ne voulais pas dire que... lâcha-t-il précipitamment.
J'éclatai de rire et il se détendit en esquissant un sourire.
- Désolé, s'excusa-t-il.
- Ce n'est pas grave, déclarai-je. Elle était presque digne d'Aaron celle-là !
Il ne répondit pas et le silence tomba sur nous. Après coup, je regrettais d'avoir parlé de mon compagnon qui, je m'en apercevais maintenant, venait très mal dans la conversation. Le sourire de Roan avait fondu comme glace au soleil et je me sentais abattue.
- Cela fait longtemps que vous vous connaissez ? interrogea-t-il en fixant les rochers droit devant lui. Avec Aaron et Jonas je veux dire.
Je haussai les épaules.
- Aussi longtemps que je me souvienne, ils ont toujours été là avec moi, expliquai-je. Je crois que nous avons été élevés ensembles par nos maîtres depuis notre naissance. Dans la Ci... là d'où l'on vient, les enfants sont entraînés par leur maître dès qu'ils savent marcher. Nous sommes douze Novices en tout, comme les chevaliers d'or, et chacun d'eux est comme un frère ou une soeur pour moi.
Il releva la tête et me regarda. Je crus voir passer une lueur de soulagement dans ses yeux.
- Evidemment, Aaron, Jonas et moi avons toujours été ensemble, dis-je. Ils sont mes deux grands frères préférés. On ne se sépare jamais. Enfants, nous faisions enrager nos maîtres tous les trois.
Il sourit, perdu dans ses pensées.
- Oui, moi aussi c'est ce que je faisais avec le mien, se souvint-il. Il disait qu'il n'arriverait jamais à rien faire de bon avec moi.
Je me mordis la lèvre inférieure, me maudissant pour mon affligeante stupidité.
- Je suis navrée, je ne voulais pas...
- Non, ne t'inquiète pas, me coupa-t-il gentiment. Les autres pensent que je n'aime pas en parler. Mais j'ai fait mon deuil, il n'y a aucun problème.
Cela me rassura grandement. Je ne voulais surtout pas lui faire de peine.
- Ton maître, fis-je, c'était l'ancien chevalier d'or de la Balance, c'est cela ?
Il regarda le ciel.
- Oui, il s'appelait Lando, dit-il. J'étais son Novice depuis mes quatre ans, il était comme un père pour moi. N'ayant jamais connu mes parents, ça m'aidait. Il m'a dit que je venais de France. Je ne m'en rappelle pas.
Je levai un sourcil interrogateur.
- Qu'est-ce que c'est ?
Il me regarda d'un air perplexe.
- Quoi ? La France ? lança-t-il. C'est un pays ! Tu ne sais pas ce qu'est la France ?
Cela semblait pour lui une perspective totalement incongrue. Il était complètement interdit.
- Ben, c'est que... balbutiai-je. Je n'étais jamais venue sur Te...
Je me tus, horrifiée et me mordis la joue.
- Euh... je veux dire... l'endroit d'où je viens est très... comment dire ?... isolé, c'est ça et je ne connais pas très bien les différents pays...
Je me sentais brusquement tellement honteuse de mon ignorance que j'aurais voulu disparaître dans le sol. J'avais rougi jusqu'à la racine des cheveux. Mais il me fixa un instant en silence, ses yeux verts me troublant beaucoup plus que je ne voulais l'admettre et enfin, il esquissa un sourire.
- Est-ce qu'un jour tu me diras d'où tu viens et qui tu es ? demanda-t-il. Sara, est-ce vraiment ton nom ?
- Bien sûr ! assurai-je. Quant au reste... oui, un jour peut-être.
Je n'avais pas le coeur de lui avouer que dès que nous serions repartis et que nous serions rentrés à Babel - dans quelques jours - nous aurions très peu de chances de revenir un jour sur Terre. Sûrement n'aurions-nous jamais plus l'occasion de nous revoir. Cette fatalité m'écrasa le coeur. Peut-être devrais-je lui dire ? Cette idée grandissait de plus en plus dans mon esprit depuis le début. Peut-être était-ce la dernière occasion que j'avais... Oui, je devais le faire et tant pis pour les ordres.
- Roan, je...
Je fus interrompue par une présence que je sentis approcher de l'endroit où nous nous trouvions. Soudain une voix lointaine nous parvint.
- Sara !
J'eus un haut-le-coeur.
- Oh non ! C'est Aria ! m'affolai-je. Elle vient par ici !
Une silhouette se dessina alors au loin et je saisis vivement Roan par le bras pour l'entraîner derrière un rocher. Je le tirai au sol pour nous mettre hors de vue.
- Mais...
Je lui plaquai aussi sec une main sur la bouche et mit un index devant mes lèvres pour lui intimer de se taire.
- Il ne faut pas qu'elle nous trouve, articulai-je à mi-voix.
Aria s'approchait de plus en plus de notre cachette et appela mon nom encore et encore dans l'espoir de me retrouver. Je me dis que j'aimerais mieux mourir et priai pour qu'elle ne nous voie pas. Je me tassai le plus possible dans mon coin pour me faire toute petite. Elle passa vraiment très près de nous et je retins ma respiration. Roan était absolument immobile, je sentais son souffle sur ma main. Plusieurs secondes passèrent et le silence revint. Finalement Aria parut s'éloigner et sa présence disparut petit à petit. J'attendis encore un moment pour être sûre et enfin, je pris une profonde inspiration.
- Elle est partie, dis-je.
Je réalisai alors que ma main était toujours clouée sur le visage de Roan et je m'empressai de le libérer. Il se détendit lui aussi. Par simple mesure de précaution, je me penchai derrière le rocher pour voir si la voie était libre.
- Je crois que nous avons semé Cerbère, remarquai-je.
Nous nous mîmes à rire ensemble.
- Quel effet cela fait-il d'être un fugitif ? pouffai-je.
Il sourit.
- Formidable, admit-il. Demain à l'aube, nous serons tous les deux morts décapités !
Il me regarda un instant puis redevint sérieux.
- Vraiment formidable, répéta-t-il.
Lentement il tendit une main vers moi et m'effleura la joue du bout des doigts. Son contact me fit frissonner. Nous étions si proches l'un de l'autre à présent que je pouvais presque sentir son souffle sur ma joue. Mon coeur accéléra quand je le vis s'approcher encore et tout à coup ses lèvres se posèrent sur les miennes. Je fermai aussitôt les yeux, un autre frisson me hérissant les cheveux de la nuque.
Il m'embrassa doucement d'abord, juste pour trouver ma bouche, puis plus ardemment ensuite tandis que je me serrais contre lui. C'était nouveau, bouleversant, vertigineux et je n'avais pas envie qu'il s'arrête. Lorsqu'il posa une main sur ma taille, je me laissai guider et glissai mes bras autour de son cou. J'eus l'impression que soudain, nos deux coeurs battaient ensemble, qu'ils ne drainaient plus qu'un seul être. Peu à peu, sa main trouva la mienne et nos doigts s'entrelacèrent. Il était toujours très doux, même au moment où il déposa un dernier baiser sur mes lèvres et qu'il s'écarta légèrement.
Quand j'ouvris les yeux, mon regard fut attiré par la lumière verte de ses iris et je souris. Il répondit et appuya son front contre le mien.
- Voilà longtemps que j'avais envie de faire ça, avoua-t-il.
- Je croyais que tu me détestais.
- Tu ne devrais pas te fier aux apparences chevalier, dit-il une lueur malicieuse au fond des yeux.
Je me mis à rire.

Je flottai sur un petit nuage tout le reste de la journée. Je ne m'intéressai plus à rien d'autre que la main de Roan dans la mienne et le monde autour de moi était merveilleux. Mais Aria devait me chercher partout et Roan me dit que je ferais mieux d'y retourner maintenant. Je n'avais jamais eu moins envie de quelque chose et il aurait aussi bien pu me proposer d'aller me pendre. Quoique je l'aurais peut-être fait si c'était lui qui me l'avait demandé.
Je me résignai finalement et il me raccompagna jusqu'à l'infirmerie où j'imaginais déjà Cerbère en train de dépouiller ma carcasse inerte après m'avoir égorgée. Nous longeâmes le parcours du Zodiaque et croisâmes quelques chevaliers d'or en train d'entraîner leur Novice. Plus loin, dans la maison du Sagittaire, Ooko s'était assis en tailleur sur le sol et observait un combat acharné entre Evie... et Jonas. J'en restai ébahie. Visiblement, le ménestrel suivait vraiment de très près la progression de ce chevalier. Mais je savais aussi que ce n'était pas uniquement à cause de l'armure de la Lyre. Jonas et Evie ne se quittaient plus depuis des jours et maintenant, ils s'entraînaient même ensemble. On aurait pu croire qu'ils étaient tous les deux les Novices d'Ooko.
Je m'arrêtai quelques secondes pour les regarder se battre. Ils avaient tous les deux une lyre à la main. Jonas avait toujours eu cet instrument avec lui. Et il l'aimait tellement qu'il avait mis ses attaques au point en fonction d'elle. Il pouvait jouer avec aussi bien qu'attaquer. Quant à Evie, bien entendu, en tant que futur chevalier de la Lyre, elle se devait de se battre avec elle aussi.
Ils s'attaquèrent mutuellement un long moment. Evie était plutôt douée, il fallait le reconnaître. Le combat se déchaîna et on entendit les notes retentir de toute part. Evie fit courir ses doigts sur les cordes et soudain, les fils foncèrent sur Jonas qui dut bondir pour éviter le terrible coup. Ce fut à son tour de passer à l'offensive et le ménestrel libéra quelques accords qui volèrent jusqu'à Evie et semblèrent la frapper de plein fouet. Elle s'immobilisa, comme hypnotisée et je compris que Jonas avait utilisé sa musique pour prendre le contrôle de son esprit. C'était l'une de ses attaques les plus redoutables. Malheureusement Evie ne se laissa pas faire et sa propre mélodie la sauva. Les coups fusèrent à nouveau et les deux opposants s'attaquèrent à tour de rôle. Ils allaient très vite. Je me demandais si Jonas allait pousser jusqu'à la vitesse de la lumière. Je ne pensais pas qu'Evie en soit capable. Car il était évident que le ménestrel était le plus fort dans cet affrontement. Et il le prouva avec son ultime attaque.
Jonas bondit en arrière pour éviter les fils meurtriers de la lyre d'Evie et atterrit sur la murette avec son élégance habituelle. Alors il assura sa prise sur sa lyre, ferma les yeux et s'apprêta à jouer. Tout à coup, son cosmos explosa et ses doigts frôlèrent les cordes. La musique s'éleva.
- Divine Melody...
Le choc partit à une vitesse fulgurante et Evie fut projetée au sol dans un tourbillon de douleur, de poussières et de lumière. L'attaque de Jonas était très impressionnante et je dus protéger mes yeux contre la clarté aveuglante. Seul le cri d'Evie nous parvint et la musique fut noyée dans le fracas de l'impact violent. Le combat était fini. Ou du moins c'est ce que je croyais car quelque chose d'incroyable se passa ensuite.
Soudain une vive lumière perça depuis l'intérieur de la maison du Sagittaire et je sentis une énergie prodigieuse se réveiller et foncer vers nous. Quelque chose brilla dans l'air comme une étoile filante et prit Jonas pour cible. Avant même que celui-ci n'ait pu réagir, une explosion sépara l'étoile en plusieurs morceaux qui frappèrent le ménestrel avec force. Je ne percevais plus qu'un grand foyer de puissance et Jonas au milieu qui s'élevait dans les airs. Puis tout redevint calme et la lumière disparut. Lentement je baissai mon bras, me demandant ce qu'il s'était passé. Je finis par apercevoir le ménestrel. Alors brusquement je me figeai, pétrifiée, interdite. Comment... ? Je n'en croyais pas mes yeux. Qu'est-ce que...
- Oh seigneur Zeus ! soufflai-je.
Tout à coup Evie se leva, le visage rivé sur Jonas. Elle recula de quelques pas saccadés et subitement, éclata en sanglots avant de s'enfuir à toute allure. Autour, plus personne ne bougeait, le regard fixé sur Jonas qui avait revêtu l'armure d'argent de la Lyre.