Chapitre 14 : Le scandale

 

- Ce n'est pas... je ne... Evie attends !
Jonas regardait la jeune fille partir en courant, ne sachant plus où il était, ni qui il était. Son visage était livide et visiblement, il ne comprenait pas plus ce qui se passait que les autres. Il avait à présent une armure d'argent brillant de mille feux, absolument magnifique sur le dos. Je secouai la tête. Qu'est-ce que je racontais ? C'était une armure d'Athéna, par le ciel ! Et nous étions des anges de Zeus ! Comment cela avait-il pu se produire ?
- Evie ! Evie attends !
Jonas voulut courir après elle mais Ooko le rattrapa par le bras au dernier moment. Son visage, pour la première fois depuis que je l'avais rencontré, n'avait plus aucune trace de sourire espiègle. Il obligea Jonas à ne pas bouger.
- Laisse-la, dit-il.
Je savais que j'aurais du parler, faire quelque chose mais je ne pouvais plus. Finalement c'est Roan qui me ramena à la réalité lorsqu'il lâcha ma main pour se diriger vers Ooko et Jonas. Je le suivis.
Jonas était dans tous ses états et débitait des explications à toute vitesse pour essayer de nous faire comprendre que ce n'était pas de sa faute. Le chevalier du Sagittaire était totalement fermé et l'observait avec froideur. Quand il me vit arriver, le ménestrel tendit une main vers moi.
- Sara ! s'écria-t-il. Tu étais là ? Tu as tout vu toi, n'est-ce pas ?
Je déglutis, la gorge nouée.
- Oui Jonas, j'étais là, murmurai-je.
Il me saisit par les épaules et me secoua.
- Dis-leur Sara ! Dis-leur que je n'y suis pour rien ! Je n'ai pas voulu revêtir l'armure, ce n'est pas ma faute ! Je le jure !
Je ne savais pas très bien quoi penser. J'avais vu Jonas attaquer, et j'avais également vu l'armure répondre au son de sa lyre et foncer sur lui.
- Je ne sais pas... hésitai-je.
Jonas paraissait de plus en plus désespéré. Il me secoua de plus belle, jusqu'à me faire perdre l'équilibre.
- Bon sang, ce n'est pas moi qui l'ai voulu ! cria-t-il. Sara tu dois leur dire ! Pourquoi personne ne veut-il me croire ?
Roan l'attrapa par les poignets et l'éloigna de moi avant qu'il ne me projette carrément au sol.
- L'armure d'argent de la Lyre est sur toi en ce moment même, c'est tout ce que je vois, fit le Sagittaire. Comment aurais-tu pu la faire venir jusque là ?
Jonas nous lança un regard affolé.
- Mais comment voulez-vous que je le sache ? s'exclama-t-il. Je n'ai pas encore d'armure, je n'ai pas fini mon apprentissage !
- L'avais-tu déjà mise avant aujourd'hui ? demanda Roan.
- Bien sûr que non ! fulmina le ménestrel que je n'avais jamais vu dans un tel état. Cette armure est pour Evie ! Je n'ai trahi personne, vous devez me croire !
Je m'approchai alors et mis une main sur son épaule.
- Calme-toi Jonas, il doit forcément y avoir une explication, dis-je. Nous allons la trouver. Si tu nous dis que ce n'est pas toi qui as appelé l'armure, nous te croyons.
Je jetai un oeil aux deux chevaliers d'or.
- N'est-ce pas ? insistai-je.
Ils toisèrent le ménestrel et sa nouvelle armure un instant puis semblèrent se radoucir. Ooko soupira.
- Quoi qu'il en soit, Jonas n'est pas au service d'Athéna et il a revêtu l'une de ses armures, rappela-t-il. C'est un problème et il va falloir que j'aille en parler au Pope. Ce cas de figure ne s'était jamais présenté avant.
Jonas était complètement abattu.
- Vous n'allez pas le punir ? Le condamner ? m'inquiétai-je. Jonas n'a rien fait de mal, il n'a jamais voulu...
- C'est au Pope de décider de ça Sara, coupa-t-il. Pour commencer, Jonas va enlever cette armure et venir avec moi jusqu'au palais. Roan, pourrais-tu aller chercher Kan ?
- J'y vais, répondit-il.
- Quant à toi Sara, tu vas retourner à l'infirmerie tout de suite, Aria te cherche partout, finit-il.
Il fit signe à Jonas et celui-ci lui emboîta tristement le pas jusqu'à la maison du Sagittaire où ils disparurent. J'étais soudain très inquiète pour Jonas même si je ne comprenais pas ce qu'il s'était passé. Le fait était que l'armure de la Lyre avait répondu au cosmos du ménestrel, on ne pouvait le nier...
- Qu'est-ce qu'ils vont lui faire ? demandai-je à Roan. Est-ce qu'Athéna condamne ce genre de crime ?
Il prit un air désolé.
- Je ne sais pas. Ooko l'a dit, on avait jamais vu ce cas de figure avant ça, dit-il. Mais quoi qu'il en soit, le Pope saura prendre une décision juste et sage. Ne t'en fais pas.
Il déposa un baiser sur ma tête et m'entraîna vers l'intérieur du Sanctuaire. J'aurais voulu être présente aux côtés de Jonas lorsqu'il serait emmené devant le Pope mais encore une fois, j'étais obligée de retourner dans cette abominable infirmerie. Tout cela ne me disait rien qui vaille.
Roan me laissa devant ma prison. Aria se précipita aussitôt vers moi, les traits certainement rageurs sous son masque d'or.
- Sara ! Voilà deux heures que je te cherche ! Tu es inconsciente ma parole ! cria-t-elle.
Mais elle remarqua bientôt nos mines affligées et se calma.
- Qu'est-ce qu'il se passe ?
- Jonas a revêtu l'armure d'argent de la Lyre, expliqua brièvement Roan.
- Oh... fit-elle. Est-ce que Kan est au courant ?
- J'y vais justement.
Il lâcha lentement ma main et je libérai la sienne à contrecoeur. Avant de partir, il passa deux doigts sur sa joue. Je forçai un léger sourire. Puis il disparut. Aria me traîna à l'intérieur et je me recouchai, n'ayant plus la volonté de résister. Les chevaliers d'or allaient sûrement aider Jonas. Ils ne pouvaient pas l'accuser d'un crime qu'il n'avait pas commis. Jonas était incapable de voler une armure...

En quelques heures tout le Sanctuaire fut au courant du scandale. On racontait entre chevaliers que Jonas avait honteusement subtilisé l'armure de la Lyre à sa propriétaire destinée, qu'il était un traître et qu'il allait être jugé par le Pope. Quand Aaron apprit la nouvelle, il se rua à l'infirmerie et je le vis se précipiter vers moi comme une flèche, essoufflé d'avoir couru le long du chemin.
- Est-ce que c'est vrai ce qu'on raconte partout dans le Sanctuaire ? s'exclama-t-il. Jonas a réellement fait ça ? Ce n'est pas possible, ménestrel est incapable de faire du tort à quelqu'un !
Je hochai la tête.
- Tout ce que je sais, c'est que Jonas portait l'armure d'argent encore tout à l'heure, dis-je. Je ne sais pas comment c'est possible, ni comment cela a pu arriver. Jonas m'a juré qu'il n'y était pour rien.
Aaron semblait choqué.
- Mais nous sommes des anges ! protesta-t-il. Nous ne pouvons pas mettre les armures d'une déesse que nous ne servons pas !
- Je sais tout ça, soupirai-je. Il parait que c'est la première fois que cela arrive.
- Que va dire Zeus ? s'inquiéta-t-il.
J'avais oublié ce détail, en effet.
- Pour l'instant, le plus important est de savoir ce que va dire le Pope plutôt, rectifiai-je. C'est lui qui va juger Jonas.
- Il ne peut rien faire, il n'a d'autorité que sur ses propres chevaliers, objecta-t-il. Nous sommes sous les ordres de Zeus, lui seul peut décider.
Je me mordis la lèvre inférieure.
- C'est possible, admis-je. En ce moment, je ne sais plus très bien dans quel camp nous sommes.
- Ne dis pas de bêtises, répliqua-t-il. Nous sommes des anges ! Rien d'autre !
Sa virulence m'étonna. Je le fixai avec suspicion et il se figea.
- Quoi ?
Je plissai les yeux.
- Tu es toujours persuadé que ce sont les chevaliers du Sanctuaire qui nous ont attaqués, pas vrai ? lâchai-je. Pourquoi ne pas laisser tomber Aaron ? Que t'ont-ils fait pour que tu les déteste à ce point ?
Il détourna brusquement la tête, rosissant légèrement. Je le vis froncer rageusement les sourcils.
- Je ne les déteste pas, dit-il.
- Mais tu les crois coupables ?
Soudain il riva sur moi un regard perçant, presque froid et serra convulsivement les poings autour des barreaux en fer du lit qui se mit à grincer.
- Eh bien oui ! siffla-t-il. Et alors ? Je sais ce que j'ai vu ! Les cosmos que j'ai sentis n'étaient pas ceux des Berserkers d'Arès, j'en mettrais ma main à couper. Je les connaissais Sara, est-ce que tu comprends ça ? Ils m'étaient fa-mi-liers ! Et je ne suis pas un intime du dieu de la guerre si tu te souviens bien ! Mais peut-être que tout ce temps au Sanctuaire t'a embrouillé l'esprit et que tu ne sais plus où est ta place ! Tu devrais faire attention, entre l'amitié du Sanctuaire et la traîtrise de Babel, il n'y a qu'un pas !
Avant même de me rendre compte de ce que je faisais, je levai une main dans les airs et lui flanquai une gifle retentissante. Il resta pétrifié, surpris et interdit, la trace rouge de ma main encore sur sa joue. J'avais au moins eu aussi mal que lui mais j'étais trop outrée pour m'en soucier.
Après une seconde il tourna les talons et sortit, claquant sèchement la porte derrière lui.

L'attente depuis le fond isolé de l'infirmerie m'était de plus en plus insupportable au fur et à mesure que le temps passait. Je me rongeais les sangs en plus des nombreux reproches que je me faisais à propos d'Aaron. Il avait disparu sans dire un mot et je ne savais pas où il était passé depuis. Pourtant mes pensées allaient en priorité à Jonas, accusé devant un tribunal qui allait peut-être le condamner. Que se passait-il là-bas à la fin ? Aria était restée à l'infirmerie avec moi mais ne savait rien. Bien entendu, je ne pouvais pas sortir non plus. En fait, je n'eus des nouvelles que bien plus tard. On frappa soudain à la porte et après une seconde, Kan entra, aussitôt suivi d'Ooko. Je bondis de mon lit.
- Alors ? Que s'est-il passé ? Que va-t-il arriver à Jonas ? Qu'a dit le Pope ? Parlez ! m'écriai-je.
Ils prirent le temps de s'asseoir et de reprendre leurs esprits avant d'aborder ce sujet très épineux. Le chevalier du Cancer n'avait pas fait un geste et attendait simplement. Tout ce silence m'angoissait.
- Où est Jonas ? insistai-je. Comment cela s'est-il passé chez le Pope ?
Ooko soupira.
- Pas très bien, avoua-t-il.
Je me figeai.
- Comment ça ? glapis-je. Que veux-tu dire ?
- Tu te rends compte, Sara, que quelqu'un d'étranger au Sanctuaire vient de revêtir une armure d'Athéna ? lança-t-il. Tu sais ce que cela veut dire ?
Ma gorge se serra et je sentis les larmes me monter aux yeux.
- Mais... Jonas ne l'a pas voulu ainsi... balbutiai-je.
Il soupira.
- Personne ne le sait, pas même Jonas, dit-il.
- Dans ce cas, il est innocent ! m'exclamai-je avec force.
Ooko ne répondit pas, se passa une main sur le visage et ferma les yeux. C'est Kan qui continua.
- Tu sais comment fonctionne une armure ? me demanda-t-il. Tu sais qu'elles ne peuvent avoir qu'un seul porteur ? Une fois qu'une armure a choisi son chevalier, elle n'ira à personne d'autre jusqu'à la mort de celui-ci.
Et tout à coup, je compris où ils voulaient tous en venir.
- Ce qui veut dire qu'Evie n'aura jamais l'armure d'argent de la Lyre, murmurai-je.
Le Bélier acquiesça.
- Sans compter que nous venons de perdre l'une de nos plus puissantes armures, remarqua-t-il. C'est très grave, tu sais que nous manquons cruellement de chevaliers, surtout avec la menace d'Arès qui peut attaquer n'importe quand. Maintenant, en plus d'avoir perdu un allié pour le Sanctuaire, nous avons gagné un ennemi.
Je sursautai, comme piquée par un insecte.
- Jonas ne vous ferait jamais de tort ! criai-je. Aucun de nous ne vous en ferait, vous le savez !
- Non, Sara, coupa-t-il. L'armure de la Lyre est désormais liée à Jonas, ce qui veut dire que le Pope ou même Athéna n'ont plus aucun pouvoir sur elle puisque Jonas n'est pas des nôtres. Si un jour ton maître t'ordonne d'attaquer le Sanctuaire, tu le feras et Jonas aussi car vous n'aurez pas le choix. Et là, l'armure se retournera contre nous. En ce sens, ce qu'a fait Jonas est une trahison. Une trahison très grave.
Je ne pouvais pas en entendre davantage, c'était absurde.
- C'est faux ! tonnai-je. Nous ne sommes pas vos ennemis, nous ne vous voulons aucun mal ! Tu le sais très bien !
Kan tiqua et ouvrit des yeux ronds.
- Dès le premier jour, tu as su que nous n'étions pas un danger pour le Sanctuaire ! fulminai-je. C'est pour ça que tu nous as permis d'avancer ! Tu le sais !
Il détourna la tête.
- Non justement, je ne sais pas, lâcha-t-il. Personne ne peut savoir ce qu'il va arriver.
- Comment ?!
- Tu auras peut-être deviné que le Pope n'a pas accueilli cette nouvelle avec joie, intervint le Sagittaire. Cela change beaucoup de choses. Et cela va nous obliger à faire des choix.
Je retins mon souffle, paralysée.
- Ce qui veut dire que... nous... nous ne sommes plus les bienvenus au Sanctuaire... ? bégayai-je terrifiée.
Ooko croisa les bras sur sa poitrine.
- Il n'est pas encore question de ça, fit-il. Mais vous n'aurez plus autant de libertés jusqu'à votre départ. Où est Aaron ?
L'évocation de mon second compagnon finit de me bouleverser et j'échappai une larme.
- Je ne sais pas... nous nous sommes disputés... il est parti... je ne sais pas où il est, hoquetai-je.
- Jonas est encore avec le Pope, expliqua le Bélier. Je suppose qu'il devra rester au palais, sous surveillance durant un certain temps.
- Est-ce qu'il n'y a pas un moyen de séparer Jonas et l'armure d'argent ? demandai-je dans une ultime tentative.
Kan secoua lentement la tête.
- Le Pope m'a déjà dit la même chose, fit-il. Si ce moyen existe, je ne le connais pas. A part bien sûr si on envisage la mort de Jonas comme telle. Je vais aller faire quelques recherches à Jamir, peut-être trouverai-je quelque chose dans nos vieilles archives mais il n'y a rien de moins sûr.
Il me jeta un regard ferme qui me fit presque peur.
- En attendant je ne veux pas que tu t'en mêles Sara. C'est bien clair ? Les charges qui pèsent contre Jonas sont bien assez lourdes comme ça. N'essaie pas de voir le Pope !
La colère me mordit le ventre.
- Jonas est un de mes frères ! m'exclamai-je.
- Raison de plus.
Maintenant c'était clair, ils pensaient tous que nous avions trahi leur confiance, que nous n'étions que de vulgaires voleurs. La réalité me noua les entrailles. Avaient-ils tous déjà oublié ? Je ne pouvais croire que le Sanctuaire se retourne ainsi contre nous. Mais je n'eus pas le temps de poser directement la question. Sur ces belles paroles, ils tournèrent les talons et sortirent de l'infirmerie, leurs casques sous le bras. Ooko puis Kan et même Aria. Une fois de plus la porte claqua et je me retrouvais seule. Jonas presque emprisonné, tout le Sanctuaire contre nous et par dessus le marché, Aaron parti on ne sait où... Qu'allais-je faire ? Le désespoir me submergea.

Les chevaliers d'or s'étaient chargés de retrouver Aaron. Ils le renvoyèrent à l'infirmerie où j'étais séquestrée presque pour de bon moi aussi. Il entra avec un visage fermé, inexpressif, froid.
Je ne bougeai pas, gênée et le suivis du coin de l'oeil lorsqu'il alla s'asseoir à l'autre bout de la pièce. Il ne me jeta même pas un regard, fit comme si je n'existais pas. J'eus un pincement au coeur mais ne dis rien pour le moment. Il me tourna le dos et le silence s'installa pour encore une bonne heure. Aucun d'entre nous n'aurait voulu céder mais j'avais besoin de parler, besoin de savoir.
- Tu as des nouvelles de Jonas ? interrogeai-je en adoptant le ton le plus neutre possible pour ne pas avoir l'air de le supplier.
Il ne répondit pas tout de suite. Sa tête bougea et il passa une main dans ses cheveux.
- Il est au palais du Pope.
- Aura-t-il le droit de sortir bientôt ?
- Je ne sais pas.
- Dans quelle partie du palais est-il ?
- Je ne sais pas.
- Tu lui as parlé ?
- Non.
- Que va faire le Pope maintenant ?
- Je ne sais pas.
Je me tus, comprenant que toute tentative de recoller les morceaux étaient vouée à l'échec pour l'instant. Il n'était pas prêt de digérer ma gifle et je n'étais de toute façon pas prête à digérer ses accusations non plus. Pourtant, il fallait qu'on oublie cela et qu'on pense à Jonas. Tout le monde le prenait pour un traître, nous, nous étions encore ses fidèles compagnons. Il fallait trouver un moyen de l'aider, quel que soit le prix.
- Il faut faire quelque chose, lâchai-je.
Je ne voyais même pas son visage depuis ma place et cela m'énervait prodigieusement. Allait-il continuer ce petit jeu longtemps ?
- Il faut faire quelque chose, répétai-je un peu plus fort.
Cette fois, il se redressa.
- Je sais.
- Le Pope ne va pas le garder prisonnier comme ça indéfiniment tout de même, pestai-je. Si on veut changer la situation, il faut le faire sortir de là.
Aaron secoua la tête de droite à gauche.
- Seul le Pope peut faire ça, dit-il.
- Et les chevaliers d'or ? demandai-je.
- Ils ne peuvent rien tenter. Quand bien même, ils n'en ont aucune envie. Inutile de parler des autres, ils sont tous rassemblés autour d'Evie qui pleure toutes les larmes de son corps.
C'était bien ce que je craignais. Pauvre Evie. Mais si elle et Jonas étaient aussi proches que je le pensais, elle devrait pourtant savoir que le ménestrel ne lui aurait jamais fait une chose pareille de son plein gré. Peut-être était-ce la perte de l'armure qui l'affligeait comme ça. Il faudrait que je puisse lui parler mais elle n'accepterait jamais. Enfin... ce n'était pas la priorité pour l'instant.
- Comment faire alors si personne ne peut se porter garant de Jonas ? Nous sommes coincés.
Aaron se leva enfin et fit quelques pas dans la pièce pour réfléchir.
- Personne au Sanctuaire, rectifia-t-il.
- Jonas ne peut pas sortir du Sanctuaire, objectai-je.
- En théorie, admit-il. Mais nous oui. Nous allons devoir faire ce que nous aurions du accomplir depuis bien longtemps déjà : rentrer à Babel, parler à Zeus et mettre fin à toute cette mascarade.
Je restai immobile une minute. Cela semblait la meilleure solution en effet. Cette mission avait tourné à la catastrophe et depuis le début, nous ne faisions qu'empirer les choses. Non, décidément, Aaron avait raison, il fallait mettre un terme à tout cela. Pour Jonas. Il n'y avait que Zeus qui pouvait l'aider. Même si cela signifiait ne jamais revoir la Terre, le Sanctuaire, les chevaliers... Roan ! Je ne le reverrai jamais. Mon coeur se serra. Pour Jonas.
- Oui, dis-je. Rentrons à Babel.
A ce moment-là, Aaron se tourna vers moi et me regarda d'un air un peu surpris. Cela m'irrita légèrement malgré ma profonde tristesse. Que croyait-il ?
- Je suis encore un ange de Babel si c'est de cela que tu t'étonnes ! Je quitterai la Terre sans protester si cela peut aider Jonas ! sifflai-je. Qu'est-ce que tu crois ?
Il me foudroya aussitôt du regard et me tourna sèchement le dos.
- Je ne crois rien du tout, rétorqua-t-il. Je me fiche complètement de ce que tu vas faire ou ne pas faire ! Tout ce que je sais, c'est que demain, je m'en irai pour la Cité des Cieux !
Je me figeai.
- Demain ? m'écriai-je. Pas si tôt, et Jonas ?
- Je pars justement pour essayer de le libérer !
Je baissai a tête. Je n'avais plus le choix, je le savais très bien.
- Très bien, demain, fis-je. Je préviendrai Aria tout à l'heure.
- A quoi bon ? Cela ne les avancera pas à grand chose ! lâcha-t-il comme un jet de venin.
Si j'avais pu, je l'aurais sûrement giflé une seconde fois tellement il m'exaspérait.
- Tu es peut-être devenu tellement ingrat, répliquai-je. Mais moi ce sont mes amis et Aria sait qui nous sommes, elle comprendra pourquoi nous partons. Et elle le dira à Jonas également.
- Quoi ?! Elle sait qui nous sommes ? C'est toi qui le lui as dit ? cria-t-il. Comment as-tu pu faire ça !
- Ce n'est pas moi et arrêtes de hurler, répliquai-je. Je n'ai pas désobéi aux ordres bien que ça me démangeait sérieusement si tu veux savoir. Elle l'a deviné toute seule !
- Et tu n'as rien fait pour démentir !
J'étais prête à exploser.
- Eh bien non ! J'en avais marre de jouer cette comédie absurde et inutile, cinglai-je.
- "Absurde et inutile" ? "Comédie" ? Bravo apprenti Archange Sara ! C'est la mission que Zeus t'a confiée !
Je serrai les poings.
- Tais-toi, tu n'as aucune leçon à me donner. Sors un peu de ta mission et de tes ordres bien carrés, ouvre les yeux par Zeus ! Es-tu un homme ou un gentil petit soldat xénophobe ? Il n'y a aucun ennemi ici !
Je vis sa mâchoire se contracter avec fureur. Il ne dit plus rien, partit vers le fond de la pièce et m'ignora totalement dès lors. Je n'avais plus aucune envie de le voir ni de lui parler. De fait, nous continuâmes ce petit jeu très longtemps et la nuit tomba.
Quand Aria reparut - juste un instant pour nous porter notre repas - je l'informai comme promis de notre départ.
- Jonas restera ici comme preuve de notre bonne foi, comme garantie que nous ne ferons rien contre vous, dis-je. Nous allons voir Zeus.
Contrairement à ce que je pensais, elle ne protesta pas. En réalité elle n'eut aucune réaction et lâcha seulement un petit "bien". Elle pensait apparemment que c'était la seule chose à faire pour nous : disparaître de leur vie. Cela m'horrifia. Elle quitta la pièce immédiatement, sans un mot, comme si tout cela était parfaitement normal. Pour Aaron, cela l'était sûrement mais moi, j'eus du mal à me retenir de pleurer. Je ne voulais pas qu'Aaron m'entende.

Le lendemain, personne n'assista à notre départ et je tentai de rester digne malgré la douleur qui m'écrasait le coeur à me faire hurler. J'aurais voulu parler à Aria, à Kan, leur dire que rien n'avait changé. J'aurais voulu dire au Pope que nous étions ses plus fidèles amis. J'aurais voulu plaider la cause de Jonas auprès d'Evie. J'aurais tant voulu revoir Roan une fois encore pour plonger dans ses beaux yeux verts. Tant de choses que je partais sans avoir faites. Mais l'idée de bientôt revenir chercher Jonas me réconfortait. J'aurais une dernière chance. Dans l'immédiat, je priais pour qu'on ne se fasse pas attaquer cette fois.
Il était très tôt, Aaron et moi prîmes notre envol.