Chapitre 16 : Accorder son pardon

 

Le Sanctuaire nous vit arriver au petit matin, tremblant et titubant comme deux mendiants au milieu du désert.
Je me contentais de me traîner, pas après pas, comme un automate, les yeux fixés sur la terre sèche et craquelée à mes pieds. C'était ça ou se laisser mourir sur place, brûlés par le soleil. Le bras d'Aaron passé autour de moi me soutenait et mon étreinte le rassurait également.
C'est Kan qui nous découvrit le premier au pied de son temple. En nous voyant, il eut un sursaut de surprise. Il faut dire que nous devions avoir bien piètre allure. Nos vêtements étaient déchirés par endroit, notre visage et nos mains couverts de terre et d'égratignures. Pour couronner le tout, mes cheveux formaient une crinière informe sur ma tête et les traces de larmes devaient encore se voir sur mes joues noircies.
Le Bélier descendit jusqu'à nous sans que nous réagissions, l'un ou l'autre. Une lueur un peu inquiète flottait dans ses yeux bleus.
-Que s'est-il passé ? demanda-t-il.
Aaron ne prit même pas la peine de lever la tête et son regard resta rivé sur le sol d'un air absent. Je ne bougeai pas non plus et quelques secondes passèrent.
-Aaron ? insista Kan. Sara ?
Je finis par diriger vers lui un regard las et vide.
-Nous voulons voir Jonas, dis-je d'une voix rauque que je ne reconnus pas.

On vit bien assez vite que nous étions revenus. Le chevalier du Bélier nous conduisit jusqu'au palais du Pope et la plupart de ses frères défilèrent devant nous sans que je ne m'en aperçoive vraiment. Mes bras étaient crispés autour d'Aaron et je n'aurais pas pu le lâcher même si je l'avais voulu. Nous avancions comme une seule personne, une sorte de monstre à deux têtes et quatre bras sous les regards interdits. Mes jambes semblaient avancer toutes seules et je n'y faisais même plus attention. J'entendais vaguement des voix autour de nous mais ni Aaron, ni moi n'y répondîmes. Je ne les écoutais pas.
Jusqu'à ce qu'une grande silhouette à la tête brune ne courre vers nous. Il vit notre état et se figea, mortifié. Je distinguai deux yeux couleur d'émeraude braqués sur moi.
-Sara ! lâcha-t-il.
Je tournai faiblement la tête pour ne plus le voir et je me pressai un peu plus contre Aaron. Ils nous avaient tous abandonnés et rejetés. Nous étions seuls à présent.
Sans mot dire, nous avançâmes péniblement vers le temple et nos pieds gravirent les marches une à une.

Le Pope parut avoir un choc lui aussi en nous voyant entrer. Il s'immobilisa et ne prononça pas un mot durant tout le temps que nous mîmes à nous avancer jusqu'à lui. Nous n'avions ni la force, ni l'envie de le saluer. Je me forçai simplement à ouvrir la bouche et à faire travailler mes cordes vocales.
-Nous voulons voir Jonas, répétai-je.
Ma voix était éraillée d'avoir tant pleuré et surtout de ne plus avoir fonctionné ces deux derniers jours.
Le Pope ne bougea pas, le visage fixé sur nous, pendant un long moment. Peut-être se disait-il que les traîtres étaient revenus ? Il remua enfin et croisa les mains derrière son dos. Puis il descendit les marches qui menaient à son grand trône pour se diriger vers nous.
-Suivez-moi.

J'émergeai une fois de plus de ma transe et revenai à la réalité pour constater que le Pope nous avait menés jusqu'à une simple porte de bois, constellée de grosses têtes de clous en fer. Je notai son énorme serrure métallique. De pure forme, on ne retenait pas un chevalier avec un verrou. Mais je savais que Jonas n'était pas du genre à faire du foin et à essayer de s'évader. Le Pope avait du le comprendre également car il n'avait posté aucun garde à l'entrée.
Il fit enfin pivoter la porte et nous entrâmes.
Jonas était là, assis sur sa couchette, la tête dans les mains et son armure d'argent encore sur le dos. En nous voyant il bondit sur ses pieds, le regard plein d'espoir. Le Pope nous laissa seuls et referma le battant.
-Aaron ! Sara ! Je suis tellement content de vous voir ! s'exclama-t-il. Aria m'a dit que vous étiez partis pour la Cité des Cieux. Est-ce que c'est vrai ?
Nous ne répondîmes pas tout de suite et je pris le temps de m'asseoir. Aaron s'installa à mes côtés, face à lui. Jonas remarqua alors notre état lamentable.
-Mais que vous est-il arrivé ? s'inquiéta-t-il. Ne me dites pas que les Berserkers vous ont encore attaqués ?
Je baissai la tête et soupirai.
-Nous verrons cela plus tard Jonas, dis-je. Dis-nous plutôt comment tu vas. Tu tiens le coup ?
Il haussa les épaules. Il n'avait pas l'air trop mal.
-Ca va, répondit-il. On me traite bien. C'est juste que je n'ai pas le droit de sortir d'ici et que je commence à m'ennuyer sérieusement. J'aimerais qu'on me libère maintenant.
-Pourquoi portes-tu encore cette armure ? interrogea Aaron, la voix encore plus rocailleuse que la mienne.
Jonas parut embêté.
-C'est que... J'ai bien essayé de l'enlever, affirma-t-il. Mais je n'y suis pas arrivé. C'est comme si cette fichue armure ne voulait pas me lâcher. Kan a essayé aussi mais sans plus de résultats. Je ne sais plus quoi faire.
-Mmphmm... marmonna Aaron.
-Que t'a dit le Pope ? demandai-je.
-Rien de spécial, fit-il. Il ne sait pas trop quoi faire de moi j'ai l'impression. Peut-être attendait-il que vous reveniez ?
Un long silence plana sur nous. Une fois de plus je me forçai à refaire surgir d'un coin de mon esprit cet épisode que je voulais oublier. Mon ventre se tordit, je tentai de l'ignorer et prit une profonde inspiration.
-Ecoute Jonas, commençai-je. Nous... nous sommes allés à Babel et...
-Vous avez parlé à Zeus ? s'exclama Jonas. Il va me sortir de là ?
Les poings de Aaron se refermèrent brutalement sur ses genoux et je fermai brièvement les yeux.
-Non, Jonas, gronda-t-il. Il ne va rien faire.
Le sourire de Jonas s'évanouit d'un seul coup et il nous regarda d'un air ahuri.
-Hein ? Comment ça ? Qu'est-ce que ça veut dire ? glapit-il.
-Zeus nous a chassés de la Cité des Cieux, Jonas, dis-je la gorge nouée. Il a donné l'ordre de nous arrêter si nous y remettions les pieds. Nous sommes bannis, nous ne sommes plus des anges.
Jonas ouvrit la bouche de saisissement et ses pupilles se rétrécirent. Je comprenais que cela puisse lui faire un choc. Il ne voudrait d'ailleurs pas le croire tout d'abord.
-Vous plaisantez ? lâcha-t-il.
-J'adorerais, maugréa Aaron.
La panique naquit soudain dans les yeux de Jonas.
-Ce n'est pas possible ! Pourquoi aurait-il fait ça ? s'écria-t-il. Il n'a aucune raison !
-C'est la vérité ménestrel, dis-je. Quand il nous a vu, Zeus a donné l'ordre de nous capturer et de nous exécuter. Nous avons du nous battre contre les Anges et les Archanges.
Nous restâmes dans cette petite pièce durant plus de deux heures sans bouger de nos places. Aaron et moi racontâmes à tour de rôle tout ce qu'il s'était passé dans la Cité des Cieux. De la conversation que nous avions surprise jusqu'au combat dans les ruelles nuageuses. Nous passâmes sur chaque détail, comme pour nous faire souffrir exprès. Il nous fallait vider nos sacs, soulager nos coeurs et crever l'abcès une bonne fois pour toutes.
Jonas resta figé tout le long du récit, le souffle presque coupé. Sa réaction me fit un peu peur mais il fallait qu'il sache, tout, exactement comme cela s'était passé. Quand nous eûmes fini, je le vis avaler sa salive péniblement.
-Alors... alors tout est fini maintenant ? murmura-t-il.
-Notre service à Zeus est fini, rectifiai-je les yeux embués. Mais nous resterons tous les trois, quoi qu'il arrive.
-Je n'arrive pas à croire que ces rayons lumineux venaient de nos propres maîtres, lâcha-t-il comme s'il ne m'avait pas entendue. Comment... Comment ont-ils pu ?
Aaron avait fini de parler et s'était à nouveau réfugié dans son mutisme borné. Je reniflai.
-Il y a peut-être une bonne nouvelle malgré tout, fis-je. Le Pope acceptera sûrement de te libérer maintenant. Nous ne recevons plus nos ordres de Zeus, nous sommes... libres. Des sortes de mercenaires et il n'y a plus rien à craindre de toi ou de nous.
Jonas fixait un point du mur.
-Avec cette armure, souffla-t-il, je pourrais presque entrer au service d'Athéna...
Aaron bondit, l'air assassin.
-Tu deviens fou ? hurla-t-il. Nous n'avons qu'un seul dieu ! Et c'est Zeus !!
Etait, rectifiai-je en pensée. Etait Zeus. Et la phrase de Jonas se mit à résonner dans ma tête encore et encore avec toujours plus de force et d'intensité.

Il fallut faire une nouvelle fois le récit de tout cela au Pope. Cela ne nous enchantait pas vraiment mais nous espérions que, au moins, il libèrerait Jonas ensuite.
Le maître du Sanctuaire fut aussi surpris que notre ménestrel de ce que nous lui contâmes. Il posa nombre de questions, poussa exclamation sur exclamation et tomba sur son siège, paralysé.
-Pardonnez-moi, dit-il. J'ai du mal à m'en remettre. Ce n'est pas dans les habitudes de Zeus, comment cela a-t-il pu arriver ?
Je baissai la tête.
-Pope... nous ne savons pas, répondis-je. C'est extrêmement pénible pour nous d'évoquer cela. Nous n'avons rien d'autre à ajouter.
Aaron souleva le menton pour observer le Pope.
-Maintenant nous ne sommes plus un danger pour vous, ni pour personne, lâcha-t-il avec amertume. Libérez Jonas, laissez-nous aller en paix. Nous ne vous dérangerons plus.
Le Pope garda le silence un long moment. J'étais lasse. Peut-être me serais-je encore une fois mise à pleurer si j'avais eu assez d'énergie pour produire des larmes. Tout ce que je voulais à présent c'était m'allonger, m'endormir et ne plus jamais me réveiller.
-Où comptez-vous aller ? demanda enfin le Pope.
Je n'en savais rien et je m'en fichais.
-N'importe où, nous n'avons plus rien, répliquai-je. Laissez Jonas, c'est tout ce que nous voulons.
-Certes, admit-il.
Il frotta sa main contre son menton masqué.
-Pourquoi... commença-t-il. Pourquoi ne resteriez-vous pas ici quelques temps pour vous remettre ? La question de l'armure d'argent de la Lyre n'est pas encore réglée et vous êtes épuisés. Acceptez ce dernier cadeau en guise d'excuses et d'amitié. Après, vous repartirez si vous le voulez. Jonas sera libre, bien entendu.
Je n'avais pas l'esprit à disserter des heures durant et je tenais à peine debout. Tout ce qui m'importait c'était de faire sortir Jonas et de me reposer.
Je hochai enfin la tête. Le Pope parut rassuré.
-Pope... objectai-je. Puis-je vous demander une faveur ?
-Dis-moi Sara.
-Nous n'aurons pas le courage de répéter tout cela à ceux qui voudront une explication, dis-je.
Il avait compris.
-Je mettrai les chevaliers d'or et les autres au courant dès que ce sera possible, promit-il.

Une servante m'amena dans ma chambre. Je n'avais jamais vu un lit aussi attirant. Sans parler, sans me déshabiller, je me laissai tomber sur le matelas qui craqua sous le poids. Mon visage s'enfonça dans l'oreiller et je n'entendis pas la servante ressortir.

Je me réveillai doucement au son de la lyre de Jonas. Quand j'ouvris les yeux, je l'aperçus assis sur le bord de ma fenêtre, jouant de son instrument. Il avait toujours cette armure sur lui. Il tourna la tête et me sourit.
-Bonjour princesse, dit-il. Tu te sens mieux ?
J'esquissai un sourire à mon tour et me redressai.
-Oui, mieux, répondis-je. Où est Aaron ?
-Il est parti prendre un bain. Comme toi, il a dormi tout hier et ne se réveille qu'à l'instant.
Je réfléchis rapidement. Une journée donc.
-Tout le Sanctuaire sait alors, remarquai-je.
A ma grande surprise, il secoua la tête.
-Le Pope a simplement déclaré que nous avions été bannis de chez nous, que nous n'avions plus de dieu et donc, que nous n'étions plus une menace. Ce qui explique notre présence pour encore quelques temps. Il a ajouté que nous pourrions révéler notre identité lorsque nous le voudrons. Il a jugé que cette tache nous revenait.
J'étais étrangement soulagée.
-Personne ne sait que nous avons été des anges ?
-Pas tant que nous ne l'aurons pas dit nous-même, confirma-t-il.
Je déglutis.
-Ah... euh... Je crois que je vais aller prendre un bain moi aussi, fis-je en me levant.

Lorsque nous nous retrouvâmes tous les trois immobiles dans la chambre, la peur nous rattrapa brusquement. Aucun de nous ne trouvait le courage de sortir pour affronter les chevaliers au-dehors. Comment soutenir tous ces regards ? Toutes ces questions ? Toutes ces accusations ? Nous avait-on vraiment pardonnés ?
-Evie ne veut pas me voir, ni me parler, expliqua Jonas.
-C'est stupide, grogna Aaron.
Je le foudroyai du regard et il se renfrogna.
-Essaye encore, conseillai-je à Jonas. Elle te pardonnera j'en suis sûre. Et puis tu n'y es pour rien.
Je disais ça... mais aurai-je la force de me retrouver moi-même face à Roan ? Après tout, il m'avait laissée comme les autres et ne s'était pas montré le jour où nous étions partis avec Aaron. Plus personne n'avait confiance en nous.
-On ne peut pas rester cachés là-dedans pour le reste de l'éternité, décida Aaron. Personne ne nous mangera et j'ai besoin d'air. De beaucoup d'air.
Sans nous laisser le temps de trouver la répartie, il ouvrit la porte et partit dans le couloir. Nous n'avions d'autres choix que le suivre. Je pris mon courage à deux mains, Jonas certainement aussi.
Malheureusement, toute cette bonne volonté s'évapora en un battement de cils lorsque nous nous retrouvâmes dehors.
La première vue qui s'offrit à moi fut le long parcours du Zodiaque, régulièrement coupé par chacun des douze temples. Ils étaient sublimes dans la lumière du soleil. Tellement sublimes qu'ils me firent penser à leur gardien dans leur tenue d'or resplendissante. Et là, comme si cette seul pensée avait suffi à l'invoquer, je vis la silhouette d'un homme en contrebas, assis sur le toit de la septième maison. Mon coeur fit un bond. Il était tourné vers le palais et quand il nous aperçut, il se leva. Aaron se dirigeait déjà vers les escaliers et je le tirai vivement en arrière.
-Non, pas par là, suppliai-je. Le parcours est long, je n'ai pas envie de descendre tous les escaliers maintenant. Allons plutôt vers l'arrière du Sanctuaire.
Aaron me regarda un instant d'un air perplexe puis haussa les épaules avant de rebrousser chemin.
-Comme tu veux, fit-il.

Je me demandais un peu plus tard si cela avait été une bonne idée en fin de compte. Il y avait pas mal de chevaliers dans l'arène et près des camps d'entraînement. Beaucoup de Bronze mais aussi quelques Ors tels que Denon et Ooko. Chose plus rare, il y avait également Mao. Les yeux fermés, bien sûr. En nous voyant arriver, tout le monde tourna la tête vers nous et le silence se fit. Je me sentis tout à coup affreusement mal à l'aise. Jonas aussi : il avait aperçu Evie un peu plus loin.
-Je ne peux pas, gémis-je.
-Moi non plus, renchérit le ménestrel un peu tremblant.
Aaron n'avait malheureusement plus aucune pitié depuis que nous nous étions faits attaquer par des rayons lumineux la première fois.
-Ne soyez pas ridicules, siffla-t-il.
Il avança droit devant lui, bien décidé visiblement à affronter le regard de tous ceux présents pour traverser l'arène. Ma démarche fut plus hésitante, à l'image de celle de Jonas. Ce dernier était littéralement au supplice. Passer au milieu de tous ces chevaliers, qui plus est devant Evie qui fit semblant de ne pas le voir, devait être à la limite du supportable. Surtout avec son armure dessus.
Je serrai les poings et m'obligeai à marcher encore sans m'arrêter, la tête digne. Les yeux rivés sur moi me brûlaient comme du fer chauffé au rouge. J'avais du mal à respirer.
Mais finalement, nous arrivâmes devant l'arc de sortie et un grand soulagement m'envahit. Le plus dur était fait. Après ça, nous passâmes somme toute un bon moment sans que personne ne vienne nous déranger. Pourtant, Jonas ne supportait plus de porter son armure, symbole de son honneur bafoué.
-Il faut que j'aille lui parler, dit-il.
-A l'armure ? lança Aaron.
Jonas le gratifia d'un regard torve et continua ses efforts pour arracher son casque de sa tête, en vain.
-A Evie, rectifia-t-il.
Je lui adressai un léger sourire en compensation de la moquerie d'Aaron.
-Tu as peut-être raison, approuvai-je. Dis-lui tout ce que tu as sur le coeur, tu ne peux qu'y gagner.
Il acquiesça, songeur.
-Si seulement je pouvais enlever cette saleté ! pesta-t-il.
-Il y a une seule chose de certain, c'est que toi seul le peux, dit soudain une voix étrangère derrière nous.
Nous nous retournâmes en sursaut pour voir arriver Kan. Par réflexe et peut-être aussi par méfiance, nous esquissâmes un mouvement de recul. Le chevalier d'or leva les mains en signe de paix et s'approcha doucement.
-Du calme, je n'ai pas l'intention de vous sauter dessus, je vous le promets, assura-t-il. Je suis simplement venu vous apporter des nouvelles concernant l'armure d'argent.
Après une seconde, nous finîmes par nous détendre et Kan vint s'asseoir près de nous. Il regarda longuement la parure de Jonas.
-J'ai été faire quelques recherches dans les archives de Jamir, rappela-t-il. Mes prédécesseurs, les Béliers, ont acquis de grandes connaissances sur les armures. Je pensais pouvoir trouver une solution là-bas.
Les yeux du ménestrel étincelèrent d'espoir.
-Tu vas m'enlever cette armure ? s'exclama-t-il.
Kan ébaucha un sourire d'excuse.
-Malheureusement non, fit-il. Je n'ai rien trouvé pour te l'enlever. En revanche, je sais qui le peut.
-Qui ? demanda aussitôt Jonas.
-Toi, expliqua le Bélier. Je répare les armures, je suis bien placé pour savoir que ce ne sont pas de vulgaires bouts de métal. Ils ont une âme, une volonté propre qui s'harmonise parfaitement avec celle de son porteur. Ce qui, d'une part, voudrait dire que ce n'est pas toi qui as choisi l'armure mais le contraire. Elle t'a reconnu comme son chevalier, c'est sa volonté et ton destin.
Jonas plissa le front.
-Qu'est-ce que ça veut dire ? interrogea-t-il.
-Ca veut dire que d'une part, tu es innocenté et d'autre part que seule l'armure décidera du moment où tu pourras l'ôter. Elle attend.
-Elle attend quoi ? s'indigna Aaron.
Kan prit un air mystérieux.
-Ca, personne ne le sait, dit-il. Mais c'est forcément lié à Jonas. Toi seul peux trouver de quoi il s'agit ménestrel. Quand tu l'auras, l'armure te libèrera.
Jonas paraissait grandement déçu.
-Et comment vais-je bien pouvoir trouver cette chose ? se lamenta-t-il. A ce rythme-là j'aurai encore cette armure sur moi dans deux cent ans ! Et Evie ne me pardonnera jamais...
Kan posa une main compatissante sur son épaule.
-Allons, Evie est un chevalier elle aussi, déclara-t-il. Beaucoup d'entre eux ont perdu l'armure qu'ils convoitaient lors des épreuves finales, demande aux Novices ! Il faut l'accepter même si ça froisse sérieusement son orgueil. Elle s'en remettra et elle aura une autre armure.
-Mais je ne veux pas de celle-là ! s'écria Jonas. Je la lui laisse de bon coeur !
Je me demandais s'il pensait vraiment ce qu'il disait. Après tout, c'était quand même l'armure de la Lyre... Et elle était si belle.
-C'est bien vrai ? intervins-je.
Jonas se tourna vers moi.
-Pourquoi me dis-tu ça ? fit-il.
-La lyre, ça fait partie de toi, rappelai-je. Et cette armure... c'est l'excellence de ton art, tu t'en rends compte ? C'est une chance incroyable !
Il tiqua et détourna la tête.
-L'armure aurait du aller à Evie, insista-t-il.
Kan se releva lentement.
-Ce n'est pas à toi d'en décider, trancha-t-il. Pense bien à ce que Sara vient de dire.
Il regarda le ciel, vit que le soleil était déjà très haut et nous fit signe de nous relever.
-Laissons cela pour le moment et retournons au palais, lança-t-il. Il est temps d'aller déjeuner !
Je m'aperçus que j'avais très faim. Aaron et Jonas devaient être dans le même cas que moi car ils se levèrent aussitôt sans hésiter.
Nous atteignîmes les hauteurs quelques minutes plus tard et longeâmes l'arrière du temple pour le contourner et pouvoir entrer. Le vent s'était mis à souffler. Puis soudain, au moment où nous allions déboucher sur l'entrée, plusieurs voix retentirent dans l'air. Je découvris bientôt Denon, Ooko ainsi que leur Novice discutant plus loin avec... Roan. Ils ne nous avaient pas encore vus et je fus tentée de repartir. Cependant, le ton de leur voix m'interppella et je ne bougeai pas. Peut-être n'aurais-je pas du.
-... eh bien non ! je ne sais pas, disait le Scorpion. Le Pope leur laisse le soin de nous le dire et ils ne l'ont toujours pas fait.
-Il y aura toujours des secrets, remarqua Evie. Ils ne savent que mentir.
Ooko secoua la tête.
-Tu exagères, répliqua-t-il. Ce doit être dur en ce moment pour eux. Ils ont été reniés par leur dieu.
Iain émit un petit rire amer.
-Leur dieu, ouais ! Un dieu invisible, lâcha-t-il. Tout ce que je sais moi c'est que nous ne savons toujours pas qui ils sont et c'est tout.
-D'ailleurs c'est louche tout ça, insista Evie.
-Peut-être, fit Roan pensif.
-Bientôt ils vont nous dire que...
Aaron trembla de rage à mes côtés. Brusquement Jonas se posta devant lui pour l'empêcher de bondir sur eux. Mais le danger ne venait pas d'Aaron.
J'en avais assez entendu. Mes poings se serrèrent au point de faire blanchir mes jointures et soudain, je vis rouge. Avant même de m'en apercevoir, je fonçai sur eux, prête à tous les tuer. Personne ne put me retenir et dans le groupe, on se figea quand on me vit charger. Ooko, Evie, Denon, Roan et Iain. Tous tressaillirent et se turent. J'avais des flammes dans les yeux, mon cosmos crépitait de fureur.
-Espèces de... fulminai-je.
-Sara... fit Denon faiblement.
Je n'arrivais pas à me contenir.
-Vous êtes tous bien fiers de vous ! rugis-je. Bien fiers de votre Sanctuaire, de votre déesse et de vos armures ! De quel droit osez-vous juger des gens que vous ne connaissez pas ?
Mes paroles fusaient sur eux comme des aiguilles venimeuses et ils reculèrent.
-Vous n'êtes que de sales vipères ! éructai-je folle de rage. Oui, nous avons été bannis ! Et oui, nous avons vécu quelque chose de plus dur que vous ne pourrez jamais l'imaginer !
Des larmes de colère coulaient à présent sur mon visage et je ne fis rien pour les retenir.
-Vous voulez le savoir qui nous sommes ! repris-je sans pouvoir m'arrêter. Cela, c'est intéressant ! Et que c'est intriguant, n'est-ce pas ? Vous voulez connaître notre identité, savoir si nous sommes dignes de confiance. Je vais vous le dire !
Je levai une main et brusquement, la posai sur mon épaule où le petit tatouage se mit à chauffer de plus en plus fort.
-Sara, non ! cria Jonas.
C'était trop tard. Soudain, mes ailes se déployèrent dans mon dos, s'illuminant comme des brasiers. Elles se tendirent vers le ciel et redevinrent blanches.
Les chevaliers poussèrent des exclamations de stupeur, les yeux ronds, l'air interdit. Plusieurs avaient reculé, comme si j'étais maintenant un monstre.
-Allez-y à présent, sifflai-je. Faites toutes les hypothèses et moqueries que vous voudrez ! Au moins, vous savez de quoi vous parlez !
Denon semblait mortifié mais pas autant que Roan.
-Par Athéna, lâcha le Scorpion. Des anges !
-Nos ailes, rectifiai-je, c'est tout ce qu'il nous reste pour avoir eu la malchance d'être choisis pour porter un message à votre Pope ! Vous n'êtes que des lâches !
Je les foudroyai tous du regard. Tous, autant qu'ils étaient.
-Vous m'écoeurez ! tonnai-je.
Alors je fis volte-face et me mis à courir pour prendre mon envol. La voix de Roan me rattrapa alors que mes ailes battaient l'air de plus en plus puissamment.
-Sara attends !
Au diable, songeai-je. Qu'ils aillent tous au diable.

Sara venait de s'envoler et Roan courut vers elle mais tout à coup, Aaron se dressa sur son passage.
-Laisse-la, gronda-t-il. Je ne te laisserai pas l'approcher. Elle n'est pas comme toi !
Le chevalier de la Balance entra aussitôt dans une colère noire et se jeta sur lui. Il le saisit violemment par le col et le souleva de terre. Ses yeux verts lançaient des éclairs.
-Je vais te... commença Roan.
Mais en une seconde, Kan, Denon et Ooko bondirent dans la mêlée pour les séparer.
-Arrêtez immédiatement, s'exclama le Bélier. Vous êtes devenus fous ? Roan, lâche-le !
La Balance le libéra à contrecoeur et Aaron recula d'un pas, l'air profondément satisfait. Il remit de l'ordre dans sa tenue et soudain, sortit ses ailes. Alors il fixa Roan droit dans les yeux.
-Là où elle va, tu ne peux pas la suivre, déclara-t-il.
Aussitôt il s'envola et partit dans la direction où Sara avait disparu. Roan étouffa un cri de rage.

Je sanglotai tout ce que je pouvais sans me contenir. Tout ce qui me pesait depuis des jours, tout ce qui me faisait souffrir et aussi ce qu'ils avaient dit sur nous.
Quelqu'un se posa enfin derrière mon rideau de larmes et j'identifiai malgré tout Aaron sans trop de peine. Il approcha du coin où je m'étais recroquevillée, genoux ramenés sous le menton et s'assit près de moi. J'avais enfoui ma tête dans mes bras croisés et je ne le voyais pas mais sa main caressa bientôt mon dos. Il attendit tranquillement que je me calme, lissa lentement les plumes de mes ailes. Puis il passa un bras autour de mes épaules et m'attira contre lui. Il me berça comme je l'avais bercé quelques jours plus tôt, avec une infinie patience. Tandis que je couvrais sa chemise de larmes, il joua avec mes cheveux, souffla sur mon visage humide et déposa un baiser sur mon front.
-Ne t'inquiète pas, murmura-t-il. Je resterai toujours près de toi. Je serai toujours là pour toi. Ne pleure plus Sara.
Je tentai d'essuyer les sillons salés qui dévalaient continuellement mes joues et ma respiration redevint plus posée.
-Merci Aaron...
Il me sourit et glissa une main sur ma joue pour enlever mes larmes. Il passa ensuite à l'autre joue et me fit relever la tête vers lui. Son attention, sa douceur finirent par me calmer pour de bon. Il hocha la tête.
-Je n'aime pas te voir pleurer, dit-il.
Je reniflai.
-Tu sais... je ne voulais pas te gifler l'autre jour... je suis désolée, bégayai-je.
Il me fit taire et secoua la tête pour me dire que cela n'avait pas d'importance. Là il embrassa encore une fois mon front, une paupière rougie, puis l'autre et descendit sur ma joue. Quand il prit mes lèvres et que son baiser se fit beaucoup plus inquisiteur, je me figeai. Je posai alors les mains sur ses épaules et le repoussai.
-Aaron, qu'est-ce que tu fais ? lâchai-je, choquée.
-N'aie pas peur je...
Il essaya de m'embrasser à nouveau et je m'écartai vivement.
-Arrêtes ! m'écriai-je. Qu'est-ce qu'il te prend ?
Il me regarda d'un air à la fois dur et douloureux.
-Alors tu acceptes de l'embrasser lui et pas moi ? fit-il avec amertume.
Je tiquai.
-Co... Comment le sais-tu ?
-Tu l'aimes alors ? continua-t-il. Et moi ?
J'étais ébahie.
-Mais... Aaron, je t'aime beaucoup...
-Tu m'aimes beaucoup mais tu ne m'aimes pas, finit-il.
-Tu es mon frère ! m'exclamai-je. Mon grand frère !
Il se détourna avant de se lever lentement. Puis il me fit dos et planta son regard dans l'horizon. Je me remis sur mes pieds, ne sachant plus quoi faire. J'avais l'impression de ne plus le connaître. Comment avait-il pu changer à ce point là ? Ce n'était même plus Aaron ! Et j'avais la sensation qu'il faisait ça dans une sorte de vengeance, de défi. Il semblait tellement torturé depuis quelques temps, et moi je ne pouvais pas l'aider.
-Je déteste ce type, avoua-t-il après quelques secondes de silence total.
-Je t'en prie, ce n'est pas sa faute... dis-je à mi-voix. Excuse-moi Aaron.
Alors il secoua la tête comme pour chasser quelque chose de son esprit et me jeta un regard plus serein.
-Je ne pourrais jamais t'en vouloir Sara. Pas à toi.
Il esquissa un sourire désabusé.
-Bah, je le savais, soupira-t-il. Dis-lui que je le tuerai s'il te fait échapper la moindre larme à l'avenir.
Je ne pus m'empêcher de sourire, retrouvant l'espace d'une seconde le Aaron que j'aimais tant et qui veillait sur moi. Puis il passa un bras autour de mes épaules et m'entraîna avec lui.
-Allez viens, Jonas doit être mort d'inquiétude.

Aaron s'était trompé sur un point. Jonas ne s'inquiétait pas vraiment pour nous, il avait autre chose à faire. Mon petit spectacle - dont je n'étais pas très fière avec le recul - avait au moins servi à le mettre face à face avec Evie. Le ménestrel avait apparemment réussi à lui glisser deux mots en privé. La nouvelle de notre identité ayant beaucoup impressionné la jeune fille, cela avait du l'aider. J'avais l'impression qu'ils étaient plus ou moins réconciliés mais je faisais confiance à Jonas.
Quant à moi, j'eus la surprise de trouver Roan devant le palais à mon retour. Il était avec d'autres chevaliers d'or pourtant j'avais la désagréable sensation qu'il m'attendait. Sauf que je n'avais pas du tout envie de le voir ou de lui parler en ce moment. Je n'étais pas prête pour cela.
Lorsque je les vis tous fixer mes ailes à mon retour, je me sentis honteuse. Ce fut plus fort que moi et à peine mes pieds foulèrent-ils le sol que je les rangeais. Elles disparurent dans un flash. Aaron, lui, les garda, je le savais, par pure provocation envers le chevalier de la Balance.
Je décidai que j'avais été assez ridicule pour aujourd'hui et je vins vers le groupe. J'esquissai un salut respectueux et m'inclinai.
-J'ai des excuses à vous faire pour mon comportement, dis-je d'un ton poli mais froid. C'était stupide et grossier. Je vous prie de m'excuser, c'est la dernière fois que cela se produit, je vous le promets.
Je ne les regardais pas mais je sentis la gêne planer sur eux. Ils semblaient embarrassés.
-Allons Sara, fit Ooko. Tu n'as pas d'excuses à nous faire, je t'assure.
Ce n'était pas mon avis. Je savais qu'ils allaient me dire autre chose mais je n'avais pas envie de reparler de cela. J'avais eu ma dose d'émotions pour la journée et je n'aspirais qu'à un peu de calme et de tranquillité. C'est pourquoi je tuai aussitôt dans l'oeuf ce qui promettait d'être une longue conversation.
-Excusez-moi, lançai-je. J'ai plusieurs choses à faire et...
C'était un mensonge flagrant mais je m'en fichais. Aria hocha la tête.
-Oui, bien sûr, vas-y.
Je ne me le fis pas dire deux fois et tournai immédiatement les talons pour m'éloigner. Je les entendis partir eux aussi et cela me soulagea. Mais quelqu'un me rattrapa soudain.
C'était Roan et je me raidis. Il dut le voir car son regard devint un peu triste.
-Sara, attends deux secondes, j'aimerais te parler, dit-il.
Et moi, c'était ce que je voulais à tous prix éviter tant que je serais dans cet état étrange, entre chagrin, colère et désespoir. Je ne voulais pas me remettre à pleurer, je n'avais même pas envie de parler.
-Pas maintenant, répondis-je. Ce n'est...
-S'il te plait, insista-t-il.
Il parlait à voix basse pour que Aaron n'entende pas. Ce dernier nous observait de loin, foudroyant Roan du regard.
-Pas maintenant, répétai-je. Je n'ai pas le temps.
Je ne lui donnai pas la possibilité de répondre et m'en allai immédiatement. Cette fois il ne put me rattraper car j'entrai dans le palais du Pope.

Un repas, du repos et du calme transformèrent mon humeur orageuse en quelque chose de plus sociable. De plus, Jonas nous communiquait sa gaieté. Sa réconciliation avec Evie semblait lui avoir rendu la vie. C'est à cet instant que je compris qu'elle et lui étaient amants. Le ménestrel était transformé. Même son armure ne le gênait plus autant.
-A vrai dire, fit-il soudain, je me demandais si je n'allais pas la garder.
Aaron et moi sursautâmes.
-Quoi ? coassa Aaron.
Jonas rougit et se gratta la tête d'un air confus.
-Ben oui, maintenant que nous sommes... euh... libres, je me disais que je pourrais peut-être... rentrer au service de... euh... Athéna ? bafouilla-t-il.
Cette nouvelle me laissa sans voix. Non pas parce qu'elle me choquait - comme à Aaron - mais bel et bien parce que cela me semblait effectivement le plus censé.
-C'est ma décision, se défendit Jonas. Comme ça je pourrais aider les chevaliers et aider le Sanctuaire.
Cette phrase résonna à nouveau dans ma tête. Aider le Sanctuaire...

Le lendemain j'étais assise sous un arbre, isolée, à méditer sur cette idée et sur l'engagement de Jonas. Aider le Sanctuaire... n'était-ce pas ce que je voulais depuis le début ? Sur ce point, le ménestrel avait raison. Après tout, nous n'avions nulle part où aller. Pourquoi ne pas servir Athéna ? La logique l'aurait voulu ainsi...
Je fus brusquement interrompue dans mes réflexions par une présence qui s'approcha dans mon dos. Je ne pouvais pas dire que je ne m'y étais pas attendue. Et je ne pouvais plus fuir désormais.
Il me contourna et vint se placer devant moi. A ce moment là je m'agitai nerveusement et il dut se méprendre sur mes intentions car il me prit le bras.
-Non, Sara, arrêtes de me fuir, je t'en supplie.
Je risquai un coup d'oeil vers lui mais l'intensité de son regard vert m'obligea à me détourner. Il ne lâcha pas mon bras.
-Je ne le supporte plus, reprit-il. Il faut que tu me parles, que tu me dises... Depuis que tu es revenue, il y a quelque chose qui ne va pas.
Sa voix cassée me bouleversa. Comme je ne répondais pas, il attrapa mon menton et me fit lever la tête vers lui.
-Regarde-moi.
Mais je ne pouvais m'empêcher de baisser les yeux.
-Non, regarde-moi. Dis-moi quelque chose, s'il te plait.
Je déglutis.
-Toi aussi tu pensais que nous étions des traîtres, pas vrai ? Comme les autres, tu nous as rejetés et tu nous as laissés partir sans broncher. Tout le monde s'en fichait.
Il plissa le front.
-Non, ce n'est pas vrai, dit-il. Je ne...
-Tu n'étais pas là non plus ce matin-là quand Aaron et moi sommes partis, coupai-je. Ca ou nous chasser, quelle différence ?
Il secoua la tête précipitamment.
-Je ne savais pas que tu partais ce jour-là Sara. Aria ne me l'a dit que lorsque je suis venu te voir dans la matinée. Crois-tu vraiment que je t'aurais laissée partir comme ça ? Je me fiche de cette histoire de traîtres et du reste...
Je le regardai tout à coup d'un air sceptique. Cette déclaration ne pouvait que nous refaire penser à cette discussion que j'avais surprise et pour laquelle je m'étais emportée bêtement. Il n'empêchait que les propos étaient toujours là. Et il comprit certainement à quoi je songeais car il rosit légèrement en se mordant une lèvre.
-C'était tellement stupide, pesta-t-il en baissant la tête. Tu avais raison, nous sommes des lâches. Pardonne-nous et pardonne-moi. Nous ne sommes pas très fiers et nous regrettons toute cette conversation idiote.
Je me mis à arracher une tige séchée à mes côtés pour la faire tourner entre mes doigts.
-Peut-être, fis-je. Il reste que vous aviez raison sur pas mal de points. Quand j'ai entendu tout ça, ça m'a rendue folle de rage. Cela faisait tellement mal d'être rejetés par les seules personnes pour qui nous pouvions encore avoir un peu de valeur. Après que Zeus nous ait chassés, nous étions perdus et nous ne savions pas où aller. J'espérais tellement que le Sanctuaire nous accepte et alors en entendant...
-Je t'aime.
Coupée dans mon élan, je me figeai, interdite.
Il était tombé à genoux face à moi et gardait la tête basse. Mais même comme ça, il était bien plus grand que moi. Je m'aperçus alors qu'il ne s'était pas agenouillé comme devant un maître ou un dieu. Non, il avait les deux genoux au sol, complètement livré. Simplement Roan et son coeur tout nu. Cela me noua la gorge.
-J'aurais peut-être du te le dire il y a longtemps, admit-il. Mais je n'en ai pas eu le courage. Excuse-moi.
Il leva ses yeux brillants, couleur d'émeraude vers moi et esquissa un sourire.
-Je t'aime, je t'aime, je t'aime...
Je ne respirais plus et l'observais sans parvenir à y croire. Et puis soudain, je repris mon souffle, le coeur léger, léger... Un sourire éclaira mon visage et, n'y tenant plus, je me jetai dans ses bras. Il manqua basculer en arrière mais se reprit et referma ses bras autour de moi. Puis il sourit et enfouit son nez dans mes cheveux.
Je restai un long moment la joue appuyée contre son torse et lui volai sa chaleur avec émerveillement. Quand je me redressai, je l'enlaçai.
-Je t'aime aussi.
Il me sourit et me serra un peu plus contre lui.
-Sara reste au Sanctuaire, dit-il alors. Reste avec moi pour toujours, pour toute l'éternité. Reste...
Et enfin, le déclic se fit dans mon esprit. Je l'embrassai avec passion.