Chapitre 19 : Le dernier jour des condamnés
- COMMENT OSE-T-IL ?
La voix terrible du Pope avait résonné dans la salle de réunion
jusqu'à en faire trembler les murs. Il était hors de lui, comme
la plupart des chevaliers d'or d'ailleurs. Cela ne faisait pas une heure que
ce mystérieux Berserker était venu nous livrer son message et
déjà le Sanctuaire était sans dessus dessous. En moins
de temps qu'il n'en faut pour le dire, les onze chevaliers d'or s'étaient
réunis au palais devant un Pope furieux.
- Arès n'est qu'un insolent ! rugit celui-ci.
Tout le monde tremblait de colère de ne pouvoir aller aussitôt
donner une leçon à tous ses Berserkers. Le geste du dieu de la
guerre avait de quoi énerver même les plus vertueux. Entrer en
conflit avec un autre dieu pouvait aisément se comprendre - même
si ce n'était pas franchement une bonne chose - cela faisait partie des
lois des dieux. Mais un tel culot ! Le message d'Arès stipulait que les
chevaliers d'Athéna étaient "aimablement convoqués"
en "terrain neutre" pour régler le sort du Sanctuaire et de
ce fait, de toute la Terre. Venir nous provoquer ne lui avait pas suffit, il
avait fallu qu'il nous défie, loin du Sanctuaire, dans on ne sait quel
endroit inconnu, de son choix ! Y avait-il plus impertinent ? Si le souvenir
monstrueux du Berserker ne m'avait pas obnubilé à ce point, je
serais certainement sortie de mes gonds moi aussi, au lieu de m'inquiéter.
Je voyais sur le visage d'habitude si serein de Kan se peindre toute sa frustration.
En réalité seuls Mao, Sedeth et Timoklès arrivaient encore
à maîtriser leur fureur. Roan serrait les poings si fort que ses
jointures menaçaient d'éclater. Ceux d'Aria allaient sûrement
réduire la table de marbre en miettes à en juger par la blancheur
de ses phalanges crispées. L'atmosphère semblait chargée
d'électricité, la tension était presque palpable.
Enfin quelqu'un brisa le silence.
- Sommes-nous réellement obligés de relever le défi capricieux
de ce diable d'Arès ? demanda Denon le regard noir.
"Diable" était effectivement le qualificatif qui devait le
mieux correspondre au dieu de la guerre. Arès n'avait jamais eu très
bonne réputation. Moi qui étais un ancien Ange, je savais que
même Zeus ne le tenait pas en haute estime. Il fallait pourtant avouer
que cette fois-ci, il s'était surpassé. D'après ce qui
se murmurait, la stupidité d'Arès n'avait d'égale que sa
cruauté. J'espérais simplement que la puissance de ses Berserkers
n'avait rien à voir avec leur laideur, auquel cas je ne donnais pas cher
de notre peau.
Le Pope souffla d'agacement.
- Malheureusement si ! pesta-t-il. Son petit jeu - outre le fait qu'il soit
grossier ! - est parfaitement conforme aux lois des dieux. Autrement dit, il
est entièrement dans son droit.
- Cela veut dire que nous allons faire selon son bon plaisir ?! s'écria
Aria. Que l'on va se rendre au lieu de rendez-vous pour se faire piéger
par ses Berserkers ? Sans réagir ?
Sedeth décroisa les bras de sa poitrine et commença à pianoter
nerveusement des doigts sur la table.
- Crois-moi, tu n'es pas la seule à ne pas le supporter, dit-il. Mais
il me semble que nous n'avons pas le choix.
- C'est vrai, renchérit Ooko l'air sombre. Selon les lois des dieux,
une divinité peut en défier une autre pour remettre son royaume
en jeu.
- Mais c'est lui qui nous demande de venir nous battre ! s'emporta Lee. Nous
n'en avons aucune envie, nous n'avons qu'à ignorer son défi et
rester ici !
Aria acquiesça vigoureusement. Il me semblait pourtant bien que les choses
auraient été trop simples.
- Ce n'est pas comme ça que ça marche, intervint Kan enfin sorti
de son mutisme. Nous n'avons aucun choix dans cette affaire.
- Kan a parfaitement raison, continua le Pope.
Le petit échange entre les chevaliers d'or avait paru lui donner le temps
de refouler sa rage et de se calmer. Il s'était recomposé une
attitude sereine.
- Athéna est la gardienne de la Terre, la protectrice des Hommes, expliqua-t-il.
Nous sommes là pour la représenter. Lorsque quelqu'un veut s'emparer
de son royaume, on ne peut pas l'ignorer tranquillement. Nous nous devons de
nous trouver sur son chemin pour l'arrêter. C'est notre rôle.
Quelques secondes de silence suivirent ces sages paroles et les chevaliers des
Poissons et du Cancer baissèrent honteusement la tête. Notre sort
était scellé. J'allais connaître ma première guerre
sainte. Etais-je prête pour cela ? A vrai dire, je savais pertinemment
que ce moment viendrait. Je n'en avais jamais douté. Ce n'est pas cela
qui me préoccupait...
- J'ai une question... avançai-je timidement.
Les quelques personnes qui discutaient entre elles s'arrêtèrent
aussitôt et on tourna vers moi des yeux interrogateurs.
- Tu es chevaliers d'or à présent, fit le Pope. Nous t'écoutons.
Je m'éclaircis la gorge.
- Combattre Arès, il me semble que c'était une évidence,
objectai-je. Ce que je ne comprends pas c'est pourquoi il ne nous a pas attaqué
directement ? En nous défiant de la sorte, il nous laisse le temps de
nous préparer, non ?
Le Pope hocha la tête.
- Voilà réellement la plus sage d'entre nous, lança-t-il.
C'est une très bonne question Sara.
- Mmphph... marmonna Timoklès. Je pense que c'est là une erreur
que le seigneur de la guerre doit à son orgueil démesuré.
Roan opina du chef.
- Je le pense aussi, dit-il. Arès - il prononçait ce nom comme
s'il avait avalé une gorgée d'acide - nous croit faibles et diminués
à cause de la précédente guerre. Il s'est sûrement
dit que, à un ou quinze jours près, cela ne ferait pas grande
différence. Il est sûr de sa victoire.
- Et c'est là qu'il se trompe ! déclara le Pope.
- A un détail près, coupa Kan.
Tout le monde le toisa d'un air interloqué.
- Qu'est-ce que tu veux dire ? interrogea Nakomo.
- Arès n'est pas aussi stupide qu'il veut nous le faire croire, assura
le Bélier. En nous attirant hors du Sanctuaire, il prend l'avantage du
terrain.
- Sans compter que le Sanctuaire sera sans défenses, renchérit
le Scorpion. Peut-on vraiment prendre ce risque ? Cela sent le piège
à plein nez !
Le chevalier du Bélier soupira.
- Mais nous n'avons pas le choix, répéta-t-il.
A ce moment là, le chevalier de la Vierge, Mao, qui n'avait pas encore
prononcé un seul mot, ni levé le moindre sourcil, prit la parole.
- Pas tout à fait, tempéra-t-il. Nous sommes onze chevaliers d'or
plus tous les chevaliers d'argent et de bronze. Un groupe assez conséquent
peut rester ici pour protéger nos arrières. A ma connaissance,
Arès ne dispose que d'une dizaine de Berserkers... environ.
- Charmante perspective, ironisa Aria. Si la moitié de ce que l'on raconte
sur eux est vraie, une dizaine... c'est déjà beaucoup trop.
Je craignais qu'elle n'ait raison. Moi non plus, je n'étais pas rassurée.
Je n'avais jamais eu peur de me battre mais cette fois j'avais un très
mauvais pressentiment. Aria aussi. C'était inhabituel de sa part de reculer
devant un conflit. Il devait forcément y avoir autre chose.
Je l'observai un instant. Quelque chose avait changé. C'était
subtil, presque imperceptible... Que se passait-il ? Je n'eus malheureusement
pas le temps de poursuivre mon inspection. Le Pope reprit :
- Cela semble la meilleure solution, admit-il. Nous ne pouvons pas sciemment
laisser le Sanctuaire vulnérable.
- Mais les chevaliers d'or doivent combattre les Berserkers, rappela Denon.
Les autres ne seront jamais assez puissants !
- Je suis assez d'accord, intervint le chevalier des Gémeaux. Si nous
perdons cette bataille, il ne servira à rien que le Sanctuaire soit sous
bonne garde.
Il marquait indéniablement un point. Le Pope resta songeur quelques secondes.
- Une dizaine de Berserkers... médita-t-il, onze chevaliers d'or... Nous
pouvons nous permettre de garder un ou deux d'entre vous pour veiller sur le
Sanctuaire. Avec les chevaliers d'argent, cela sera suffisant.
Plusieurs d'entre nous hochèrent la tête.
- Qui restera ici ? demanda le Pope.
Cette question provoqua un profond malaise parmi nous. Non pas qu'elle n'était
pas sage et réfléchie mais... D'un côté nous aurions
tous souhaité échapper à cette guerre - une guerre c'était
toujours stupide ! - toutefois cela avait quelque chose d'humiliant. Nous voulions
également tous nous battre pour la gloire d'Athéna. Nous n'étions
pas des lâches !
Je vis Aria se tortiller nerveusement sur son siège et je me demandai
bien ce qu'il lui prenait. Elle était vraiment bizarre... Même
son cosmos était trouble. Il... Je me figeai brusquement en m'apercevant
de quelque chose.
Le silence devenait pesant et Aria ne se décidait pas. Soit, j'allais
donc le faire pour elle.
- Hum... fis-je pour attirer l'attention.
Je vis dans les regards surpris qu'on se méprenait sur mon intervention.
- Je m'excuse à l'avance pour ce que je vais faire, dis-je tristement.
Pardon...
Je me tournai vers le chevalier du Cancer.
- Aria, je pense que tu devrais rester.
Je crus une seconde les avoir tous assommés. Aria se raidit, les autres
écarquillèrent les yeux et j'entendis des hoquets de surprise.
Puis le Cancer se détendit, résignée.
- Sara, qu'est-ce que tu racontes ? s'exclama Kan.
- On peut savoir ce qu'il t'arrive ? renchérit Denon. Aria est toujours
la première pour se battre ! Elle est l'une des plus puissantes de nous
tous...
- Arrêtez, coupa brusquement Aria.
On se tut.
- Arrêtez, elle a raison, dit-elle. Pope... Je voudrais être une
de ceux qui resteront au Sanctuaire, si vous le permettez.
Ils étaient tous abasourdis.
- Je croyais que tu n'avais peur de rien, fis le Scorpion. Avant tu bondissais
de joie à la seule idée de combattre !
Aria détourna la tête.
- Avant, oui.
Le silence nous enveloppa.
- Bon, puisque c'est toi qui le demandes Aria, dit le Pope, je te l'accorde.
Il me faut un autre chevalier d'or volontaire.
Lee leva timidement la main.
- Je le ferai, affirma-t-il. Après tout c'est le rôle du douzième
et dernier gardien, être l'ultime rempart.
- Fort bien, admit le Pope. Cela fait deux chevaliers d'or sur le parcours du
Zodiaque. Je demanderai à ce que les chevaliers de la Lyre, de la Chevelure
de Bérénice, d'Ophiucus et de l'Aigle - c'était Evie -
se placent également dans un temple. Peut-être un autre d'entre
vous devrait-il rester encore ?
Denon secoua énergiquement la tête.
- C'est trop risqué ! s'écria-t-il. A huit chevaliers d'or, nous
aurons beaucoup de mal contre les Berserkers !
- Neuf, rectifiai-je calmement.
Etonné, il me regarda avec des yeux ronds.
- Quoi neuf ? fit-il.
- Nous ne serons pas huit mais neuf, expliquai-je.
Il haussa un sourcil narquois.
- Vraiment ? Qui est donc ce neuvième chevalier mystère ?
- Aaron.
Il tressaillit.
- Quoi ? glapit-il. Mais Aaron n'est pas un chevalier du Sanctuaire, il ne combattra
pas pour nous ! Et puis de toutes façons, il n'est pas chevalier d'or.
Je souris.
- Non seulement tu le connais mal mais en plus, tu le sous-estimes, déclarai-je
avec une certaine fierté. Aaron ne restera pas les bras croisés
pendant que nous irons nous battre. Il nous suivra même s'il n'a pas prêté
serment à Athéna, c'est une question d'honneur. Et nous aurons
bien besoin de son aide. Tu n'as pas idée de la véritable puissance
d'un Archange !
A ces mots, le chevalier du Bélier échappa un sourire.
- Tu peux la croire Denon, fit-il. Aaron est largement du niveau d'un chevalier
d'or. Sa force est très impressionnante. Je serai très heureux
de l'avoir à nos côtés.
Je vis les mâchoires du Scorpion se contracter et il se tut, un peu contrarié
de ne pas avoir le dernier mot. J'étais très satisfaite et fière
pour mon frère. Je le connaissais assez bien pour être certaine
de ce que j'avançais. Aaron n'avait rien à envier à un
chevalier d'or.
- C'est une excellente chose, admit le Pope. Mais je crois que Denon a raison,
il vaut mieux laisser les neuf chevaliers d'or pour les Berserkers. Avec l'aide
précieuse d'Aaron, vous serez dix. Cela me semble parfait.
Nous approuvâmes sans hésitation.
- Il n'y a rien à ajouter, confirma Ooko.
- Simplement que nous devrons être fin prêts pour après-demain,
fit le chevalier du Verseau. Pourvu que ce soit le cas.
En sortant de la salle du conseil, nous étions tous plus ou moins anxieux.
La bataille approchait. Je savais que les chevaliers d'or pensaient à
la précédente guerre et à tous leurs compagnons disparus.
Ils devaient avoir très peur que cet enfer ne recommence. Perdre deux
fois ses compagnons et frères... certains ne pourraient pas le supporter,
je commençais à le comprendre. Quant à d'autres, comme
le Cancer, ils avaient autre chose en tête.
Je vis Aria s'éloigner vers les arènes et décidai d'aller
lui parler. Je m'excusai auprès de Roan.
- Je reviens tout de suite, dis-je succinctement.
Il acquiesça d'un air songeur et je partis rapidement. Je rattrapai le
chevalier du Cancer un peu plus loin, à l'abri des oreilles indiscrètes.
- Aria ?
Elle se retourna et me vit. Je me sentais un peu gênée.
- Je tenais à m'excuser pour mon intervention, fis-je. Cela ne me regarde
pas, seulement j'ai cru que...
Elle passa lentement une main dans ses cheveux et retira son masque. Son visage
était serein, juste un peu pensif mais ses yeux brillants de larmes la
trahissaient.
- Non, tu n'as pas à t'excuser, assura-t-elle. Tu avais raison. Je mourrais
d'envie de me tenir éloignée du combat mais je n'ai pas eu le
courage de le dire. Tu m'as rendu service.
C'était donc bien ce que je pensais. Elle me regarda, sûrement
un peu inquiète de ce que je pouvais avoir deviné.
- Comment as-tu su que c'était ce que je voulais ? me demanda-t-elle
de but en blanc.
Je ne savais pas trop si je devais tout dire. C'était assez délicat,
elle pourrait se vexer du fait que je sache.
- J'ai trouvé que tu étais un peu bizarre, expliquai-je. Tu étais
beaucoup trop nerveuse et puis... ton cosmos était... comment dire ?...
un peu flou. C'était tellement léger que je n'en étais
pas sûre au début. J'ai pensé que tu avais besoin de repos.
Elle laissa ses yeux se perdre dans le vague et esquissa un sourire.
- Je ne croyais pas que cela se remarquerait aussi tôt, murmura-t-elle.
- Oh non, c'est seulement une petite divergence dans ton aura, la rassurai-je.
Rien d'alarmant, c'est juste que... peut-être parce que les autres sont
des hommes...
Elle posa une main sur mon épaule pour me calmer.
- Tu n'as rien à te reprocher, sans toi, je serais encore en train de
me torturer. Tu l'as deviné, n'est-ce pas ? Tu as compris que j'étais
enceinte ? fit-elle.
- Eh bien... oui... enfin, je m'en doutais, confirmai-je.
Apparemment, le fait de le dire à voix haute la bouleversait considérablement.
Elle se mit à trembler et ses yeux brillèrent de plus en plus
jusqu'à ce que les larmes s'en échappent. La voyant prête
à craquer, je l'obligeai à s'asseoir un instant. Après
une seconde, elle éclata en sanglots.
- Oh mon dieu ! Sara, j'ai eu tellement peur de devoir me battre contre Arès
! hoqueta-t-elle. J'espérais... j'espérais de tout mon coeur ne
pas avoir à le faire... Crois-tu que je sois une lâche ? Que je
sois indigne de la chevalerie d'Athéna ?
Je la serrai dans mes bras pour la laisser pleurer tout son saoûl.
- Je n'ai pas... assez de courage... sanglota-t-elle. Je me fais honte mais...
je ne pouvais pas... c'était au-dessus de mes forces...
Je me mis à frotter son dos avec douceur.
- Non Aria, dis-je. Je ne crois pas que tu sois lâche ni même indigne
de la chevalerie.
- Mais je fuis devant le combat !
Je secouai la tête et ébauchai un sourire.
- Tu ne fuis pas, tu cherches simplement à protéger ton bébé,
rectifiai-je. Et je trouve que ton choix était très courageux
au contraire. Tu ne pouvais pas prendre le risque que ton enfant soit menacé.
Athéna te comprend, j'en suis certaine.
Les larmes couvraient son visage par vagues et elle essaya en vain de les endiguer.
Je pouvais déceler le désespoir dans le bleu de ses yeux. Qui
aurait cru qu'une femme comme Aria, aussi forte, aussi courageuse, puisse être
en proie à une telle peur ? Pourtant je l'admirais à cet instant.
De tout mon coeur.
- Merci Sara... balbutia-t-elle. C'est tellement gentil mais... je ne peux pas
m'empêcher de m'en vouloir... Peut-être devrais-je aller avec vous
quand même ? Que vont penser les autres de moi ?
J'entrepris d'essuyer ses joues humides avec soin et repoussai ses cheveux pour
mieux la voir.
- Ne dis pas de bêtises, lançai-je gaiement. Tu as entendu Denon
tout à l'heure ? Pour lui comme pour tous les autres - y compris moi
- tu es l'une des plus puissantes parmi nous. Personne ne te traite de lâche.
Les autres te remercient de te sacrifier pour protéger le Sanctuaire,
il faut beaucoup de volonté pour cela. Grâce à toi, nous
pourrons combattre Arès l'esprit tranquille.
Je souris.
- Et puis je ne voudrais surtout pas qu'il arrive quelque chose au futur petit
chevalier que tu portes ! m'exclamai-je. C'est très important de perpétuer
la lignée des chevaliers d'or ! Il va devenir le petit chouchou du Sanctuaire
!
Elle échappa un petit rire mêlé de larmes et se calma enfin.
- Personne n'est au courant encore, avoua-t-elle. Tu es la première à
le savoir.
- Kan ne le sait pas alors, fis-je. Car c'est lui le père... n'est-ce
pas ?
Aria sécha ses yeux embués.
- Bien entendu, répondit-elle. Je ne sais pas très bien comment
le lui annoncer.
- Oui j'imagine que ce doit être assez délicat, admis-je. Combien
de temps cela fait-il ?
Elle parut réfléchir quelques instants.
- Un mois il me semble, dit-elle enfin. Je n'ai pas saigné durant ce
cycle et je commence à avoir des nausées. C'est affreux, la moindre
odeur un peu trop forte me retourne le coeur !
- Raison de plus pour te tenir à distance des Berserkers !
Elle se mit à rire et je l'aidai à se relever.
- Allez viens, il est temps de rentrer, je meurs de faim.
- Tu le fais exprès !! s'écria-t-elle.
J'éclatai de rire.
Roan m'attendait dans mon temple. Je remarquai qu'il avait toujours l'air soucieux
mais repoussai cela sur la menace du dieu de la guerre. Nous allions les rencontrer
dans deux jours, il y avait de quoi refroidir l'humeur un bon coup.
De fait, il resta silencieux tout le temps que nous mîmes à manger.
Il fallait dire que j'avais un peu la tête ailleurs. Je ne cessais de
penser à Aria et à son futur bébé. Roan sembla lire
dans mes pensées :
- Comment va Aria ? demanda-t-il brusquement.
Je tressaillit de surprise et esquissai un sourire.
- Oh... elle va mieux je crois, dis-je. J'espère avoir réussi
à lui remonter le moral.
Il plissa le front, ce qui était assez mauvais signe. Quelque chose devait
vraiment le préoccuper.
- C'est étrange de sa part de se tenir à l'écart des combats,
remarqua-t-il. Ce n'est pas du tout son genre. Je me demande bien ce qui lui
arrive.
- Il fallait quelqu'un pour rester ici de toute manière, objectai-je.
Et puis elle doit avoir ses raisons.
Il me fixa droit dans les yeux.
- Ce qui est plus étonnant, c'est que tu les connaisses aussi.
Je me tortillai sur place, mal à l'aise. Avais-je le droit de lui dire,
moi, une chose pareille ? Aria allait sûrement le dire à Kan et
puis tout le monde le verrait tôt ou tard mais...
- C'est sûrement l'intuition féminine, avançai-je prudemment.
Une affaire de femmes, enfin... ce que je veux dire c'est que... entre femmes,
on se comprend.
Il se figea soudain et ses yeux s'arrondirent d'incrédulité.
- Est-ce que... est-ce qu'elle est... enceinte ?
Je sursautai si violemment que mon coeur remonta dans ma gorge.
- Aria est enceinte ? insista-t-il comme je ne répondais pas.
- Comment le sais-tu ? fis-je. Elle m'a dit qu'elle ne l'avait dit à
personne.
Il se passa une main sur le visage, totalement abasourdi.
- Une "affaire de femmes", ça ne peut pas être trente
six choses, répondit-il. Bon sang ! Par Athéna et tous les dieux
de l'Olympe ! Nom de nom ! Je n'arrive pas à le croire !
Je fis une moue désapprobatrice devant sa litanie de jurons.
- Mais comment cela a-t-il pu... continua-t-il comme pour lui-même.
Je haussai un sourcil narquois.
- Tu veux vraiment que je t'explique en détails ? raillai-je.
Il me jeta un regard noir.
- Tu sais très bien ce que je voulais dire, lâcha-t-il. C'est donc
pour ça qu'elle voulait rester au Sanctuaire. Si je m'étais douté
!
- Elle protège son bébé, c'est normal, déclarai-je.
Elle ne peut pas se battre dans ces conditions, son cosmos est tout chamboulé.
Il hocha la tête.
- Oui, c'était la meilleure chose à faire, convint-il.
Il me regarda d'un air étrange.
- Peut-être même qu'elle aurait besoin de quelqu'un pour veiller
sur elle, fit-il d'un ton qu'il voulait léger. Quelqu'un qui la comprenne
bien étant donné son état...
J'eus tout à coup très peur de comprendre où il voulait
en venir et serrai les poings.
- Quelqu'un comme moi, c'est ça que tu veux dire ? sifflai-je.
Il croisa les bras sur sa poitrine, prêt pour une nouvelle joute verbale.
- Tu voudrais que je ne me mêle pas des combats moi non plus, c'est bien
ça ? m'exclamai-je.
Il soupira.
- Ecoute Sara, les Berserkers ne sont pas des enfants de coeur, ils n'auront
aucune pitié, dit-il. C'est peut-être plus prudent que...
Je me renfrognai.
- Jamais ! Tu m'entends ?
- Sara...
Soudain je me levai d'un coup, faisant tomber ma chaise au sol.
- Pour qui me prends-tu ? cinglai-je. Tu crois que je vais rester là
bien sagement pendant que toi tu fais la guerre à Arès ? C'est
la meilleure celle-là ! Tu n'es pas le seul à vouloir t'amuser
!
Cette fois, j'avais été un peu trop loin, j'en étais consciente.
- Ce n'est pas un jeu ! Bon sang, Sara ! Tu risques ta vie ! Tu te rends compte
de ça ? explosa-t-il.
- Et toi pas peut-être ?
- Ce n'est pas la même chose !
Je pris un air exagérément étonné et candide.
- Vraiment ? fis-je.
Il fronça les sourcils, l'air agacé.
- Je n'ai pas envie de te voir exterminée par les soldats d'Arès
! Je voudrais que tu sois encore là à mon retour pour que je puisse
te serrer dans mes bras à nouveau. J'ai déjà perdu un être
cher une fois, je ne permettrai pas que cela se reproduise.
Il relâcha brusquement la tension dans son corps et ses épaules
s'affaissèrent comme s'il était las de se battre. Il tourna la
tête pour fuir mon regard.
- Je n'y survivrais pas... finit-il à mi-voix.
En un instant toute mon irritation me quitta et je me sentis débordante
de tendresse et d'amour. Un long silence plana sur nous et après un moment,
j'avançai vers lui. Derrière sa chaise, j'entourai son cou des
bras et posai le menton sur son épaule. Il réagit aussitôt
et serra mes mains dans les siennes avant de coller sa joue à la mienne.
- Ecoute-moi, dis-je lentement. Je comprends que tu aies peur. Moi aussi je
m'inquiète. Mais je dois y aller comme les autres, sinon ce ne serait
pas juste. Si je pouvais, j'empêcherais également que tu te rendes
là-bas dans deux jours. Je tremble également à l'idée
de te perdre, qu'est-ce tu crois ? Mais ce n'est pas de nous qu'il s'agit. C'est
l'honneur d'Athéna qui est en jeu. Nous irons ensemble.
Il se leva doucement et pivota sur ses talons pour me faire face. Là,
il me serra contre lui désespérément. J'entendis sa voix
à mon oreille tandis que son souffle chaud balayait mes cheveux.
- Promets-moi que tu seras prudente, dit-il. Et aussi que tu reviendras saine
et sauve.
- Promets toi aussi, répondis-je. Pourquoi rester en vie si tu n'es plus
là ?
Il resserra un peu son étreinte.
- Petite futée, murmura-t-il. Entendu, je te le promets.
- C'est promis.
Les deux jours qui suivirent furent chargés d'une atmosphère
morne et glaciale malgré la chaleur du soleil d'Août. La tension
devenait parfois insoutenable parmi les chevaliers et chacun préférait
s'isoler dans son coin. C'était le moment où tous les doutes,
toutes les interrogations revenaient vous hanter. Nous étions comme des
condamnés à mort qui attendent les uns derrière les autres
pour monter à la potence et se balancer au bout d'une corde.
C'est dans ce malaise absolu que je compris que la petite mise en scène
d'Arès fonctionnait parfaitement bien. J'avais la très désagréable
impression de n'être qu'un pion qui réagissait exactement comme
il le voulait.
Le Pope nous avait déconseillé tout entraînement trop intensif.
En deux jours, nous n'avions aucun espoir de nous améliorer suffisamment
pour que cela change quelque chose. Mieux valait nous reposer pour le grand
jour. Ce qui, d'une certaine façon, était encore plus éprouvant
pour les nerfs. Pas moyen de se défouler efficacement. Nous étions
tous à fleur de peau, ce qui provoquait sans cesse des disputes pour
un oui ou pour un non. Encore une fois, mieux valait rester seul.
J'avais revu Aaron peu de temps plus tôt. Je ne doutais pas une seconde
de lui et sa réaction me donna raison. Quand il apprit le nom des chevaliers
d'or qui iraient se battre contre les Berserkers, il insista pour en faire partie.
- C'est ce que je leur ai dit Aaron, assurai-je. D'ailleurs nous avons bien
besoin d'un guerrier comme toi à nos côtés.
- Il n'est pas question que les Berserkers échappent à ma colère,
s'exclama-t-il. Ils regretteront de s'en être pris à ma famille
!
Je souris.
- Merci mon frère, tu es la limace la plus courageuse que j'ai jamais
vu de ma vie ! le taquinai-je. Ils tremblent déjà tous devant
toi !
- Gorgone.
Ce matin-là, l'aube était pour nous : un soleil rouge se leva.
L'astre paraissait annoncer les heures sanglantes qui allaient suivre. Je n'étais
pas particulièrement superstitieuse mais cette fois-ci, ce présage
me fit froid dans le dos.
Sur les douze temples sacrés, seuls ceux du Cancer et des Poissons avaient
encore leur gardien de la lignée des Ors. Toutefois, les autres chevaliers
furent rapidement dispersés dans le Zodiaque pour le paver de pièges.
La première maison - et donc la plus vulnérable - bénéficia
de deux chevaliers d'argent : Orphée et Eurydice - c'est comme ça
que nous avions surnommé Evie. L'Aigle et la Lyre, un rempart presque
inattaquable.
Le Loup et l'Hydre s'installèrent dans la maison des Gémeaux tandis
que celle de la Vierge héritait du Cygne et d'Andromède. Puis
le chevalier du Lionnet s'associa à Laïa pour garder le temple du
Scorpion, Ophiucus se chargea seule de celui du Capricorne et Orion prit la
maison du Verseau avec Ewen de Pégase. Enfin, le chevalier de la Grande
Ourse fut installé dans le palais pour protéger le Pope. A l'unanimité,
cette défense semblait parfaite étant donné nos moyens
plus que faibles.
Je vis bientôt les adieux et les embrassades se multiplier de tous les
côtés. La surprise me paralysa même quand j'aperçus
deux têtes rousses flamboyantes s'étreindre. Denon fit son au revoir
à Laïa avec effusion. D'abord étonnée de ce couple
si bien assorti, je finis par constater leur grande ressemblance physique. Puis
le doute me prit.
- Est-ce qu'ils sont... frère et soeur ??
- Bien sûr, s'exclama Roan. Il n'y a qu'une seule famille de rouquins
au Sanctuaire. Tu ne le savais pas ?
Mais je n'étais même plus capable de me réjouir pour telle
ou telle découverte. Mon esprit se focalisait de plus en plus sur un
prétendu bataillon de Berserkers qui auraient tous des visages monstrueux
et une armure couverte de sang. La tension montait de plus en plus parmi les
chevaliers d'or. On souhaitait presque que tout cela se termine le plus vite
possible. Nous étions tous les dix au pied du Zodiaque, j'embrassai Jonas
une dernière fois avant de partir.
- J'aurais aimé venir, avoua-t-il tristement.
- Protège le Sanctuaire pour nous petit frère, dis-je. Nous reviendrons.
Les armures dorées et les ailes d'Aaron luisaient face au soleil levant.
La ligne parfaite des dix guerriers était formée. Nous étions
prêts à partir.