Chapitre 24 : L'oeil de Bouddha
Timoklès étouffait de chaleur et Hector était recouvert
de glace. Les deux entités s'affrontaient depuis plusieurs heures et
chacun essayait de gagner un peu de terrain sur l'autre. Autour, les bois étaient
tour à tour gelés ou calcinés, noircis par le feu du Berserker
ou cristallisés par la glace du chevalier d'or.
Hector avait perdu une jambe, complètement prise par la glace et le Verseau
était brûlé à vif sur toute l'épaule gauche.
La bataille aurait pu durer des mois et des années sans que l'un des
deux ne prenne l'avantage. Les forces s'affrontaient, s'annulaient, se valaient.
Ils étaient de puissance égale.
Les deux adversaires se relevèrent en même temps et le cosmos écarlate
se libéra à l'instant où le doré se déployait.
- Eclair Rouge !!
- Poussière de Diamant !!
Alors tout bascula à nouveau et le feu rencontra la glace. Le tonnerre
éclata dans le ciel et la terre se mit à vibrer.
*
Mao marchait depuis un bon moment déjà lorsqu'il perçut
enfin une cosmo énergie non loin. Le Berserker l'avait repéré
lui aussi. Le chevalier de la Vierge avança calmement au milieu des arbres
et des rochers. Des bruits de pas ne tardèrent pas à lui répondre
et une silhouette se dessina à quelques pas.
Le guerrier vint vers lui et Mao nota l'énorme puissance qu'il dégageait.
Il ne pouvait pas le voir à cause de ses yeux fermés mais un regard
bleu électrique s'alluma dans l'ombre pour le toiser.
- Enfin un adversaire digne de ce nom, lâcha l'homme.
- Deimos, fit Mao.
*
Hector s'écroula, blessé à mort tandis que le sang ne
circulait plus dans ses membres frigorifiés. De l'autre côté
de l'arène, le chevalier d'or du Verseau ne pouvait plus tenir debout
et sentait que toute son énergie le quittait. Son corps brûlé
le faisait tellement souffrir qu'il ne réfléchissait plus correctement.
Pourtant les deux combattants se relèveraient encore une fois pour se
défier. Parce qu'il le fallait.
*
Le chevalier d'or du Sagittaire bondit à la vitesse de la lumière
et évita l'un après l'autre tous les éclairs qui fonçaient
sur lui. L'attaque du Berserker se multiplia brusquement et les éclairs
formèrent une immense chaîne d'énergie. Ooko réalisa
presque aussitôt qu'il avait fait exactement ce que son adversaire attendait
de lui. Tout à coup la langue électrique l'entoura et une douleur
atroce lui traversa le corps.
- Qui rit maintenant chevalier d'Athéna ? Es-tu toujours aussi sûr
de qui tuera qui ? railla le Berserker.
Ooko luttait contre les décharges qui crispaient ses membres et les gouttes
de sueur perlèrent peu à peu sur son visage.
- Tu es une larve entre mes mains ! s'exclama Yêhn.
- Vas... vas au diable Berserker ! lâcha le Sagittaire.
Au moment où l'intensité de la chaîne tripla de puissance,
Ooko ne put retenir un cri de douleur. Il chercha à se libérer
et ses gesticulations ne servirent qu'à renforcer le lien autour de lui.
Ce n'est que bien des secondes après que le Berserker daigna enfin le
relâcher et il s'écroula au sol, les oreilles encore teintantes.
Il secoua la tête pour essayer de reprendre ses esprits et sa vue redevint
enfin nette. Le sourire narquois du guerrier d'Arès le rendait malade.
Sa colère l'aida au moins à se lever et il se prépara à
repartir à l'attaque.
L'arcane du Berserker était impressionnante mais certainement pas imparable.
L'avoir pris de plein fouet pouvait constituer certains avantages. Ce n'était
jamais que des éclairs et il trouverait le moyen de les neutraliser.
En plus, Yêhn n'était pas particulièrement rapide. Ooko
avait constaté que le combat raproché n'était pas vraiment
sa spécialité. La preuve en était que son attaque était
parfaite à longue distance. Là était son point faible.
En revanche, il ne servait à rien d'essayer de la toucher de loin. Il
maîtrisait bien trop cette méthode.
Ooko visualisa à nouveau les éclairs de son opposant et réfléchit
à toute vitesse. Son regard balaya les alentours pour trouver un peu
d'inspiration mais tout à coup son attention fut attirée par l'aura
du Berserker qui recommençait à brûler. Le guerrier d'Arès
déclencha son attaque et le Sagittaire dut agir.
Il empoigna brusquement son arc et plaça sa flèche d'or avant
de se préparer à tirer. Yêhn émit un rire moqueur
et tonitruant. Les éclairs dansaient autour de lui, n'attendant qu'un
signal pour fondre sur leur victime.
- Ta flèche ne m'atteindra jamais chevalier ! lâcha le Berserker.
Commencerais-tu à paniquer par hasard ? Tu te mets à attaquer
comme un désespéré ? Tu ne me toucheras pas !
Le Berserker déclencha sa chaîne électrique. Ooko sourit.
- Je le sais très bien, dit-il. Mais ce n'est pas toi que je veux atteindre
!
Il banda son arc à l'extrême et soudain, dirigea son tir vers le
ciel. Puis il tira. La flèche d'or fila d'un trait vers une hauteur vertigineuse.
La chaîne d'éclairs sembla subitement aspirée par une force
supérieure et elle changea de direction pour aller toucher la flèche.
Le Berserker devint fou de colère et d'incrédulité.
- Non ! Ce n'est pas vrai ! C'est...
- Un paratonnerre, finit Ooko. C'est exact. Alors que vas-tu faire maintenant
sans tes éclairs ? Tant que ma flèche sera en l'air, ils seront
inutilisables.
Et tout à coup, le guerrier d'Arès comprit qu'il avait raison
et il réalisa également ce que cela voulait dire. L'aura du Sagittaire
explosa et le chevalier doré fondit sur son adversaire encore plus rapidement
que sa flèche.
- Le Galop du Centaure !!
Yêhn prit la boule de cosmos en pleine poitrine et vola en arrière,
porté par l'élan formidable. Tout son air fut expiré de
ses poumons d'un coup et la douleur paralysa son cerveau l'espace d'un moment.
Il fut incapable de crier mais ses pupilles rétrécirent d'effroi.
Cependant la flèche s'était mise à chuter vers le sol et
elle fila comme une étoile nimbée d'or pour venir se ficher aux
pieds d'Ooko. Alors celui-ci l'arracha de terre, la plaça sur son arc,
visa et tira. Le projectile fendit l'air en sifflant et se planta profondément
dans le coeur du Berserker qui réagit d'une ultime convulsion.
Quand le chevalier d'or du Sagittaire reprit ses esprits, son adversaire était
mort depuis longtemps. Il abaissa lentement son arc et avança vers le
corps inerte du Berserker. Puis il récupéra sa flèche,
recommanda l'âme de ce pauvre homme à Athéna et continua
sa progression vers le centre de la forêt.
*
Timoklès rassembla ses dernières forces et se jeta à corps
perdu dans la bataille, prêt à affronter son ennemi. Les attaques
se heurtèrent et ils furent repoussés encore une fois.
Hector retombait à peine au sol qu'il repartait déjà vers
sa cible et le Verseau se prépara. Cette fois, c'était la bonne.
C'était la victoire ou la défaite, pure et simple. L'aura glacée
l'entoura.
- Le Tonnerre de l'Aube !!
Hector fut submergé et il n'eut pas le temps de lancer son attaque en
entier. Son trait de feu percuta Timoklès et au même instant il
tombait.
Le corps du Berserker avait cessé de bouger et plus aucune trace de cosmos ne flottait autour de lui. Hector était mort. Alors, seulement à ce moment là, le chevalier d'or du Verseau se laissa chuter lourdement à terre et perdit connaissance.
*
Kan marchait toujours au coeur de la forêt et laissait les branches lui
fouetter le visage car il n'avait pas la force de les écarter. Il ne
savait pas trop s'il se dirigeait vers le bon endroit mais il n'avait pas le
courage de rebrousser chemin.
Il sentait plusieurs cosmos alentour et n'était pas sûr d'avoir
envie de savoir qui avait survécu tandis que d'autres étaient
morts. Lui était toujours là. Etait-ce normal ?
Il fut soudain stoppé par la manifestation d'un cosmos tout proche. Kan
savait qu'il n'avait rien d'amical. Brusquement l'homme en question apparut
devant lui.
- Ton chemin s'arrête ici, dit-il.
Le Bélier le détailla du regard et découvris un homme de
taille moyenne, plus petit que lui, avec d'épais cheveux couleur de sable
et des yeux foncés menaçants.
- Qui es-tu ? demanda sèchement Kan.
- On me nomme Rood, Berserker de la Haine, répondit-il. J'ai eu l'honneur
de faire la connaissance d'un de tes amis il y a peu. Le pauvre a du nous quitter.
Pour un Scorpion, il n'était pas très résistant.
Le chevalier doré se figea.
- Denon ? Tu as tué Denon ?
Rood sourit de toutes ses dents et Kan sentit une fureur noire monter en lui.
- Tu vas payer ce crime de ta vie, Berserker !!
*
Le coup pénétra dans son estomac avec une force qui faillit réellement
lui trouer la peau. L'air s'enfuit de sa poitrine et il cracha un filet de sang
avant de s'étaler de tout son long sur le sol. Son souffle eut beaucoup
de mal à revenir et il gémit de douleur malgré lui.
Deimos se tenait face à lui. Mao avait déclenché le "Trésor
du Ciel" contre lui et le Berserker avait tenu, bien que privé de
son odorat. Ses attaques étaient d'une puissance terrifiante et le chevalier
de la Vierge comprenait maintenant pourquoi Nakomo n'avait rien pu faire contre
lui. Il était vraiment le digne fils d'Arès. Il semblait conditionné
à tout, même à la douleur la plus terrible. Le coup de Mao
n'avait fait que le ralentir et la blessure était superficielle.
Le chevalier doré finit par se relever et fit à nouveau face au
Berserker de la Terreur.
- Tu ne vaux donc pas mieux que les autres ? railla Deimos. Je croyais pourtant
que la Vierge était l'un des chevaliers d'or les plus puissants ! Tu
ne m'amuses pas plus que ton pauvre compagnon du Taureau.
Mao savait qu'il allait devoir déployer toute sa puissance contre lui.
Cela ne lui arrivait que très rarement, cette arcane était dangereuse.
Pourtant là, il n'avait plus le choix, Deimos était un adversaire
redoutable.
Le chevalier de la Vierge joua de ses mains et se mit à composer d'étranges
signes avec ses doigts. Son cosmos grandit, se déploya autour de lui
et se gonfla encore d'une énergie inimaginable.
- Te voilà désespéré toi aussi ? se moqua le Berserker.
- C'est terminé Deimos, annonça Mao de sa voix profonde. Je vais
te porter un coup dont tu ne te relèveras pas. Tu as perdu.
Deimos se mit à rire.
- Oh, je vois ! C'est ta nouvelle attaque ! Laisse-moi deviner... Tu comptes
me faire mourir de rire, c'est cela ?
- Tu as fait ton choix, fit Mao. Je t'aurais prévenu.
Les voix de centaines de moines parurent résonner dans la forêt
en longues litanies de prières et soudain, Mao souleva les paupières.
Ses yeux couleur de mousse apparurent peu à peu et une lueur étrange,
divine, vint flotter dans ses prunelles. La sagesse pure s'y reflétait
et Deimos se retrouva paralysé.
- Je n'utilise ce coup qu'en cas d'extrême urgence, tu peux être
flatté, déclara le chevalier d'or.
Brusquement son aura s'amplifia encore de manière inhumaine.
- Tremble Berserker... Le Jugement de Bouddha !!
Soudain les yeux de Deimos semblèrent vouloir sortir de leurs orbites,
ses bras se plaquèrent contre ses flancs et ses muscles se crispèrent.
Le guerrier d'Arès chercha à se tortiller, le corps soumis à
une pression intolérable. Puis la douleur devint si forte, même
pour lui, qu'il se mit à hurler comme un possédé. Il enfonça
ses ongles dans les paumes de ses mains jusqu'au sang et tout à coup,
chacune des veines de son corps doubla de volume. Elles se mirent à éclater
un peu partout et sa peau devint bleue.
Deimos cria de plus belle, déchirant le silence et le ciel, faisant trembler
la terre. Le sang coula de son nez puis de ses oreilles et de ses yeux jusqu'à
ce qu'il s'effondre enfin, raide mort.
Aussitôt, Mao referma les paupières sur un pouvoir trop immense.