Chapitre 25 : La force d'une promesse
Je plantai mes talons dans le sol et stoppai l'élan qui me propulsait
en arrière. Un nuage de poussières me boucha un instant la vue
avant d'être dissout par le vent et je pus reprendre une respiration normale.
Aussitôt je constatai que ma chère armure avait encaissé
tout le coup à ma place. Une longue rayure barrait mon abdomen. Kan sera
content, songeai-je.
Le beau gosse en armure rouge se tenait toujours devant moi, pas vraiment trop
amoché lui non plus, à mon grand désespoir. Ce diable était
fichtrement rapide et il endurait les coups avec un zèle déconcertant.
Jusqu'à présent nous n'avions fait que balancer des attaques un
peu au hasard histoire de se familiariser avec le niveau de l'adversaire et
sa technique. Là il me semblait que c'était clair, c'était
un coriace. J'allais devoir passer à la vitesse supérieure. Et
trouver un moyen de neutraliser son arcane. Car je n'en avais vu qu'une seule
pour le moment.
- La demoiselle en aurait-elle assez ? lança-t-il soudain. Veux-tu abandonner
?
Ma colère monta d'un cran. Il m'agaçait prodigieusement avec ses
fausses manières de gentleman. Rien que pour cela, je me jurai de lui
donner la leçon de sa vie.
- Continue de rêver Berserker, rétorquai-je. Tu n'es pas prêt
de gagner ce combat, c'est moi qui te le dis !
Il esquissa un large sourire auquel j'aurais pu être sensible s'il n'avait
pas été aussi moqueur. Quel immonde et grossier personnage !
Brusquement je fis doubler le volume de mon cosmos et l'énergie emplit
mes membres alors que je me jetai sur lui. Il vit mon geste et exerça
à son tour une pression sur ses jambes pour s'élancer vers moi.
Visiblement il avait cru que j'attaquerai aussitôt car il prépara
la parade. Mais je n'en fis rien. A la place je fis augmenter ma vitesse et
ma lançai au corps à corps. Un instant surpris, il se ressaisit
et brandit un avant-bras pour parer mon pied qui filait vers sa tête.
Je tombai en arrière et pris appui sur mes mains pour balancer mes jambes
contre les siennes. Il avait vu la manoeuvre mais trop tard. Je fauchai ses
tibias sans pitié et il bascula en avant. C'est là que je devais
frapper. Mon cosmos flamboya.
- Excalibur !!
Mon bras trancha l'air en direction de son torse et le Berserker présenta
son bras au dernier moment. La lame de l'épée légendaire
découpa entièrement le pan d'armure qui protégeait son
bras jusqu'au coude. Puis il bondit en arrière et se dégagea,
le sang couvrant déjà sa peau jusqu'à sa main.
- Petite garce ! siffla-t-il.
Je lui offrit mon plus beau sourire.
- Tss, tss, tss ! Quel langage, monsieur ! raillai-je.
Il émit un grognement furieux.
- En voilà assez, je vais en finir avec toi, lança-t-il. Je vais
te montrer que les femmes n'ont rien à faire dans la chevalerie ! Tu
ne tiendras pas deux minutes face à toute ma puissance quand je l'aurais
libérée.
*
Arkon s'écrasa au sol et retourna la terre sur une distance de dix mètres.
Il mit du temps à se relever, le visage en sang pour se présenter
encore une fois face au terrible chevalier de la Balance.
- Tu vois bien que tu n'as aucune chance de l'emporter contre moi, s'exclama
Roan. Abandonne tant que tu le peux encore et je ne te tuerai pas.
Plusieurs secondes s'écoulèrent et le Berserker commença
à rire. Le chevalier doré resta complètement interdit.
- Que peut-il y avoir de si désopilant ? s'indigna-t-il. Est-ce que c'est
moi qui te fais rire par hasard ?
- Oui ! Oui, c'est toi chevalier ! Tu te crois vraiment invincible, n'est-ce
pas ? Tu penses être à l'abri dans ton armure d'or ? Tu t'imagines
que tu ne crains absolument rien ?
Roan contracta sa mâchoire.
- Je crois que les faits me donnent raison, non ? objecta la Balance. Ce n'est
pas moi qui pisse le sang.
Arkon essuya lentement le liquide écarlate qui coulait de sa bouche,
l'air toujours aussi satisfait.
- Physiquement peut-être que tu ne crains rien, admit le guerrier d'Arès.
Malheureusement pour toi, mon attaque spéciale n'a absolument rien de
physique. Tu as un énorme point faible chevalier !
- Vraiment. Et je suppose que tu le connais ? lâcha Roan, amusé
par ce ton prophétique.
Le Berserker commença à sourire de façon inquiétante.
- Oui.
Arkon recueillit un peu de son sang sur son menton et traça un signe
mystérieux sur sa main. Puis son cosmos se mit à brûler
avec une puissance incroyable.
- Tu te bats certes très bien, fit le Berserker, mais ton esprit n'y
est pas.
Roan se figea.
- Tu penses à autre chose, reprit Arkon. Tu trembles de peur pour quelqu'un
et c'est cela qui te perdra.
Soudain un rayon de lumière s'échappa de la main du guerrier écarlate
et vint frapper Roan au beau milieu du front. Alors le chevalier de la Balance
écarquilla les yeux devant la scène qui se déroulait devant
lui.
Il vit Sara submergée de coups et une puissance vertigineuse s'abattit
sur elle. Elle s'écrasa au sol, le corps criblé de blessures et
le sang s'étendit lentement sur le sol autour d'elle. Son armure tombait
en morceaux, elle ne pouvait plus se lever...
- Nooonnn !!! hurla Roan.
Arkon souriait toujours.
- C'est ce qui va arriver, dit-il. Elle va mourir, personne n'échappe
à la mort. C'est son destin.
*
Mon attaque ricocha contre la défense de Coll et il me la renvoya encore
plus puissamment. Elle me frôla et percuta un pan de mon armure avant
que j'aie pu me dégager. Je n'arrivais plus à respirer convenablement
et mes muscles me faisaient souffrir le martyre. J'avais réussi à
le toucher mais le Berserker s'accrochait et répondait de plus en plus
fort.
- Mer de Sang !!
Je ne pus rien faire.
L'attaque me balaya avec une force irrésistible et la douleur me perça
tout le corps comme des centaines de poignards. Je hurlai malgré moi
en percutant violemment le mur de la falaise. Je ne voulais plus qu'une chose
: que tout cela s'arrête. Mais Coll ne me libéra que bien plus
tard et je chutai sur le sol, tremblante et haletante de douleur.
- Tu vas mourir maintenant, déclara le Berserker.
Je déglutit un épais mélange de salive et de sang et levai
faiblement la tête vers lui.
- Jamais... soufflai-je. J'ai fait... une promesse et... je ne trahis jamais...
mes promesses...
*
Roan tomba sur les genoux devant la vision terrifiante de Sara rouée
de coups et défigurée. Il vit son adversaire se préparer
à l'achever, elle avait le visage en sang et était incapable de
réagir. Le Berserker déclencha toute sa puissance sur elle et
elle cria de douleur.
- Non ! Sara !! hurla-t-il. Sara !
Il ferma les yeux, referma ses poings sur ses cheveux et tira de toutes ses
forces. L'étau autour de son coeur se resserra encore et il crut devenir
fou. Elle ne pouvait pas mourir ! Il aurait du la sauver, c'était entièrement
de sa faute ! Il aurait du être là avec elle ! Il ne pouvait pas
la laisser mourir !
- Sara...
- Tu l'as perdue, fit Arkon. Elle est morte, c'est terminé. Tu ne la
reverras jamais, c'est trop tard. Le destin l'a reprise et à présent,
c'est ton tour...
*
Cette fois je décidai de ne plus fuir. L'attaque de Coll se dressa face
à moi et je fis exploser mon cosmos. L'aura dorée des chevaliers
d'or m'entoura et je plaquai mes mains, paume contre paume. La puissance courut
dans mes doigts au moment où la mer de sang s'abattait sur moi.
- Silver Wall !! criai-je.
Le bouclier d'argent apparut instantanément et la vague écarlate
éclata dessus à grand fracas. L'attaque de mon cher maître
Ezéchiel était vraiment très bien élaborée.
Elle égalait presque le "Cristal Wall" de Kan. Et surtout,
elle renvoyait les coups.
L'énergie du Berserker fut avalée par mon mur d'argent et renvoyée
aussitôt, décuplée par mon cosmos. Coll ne s'y attendait
pas du tout et sa propre attaque lui éclata en plein visage. Il partit
s'enfoncer dans le sol.
*
Le Berserker libéra toute la puissance de son illusion démoniaque
et le coeur de Roan s'arrêta l'espace d'un moment.
Le chevalier doré découvrit le corps étendu de Sara, mutilé,
ensanglanté. Ses yeux étaient grand ouverts sur une vision de
terreur. Elle ne bougeait plus.
Les larmes coulèrent sur les joues de Roan.
- Non... Non ! NON !! SARAAAAAA !
Arkon se tenait devant lui et prépara l'ultime coup maintenant que le
chevalier d'Athéna était à sa merci. Pourtant Roan entendit
une voix retentir dans sa tête. Promets-moi que tu seras prudente,
et que tu reviendras saine et sauve... Je te le promets... Je ne trahi jamais
une promesse... Pourquoi revenir si tu n'es plus là ? Petite futée...
C'est promis... Surtout n'oublie pas ta promesse...
Roan reprit doucement son souffle et reconnut enfin la voix de Sara qui lui
promettait encore une fois de survivre et de revenir pour le retrouver. Elle
le lui avait promis. Elle ne mentait jamais et elle reviendrait. Il avait confiance
en elle, elle tiendrait sa parole. Sara ne pouvait pas mourir, il le savait
pourtant. Oui, il le savait. Elle ne craignait rien.
Alors les affreuses visions finirent par s'estomper et la forêt réapparut
autour de lui. Puis soudain il vit le Berserker qui s'apprêtait à
le frapper.
Arkon balança son coup et abattit toute sa puissance sur sa victime à
ses pieds.
*
Je fondis sur Coll dans un dernier assaut. Il tenait à peine debout
avec le coup qu'il venait de prendre. Il me semblait bien que son bras était
cassé.
- Angel's Justice !!
Le Berserker le prit de plein fouet. Je l'entendis hurler de douleur et la lumière
devint aveuglante. Quand elle disparut, je découvris le corps immobile
du Berserker. Il était mort. C'était fini.
*
Arkon s'immobilisa et vit que le bouclier d'or avait stoppé son attaque.
Le cosmos du chevalier d'or de la Balance s'éleva vers le ciel comme
les flammes d'un brasier. Le Berserker aperçut alors l'épée
d'or refléter la lumière devant ses yeux. Le coup fila dans l'air
sans un bruit.
La tête d'Arkon tomba sur le sol dans un bruit mat et quelques secondes
plus tard, c'est son corps qui s'effondrait aux pieds de Roan.
*
J'avais gagné. Maintenant je n'avais plus qu'à trouver ce fourbe
d'Arès.
La tension du duel retomba et peu à peu les sons et les odeurs de la
forêt me revinrent. Il régnait un calme incroyable pour un champ
de bataille. J'eus soudain peur pour tous mes compagnons. Je n'y résistai
pas et fermai les yeux pour ressentir toutes leurs auras.
C'est ainsi que je découvris que Nakomo, Sedeth et Denon étaient
morts alors que Timoklès flottait de justesse aux portes des Enfers.
Les autres étaient faibles mais encore en vie. Un toutefois perdait dangereusement
en intensité.
- Kan... soufflai-je, inquiète.
Son cosmos diminuait de plus en plus. Il n'avait plus la force de continuer
le combat.
- Non ! Kan tu dois vivre, murmurai-je.
Il avait une famille à présent. Ne le savait-il pas ? Un doute
affreux me parvint soudain : et si Aria ne lui avait rien dit ? Je devais faire
quelque chose. Aussitôt, j'essayai de l'appeler par la pensée,
en espérant qu'il m'entendrait.
Kan n'avait plus la force de se relever. Il allait mourir et ne pouvait rien
faire contre ça. Il ferma simplement les yeux pour se laisser aller.
Mais tout à coup, une voix lui parvint.
- Kan, relève-toi ! s'écria Sara. Je t'en supplie,
bats-toi !
Pourquoi ? songea-t-il. Il n'en avait ni la force, ni l'envie. Il allait mourir.
Voilà tout.
- Non Kan ! Penses à ton fils, tu dois vivre pour lui et pour Aria
!
Le Bélier se figea.
- Mon... Mon fils ? murmura-t-il.
- Ton fils qui naîtra bientôt. Il a besoin de son père.
Kan sentit un drôle de sentiment l'envahir. Son fils... Il allait bientôt
naître... Aria était enceinte !
*
Le dieu tout habillé de noir rugit de fureur et frappa de toutes ses
forces l'accoudoir de son siège qui se brisa en une centaine de morceaux.
Cet Arès était donc un incapable !! Ne faisait-il jamais rien
correctement ? Il perdait comme un débutant contre les chevaliers du
Sanctuaire !
- Maître ?
Le Spectre se tenait à genoux devant lui.
- Devons-nous appliquer le plan ? demanda-t-il.
Le dieu grogna de rage.
- Oui, dit-il enfin. Faites comme prévu.
- Bien Seigneur, fit le Spectre en s'inclinant.
Et il disparut dans un nuage de fumée.