Chapitre 27 : Les âmes tristes
Le retour au Sanctuaire avec tous les corps de nos compagnons tombés au combat fut douloureux. Nous étions partis à dix et nous revenions avec trois morts, deux blessés graves et Kan qui ne tenait plus debout tout seul. Mais nous avions gagné, je supposais que c'était une bonne chose. Je n'arrivais toutefois pas à prononcer un seul mot de tout le trajet.
Nous arrivâmes tard le soir pourtant ils étaient tous là
à nous attendre. Ce fut un choc pour beaucoup. Laïa fondit en sanglots
devant le cadavre de son frère, Aria se précipita sur Kan, on
emmena Aaron et Timoklès à l'infirmerie. Ce fut la pire nuit de
toute ma vie. Je ne voulais plus penser aux Berserkers et pourtant je continuais
de voir du sang et des blessures partout. Je voulais oublier les Spectres, les
Anges et Zeus mais la voix du roi des dieux me répétait sans cesse
ce que je ne voulais plus entendre. Et Jonas...
Cette nuit-là je m'éloignai seule vers mon temple, sans un mot
pour m'enfermer et reposer mon esprit surmené. Mon armure regagna sa
place malgré ses nombreuses éraflures et je m'écroulai
sur mon lit, épuisée. Alors j'éclatai enfin en larmes.
Roan dut comprendre que je voulais être seule car il ne vint pas me rejoindre.
Au milieu de la nuit, alors que je m'étais enfin assoupie, quelque chose
me réveilla. Une petite boule de lumière dorée flottait
dans les airs face à moi et émit un tintement de clochette. Je
déglutis, sachant parfaitement ce que cela voulait dire. Puis je hochai
la tête en direction de la sphère lumineuse et elle disparut. Je
me levai, sortis de mon temple, déployai mes ailes et m'envolai.
*
Les jours suivants furent baignés de tristesse et d'incertitude. Aaron
et Timoklès ne s'étaient toujours pas réveillés,
on avait enterré les morts et comble de tout, Sara avait disparu. Elle
resta invisible pendant trois jours et Roan fut incapable de la retrouver. Ni
Aaron, ni Orphée ne pouvaient l'aider, il ne supportait plus cette situation.
Une peur irrationnelle lui tenaillait le ventre.
Une sorte de calme était enfin retombé sur le Sanctuaire, en grande
partie parce qu'il n'y avait plus une seule larme à verser. On se relevait
doucement de ses blessures. On essayait de reprendre une vie normale.
*
Le chevalier de la Balance s'était tenu sur le toit de son temple durant les trois jours où Sara resta introuvable. De là, il voyait tout le Sanctuaire. Il espérait voir une silhouette voler au-dessus de lui... Et puis enfin, il repéra quelque chose qui fit accélérer les battements de son coeur. Il fut au pied du Zodiaque en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire.
Il la regarda longuement sans rien dire. Elle était là, devant
lui, à quelques pas. Elle ne portait plus sa tunique noire mais une longue
toge blanche à l'ancienne. Ses ailes avaient déjà disparu.
Le vent faisait voler ses interminables cheveux dorés. Il plongea le
regard dans ses grands yeux noirs si doux et put y lire de la tristesse mais
aussi de l'amour, su soulagement et de la joie. Elle était si belle !
Sa peau claire était toujours constellée des millions de taches
de rousseur qu'il n'avait jamais réussi à compter. Il sentit une
douce chaleur envahir son coeur. Elle était revenue...
*
Je le regardais et il me semblait que je pouvais me noyer dans ses yeux verts.
Son beau visage était si doux... Je comprenais maintenant qu'il m'avait
attendue pendant tout ce temps et le soulagement m'envahit. Je me blottis contre
lui, tellement heureuse que je ne pouvais plus parler. Je savais que je l'avais
fait souffrir et je me détestais pour cela.
- Pardonne-moi, murmurai-je le visage enfoui dans sa chemise.
Il me serra contre lui avec force, comme pour m'empêcher de partir à
nouveau. Pour ne plus jamais me lâcher. Je le sentis embrasser mes cheveux
et levai la tête pour lui présenter mes lèvres.
*
Aaron se réveilla le lendemain de mon retour et je dus lui raconter
tout ce que Zeus m'avait révélé ainsi que le sort d'Orphée
maintenant prisonnier des Enfers. Il était tombé dans un piège
d'Hadès, même le pouvoir de Zeus ne pouvait l'en sortir. A l'instant
où il avait touché cette flamme, c'était comme s'il avait
signé un pacte. Un pacte en bonne et due forme, qu'on ne pouvait résilier.
Sans lui, je ne reconnaissais plus notre groupe, il y avait un vide et je ne
m'en remettrai jamais. Pas plus qu'Aaron.
Je finis en lui disant que moi, j'étais maintenant au service d'Athéna,
pour le meilleur et pour le pire mais que lui, il pouvait encore revenir à
Babel. Zeus le reprendrait de bon coeur parmi ses Anges.
Mon dernier frère m'écouta sans rien dire durant près d'une
heure et quand j'eus fini, hocha simplement la tête. Zeus nous avait joué
un beau tour, j'espérais qu'il allait le laisser tranquille dorénavant.
Aaron avait beaucoup trop souffert de cette manipulation. Mais Zeus m'avait
rendu un de mes frères, il l'avait sauvé et c'était tout
ce qui comptait pour moi. Quant à Jonas, nous le pleurâmes longtemps.
*
Aaron fit son choix. Quelques jours plus tard, après le temps de deuil
par respect pour nos morts, une nouvelle cérémonie fut organisée
par le Pope. Elle fut moins grandiose que la première mais les chevaliers
d'or tinrent à y mettre les formes. Ils respectaient et aimaient énormément
mon frère à présent. Ils avaient trop d'admiration pour
lui pour bâcler la cérémonie.
Cette fois, il se retrouva devant le Pope et s'agenouilla avec le plus grand
respect du monde. Le maître du Sanctuaire souleva l'épée
d'or de la Balance et répéta les mêmes gestes avant de demander
à Aaron de prononcer ses voeux. Le sang de mon frère coula sur
la lame en or et il déclara sans hésiter :
- Je jure, sur mon honneur et par le fer sacré que je tiens de lui accorder
ma fidélité, ma loyauté et mon courage. Si je venais à
me dresser contre elle en rébellion, je demande à ce que ce fer
sacré me transperce le coeur.
Le Pope fit brûler son cosmos et le sang disparut instantanément.
- Relèves-toi chevalier. Athéna t'a reconnu comme l'un des siens.
Reçois ton nouveau nom pour ta nouvelle vie...
Brusquement Aaron sursauta et une lumière s'alluma dans le Zodiaque.
L'étoile fonça sur le palais et s'éleva au-dessus de mon
frère. Je souris et l'armure d'or du Lion vint le recouvrir sous les
tonnerres d'applaudissements tonitruants, les sifflements et les cris de joie.