Chapitre 28 : Maternité

 

Le ventre d'Aria s'arrondissait peu à peu sous les regards attendris de tout le Sanctuaire. Kan semblait aux anges - si je puis dire - et tout le monde s'amusait de le voir aussi excité. Cela faisait quatre mois à présent et je n'avais jamais vu Aria aussi resplendissante. Elle me rendait presque jalouse...

Un matin, je me réveillai en sursaut, une sensation désagréable me serrant l'estomac. Ce geste sortit Roan de son sommeil et il se redressa d'un bond, les cheveux hérissés sur sa tête.
- Hein ? Quoi ? Qu'est-ce qu'il se passe ? bégaya-t-il.
Je ne pus répondre et soudain je plaquai une main sur ma bouche avant de partir en courant hors de la chambre.
Roan me suivit, un peu inquiet et me retrouva penchée sur une bassine, en train de rendre mes tripes. Heureusement, je n'avais encore rien mangé.
- Sara, tu te sens bien ? s'inquiéta Roan alors que je me rinçais la bouche.
Je repris lentement mon souffle et souris malgré moi.
- Oui... fis-je. Je crois... Je crois que je suis enceinte moi aussi.
Il se figea, les yeux ronds et je crus un instant l'avoir assommé. Je m'apprêtais à la voir tomber dans les pommes mais il n'en fit rien. Il ouvrit et ferma la bouche plusieurs fois d'affilée comme un poisson hors de l'eau sans pouvoir émettre un son. Puis l'usage de sa voix lui revint.
- En... Enceinte ? répéta-t-il. Cela veut dire que...
Je souris, les larmes aux yeux.
- Oui, on va avoir un petit bébé !
A ces mots, un immense sourire illumina son magnifique visage et il me serra dans ses bras avec passion avant de me faire tournoyer dans les airs. J'éclatai de rire et il se mit à recouvrir tout mon visage de baisers.

Une double grossesse plongea le Sanctuaire dans une euphorie encore jamais vue. Je reçus des félicitations de tout le monde, même le Pope et Aria m'embrassa avec chaleur. Aaron, lui, n'arrivait pas à le croire. Il posa une main sur mon ventre, semblant se demander s'il y avait bien un bébé à l'intérieur.
- Mon neveu est là-dedans ? fit-il. Bien au chaud, à l'intérieur ?
Je me mis à rire.
- Oui !
Il sourit, aussi heureux que moi.
- Je suis sûr que ce sera un petit gars bien costaud comme son papa et son oncle ! s'exclama-t-il. Comment vas-tu l'appeler ?
- Euh... Je ne sais pas encore, je n'y ai pas réfléchi. Et puis je ne sais pas si ce sera une fille ou un garçon, dis-je.
Je regardai mon frère avec le plus grand sérieux.
- Par contre, quoi que ce soit, je voudrais que tu sois son parrain Aaron, déclarai-je.
Je continuais de l'appeler Aaron malgré son nouveau nom, car pour moi, il serait toujours mon grand frère Aaron.
Il s'immobilisa, pétrifié et après une seconde, il sourit.
- J'en serais ravi !

Quelques mois plus tard, mon enjouement déclina quelques peu lorsque j'entendis les cris de douleur d'Aria en train d'accoucher. Elle avait été transportée à l'infirmerie un beau matin de son neuvième mois de grossesse et le travail durait déjà depuis plus d'une heure. Les infirmières ainsi que Laïa et moi soutenions la future maman trempée de sueur qui poussait des hurlements à glacer le sang.
- Courage Aria ! fis-je. Tu y es presque !
- Penses à ton petit bébé, renchérit Laïa. Dans quelques minutes, tu pourras le tenir dans tes bras !
Aria essaya de sourire, à bout de souffle.
- Je n'en peux plus !
Mais ce devais être pire pour le futur papa qui tournait en rond comme un lion en cage dans la pièce d'à côté. Roan et Aaron essayaient de le rassurer et de lui remonter le moral mais les hurlements incessants d'Aria semblaient lui arracher des morceaux de lui-même.
Je sortis un moment plus tard pour leur assurer que tout se passait bien et aussi pour souffler. Ils se précipitèrent vers moi.
- Sara ! s'exclama Kan. Alors ça y est ? Il est né ? Aria va bien ?
- C'est tellement long ! renchérit Aaron.
Je souris faiblement.
- Tout se passe pour le mieux, assurai-je. Le bébé sera bientôt là et Aria s'en sort bien. Il faut patienter encore.
Kan soupira, prêt à devenir fou. Ce devait être très difficile pour lui aussi. Je savais que je lui demandais l'impossible en lui disant de patienter encore mais il n'y avait rien à faire de plus.
Roan me prit soudain par le bras et m'obligea à m'asseoir.
- Tu as l'air épuisé toi aussi, dit-il doucement. Tu es sûre que ça va ? Ce n'est peut-être pas très bon pour toi que tu assistes à cet accouchement.
Il passa une main sur mon ventre gros de six mois. Je gonflais à vue d'oeil. J'avais l'impression de peser des tonnes et d'être plus large qu'une grosse vache.
- Oui, ça va, ne t'inquiète pas, le rassurai-je. Je prends des notes pour quand ce sera mon tour !
Il sourit et déposa un baiser sur mon front.

Ce n'est que bien plus tard que les cris suraigus du nourrisson retentirent dans toute l'infirmerie pour manifester son mécontentement. Dès lors tout se passa très vite et après quelques minutes, Laïa déposa le bébé lavé et emmailloté dans les bras de sa mère complètement exténuée mais plus heureuse qu'elle ne l'avait jamais été.
Enfin les hommes furent autorisés à entrer et Kan découvrit son fils qui prenait sa première tétée. Il embrassa Aria et observa le bébé, les larmes aux yeux. Le nouveau petit homme avait déjà un fin duvet brun sur le crâne et deux minuscules points rouges ornaient son front à la place de ses sourcils.
Un long silence ému plana sur nous et les nouveaux parents échangèrent un regard. Kan me regarda et Aria sourit.
- Sara... On voudrait, Aria et moi, que tu sois sa marraine. Si tu le veux bien, dit-il solennellement.
J'en restai sans voix une minute.
- Oh... Je... Bien sûr ! m'exclamai-je folle de joie. Rien ne me ferait plus plaisir ! Merci beaucoup !
Le papa me mit le nourrisson dans les bras et je le manipulai maladroitement. Il dormait.
- Il est tellement mignon ! fis-je.
A ce moment-là, le bébé dans mon ventre réagit et me donna un coup de pied.

Le petit homme devint le centre d'intérêt de tout le Sanctuaire et la fierté de ses parents. Le Pope le bénit, lui donna son nom et dès lors, il ne se passa pas un jour sans que le nouveau né ne reçoive une visite. Moi-même je ne pouvais m'empêcher de venir le voir. Il ressemblait déjà incroyablement à son père même s'il avait hérité des cheveux bruns bleutés de sa mère. Ses yeux étaient d'un magnifique bleu nuit que je ne me lassais pas d'observer. Je me disais sans cesse qu'un de ces jours, c'est moi qui devrais me mettre au travail. Pour un si beau bébé, cela en valait bien la peine.

Il arriva toutefois quelque chose que personne n'avait prévu. Ma grossesse devint difficile et les complications surgirent. J'approchais de mon neuvième mois et les infirmières du Sanctuaire ne savaient pas trop quoi faire. Elles ne comprenaient pas ce qui m'arrivait et on commença à s'inquiéter sérieusement. Je souffrais un peu plus chaque jour.
- Faites quelque chose, bon sang ! s'écria Roan, mort d'angoisse, aux infirmières. Vous ne voyez pas qu'elle souffre !
- Ce n'est pas de notre ressort, je suis désolée, lui répondit-on.
Je me tordais de douleur et mes cris s'entendaient dans tout le Sanctuaire.
- Il faudrait l'emmener chez moi, objecta un jour Lee. Je suis sûr que mon maître pourrait l'aider. Il a de grandes connaissances en médecine.
- En Chine ? lâcha Roan. Tu es sûr qu'il pourra faire quelque chose ? C'est trop risqué, on ne peut pas...
- Roan ! coupai-je, haletante. Il faut faire quelque chose ! Je n'en peux plus !
- Mais... fit-il.
- Ne discute pas ! criai-je à cause d'une nouvelle contraction.
Il semblait hésiter. Le chevalier des Poissons lança un regard interrogateur vers Kan.
- Il va accepter ? demanda-t-il.
Kan esquissa un léger sourire.
- Oui, assura-t-il. Il faudrait une bonne dose d'inconscience pour contrarier Sara alors qu'elle en est à son neuvième mois de grossesse !
Roan finit par soupirer.
- Bon d'accord, admit-il.
Lee acquiesça.
- Je peux vous téléporter tous les trois, dit Kan. Je veillerai à ne pas trop la secouer.
Roan hocha la tête à son tour.
- Très bien, il faut prévenir le Pope.
- Je m'en occupe, fit Aaron. Faites le maximum.
Tout fut prêt en moins d'une heure alors que j'allais de plus en plus mal et que je me tortillais comme un asticot épinglé sur un plateau. La douleur me tenaillait tellement que j'avais l'impression que mes entrailles étaient en bouillies. C'était l'enfer. Aucune position ne me soulageait, je ne savais plus quoi faire.

Le voyage n'eut rien de très bon non plus mais les paysages grandioses de Chine eurent au moins le mérite de me changer les idées. Le maître de Lee vivait quelque part dans la profonde campagne de ce vert pays et nous fûmes rapidement à destination grâce aux pouvoirs de Kan.
Le vieux chinois nous accueillit chez lui de bon coeur et me fit installer dans une petite chambre qui sentait l'encens et les herbes séchées. Chacun des petits meubles qui s'y trouvaient étaient faits de bois ou de bambous.
Lee avait raison. Le vieux médecin savait quoi faire et il me prépara aussitôt une tisane à base de plantes que je n'avais jamais vu de ma vie. Mais j'étais prête à tout pour me débarrasser de cette douleur. L'homme se mit ensuite à palper mon ventre de ses doigts ridés et exerça une pression sur quelques points stratégiques, ce qui pour effet de ma calmer sensiblement.
- Le travail a déjà commencé, remarqua le vieil homme.
Roan vint se placer près de moi et prit ma main pour la serrer dans les siennes.
- Vous pouvez faire quelque chose ?
- Vous êtes arrivés juste à temps, dit le chinois. Il va me falloir plusieurs choses. Lee, pourrais-tu aller chercher quelques plantes dans la cuisine...

En assistant à l'accouchement d'Aria, je m'étais dit que rien ne pourrait être plus terrible. Maintenant, il y avait quelque chose de bien pire : mon propre accouchement. La douleur me compressait tout le ventre et remontait jusque dans ma tête pour faire exploser mes tempes. J'étais en sueur, les cheveux collaient à mon visage et je haletais plus que si j'avais couru pendant des heures. Les contractions me labouraient les entrailles à intervalles de plus en plus rapprochés et chaque fois, je plantais férocement les ongles dans les mains de Roan qui ne savait plus quoi faire et paraissait sur le point de hurler avec moi.
Une seule minute me semblait aussi longue que toute une heure et je criai de toutes mes forces jusqu'à me casser la voix. Je me demandais si je pourrais tenir assez longtemps. Les forces me manquaient, la douleur me terrassait.
- Encore un effort, me dit le vieux médecin. La prochaine sera la bonne, j'ai pu voir sa tête.
Cette nouvelle me donna un véritable coup de fouet. Je pensais soudain au moment où je pourrai enfin tenir mon enfant dans mes bras. Cela me tardait tellement !
Roan embrassa mon front et serra ma main. Je voyais dans ses yeux que le seul fait de me voir dans cet état le faisait autant souffrir que moi. Il aurait enduré la douleur à ma place s'il avait pu, je le savais.
- Courage Sara, me dit-il. Tu vas y arriver, je le sais. Tu n'as jamais baissé les bras devant une difficulté, tu ne vas pas commencer maintenant.
J'attendis que passe une nouvelle contraction et repris mon souffle. Je manquais d'air.
- Ton fils... m'en fait déjà voir plus que les Berserkers d'Arès...
Il rit doucement.
- Comment sais-tu que c'est un garçon ? me demanda-t-il.
- Je... Je le sens... Je suis sa mère après tout... pantelai-je.

Une dernière contraction finit par me libérer et je retombai lourdement sur la couchette, épuisée. Soudain un long cri retentit dans l'air et je réalisai au milieu d'un épais brouillard de fatigue que c'était celui du bébé. Il était là, ça y était ! C'était fini !
Le vieux chinois tenait un petit corps nu dans ses bras couverts de sang et me sourit.
- Vous avez beaucoup de chance, fit-il.
Il amena le bébé devant nous et je découvris le minuscule corps gigotant entre ses mains. C'était un petit garçon. Il était encore tout barbouillé de sang et autres liquides visqueux mais quelque chose retint mon attention. Le sang sur sa peau fripée dessinait de petites rayures comme sur la fourrure d'un fauve. Tout son corps était strié de lignes rouges.
- C'est un bon présage, expliqua le vieil homme. En Chine, les enfant-tigres sont considérés comme sacrés. Votre enfant aura une longue vie et une santé de fer.
Je souris, perdue dans la contemplation du nourrisson qui hurlait à pleins poumons pour montrer sa contrariété de se retrouver soudain les fesses à l'air. Je n'avais jamais été aussi heureuse de ma vie. Roan, lui, n'avait plus de voix et observait son fils en pleurant de joie.
J'avais trouvé un nom pour notre enfant.

Je ne savais comment remercier le vieux maître de Lee mais il semblait aussi heureux que nous. Ses soins avaient fait des miracles et je me sentais beaucoup mieux. Je ne pouvais plus quitter mon bébé d'une semelle et Roan était dans le même état que moi.
Il fallut attendre un peu pour rentrer au Sanctuaire car j'étais trop faible pour le moment. Je ne fus autorisée à me lever que plusieurs jours plus tard. D'après Kan, tout le monde au Sanctuaire attendait de mes nouvelles et de celles du bébé. Celui-ci devenait la deuxième mascotte des chevaliers d'Athéna.
Les deux nouveaux nés n'avaient que sept mois d'écart, ils seraient élevés ensembles, comme des frères et je savais qu'ils deviendraient tous les deux des chevaliers très puissants ainsi que des serviteurs loyaux d'Athéna.
Je savais aussi que de terribles combats et batailles les attendaient. C'était le destin des chevaliers d'Athéna et rien ne pouvait changer cela. Mais je savais aussi que tant que je serais là, avant de devoir tenir ma promesse envers Zeus, je ferai tout pour les protéger. Moi et tous les membres de leur grande famille.