Chapitre 32 : Feintes

 

Il s'efforça de ne pas trop remuer alors qu'il comptait les guerriers qui l'encerclaient. Une goutte de sueur dévala sa colonne vertébrale et fit courir un frisson le long de son dos. Ils étaient plus d'une dizaine. Des Berserkers mais aussi de simples soldats sans compter le général, celui qui arborait un grand casque à crête. Angelo sentait la terrible puissance qui émanait de lui. C'était l'un des deux fils d'Arès. Phobos ou bien Deimos, il ne parvenait pas à trancher.

L'embuscade avait été incroyablement bien préparée. Evidemment, une fois que Jabu aurait dit aux chevaliers d'Athéna que Shunreï et Mikérinos étaient en danger sur la plage, ils s'y seraient tous précipités. Mais il allait de soi également que les chevaliers d'or ne pouvaient tous venir. Athéna n'aurait jamais pris le risque de laisser le Zodiaque sans protection aucune. Arès savait cela. Et les Berserkers se trouvaient donc en surnombre. Le massacre des chevaliers du Sanctuaire pouvait commencer. L'embuscade était très rapide et très efficace. Aucune chance à la victime.

Angelo, chevalier d'or du Cancer, essayait de rester stoïque dans son humiliation. Chacun des Berserkers haut gradés présents avait autant de puissance que n'importe lequel des douze gardiens du Zodiaque. Et même s'il tentait quelque chose contre eux, il serait aussitôt arrêté par les soldats. Il était piégé. Il fallait qu'il se calme et qu'il réfléchisse. Il y avait cinq Berserkers dont l'un était le général, le fils d'Arès. Quatre autres possédaient une puissance moindre : l'équivalent probable de leurs chevaliers d'argent. Sûrement des lieutenants. Les autres devaient être de simples soldats, ils étaient du niveau des meilleurs chevaliers de bronze. Une vraie petite armée.

Angelo sentit soudain la lame presser un peu plus fort sur son cou et il tressaillit.

- Qui es-tu ? demanda le général.

- Dis-moi ton nom Berserker et je te dirai le mien, grogna-t-il malgré lui.

Le Cancer n'avait pas tôt fait de finir sa phrase qu'il la regrettait déjà. Soudain, le Berserker alluma son cosmos. L'entaille sur la gorge d'Angelo se fit plus profonde et le liquide vermeil s'écoula lentement sur les pans dorés de son armure. Autour d'eux, les Berserkers, les lieutenants et les soldats grinçaient des dents. Les lames se remirent à scintiller au soleil.

- Tu es bien insolent chevalier doré, siffla le fils d'Arès à son oreille. Je ne crois pas que tu sois en mesure de poser tes conditions. Tiens ta langue ou je te la couperais.

Le chevalier du Cancer serra les dents. La colère lui nouait douloureusement l'estomac. Si seulement il avait pu...

- Je t'ai posé une question, lâcha encore le général d'un ton tranchant.

- Je suis le chevalier d'or du Cancer, le quatrième gardien du Zodiaque d'Athéna. Mon nom est Angelo, dit-il à contrecoeur.

La fureur du Berserker parut s'apaiser légèrement.

- Bien. Il est d'usage de connaître le nom de l'homme que l'on s'apprête à tuer. Tu es le premier de la future longue liste que nous préparons, tu peux être fier.

Angelo se figea en sentant la toute puissante aura du Berserker s'enflammer. Le nuage rouge grandit de plus en plus jusqu'à les envelopper totalement. Tout à coup, l'épée du guerrier s'éleva dans les airs dans un éclair écarlate.

- Un vrai combattant meurt debout, dit l'homme. Adieu, chevalier.

Angelo eut un haut-le-coeur. Il était déjà trop tard. La lame s'abattit sur lui.

 

*

* *

 

Mikérinos bascula lourdement sur ses jambes et les sentit aussitôt trembler de fatigue. Heureusement, la poigne de fer du chevalier Phénix le maintint debout. Son coeur manquait de plus en plus souvent un battement, sa puissance s'atténuait dangereusement, l'oxygène ne circulait plus dans ses veines. L'Artiste se contracta brusquement.

- Tiens bon, fit Ikki.

Mikérinos se laissa soulever car il n'avait plus la force de faire quoi que ce soit. Même ses paupières, il ne pouvait plus les garder entièrement ouvertes et les couleurs se mélangeaient sur le paysage dans un monstrueux enchevêtrement de mosaïques délavées. Quand il voulut recentrer son propre poids au-dessus de ses pieds pour se tenir droit, ses muscles protestèrent et il cracha un nouveau filet de sang. Phénix l'entoura d'un bras puissant et l'appuya contre son épaule. L'Artiste aurait voulu lui témoigner sa reconnaissance mais il en était incapable.

- Les chevaliers d'or sont au courant de tout, ne t'inquiète pas, expliqua-t-il. En attendant, il faut que je te mette en sécurité. Où est Shunreï ?

Mikérinos sentit une fois de plus l'aiguillon de douleur s'enfoncer dans son coeur sans que son état physique y soit pour quelque chose. Une incontrôlable envie de hurler le submergea ; heureusement il n'en avait pas la force. Il ne sut si Ikki comprit à son seul silence que l'irréparable était arrivé. Mais Phénix ne posa plus de question. L'Artiste le sentit qui le soulevait une fois de plus et ils commencèrent à avancer.

 

Il faisait son possible pour ne pas penser à elle. Il se faisait violence pour chasser de son esprit l'image de son corps mutilé couvert de sang. Il s'efforçait d'oublier qu'il était responsable de sa mort. Mais cela ne pouvait cacher l'évidence : tout allait recommencer. Il le savait. Toute cette douleur, tout ce désespoir. Tout ce vide. Et cela, il ne pourrait pas le supporter une fois de plus. Il préférait mourir.

L'Artiste n'était plus conscient des pas que faisait Ikki à sa place, ni de la distance qu'ils parcouraient. Ils n'iraient de toute façon pas bien loin. Cela n'avait plus d'importance. Et les dieux étaient peut-être de son avis car ses prédictions se réalisèrent aussitôt.

Au début, Mikérinos ne perçut qu'un souffle brûlant dans son dos. Puis le choc les percuta à moitié au moment où Ikki bondissait pour éviter l'attaque. Quand ils atterrirent sur un rocher, l'Artiste poussa un gémissement de douleur. Son coeur repartit in extremis, faiblement. Mikérinos ne voyait plus rien que cette fatigue accablante auréolée d'une sourde douleur. Douleur dans sa tête, douleur dans son coeur. Phénix lui disait quelque chose mais il ne comprenait plus. Phobos venait sûrement d'apparaître, Mikérinos aurait bien voulu pouvoir ouvrir les yeux pour juger de la situation par lui-même. Il sentit simplement qu'on le déposait au sol, assis contre un rocher. Il eut à peine le temps de comprendre qu'Ikki s'éloignait de lui et l'inconscience le happa. L'Artiste cessa de lutter, il se laissa juste sombrer avec soulagement. Son corps bascula au sol, son coeur s'arrêta définitivement.

 

*

* *

 

Le chevalier d'or du Cancer vit l'épée du général d'Arès fondre sur lui au ralentit. Il eut le temps d'apercevoir l'éclat doré du soleil passer sur la lame, il vit le fil tranchant et menaçant du métal, il vit la lourde garde de bronze basculer dans le vide, serrée par la main du Berserker. Et tout à coup, le temps se débloqua, tout s'accéléra, Angelo tressaillit. Le bras du fils d'Arès se transforma en comète, auréolée de cosmos écarlate.

Tout à coup, un cri trancha l'air de la plage, lourd de douleur et de colère mal contenue. Le chevalier du Cancer réagit aussitôt et leva vivement la tête pour voir le Berserker bondir en arrière tandis que son épée tombait sur le sable. Un éclair doré attira alors le regard d'Angelo et il comprit.

La flèche d'or du Sagittaire s'était fichée au centre de la main du général, la traversant de part en part au milieu d'une tache de liquide vermeil. La silhouette fière et majestueuse d'un ange doré venait d'apparaître au sommet des falaises. Angelo émit un petit soupir de soulagement.

- Il était temps, grommela-t-il. Je déteste servir d'appât.

Autour de lui, il n'y avait plus aucun bruit parmi les soldats du dieu Arès.

- Je vous conseille de ne pas trop faire de gestes brusques, intervint calmement la voix profonde de Kanon. Cela peut devenir douloureux.

Le chevalier du Cancer pivota sur ses talons pour découvrir que chacun des Berserkers avait été immobilisé par un chevalier d'Athéna. Kanon avait placé une lance en or sur le cou de sa victime. A côté, Aldébaran, Aioros, Aiola et Camus avaient eux aussi hérité de l'une des douze paires d'armes en or de la Balance et l'avaient posée sur l'un ou l'autre des différents points vitaux de leur prisonnier. Hyôga et Seiya les accompagnaient ainsi que quelques chevaliers d'argent menés par Marine.

Le fils d'Arès paraissait fou de rage. Ses yeux lançaient de terribles éclairs alors qu'il cherchait à arracher la flèche en or de sa main.

- Un piège, gronda-t-il. Comment...

Angelo lui fit face, l'air impassible.

- L'ennui avec les traîtres, coupa-t-il, c'est qu'ils trahissent. Sans arrêts.

Le général écarlate poussa un rugissement de rage. D'un geste sec, il ôta la flèche rougie par le sang de la paume de sa main.

- Vous me le paierez... ! tonna-t-il.

- Rendez-vous, lança Aiola. Vous êtes immobilisés, c'est terminé.

 

*

* *

 

Ikki vit, impuissant, l'Artiste chuter lourdement sur le sol alors que ce qu'il restait de son énergie vitale s'évaporait. Il n'eut malheureusement pas le temps de lui porter secours car la grande silhouette du fils d'Arès apparut d'un coup à quelques pas. L'énergie écarlate bouillonnait dans l'air. Phénix serra les poings, fou de colère contre cet homme qui n'avait visiblement aucun scrupule à attaquer un adversaire qui ne pouvait pas se défendre. Mikérinos était dans un tel état... !

Le Berserker avançait lentement vers lui, aussi menaçant qu'un fauve, les yeux flamboyants. Ikki promena rapidement un regard circulaire alentours : il n'y avait aucune trace du deuxième homme dont il avait senti la présence un peu plus tôt. Où était-il donc ?

- Chevalier d'Athéna, lança soudain Phobos. Je n'ai qu'un conseil à te donner : ne te mêle pas de cela. Ôte-toi de mon chemin, j'ai reçu l'ordre de tuer cet homme et de rapporter sa tête à mon maître. Cela ne te concerne en rien.

Phénix fronça les sourcils.

- Je regrette de ne pas être arrivé plus tôt, dit-il. Il y a longtemps que je cherche à rencontrer les responsables de tout ce cauchemar.

Il fit brûler son cosmos de plus en plus fort.

- Si tu veux prendre la tête de l'Artiste, il faudra d'abord me passer sur le corps, j'aime autant te prévenir.

L'aura du Berserker explosa à son tour.

- A ta guise ! rugit-il.

 

*

* *

 

Shion se raidit sur son grand fauteuil lorsque les larges portes de la majestueuse salle du trône s'ouvrirent. Sur sa droite, Saori se tenait droite et fière sur son trône, son sceptre à la main. Pour tout autre que lui, elle aurait pu sembler impassible. Mais le Grand Pope avait appris à connaître la jeune réincarnation de la déesse Athéna et il ne savait que trop bien qu'elle était bouleversée. Il le voyait à la rigidité de ses mains blanches, à la raideur de sa nuque délicate, à la brillance de ses yeux profonds. Et surtout, il le sentait. Parce qu'elle n'avait que quatorze ans, parce que ses chevaliers venaient de partir pour un combat à mort et parce qu'elle devait aujourd'hui faire le procès de l'un de ses plus vieux compagnons. Oui, Shion l'admirait. De tout son coeur.

Face à eux se tenait maintenant Jabu, chevalier de la Licorne, mains liées dans le dos par de lourdes chaînes, encadré par deux puissants chevaliers d'or. Dohko de la Balance et Saga des Gémeaux avaient mis un genou à terre, tête basse devant leurs supérieurs. Mais Jabu était resté debout, droit et fier lui aussi. Malgré la garde rapprochée et les liens, Shion avait tenu à poster des chevaliers d'argent et de bronze aux portes du temple et dans la pièce. Comme Athéna, il n'ignorait rien de ce qu'il s'était passé dans le temple du Bélier quelques minutes plus tôt. Personne ne pouvait plus l'ignorer.

- Déesse Athéna, Grand Pope, salua Dohko.

Saga inclina la tête pour signifier les mêmes mots et Shion acquiesça sobrement derrière son masque.

- Merci à tous les deux, dit Saori sans bouger un seul muscle.

Les deux chevaliers d'or comprirent le message et ils se redressèrent pour faire un pas en arrière. Jabu demeura alors seul face à la justice divine.

Le silence tomba sur l'immense pièce ; écrasant, assourdissant. Athéna ne bougeait pas. Son regard clair et perçant était rivé sur le Bronze Saint ; elle ne cillait pas. A quelques pas, Jabu était immobile, la tête levée vers elle. Chacun des deux défiait l'autre du regard. Durant quelques secondes interminables, le monde entier cessa de tourner.

Shion serra lentement les poings pour que ses doigts cessent de trembler, pour lutter contre cette pression insoutenable qui l'empêchait de réagir. Il retint son souffle en observant le chevalier de la Licorne qui n'avait toujours pas baissé les yeux. Il le regardait, il le fixait, il priait pour qu'il cède enfin, pour qu'il se soumette, pour qu'il ravale cette odieuse insolence. Mais Jabu demeurait debout, droit et fier encore. Et encore.

L'attente était devenue intolérable. Shion refoula la vague bouillonnante qui tourbillonnait quelque part en lui, sachant que la prochaine serait toujours plus forte, toujours plus violente et qu'elle finirait par le faire hurler. L'électricité qui planait dans l'air dressait les cheveux de sa nuque, lui arrachait des frissons glacés. Mais Jabu était encore debout. Encore droit. Encore fier. Le Grand Pope aurait voulu tourner la tête vers sa déesse, la supplier, l'implorer d'arrêter tout cela. Pourtant quand il voulut bouger, ses muscles restèrent paralysés. Tout était devenu si lourd que ses os paraissaient sur le point de se briser. Il ferma les yeux, se plongea dans l'obscurité, seule échappatoire qu'il pouvait encore trouver.

C'est alors que dans le noir, il vit un éclat doré, comme un éclair silencieux. Quand Shion rouvrit les yeux, il aperçut le sceptre d'Athéna qui s'élevait lentement dans les airs entre les mains de Saori. Soudain, l'aura de la déesse envahit tout le palais de sa douce chaleur dorée. Le bras de la jeune femme s'abaissa d'un coup et son sceptre frappa sourdement contre le sol de marbre. Aussitôt, le corps de Jabu parut se raidir et il tomba brusquement à genoux en étouffant un gémissement de douleur. Sa tête se baissa péniblement, comme si elle agissait contre sa volonté. Puis la tension s'évanouit d'un coup.

Shion mit plusieurs secondes à comprendre que c'était fini. Enfin, il relâcha sa respiration, son corps se détendit, il émit un petit soupir de soulagement. Ce fut comme si un énorme poids lui était ôté et il vit tous les chevaliers présents dans la salle se détendre eux aussi.

Le visage d'Athéna, devenu plus serein, s'abaissa brièvement en signe d'approbation.

- Relève-toi, chevalier de la Licorne, déclara-t-elle calmement.

A ces mots, Jabu cessa de trembler, la force qui contraignait son corps disparut. Il se redressa, légèrement essoufflé, le regard haineux. Shion lui aussi reprit une pose plus noble sur son siège et se prépara pour le début du procès.

 

*

* *

 

Angelo avait stupidement baissé sa garde en pensant que les Berserkers, maintenant encerclés et maîtrisés, allaient se rendre sans faire d'histoires. Car il ne restait que leur général, le puissant fils d'Arès, qui fût encore libre de ses mouvements. Malgré sa main blessée, traversée de part et part par la flèche du Sagittaire, son regard sombre flamboyait de fureur et d'humiliation avec toujours plus d'intensité. Le chevalier du Cancer lui avait à nouveau fait face, dans l'attente qu'il reconnaisse sa défaite.

Ce n'est qu'en ressentant la très légère oscillation dans l'intensité de l'aura ennemie qu'Angelo comprit son erreur. Brusquement, le général écarlate brandit sa main valide et il y eut un éclair couleur de sang. Le chevalier du Cancer sentit l'explosion se répercuter en vibrations dans tous ses os et il bondit par réflexe sur son côté droit. Aussitôt, dans les rangs des Berserkers comme dans ceux des chevaliers d'Athéna, ce fut la panique. Le nuage de fumée, de feu et de sable envahit tout, obligeant chacun à changer ses positions. Angelo serra rageusement les dents en se redressant.

- Ne les lâchez pas !! cria-t-il pour couvrir le bruit du vacarme.

Mais le mal était fait. En quelques secondes, la position de force des chevaliers d'Athéna bascula. Angelo vit Kanon se mettre à courir dans la mêlée, sa lance à la main et l'armure de son frère sur le dos. Sa vitesse ahurissante eut bientôt raison de deux des plus faibles soldats du groupe qui tombèrent sur le sable, la nuque brisée. De toutes parts, les attaques avaient commencé à fuser, les combats s'étaient engagés. Aldébaran, Aioros, Aiola et Camus faisaient face aux bras droits du fils d'Arès. Les cosmos crépitèrent furieusement.

Angelo se remit prestement sur ses jambes et jeta un coup d'oeil à son flanc gauche qui le faisait souffrir. Le coup du général avait été d'une puissance extraordinaire. Mais il n'eut malheureusement pas le temps de s'apitoyer davantage sur l'état de sa blessure. Tout à coup, une aura bouillonnante emplit son espace vital et il releva rapidement la tête pour rencontrer un regard torve.

- Voilà qui est un peu plus équilibré, grinça le Berserker. Qu'en dis-tu chevalier du Cancer ?

Angelo plissa les yeux.

- Qui es-tu à la fin ? gronda-t-il.

Le général esquissa un sourire grimaçant.

- Je suis le fils aîné du dieu Arès. Retiens bien le nom de celui qui aura raison de toi : je suis Deimos, Berserker de la Terreur.

 

*

* *

 

Ikki accéléra et évita de justesse la comète lumineuse qu'était devenue l'attaque du Berserker. Le souffle brûlant le frôla une fois de plus et le chevalier du Phénix grimaça de douleur. Mais il refusa de ralentir pour autant et son coup partit à son tour à la vitesse de la lumière.

- Que les ailes du Phénix t'emportent !! cria-t-il.

Phobos ne bougea pas d'un pouce. Ikki vit que ses pieds étaient fermement plantés dans le sol. Soudain le Berserker fit exploser son cosmos et brandit ses mains en avant. Ahuri, Phénix le vit essayer d'encaisser son attaque de plein fouet. Brusquement, une immense colonne de feu tourbillonna autour du fils d'Arès, déclenchant une onde de choc meurtrière. Phobos fit brûler son aura plus fort, son cri s'éleva dans l'air alors qu'il tentait de contenir ce chaos d'énergie. Bientôt, ses pieds creusèrent de profonds sillons dans la terre. Il recula d'un mètre, puis deux et encore et encore. Son visage contracté se couvrait de sueur.

La colonne de flammes baissa lentement d'intensité, Ikki crut l'espace d'un instant qu'elle allait finir par s'éteindre et que Phobos parviendrait à la contenir. Mais soudain, le Berserker poussa un hurlement et ses bras s'élevèrent d'un coup vers le ciel. Le tir de Phénix se retrouva alors dévié et l'explosion de lumière partit s'achever dans les airs.

Phobos haletait, les mains encore rougies et fumantes. En face, Ikki mit une seconde à recouvrir ses esprits. Puis il rétablit sa position de défense, le visage fermé et impassible.

- Bien... pantela le Berserker. Il semblerait... que... je t'aie sous-estimé... chevalier.

- Il semblerait, oui.

- Cela ne se reproduira plus... Nous nous ressemblons beaucoup trop pour cela, chevalier du Phénix. Car c'est toi, le légendaire chevalier Phénix, n'est-ce pas ?

Ikki demeura immobile.

- Tu as bien deviné, admit-il. Je m'appelle Ikki et je suis effectivement le chevalier de bronze du Phénix. Prépare-toi car tu ne résisteras pas aussi longtemps à ma prochaine attaque.

A son grand agacement, Phobos lui répondit d'un petit sourire moqueur. Le cosmos orangé d'Ikki s'enflamma. Soudain, il bondit.

 

Cette fois, Ikki choisit de défier l'autre au corps à corps. Il ne connaissait pas encore la véritable puissance du Berserker et c'était la meilleure façon de le mettre à l'épreuve. Peut-être pourrait-il le prendre de vitesse... Mais il ne prendrait pas le risque de le sous-estimer, l'enjeu était trop important. Il était la dernière barrière entre le fils d'Arès et Mikérinos. En espérant que l'Artiste resterait en vie suffisamment longtemps. Ikki refusait de croire qu'il puisse être mort.

L'excitation du combat faisait courir des fourmis dans ses doigts. Phénix serra et desserra les poings plusieurs fois et tout à coup, son cosmos doubla de volume autour de lui. Il partit plus vite, soulevant un nuage de poussières dans son sillage. En face, Phobos était prêt. Brusquement les deux comètes se percutèrent et Ikki abattit son poing avec la force de la foudre. L'impact dégagea une pluie d'étincelles. Phénix ouvrit les yeux pour découvrir le brassard métallisé qui s'était dressé sur son chemin. Mais le Berserker s'était déjà reprit et il balança aussitôt sa contre-attaque.

Phénix vit le coup de poing filer à l'extrême gauche de son champ de vision. La chaleur qu'il dégageait était tout bonnement ahurissante. Le chevalier de bronze fit un pas de côté pour l'esquiver. Phobos avait un coup d'avance. Soudain le bras du guerrier se replia et c'est son coude qui partit en un éclair vers le flanc du chevalier. Ikki réalisa trop tard que le côté de son coeur était vulnérable. Il n'avait plus le temps de s'écarter. Au dernier moment, le genou de Phénix s'éleva jusqu'à sa poitrine et l'attaque du Berserker s'écrasa sur son tibia, le faisant dangereusement vibrer. Ikki n'attendit pas qu'il se remette de sa surprise. D'un coup, il balança sa jambe pliée en avant et son pied fondit vers la poitrine de Phobos. Pourtant, le bras du guerrier vint s'interposer encore une fois, à la dernière seconde. Le Berserker fut violemment projeté en arrière, il dut poser une main à terre pour ralentir sa chute et ne pas perdre l'équilibre. Puis il se redressa, les yeux étrécis par la contrariété.

- Tes enchaînements ne sont pas mauvais, reconnut-il dans un grognement.

Ikki reposa son pied gauche au sol et fit circuler un peu de cosmos dans ses veines pour se tenir en alerte.

- Tu parles trop, Berserker.

Phobos ne répondit pas tout d'abord. Puis après un instant, il leva les mains en hauteur et entreprit d'ôter son casque de guerre. Phénix l'observa le déposer par terre et se retourner pour lui faire face. Cette insulte raviva la colère du chevalier de bronze.

- Tu as raison, chevalier Phénix, dit-il alors que ses longs cheveux bruns étaient soulevés par le vent. Il est temps d'arrêter de bavarder. Et si nous commencions ce combat ?

Ikki serra les dents jusqu'à en avoir les oreilles qui sifflent. Il vit rouge. A nouveau, les deux boules de cosmos en fusion fondirent l'une sur l'autre dans un flash aveuglant. Brusquement, les coups fusèrent de chaque côté, comme une pluie de rochers. Ikki enchaîna prise sur prise et balança ses poings sans une seconde d'arrêt. En face, les attaques de Phobos partaient comme des boulets de canon et Phénix dut jouer sur ses jambes, accélérer, avancer, reculer encore. La pluie devenait de plus en plus dense. Il esquiva le plus rapidement possible mais les coups et les impacts se multipliaient sous ses yeux sans qu'il puisse réagir. Tout à coup, un trait enflammé frôla sa joue et il se pencha sur sa droite. Aussitôt une deuxième attaque le faucha en plein abdomen et il fut éjecté en arrière.

Le chevalier retint une exclamation de douleur lorsqu'il s'écrasa au sol et sentit les rochers lui labourer le dos. Il reprit péniblement son souffle, impressionné malgré lui. Quelle vitesse et quelle puissance... C'était inimaginable. Il alliait les deux avec la même facilité qu'un chevalier d'or. Sa technique paraissait sans faille. C'était effrayant.

Ikki se hissa difficilement sur ses jambes pour faire face à son terrible adversaire. Phobos n'avait que de vagues éraflures.

- Tu es physiquement imbattable, réalisa doucement Phénix.

Le Berserker sourit.

- C'est exact. Jamais tu ne pourras rivaliser à la fois en force et en vitesse avec moi. Ma technique est complète.

Le chevalier de bronze serra les poings convulsivement. Il n'avait pas tout à fait tort.

- C'est évident, reconnut-il.

Lentement, son cosmos orangé se remit à briller. Soudain, Ikki s'élança, son poing s'auréola d'un nuage brûlant et il disparut.

- L'illusion du Phénix !!

Il vit le Berserker tressaillit et s'immobiliser au moment où le trait de lumière transperçait son front. Ses yeux s'écarquillèrent juste avant que ses pupilles ne se vident de toute expression.

- Que... Qu'est-ce que... Comment... ?

Phénix se redressa doucement et se tourna vers lui.

- Tu as raison, Berserker. Tu es physiquement invincible, déclara-t-il.

La bouche du fils d'Arès s'ouvrit très grand mais le cri n'en sortit jamais. Ikki attendit un instant de voir son corps se mettre à trembler par convulsions violentes. Peu à peu, les membres de Phobos se crispèrent, une veine apparut au milieu de son front. C'est alors que le chevalier de bronze se mit à marcher pour s'arrêter juste devant lui.

- Tu vas vivre ton pire cauchemar, expliqua-t-il froidement. Si ton esprit y survit, tu n'auras plus aucune chance de me vaincre.

Il ne sut si le Berserker l'avait entendu ou si sa conscience avait sombré trop tôt pour cela. A peine eut-il fini de parler que le guerrier échappa un long gémissement. Soudain, il se prit la tête dans les mains et ses doigts se crispèrent violemment. Il empoigna ses cheveux bruns et brusquement, poussa un terrible hurlement de bête, le visage renversé vers le ciel.

Phénix assista au spectacle sans bouger, comme il en avait pris l'habitude longtemps auparavant. La souffrance de ses ennemis lui était indifférente. Il avait trop travaillé pour qu'il en soit autrement. Il n'aurait aucune pitié. Il regarderait son adversaire céder lentement à la folie, sans bouger.

Le guerrier était à genoux. Les veines saillaient de son cou, de ses mains, de son visage aux yeux révulsés. Il remuait faiblement et se tortillait sur le sol, en vain. Ikki l'observa se soulever par convulsions. Lentement, Phobos fut comme redressé par une force inconnue. Son torse bascula en hauteur, ses genoux se déplièrent. Au moment où il fut suspendu, debout dans les airs, inerte, Ikki tressaillit.

- Que se pass...

La tête du Berserker pendait mollement contre sa poitrine mais il se tenait droit, à plusieurs centimètres du sol. Tout à coup, une nuée, comme un brouillard noir vint s'enrouler autour de lui en formant une spirale. Interdit, Phénix recula d'un pas, incapable de comprendre ce qu'il se passait.

Phobos fut bientôt entièrement recouvert par le nuage noir et tout son corps prit une couleur plus sombre. A ce moment-là, il se crispa à nouveau et commença à tournoyer sur lui-même. Ses membres bougeaient tous seuls, comme si quelque chose les contrôlait. Puis il y eut ces sinistres bruits de fissure. Ikki écarquilla les yeux en découvrant les cornes qui poussaient sur le front du guerrier. Dans son dos, deux énormes renflements libérèrent soudain une immense paire d'ailes noires. Quand le Berserker releva la tête, Phénix eut un terrible haut-le-coeur.

Le visage de Phobos avait laissé la place à une sorte de masque infernal monstrueux et multicolore. Le diable avait d'immenses yeux cerclés de rouge et les crocs parsemaient sa gueule souriante.

- Comment... Comment as-tu... ? bégaya Ikki.

Brusquement la créature disparut et un ricanement trancha l'air. Phénix se figea en fouillant les alentours d'un regard fébrile. L'affolement le prit au moment où un détail lui revint à l'esprit.

- Mikérinos ! s'écria-t-il en faisant volte-face.

Quelque chose s'enroula autour de ses jambes et il s'écrasa violemment à terre. Il gémit en sentant sa jambe émettre un craquement lugubre ; la douleur passa comme un éclair dans tous ses nerfs. Mais c'est quand il releva la tête que l'expression d'horreur lui échappa.

La créature se remit à rire. Elle leva doucement une main en hauteur et tira d'un geste l'épée qui pendait à sa ceinture. Tout se passa très vite alors. Ikki vit l'Artiste allongé, inconscient, aux pieds du Berserker. Il vit la lame de bronze scintiller au soleil comme une étoiles vengeresse. Il la vit tomber dans un sifflement. Il vit le corps de l'Artiste tressauter. Et il vit la tête brune ensanglantée rouler au sol dans un océan vermeil.

Phénix hurla.

Le puissant rire rauque s'éleva dans l'air, de plus en plus grave, de plus en plus fort.

- Décidément, Ikki, il y a beaucoup de morts parmi les gens que tu es sensé protéger.

Le chevalier de bronze échappa deux larmes quand une image lointaine et presque oubliée s'imposa à son esprit. La chevelure blonde de la jeune fille virevoltait avec le vent. Elle lui sourit. Puis elle se retourna lentement et se mit à courir, à s'éloigner de plus en plus dans sa robe à fleurs rouges. Rouges. Une mer de liquide écarlate qui recouvrit tout son corps lorsque l'homme la foudroya d'un seul geste. Le rire rauque revint briser le rêve et tout à coup, Ikki découvrit la créature accroupie devant lui.

- J'ai raison, n'est-ce pas ? dit-elle. Regarde Phénix, regarde ta plus grande faiblesse dans les yeux. Fais au moins cela...

Le Berserker au masque monstrueux éleva sa main gauche et lui présenta la tête coupée de Mikérinos qu'il tenait par les cheveux. Les yeux dorés de l'Artiste étaient vides et écarquillés, sa peau couverte de sang. Phénix plongea malgré lui dans ce regard mort et se sentit aspiré. La douleur lui transperça le coeur et il chuta à une vitesse vertigineuse. Chuta dans le néant.

Ikki hurla.

Le rire résonna dans sa tête une fois de plus, comme des coups de marteau. Le chevalier de bronze chercha son air, haletant. Il battit des paupières pour faire réapparaître le paysage. Quelqu'un riait.

- Quel effet cela fait-il Phénix...

Le visage de Phobos apparut devant lui, humain à nouveau.

- ...de vivre son pire cauchemar ?

- Un... cauchemar ? balbutia Ikki, pétrifié.

Cette fois, la réalité reprit le dessus sur l'illusion. Il réalisa qu'il était debout, immobile devant le Berserker, devant les montagnes, loin du Sanctuaire, au milieu des rochers. L'Artiste était toujours allongé là où il l'avait laissé. Il n'avait dû s'écouler qu'une minute ou deux. Phénix respira profondément.

- Tu m'as retourné mon illusion, comprit-il.

- Jolie perspicacité, médita Phobos d'un ton narquois.

- Tu as fait exprès d'ôter ton casque, grogna Ikki. Ce n'était pas de la provocation mais une tentation. Tu voulais que je te lance mon attaque.

Phobos sourit.

- Ta réputation t'a précédé, chevalier Phénix. Tu ne me crois pas idiot au point de venir affronter ton illusion sans moyen de défense ?

Il fit un pas vers lui et Ikki réalisa que ses membres tremblaient encore, qu'il ne s'était pas tout à fait remis de l'illusion.

- Tes muscles vont être tremblants pendant quelques minutes encore, juste le temps de terminer le spectacle, expliqua le guerrier.

Phénix se figea tandis que le Berserker marchait lentement pour venir se placer derrière lui.

- Tu as vécu un cauchemar grâce à ta propre illusion. Maintenant, tu vas découvrir l'enfer. L'enfer d'assister à une scène que tu connais déjà par coeur sans pouvoir faire un seul geste...

Ikki ne put réfléchir davantage. Brusquement, le deuxième Berserker, un homme à la crinière verte hérissée, se matérialisa à côté du rocher contre lequel gisait toujours l'Artiste. Il tira lentement son épée de bronze. Phénix écarquilla les yeux.

- Si cela peut te consoler, murmura Phobos à son oreille, l'Artiste était déjà mort.

Il se mit à rire. Soudain, l'homme éleva son épée en l'air. Elle scintilla comme une étoile. Elle tomba dans un sifflement.

 

*

* *

 

- Par les cercles d'Hadès !!

Angelo sentit le torrent de puissance s'écouler dans ses veines, électriser ses doigts et faire bouillonner l'air autour de lui. Le tourbillon de puissance parut avaler toute l'atmosphère. Soudain, il balança ses deux mains en avant et la vague de cosmos partit dans un éclair de lumière qui ouvrit le sol sur son passage. L'onde de choc souleva une rafale de vent destructrice. Face à lui, le Berserker de la Terreur avait fait exploser son cosmos écarlate. Son attaque était partie au même moment, en faisant trembler la terre. Tout à coup, les deux tourbillons se percutèrent, se contrèrent, se repoussèrent. Le chevalier d'or serra les dents, enfonça plus profondément ses pieds dans le sable et fit brûler davantage de cosmos, envoya davantage de puissance. La force qui le repoussait était presque inhumaine. Les deux rayons se renvoyaient mutuellement dans un flot de lumière aveuglante.

La chaleur que dégageait l'épicentre de la tornade lui brûlait la peau. Angelo ferma les yeux pour ne surtout pas lâcher prise, pour oublier ses muscles en feu qui hurlaient de douleur. Deimos ne céda pas un centimètre de terrain, ne recula pas d'un pouce. Son énergie destructrice semblait sans limite. Le Cancer savait qu'ils ne pourraient pas tenir éternellement comme cela et il ne pouvait vraiment pas se payer le luxe d'un affrontement épique et légendaire de mille jours. La postérité devrait attendre, il lui fallait gagner ce combat, même si cela signifiait mourir.

Autour d'eux, les combats faisaient rage de tous côtés. Angelo percevait vaguement les cosmos de ses compagnons, les terribles débauches d'énergie qui rongeaient lentement les rochers de la plage, qui balayaient le sable sur leur route. Les cadavres jonchaient le sol déjà. Des Berserkers et des chevaliers. Ils baignaient tous dans d'immenses mares de sang. Rouges. Toujours rouges. Kanon, Aiola, Aldébaran, Aioros, Camus, Marine, Seiya, Hyôga... Toutes les énergies se mêlaient dans un chaos inextricable.

Deimos avança un pied et le planta férocement dans le sable avant de pousser un cri de bête sauvage. Aussitôt, un nouveau flot de cosmos vermeil vint enfler le rayon déjà énorme qui affrontait celui du gardien du Zodiaque. Angelo sentit ses genoux plier et il gémit de douleur. Le Berserker gagna plusieurs mètres de terrain.

- Abandonne ! cria le fils d'Arès. Tu ne gagneras pas contre moi !

Le chevalier du Cancer se redressa péniblement et ouvrit lentement ses yeux brûlés par les ruissellements de sueurs qui coulaient de son front. La colère lui noua l'estomac, il en eut la nausée.

- Sache, stupide Berserker... haleta-t-il. Sache qu'un chevalier d'Athéna... n'abandonne jamais...

Il referma les yeux. Il se laissa plonger dans l'obscurité. Il chuta au plus profond de lui-même, là où il pouvait apercevoir le cosmos, le soleil de lumière dorée qui le maintenait encore debout. Il se concentra, s'approcha de l'étoile, du visage angélique de sa déesse. Soudain, la petite porte intérieure s'ouvrit et la débauche de lumière devint meurtrière.

L'onde de choc s'étendit d'un coup autour de lui, comme la pulsation d'un coeur immense et invisible. Angelo rouvrit brusquement les yeux et la vague d'énergie envahit tout son corps. Son aura enfla, doubla de volume, flamboya dans un brasier titanesque. Les flammes dorées montèrent jusqu'au ciel, envahirent les pupilles du chevalier du Cancer qui se dilatèrent. Tout à coup, le barrage céda.

- LES CERCLES D'HADES !!