Chapitre 4
* Sion*
Un bruit de papier froissé teintait de temps en temps. J’avais chaud. Je m’éveillai progressivement même si j’étais encore extrêmement fatigué. Mes yeux découvrirent le plafond blanc d’une pièce, enfin cela devait être cela car tout restait noyé dans le flou. J’étais allongé, mes doigts sentaient le contact d’un tissu épais sous eux. Ma tête douloureuse roula un peu sur le côté tandis que ma vue se précisait peu à peu. J’identifiai alors l’origine du son qui m’avait tiré de mon sommeil. Dohko se tenait assis à mon chevet, un livre conséquent sur ses genoux, absorbé par sa lecture, un mèche retombant sur son front et masquant un peu l’un de ses yeux. Seuls ces derniers se mouvaient, parcourant à grande vitesse les pages fines. D’un geste vif, il tourna l’une d’elle. Il dû se rendre compte que je l’observais avec intérêt car il releva la tête vers moi, m’offrant à nouveau le vert profond de ses yeux. Il sourit et referma son ouvrage qu’il posa sans bruit sur le sol.
-« Comment ça va ? »
Je grimaçai, ce qui le fit rire un peu.
-« Ouais, pas génial en effet, hein ? Tu m’étonnes, tu étais dans un sale état. Maître Shaolin t’a soigné mais il faudra sans doutes plusieurs jours pour que tu te remettes complètement. »
J’aimais beaucoup le son de sa voix, chaleureuse aux intonations étranges. Je hasardai une question que je dus reformuler car à l’expression se marquant sur le visage de Dohko, je compris que ce que je venais de prononcer avait dû être inintelligible.
-« Que s’est-il passé ? »
Il prit un moment avant de répondre.
-« Tu as enflammé ton cosmos à son paroxysme sans doute, quand nous avions atteint la maison du Taureau.
- Cosmos ?
- Oui, ce qui est à l’intérieur de toi ! Tout le monde en a un, cependant, seuls les chevaliers savent le sublimer.
-Les chevaliers… »
Cela me revint en mémoire. La confusion qui s’était emparée de mon esprit, l’effroyable puissance que mon corps avait vomi, la jeune fille qui s’était tenue devant moi ignorant ma menace et qui m’avait pris dans ses bras, moi le meurtri, épongeant de son propre corps les souffrances qui émanaient du mien. Mon regard revint sur Dohko assis en tailleur sur sa chaise, son menton reposant dans sa main. J’étais heureux qu’il n’ait rien.
Dohko, celui qui était aspirant chevalier.
-« Tu n’aimes pas les chevaliers, Sion ? »
Il m’avait percé à jour. Je sursautais. Il avait lu sur mon visage… Ou dans mes pensées… Comme mon père.
-« Je… C’est à cause d’elle.
- Elle ? Qui donc ? »
Son nom m’écorcha les lèvres. Oui, elle que je détestais tant.
-« Athéna.
- Athéna ? »
Mes mots tombèrent comme un couperet, le faisant sursauter à son tour.
-« Je la hais.
- Sion !! », s’écria-t-il, « tu ne peux pas dire ça, tu ne dois pas dire ça !! Athéna, elle…
-Elle… Elle nous a abandonnés, elle a laissé mourir ma famille, tous les deux, c’est comme si elle les avait tué, elle m’a abandonné ! Cette déesse odieuse, je la hais !!
- Alors c’était donc ça ? », prononça une voix calme ce qui nous fit tourner la tête vers l’encadrement de la porte. Shaolin se tenait debout, les bras croisés, ses cheveux ébènes relevé par une pince travaillée laissant filtrer quelques mèches fines le long de son visage.
Son regard grave cherchait le mien que je fixai sur mes mains. Elle avança dans la pièce et s’assit sur le bord de mon lit.
-« Pourquoi dis-tu qu’elle a tué ta famille ? »
J’eus un moment d’hésitation. Mon père avait toujours voulu garder son existence secrète de même que ses activités aux yeux des gens. Mais elle était chevalier, détentrice de l’une des armures sacrées qu’il réparait.
-« Mon père a voué toute son existence au service d’Athéna, il était l’un des plus grands Alchimistes de notre Peuple, le seul sur cette terre a avoir assez de science pour pouvoir réparer et redonner vie aux armures de ses chevaliers, et…
-Ton père était l’Alchimiste « ensorceleur d’Armures » Mekirôh ? »
Je hochai la tête.
-« Elle l’a laissé mourir, elle n’a pas cherché à le relever, moi, je n’ai pas suffi pour lui faire redresser la tête quand ma mère est morte. Elle l’a laissé, parce qu’il ne devenait plus bon à rien pour elle, parce qu’il devenait sans doute encombrant. Elle ne m’a pas aidé quand j’ai subi tout ça, ni même quand … »
Ma voix se tut. Quand ils avaient essayé de me tuer, eux, quand Elle avait voulu mettre fin à mes jours d’un coup de barre de fer forgé et ardent, quand je l’avais assassinée. Non, elle m’avait souillé de honte, m’enchaînant à une vie misérable et bornée.
-« Alors, cela explique pourquoi tes pas t’ont conduit jusqu’ici, Sion », dit-elle doucement en posant de nouveau sa main fraîche sur mon front brûlant. « Elle ne t’a pas abandonné, elle t’a ouvert les portes de son domaine pour que tu puisses retrouver ta place.
- C’est faux, elle…
- Non, arrête, Sion, comment as-tu pas avoir la force de tenir jusqu’ici sinon ? Regarde-toi, tu es à bout de forces, cependant tu as pu traverser maintes épreuves pour arriver jusqu’à nous. Sion, Athéna n’abandonne jamais ses enfants, mais elle ne peut forcer la volonté des hommes, elle ne peut que les guider et les protéger, à ceux qui croient en elle. Elle ne peut tenir tête au destin ni à la mort, mais peut offrir l’espoir. Sion, malgré ce que tu penses, tu n’as jamais renié son existence, car si tu l’avais fait, tu serais déjà mort depuis longtemps. Mais tu as souhaité de la force pour tenir debout malgré ce que tu endurais en silence, et elle t’a soutenu sans faillir. Sion, n’as-tu jamais ressenti le Cosmos d’Athéna ? »
Son cosmos… Cette force… Cette douce force, celle qui m’avait entouré lors de ma chute de la falaise, celle qui m’avait tenu la tête en dehors des flots, celle qui avait agencé mes pas pendant des dizaines de kilomètres je crois, cette force bienveillante qui avait explosé lorsque j'avais touché les limites du Sanctuaires…
La vérité me frappa d’un coup, oui, cette force, c’était elle. Tellement cassé par mon malheur, j’avais refermé mon cœur, scellé mes yeux, cadenassé mon esprit et je ne m’étais pas aperçu de sa présence, je n’avais pas su que c’était elle qui m’entourait en permanence, arrêtant sans cesse le bras de ma tutrice avant le dernier coup fatal, me protégeant des périls dressés sur mon chemin.
Des larmes roulèrent sur mes joues. Mon père avait raison, lui qui avait si ardemment souhaité revoir sa promise et qui avait peu à peu tendu les bras à la mort, lui qui m’avait remis à sa seule déesse, à cette chaleur entourant notre famille lorsqu’elle coulait des jours heureux et que je n’avais pas su reconnaître lorsqu’elle s’était développée autour de moi à maintes reprises.
Je me rendais compte de mon erreur. J’avais bafoué les croyances de mon père, de ma mère, la pureté de notre déesse clémente, celle qui m’avait toujours été fidèle, j’avais bafoué mon cœur.
Peu à peu, mon esprit si embrumé redevenait clair, tandis que la pellicule sèche enserrant mon coeur, fragilisée par Dohko et Shaolin, se brisait totalement.
J’étais à nouveau libre de moi-même.
De nouveau, je ressentis une étrange sensation prendre mon front auquel je portai une main tremblante. Le poinçon de mon peuple, celui qui portait la fierté d’Athéna, se mit à brûler d’un feu purificateur, étant pour la première fois en accord avec mon âme. Il ne me ferait plus jamais mal.
Shaolin dû émettre un mouvement de tête car j’entendis le cliquetis des anneaux qu’elle portait à ses oreilles.
Je la regardai alors, elle, le chevalier d’Or au regard doux et clair, comme dans une demande silencieuse sur ce qui allait être mon présent et mon futur.
-« Je suppose que tu n’as nulle part où aller Sion, comme nous tous ici d’ailleurs, rien ne nous attend au-delà du regard d’Athéna. Sion, à en juger de ce que tu as pu nous démontrer lors de notre entrée à la deuxième maison, tu n’es pas faible loin de là. Tu possèdes un don rare et impressionnant. Je pense que tu as en toi l’essence nécessaire pour devenir un chevalier.
- Un chevalier ? », répétai-je abasourdis alors que mon front brûlait à nouveau, mais cette fois-ci d’excitation.
- Oui, je pense que tu feras un bon chevalier, tu connais la tristesse, la peur, la honte, la colère de ne pas pouvoir être en mesure de se défendre, de protéger. Et pour cela, en cela, tu es à même de comprendre les sentiments des personnes opprimées. »
Elle m’inspectait maintenant minutieusement, ce qui me fit rougir. Je n’avais pas été digne d’intérêt depuis bien longtemps. Etait-elle sûre de ce qu’elle avançait ? Moi qui me sentais encore honteux de ma trahison envers Grande Athéna, ayant renié mon peuple, mes parents et qui étais encore craintif des coups des ma tutrice, moi l’assassin, je pouvais prétendre être l’élite de l’Homme.
Elle plongea son regard dans le mien, comme satisfaite de son inspection, ayant su déceler quelque chose sans doute d’encore récupérable en moi qui dû lui plaire, car son regard était devenu intense.
-« Oui, tu peux me croire Sion, tu feras un très bon chevalier. »
J’allai passer une nouvelle épreuve. Celle du Grand Pôpe.
Pendant les deux jours qui avaient suivi ma nomination provisoire en tant qu’apprenti chevalier, je n’avais pas pu quitter le lit que l’on m’avait offert, mon état ne me le permit pas.
Le troisième jour, au petit matin, Shaolin débarqua dans ma chambre, de toute évidence de très bonne humeur et avait décrété qu’il état tant pour moi de me lever. Je ne savais pas comment elle avait deviné que mon corps avait récupéré, mais effectivement, je pouvais retrouver l’usage de mon enveloppe.
-« Lève-toi ! Lève-toi ! », cria-t-elle à tut-tête et m’en ébouriffant sauvagement les cheveux ( ce qui était une coutume chez elle, et ce qui pouvait expliquer peut-être les épis rebelles de Dohko sans cesse mis à l’épreuve de la bonne humeur très mal contenue de son maître).
« J’ai de bonnes nouvelles, le Grand Pôpe souhaite te rencontrer !!
- Grand Pôpe ?
- Oui ! C’est le représentant d’Athéna sur terre ! Le grand patron, le dirigeant des 88 chevaliers terrestres d’Athéna !
- Oh mais… », balbutiai-je déjà très intimidé.
-« Pas de « mais » !! C’est la règle ! Tout disciple doit rencontrer le Grand Pôpe ! Allez ! Allez !! »
Une voix monocorde et enrouée se fit entendre derrière nous.
-« Ah… Vous allez voir Kivu ? »
Shaolin se retourna prestement vers un Dohko à moitié réveillé et qui avait été tiré manifestement de son sommeil par les éclats de voix de son maître.
-« Oui !! Oui !!
- Euh… Maintenant ?...
- Mais oui !! Il m’a demandé de lui amener Sion !
- Tu es sûre ?... Parce que pour te demander quoi que soit, il aurait dû te convoquer avant… Et ce n’est pas le cas…
- C’est tout comme ! Je sais qu’il voudra voir en premier Sion ! C’est un disciple prometteur !!
- Oui, mais si tôt ? Parce que le soleil n’est même pas encore levé alors pour l’instant, je doute qu’il ait envie d’autre chose que de dormir.
- Dohko !! Sacrilège !! Tu te substitues au Grand Pôpe ! Tu devrais avoir honte ! Et double sacrilège ! Tu doutes de la parole sacrée de ton maître ! Fais attention, sinon tu finiras comme « tu sais qui » !!
- C’est qui « tu sais qui » ?
- Cet imbécile de Van, voyons ! Qui d’autre que lui pourrait mériter assez de dédain de ma part pour ne pas être cité en premier lieu par son nom ?!
- C’est vrai… Je me demande bien qui… C’est à cause de lui que l’on va à l’aube chez Kivu ? Comme Van commence en général son entraînement très tôt, tu ne veux pas tomber sur lui ?
- Non… Enfin, si ! Mais comme ça, Sion n’aura pas à être effrayé par cet ignoble individu fourbe, sournois, hypocrite et j’en passe !
- … Pauvre Van…
- Hein ?
- Rien… »
Cela me fit sourire, j’avais oublié ce que c’était que l’animation, qu’un véritable foyer. De plus en plus, je retrouvais ce que j’avais perdu chez les Hommes… Une famille.
Shaolin se pencha vers moi pour me faire un de ses sourires éclatants.
-« Allez Sion, Dohko va te monter où te laver, je m’occupe de tes affaires, les tiennes étant un peu déchirées, je vais voir ce que je peux faire pour arranger ça. »
Et avant que je puisse dire ou faire quoi que ce soit, elle s’empara d’un geste vif de mes vêtements pliés sur une chaise de ma petite chambre, les jeta sur son bras et disparut dans le couloir, faisant teinter ses bracelets dorés, me laissant décontenancé avec Dohko qui émergeait à peine et avec grand peine de sa nuit tronquée.
Il se mit à rire devant ma mine déconfite.
-« Tu t’y feras, elle est toujours comme ça, elle fait toujours ce qu’elle veut, quand elle le veut, que ça te plaise ou non, personne n’y peut rien et le fait qu’elle soit un chevalier, et d’Or qui plus est, n’arrange rien.
Mais c’est un bon maître, t’en fais pas.
- Elle est…
- Embêtante ? Peste ? Versatile ?
- Gentille.
- Oui, elle est très gentille aussi.
Je suivais Dohko à travers les allées marbrées et lustrées de ce qui constituait le sixième temple, celui du signe de la Vierge, le temple de Shaolin. Je n’avais de cesse d’admirer toute cette splendeur, cette maison étant somptueuse, non pas richement meublée comme l’était la demeure de ma tante, mais il s’en dégageait une prestance infinie, un sage silence apaisant. Tout était lumière, calme et sérénité.
Mes yeux allaient d’une colonne à l’autre, admirant chacun des détails sculptés à même le marbre, ne cessant d’être émerveillé par l’harmonie des ocres, des couleurs pâles.
Ce temple était taillé dans un style oriental et le motif revenant sans cesse était une fleur rare et raffinée, une fleur de lotus. Le plafond était enjolivé d’une enluminure peinte semblable à celle que j’avais pu admirer sur celui de la maison du Bélier. La fresque présentait des scènes dans un style épuré, un homme en était le personnage clé et chaque scène relatait ce que j’imaginais être son parcours initiatique sur les chemins de la vie.
Dohko marchait devant moi, les mains croisées sur sa nuque, les coudes relevés, murmurant un air lent et clair. Le fait de l’avoir à mes côtés était quelque chose de rassurant pour moi, peut-être parce que j’avais encore affreusement peur de me retrouver tout seul, comme avant.
Il n’avait pas l’air de vouloir se presser malgré les recommandations de son maître à ce sujet, peut-être parce qu’il aimait la contredire ou bien agir à son rythme, ou encore peut-être parce que son rôle était seulement de modérer son caractère impulsif… Cette idée me fit sourire. Parfois, on pouvait se demander qui était le maître et l’autre l’élève.
-« Qu’est-ce qui est drôle ?
- Heu rien !... » (Il m’avait découvert)
Il me dévisageait de ses yeux encore gonflés de sommeil, ce qui accentua malgré moi l’envie de rire. « Les gens sont différents à chacune des heures de la journée, de la nuit ou de leur vie » m’avait confié mon père. Dohko m’avait paru imposant et inaccessible lors de notre première rencontre, et il ressemblait juste à un enfant maintenant, enveloppé dans une étole drapée n’importe comment et assurément trop grande pour lui, les cheveux en bataille et ne demandant que quelques heures de repos en plus après un entraînement qui, je le devinais, avait été rude la veille… C'est-à-dire il y a tout juste quelques heures.
-« Le temple est grand, fais attention à ne pas te perdre.
- Je ne te perdrai pas », lâchai-je malgré moi.
Il parut étonné mais ne fit pas de commentaires. Il devait me trouver bien étrange.
Il s’arrêta devant une porte gigantesque de bois sombre qu’il poussa aussitôt m’indiquant la nature de la pièce.
-« C’est la salle de bain, enfin, celle des disciples. Celle de Shaolin est dans l’autre aile du temple. »
En effet, nous entrâmes dans une petite pièce annexant une beaucoup plus vaste, abritant une fontaine déversant son eau claire dans un bassin fermé. Il m’indiqua une commode et ouvrit l’un de ses battants.
-« Là, ce sont les serviettes, ici les draps de bain. Euh, tu peux mettre ce que Shaolin a bien voulu daigner te laisser sur le dos ici », dit-il en me montrant une panière en osier.
C’est vrai, ça !... et pour mes vêtements ? Comment allai-je faire ? Ma chemise était pleine de sang séché. Peut-être que mon nouvel ami allait me prêter quelque chose.
Je sentis un regard alors que j’ôtais mon vêtement abîmé.
-« C’est drôle ! On a presque les mêmes ! », s’écria Dohko.
Je le regardai alors avec interrogation. Il désignait les longues marques qui creusaient les chaires de mon dos. Un souvenir impérissable d’Agatha. Je rougis, cela me faisait honte. Comment avais-je pu les oublier ?
Dohko s’approcha de moi avec un air joyeux et presque admiratif.
-« On a presque les mêmes cicatrices ! Regarde ! Moi aussi, j’en ai des semblables et au même endroit en plus ! »
Il laissa glisser un peu son étole, me dévoilant à son tour la partie supérieure de son dos. J’écarquillai les yeux à la vue de ce dernier sur lequel était gravé le masque sauvage d’un fauve.
Il se moquait de moi ?
Soudain, quelque chose me frappa au niveau du visage de l’animal figuré sur la peau de mon ami. Sous les yeux du tigre se tenaient deux rainures profondes et noires que j’avais d’abord pris pour l’une des rayures de l’animal mais qui ressortaient maintenant comme étant plus rouges que les autres. En effet, deux cicatrices larges et féroces parcouraient la peau des son dos. Comme les miennes.
Il se remit à rire.
-« Finalement, on est semblables toi et moi. On à un petit souvenir de notre périple dans ce début de vie. Et cela témoigne du fait que l’on est encore de ce monde malgré tout ! »
Ces mots me réchauffèrent le cœur. Oui, c’est comme cela qu’il fallait voir la chose, comme cela et pas autrement. Lui, il n’en avait pas honte.
Il me sourit une nouvelle fois avant de réajuster son vêtement.
-« Moi, je les eu par un tigre. Ha ! Ha ! Ha ! Il avait dû me trouver à son goût !
- Un tigre ?
- Oui, je suis né en Chine, dans un petit village nommé Tiang Laolong. Là-bas, le tigre est considéré comme une divinité sauvage dont on apprend à craindre les forces. Je suis né alors que mes parents étaient en forêt. Sûrement, je ne me rappelle pas bien. Ils ont été dévorés par un tigre. Il a voulu être trop gourmand pour ne pas se contenter seulement de mes parents et m’a attaqué aussi. C’est Shaolin qui l’a arrêté. Je m’en suis sorti avec pour souvenir ces cicatrices et pour enseignement de ne jamais sous-estimer les enfants de la Nature. J’étais un bébé à l’époque. Mais, le tigre avait lui aussi des enfants à nourrir, alors Shaolin s’est contentée de lui enseigner la peur de l’Homme pour que jamais il ne recommence à attaquer les gens. Je ne lui en veux pas, c’est comme ça, il avait des petits à nourrir.
Bref, quand je fus plus âgé, Shaolin m’a peint ceci, pour masquer ce qui est un point tangible pour moi. »
Dohko, toi non plus, tu n’as pas eu beaucoup de chance dans tes débuts avec le monde. Mais tu arrives à en parler avec désinvolture, tu souris même, tu pardonnes à ce qui t’as privé d’une tout autre vie que la tienne. Comme je l’admirais, Dohko, celui qui était plus apte que moi à porter un jour l’une des armures sacrées d’Athéna.
-« Et toi ? Pourquoi sont-elles là, les tiennes ? »
Dohko me désignait à présent ce qui martelait ma peau. Mes pensées défilèrent très vite dans ma tête. Je ne les avais jamais montrées à qui que soit. Mais il m’avait livré son passé. A moi de lui délivrer le mien.
J’avalai ma salive avec difficulté. J’hésitais, parler de l’enfer de quatre ans que j’avais enduré me semblait encore impossible.
Il compris et se contenta, devant mon absence de réponse, de poser sa main sur mon épaule.
-« C’est juste un mauvais départ, hein ? »
Oui, c’était tout. Mais à présent, c’était fini, j’avais été retrouvé par deux personnes d’une bonté infinie pour avoir bien voulu d’un assassin. Dans ma tête dansaient les souvenirs de mes parents. Ma mère, celle qui m’avait donné la couleur de mon cœur. Mon père, celui qui m’avait offert la chance de pouvoir être sous la protection d’Athéna.
Maintenant, il allait falloir réapprendre et combler les lacunes. Réessayer de faire confiance à autrui, n’avoir plus peur de ma propre existence, me reconstruire petit à petit. Il me fallait réapprendre à vivre tout simplement.
Dohko me tandis une étole épaisse. Je drapai la ceinture. Il se dépêcha de s’envelopper dans la sienne, l’air frais filtrant au travers de la salle le faisant frissonner. Et il n’avait pas tout à fait fini de se draper dedans lorsque Shaolin choisit d’entrer dans la salle de bain comme un diable qui sort de sa boîte, c'est-à-dire brusquement dans le petit vestiaire où nous nous tenions, ce qui nous fit sursauter tous les deux.
-« Voilà !! », dit-elle en me tendant une veste bleue claire, me la plaçant sous le nez avec entrain.
-« Ah !! Shaolin !! Mais pourquoi tu frappes jamais avant d’entrer ?!! »
Elle tourna la tête prestement vers Dohko dont les joues avaient viré au rouge, comme les miennes d’ailleurs. Elle esquissa une moue langoureuse.
-« Tu sais que j’ai horreur de ça.
- Horreur de quoi ?!!
- De frapper… Dans toutes les situations.
- Mais là c’est différent !! C’est le vestiaire des disciples là !!
- Oh tu sais, j’en ai déjà vus d’autres, des disciples bien plus dévêtus que tu ne l’es, mon petit Dohko. Et puis, tu n’es pas dans ton plus simple appareil, là !
- Qu… Quoi ?!! »
Elle se retourna vers moi, cette fois-ci complètement mort de honte, un sourire sauvage sur les lèvres.
-« Tu sais Sion, une fois cet idiot de Dohko s’est trompé de bains, il est entré dans celui réservé aux femmes alors, c’est ma revanche !!
- Shaolin !! Si tu n’avais pas délibérément changé les écriteaux sur les portes des bains, je ne me serais jamais trompé et tu le sais très bien ! C’est encore de ta faute ça ! A cause de ton fichu caractère !!
- Oh regarde-le, l’autre ! Il crie juste parce qu’il a honte de ses bêtises !
- Non, je n’ai pas honte !
- A oui !... Tu n’as pas honte d’avoir violé l’intimité des femmes du Sanctuaire lors de leur purification ?
- Euh… bien sûr que si !!... Mais d’abord, je ne suis pas le seul à m’être fourvoyé à cause de toi, d’abord !!
- Ah !! Ca, bravo Dohko !! C’est la partie la plus drôle ! Je reverrais toujours l’image de son visage tout confus !! Ah ! Ha ! Ha ! Ha ! Quel imbécile, ce Van !! Les portes des bains sont mitoyennes, je veux bien l’avouer, mais elle sont portant peintes d’une couleur différente pour les bains masculins et ceux féminins !! Mais quel idiot, je n’en reviens pas !! Il arrive encore à se laisser berner par un stupide écriteau alors qu’il y va toutes les semaines !! Ha ! Ha ! Ha ! Ha ! Il n’y a que lui qui peut faire ça ! Hum ! Enfin lui… Et Dohko, Ha ! Ha ! Ha ! »
Et elle partit d’un fou rire incontrôlé alors que Dohko, préférant l’ignorer plutôt que de risquer une joute verbale avec celle qui avait de toutes façons toujours le dernier mot, cherchait désespérément, tout comme moi, un moyen de se revêtir. Une chose était sûre en tout cas, mieux valait avoir Shaolin comme amie plutôt que comme ennemie… Enfin… Aux vues des facéties qu’elle aimait manifestement faire, cela pouvait plutôt être l’inverse… Enfin…
Je profitai d’ailleurs du fait que Dohko, par son indignation pudique justifiée, détournait l’attention de Shaolin pour enfiler le pantalon qu’elle m’avait mis sous le nez. Juste à temps car son intérêt revint immédiatement sur ma personne, permettant cette fois à Dohko de se rhabiller. Voilà, première stratégie et attaque combinées entre mon ami et moi réussie.
-« Ah ! Je savais bien que cela allait t’aller ! J’ai eu un mal fou à mettre la main dessus, mais comme ça, ça me laissera le temps de raccommoder tes affaires. »
Elle me tendit la veste bleue qui semblait faite pour moi. Elle attendit que j’attache les lacets foncés de la manche pour se reculer et admirer le résultat.
-« Ca te plaît ? Je suis vraiment contente de l’avoir retrouvée, celle-là ! »
Dohko qui finissait lui aussi de se vêtir s’approcha tout en enfilant sa chemise verte foncée.
-« J’aurai pu lui donner quelques uns de mes vêtements.
- Je n’en doute pas, mais le problème est que tu es un peu plus grand que notre ami et il n’aurait pas été à l’aise dedans.
- D’où tu le sors, cet ensemble ? C’est un style chinois. »
Elle se racla la gorge avec fierté.
-« Elle était à Kirin, mon frère. »