Chapitre 6
*Sion*
-« Non, non, pas comme ça voyons ! »
Shaolin me rappela à l’ordre une fois de plus. Je n’y pouvais rien, contrairement à mon sage ami Dohko, j’avais toutes les peines du monde à me concentrer un temps soit peu, à faire le vide autour de moi.
Mon maître prit un air qui en disait long sur mes immenses lacunes en tant que disciple, lacunes qui se rencontraient à tous les niveaux je dois dire, malheureusement.
-« Enfin, Sion, tu ne peux pas focaliser ton esprit plus de trois minutes sur un même exercice ? Qu’est-ce qui te pose problème ? »
Ce qui me pose problème ? Et bien comment l’expliquer… Peut-être pour commencer, le fait que les entraînements se passaient dehors et que rester assis à fixer une pierre pendant des heures me paraisse être un sacrilège quand on est entouré d’une telle diversité d’éléments botaniques ne demandant qu’à être admirés… Ou plutôt le fait que sans cesse une voix provenant d’un animal, d’un insecte, d’une feuille ou d’une fleur, de l’air lui-même me chuchotait des secrets bien plus intéressants que celui de cette pierre plate, du « Chysme » d’après ce qu’elle avait bien voulu me laisser entendre et qui plus est datant de quelques milliers d’années (elle avait vu naître la faille marine se situant à plusieurs centaines de mètres de profondeur dans les eaux encerclant la Grèce) et qui ne parlait que par brides saccadées relatant une histoire répétée en boucle et qui avait le don de m’agacer plus qu’autre chose… Qu’elle aille au diable cette vieille (extrêmement vieille) radoteuse !!
Mais mon maître me fixait toujours. Alors, résumons, devais-je commencer par lui dire que j’étais désolé mais que ma tête était remplie de voix autres que la sienne qui me parlait à l’instant et autre que la mienne qui était en train de cogiter une excuse, ou bien par lui avouer que j’espérais plus que tout que l’on change de caillou (pour avoir une autre version de la généalogie des failles marines de Grèce) ou enfin lui lancer que j’aurais voulu faire une pause pour aller sur le champ demander une entrevue à cet arbre là-bas qui cherchait depuis tout à l’heure à me faire rire en me faisant un résumé détaillé des meilleurs histoires de chênes à dormir debout que l’on puisse trouver en ce bas monde afin de lui supplier de se taire…
Bon, autant lui dire que j’étais fou d’avance, comme çà, elle ne serait plus surprise de la suite qui me paraissait encore plus incongrue que la situation actuelle, mes pouvoirs psychiques provenant de mon peuple revenant au très grand galop (ça, pour les avoir voulus, je les avais…) mais pas dans le bon ordre : c’est vrai, je n’arrivais pas à concentrer mon cosmos plus de quelques secondes, cependant, chose très utile pour tout chevalier qui se respecte, je pouvais parler plus de 500 langues différentes (le chêne, l’olivier, le langage des rivières, celui de la truite saumonée, celui du scarabée à corne, celui du martin pêcheur à ailes cendrées, et j’en passe des meilleures…) et j’étais actuellement en train d’apprendre le langage du papillon grand monarque à trompe courbe, c’est vous dire…
Pour mon cher maître, je choisis un langage commun et je me contentai d’hausser les épaules en signe tant d’excuse que de découragement. Mieux valait finalement qu’elle ne sache rien de mes incroyables facultés qui m’avaient valu ce petit rappel à l’ordre sinon ce n’est pas chevalier que j’allai devenir mais fou local…
Shaolin soupira. Je la comprenais, cela faisait au moins la cinquième fois (en 18 minutes) qu’elle me reprenait. Et moi, que pouvais-je faire d’autre que de lui sourire, quémander un peu plus de patience envers le piètre disciple que j’étais ?
Mon maître referma les yeux et réarrangea ses cheveux, les laissant pendre dans son dos. Elle se remit à méditer comme si rien ne s’était passé. Nous étions allés à l’endroit même où j’avais rencontré mon maître et mon ami, dans cette enceinte de pierres mâtes et solides, formant cette arène naturelle nous cachant des yeux du monde et protégeant les êtres n’appartenant pas au Sanctuaire des entraînements intensifs des chevaliers. Shaolin avait pour ainsi dire le monopole de ce cirque naturel car cela faisait plusieurs jours que j’y allais (depuis mon acceptation officielle au sein du Sanctuaire par le Grand Pôpe) et nous n’y croisions jamais personne.
Les leçons étaient ardues pour moi car je dû prendre l’entraînement en marche, m’insérant dans celui de Dohko comme une pièce rajoutée et donc bien forcée de suivre. Par ailleurs, je ne voulais pas déranger alors je redoublais d’efforts pour me maintenir à un niveau acceptable par mon maître et pour essayer de maîtriser mon cosmos capricieux.
La leçon du jour avait justement pour but de l’éveiller pour moi, de le déployer pour mon ami bien plus en avance que moi sur la question. Pour cela, Shaolin nous avait donné comme seule consigne la concentration. Pour celui qui maîtrise son esprit s’ouvrait la voie du cosmos.
Mais pour l’heure, elle seule y arrivait, faisant le vide total autour d’elle, elle était capable de rester des heures et des heures immobiles telle une statue se confondant avec le paysage lui-même. C’était vraiment étrange, comme cela, assise en tailleur, le visage impassible à l’environnement, elle ne ressemblait en rien à la jeune fille gaie et pleine de vie qu’elle redevenait une fois les entraînements achevés pour la journée. Comme cela, elle ressemblait à la grande représentation d’Athéna jouxtant la treizième maison, un être sage et extrêmement redoutable malgré son impassibilité.
Mon regard se détacha de la personne de mon maître pour se reporter sur Dohko. Lui aussi assis sur le sol au même titre que mon maître, lui aussi immobile, également empreint d’une sérénité déconcertante et qui achevait de me conforter dans ma position de disciple raté. Mais comment diable ces deux-là arrivaient-ils à rester des heures sans bouger ? Comment faisaient-ils pour ne pas être déconcentrés par le murmure incessant de tout ce qui nous entourait ?
Soudain, mon ami ouvrit un œil, me prenant sur le fait d’une totale résignation quant à mon statut.
Il me fit un petit signe enjolivé s’un sourire éclatant, ce qui me rendit ma bonne humeur. Il fallait que j’y arrive, je lui avais promis.
-« Dohko, as-tu réussi à vider ton esprit de toutes les choses futiles qui y résidaient ? »
Cette voix calme mais sévère pour l’heure nous surprit tous les deux. Shaolin, les yeux restés clos, savait parfaitement ce qui se passait autour d’elle car sinon, comment aurait-elle pu intercepter notre petit manège silencieux ? Elle était vraiment extraordinaire, la perte de l’un de ses sens ne la gênait donc en rien…
Dohko prit un temps avant de répondre, jugeant, calculant comme toujours la portée de la moindre de ses actions.
-« Je pense que oui », dit-il en regardant le visage de son maître avec détermination.
Celui-ci n’ouvrit pas les yeux pour autant, restant aussi immobile que les pierres nous entourant.
Shaolin se redressa, dépliant lentement ses jambes, elle se releva doucement, sans bruit, le visage impénétrable, les yeux toujours clos, face à la détermination de son disciple. Elle tourna cependant la tête dans ma direction.
-« Et toi Sion ? Qu’as-tu retiré de ta méditation ? »
Je fus plus spontané à répondre que mon ami sur le sujet, sachant s’emblée une réponse plus qu’évidente pour moi.
-« Je suis nul en tant que disciple ? »
Je crois que ce fut la forme interrogative rajoutée à cette évidence qui fit éclater de rire mon ami.
Quand à mon maître, elle esquissa l’ombre d’un sourire amusé par ma franchise désabusée.
-« En effet, je crois que c’est un point qui mérite la méditation. Cependant, reconnaître ses défauts, c’est admettre ses lacunes et c’est un des critères de l’humilité dont doit faire preuve tout chevalier. Pourtant, j’aurais désiré que tu me fournisses une autre conclusion Sion… Comment dire, moins pessimiste et un peu plus portée sur tes compétences.
- Mes compétences ? Et bien, c’est-à-dire que je pense en avoir mais pas pour cet exercice-là. »
Shaolin haussa un sourcil.
-« Comme quoi par exemple ? »
Je pris un temps avant de lancer avec franchise mais avec retenue compréhensible, ce qui allait me cataloguer pendant toute ma vie de disciple.
-« Euh, par exemple, je peux discuter avec cet écureuil gris là-bas qui a fait son terrier dans l’arbre près de notre lieu d’entraînement, je dois dire par ailleurs qu’il nous remercie pour le calme que nous avons respecté aujourd’hui car le bruit l’incommode au plus haut point mais comme il est très casanier, il ne changera malheureusement pas d’emplacement, cependant, les serpents sont moins compréhensibles car ils parlent toujours avec emphase et avec des sens figurés à tout va, malgré le fait qu’ils soient une mine d’informations très importance quand ils se laissent approcher sans s’offusquer. »
Le silence qui suivit ma réponse fut lourd et interminable. Un oiseau passa, sifflant je ne sais quelle phrase à l’intention de ses congénères. Pour l’instant, mon maître et Dohko restaient comme figés sur place. Bon, c’est vrai que cela devait sortir de l’ordinaire comme réponse, mais à mon stade et naïvement, je pensais sincèrement que tous les chevaliers étaient doués des mêmes « performances » que les miennes en matière de biologie et de comportement animal alors, j’avais opté pour cette explication au même titre q’une autre pour moi à l’époque.
Grave erreur je dois dire… Mon maître ouvrit pour la peine les yeux afin sûrement de pouvoir vérifier si je plaisantais sur le sujet ou si (par malheur je suppose) j’étais sérieux. Le problème était que je l’étais, manque de chance, réellement.
Bon, rétrospectivement, je pouvais être fier de moi, j’avais réussi à abasourdir à la fois un chevalier d’Or et mon sage ami, maigre record pour moi maintenant mais grande victoire pour moi à l’époque.
Ca, pour avoir eu de l’effet, c’était carrément un raz de marée.
Bref, après une longue minute de silence religieux pendant laquelle mon regard passa de la mine déconfite de Shaolin à celle décontenancée de Dohko, celui-ci, ne pouvant pas retenir cette véritable convulsion, fondit en un fou rire débridé, complètement hilare, le forçant à se recroqueviller sur lui-même tant la crise semblait forte et impossible à gérer debout. Il pleurait maintenant, riant, s’étouffant, toussant en même temps qu’il essayait de reprendre son souffle qui lui manquait.
Je le regardai alors de manière plus qu’étonnée, ne voyant pas l’ombre d’une chose risible en mes paroles, Dohko étant devenu en quelque sorte un étranger pour moi le connaissant calme et posé jusqu’à présent.
Faisant fi de son disciple en train de souffrir le martyr par ma faute, Shaolin s’approcha un peu de moi.
-« Non mais tu es sérieux, Sion ?!!
- Et bien oui, pourquoi, ce n’est pas ce que vous avez entendu, vous ? »
Un bruit de chute nous fit détourner les yeux. Dohko venait de s’écrouler par terre par ma conclusion, prêt à rendre l’âme sous les assauts de son fou rire qu’il ne cherchait ou n’essayait même plus à retenir d’ailleurs, ce qui me fit sourire tandis que mon maître, se prenant au jeu, se mit elle aussi à rire.
Il leur fallu près de 10 bonnes minutes pour retrouver un semblant de calme pour mon maître, pour avoir la possibilité de se redresser pour Dohko.
Shaolin se détourna de mon ami s’essuyant le visage ruisselant de larmes avec sa manche pour renouveler son attention sur ma personne demeurée totalement stoïque face aux événements précédents, ne sachant au départ pas d’où pouvait provenir la raison d’un tel déchaînement.
Mon décalage par rapport à la situation fit repartir le rire de Dohko de plus belle. Shaolin lui jeta un regard noir qui ne l’empêcha cependant pas de se tordre à nouveau de rire, se détournant pourtant de nous afin de ne pas subir à retardement les foudres de son maître.
Celui-ci se rapprocha de nouveau de moi, me détaillant de la tête aux pieds, essayant de trouver une quelconque explication à celle que je venais de fournir en raison de mon échec.
Elle articula posément : « Sion, dis-moi, que sais tu du Cosmos ? »
Je réfléchis quelques instants avant de formuler ma réponse. Je repensais à ce qui m’avait entouré lorsque j’avais été en danger, ce qui m’avait protégé, ce qui avait tué aussi. Somme toute, il est vrai que ce que je connaissais du Cosmos alors à cet instant était très vague. Pour moi et fi de mes premières expériences en la matière, le Cosmos était une arme mortelle pour les autres et extrêmement douloureuse pour moi étant donné que lorsque je l’avais laissé exploser devant la deuxième maison, j’avais ressenti une douleur semblable à une déchirure de mon être, tellement intense que j’en avais perdu connaissance.
Mon maître dû ressentir mon hésitation envers la question, mon trouble aussi et préféra laisser retomber son impatience vis-à-vis de ma personne pour adopter une attitude calme et sereine, ce qui la caractérisait au même titre que son humeur quasi inaltérable.
-« Hum, je vois, il semblerait que je me sois trompée sur ton compte, Sion. Etant donné ta prestation devant la deuxième maison, je pensais que tu maîtrisais quelque peu la question. Mais j’étais dans l’erreur à ce que je peux constater. Ne t’inquiète pas, je suis fâchée contre moi qui néglige totalement de te faire acquérir les bases avant de t’atteler à la technique. Je pense que je vais te séparer de Dohko pendant quelques temps. »
Cette idée me retourna l’estomac. Plus que tout, je ne voulais pas être loin de cet ami dont la présence m’était devenue indispensable au fil des jours. Mais mon maître avait raison. Si je voulais progresser, il fallait que je passe par là. Elle rappela Dohko qui nous rejoignit de son pas leste et léger pour lui donner les nouvelles instructions. Il me regarda d’un air étonné et déçu, je ne pouvais pas lui en vouloir. Voilà, j’étais un mauvais disciple et un mauvais ami. S’étant vu confié de nouveaux exercices, il hésita puis s’éloigna de nous pour continuer seul l’entraînement que je risquais de ralentir et même de gêner.
Devant ma mine déconfite, Shaolin ne pu s’empêcher de rire.
-« Et bien et bien ! On dirait que je viens de séparer Grand Dragon de Petit Dragon ! Allez, ne fais pas cette tête, elle ne s’en va pas si loin, ton ombre ! A moins que ce ne soit l’idée de m’avoir entièrement sur ton dos qui t’effraie ! »
Maintenant qu’elle le rappelait, cela ajouta à ma déception du jour encore plus de vigueur. Shaolin était un bon maître mais quand elle était en cette qualité d’instructeur, elle changeait du tout au tout, devenant aussi inflexible que les pierres, aussi tenace que les pluies d’hiver. Et même si sa voix restait fluette et cristalline, son calme ne présageait rien de bon, restant comme une menace à notre encontre : c’était un Chevalier d’Or et nous de simples gamins. L’écart nous séparant était aussi vaste que la distance reliant le ciel et la terre.
Shaolin se tint droit devant moi. La leçon allait pouvoir commencer.
-« Sion, le cosmos est l’expression de ce qui réside à l’intérieur de toi. Il représente ton courage, ta force, ta détermination, il est l’incarnation de tes souhaits, de tes espoirs mais aussi de tes craintes, de tes faiblesses. Il symbolise ce qui a de meilleur en nous, ce qui fait de nous des êtres humains. Tout le monde possède en soi le cosmos, peu de personnes savent le sublimer. En contre partie, ces personnes font le vœu par leur pouvoir de protéger celles qui ne croient pas assez en elles pour donner naissance à leur propre force.
Voilà, c’est cela le cosmos, il est tout et rien. Toi qui a ressenti l’appel des étoiles, le chant d’Athéna, tu es capable de le matérialiser que tu le crois ou non, ton cosmos est présent.
Cependant, c’est à toi de trouver comment faire appel à lui, c’est quelque chose que je ne peux t’apprendre par des mots, des exercices. Cependant, c’est en faisant le vide en toi, en purifiant ton esprit et en méditant sur ton devoir que tu trouveras la clé pour ouvrir ton cosmos. Moi, je ne peux que t’enseigner à le contrôler, à le rendre capable de défendre.
Tu comprends maintenant pourquoi j’insiste tellement sur le fait qu’apprendre à se concentrer est primordial pour nous, chevalier ? Quoique tu penses, ce gredin de Dohko n’est pas beaucoup plus avancé que toi en la matière. Bien sûr, il sait concentrer son cosmos, cependant, il est loin de pouvoir le maîtriser lors d’exercices s’étalant dans le temps, et pour l’heure, il est loin d’avoir eu la capacité de le concentrer autant que toi, je t’assure.
Tu as les possibilités de le faire, crois-moi, ne te décourage pas, tu vas y arriver, j’en suis sûre, le cosmos que tu as su déployer était d’un niveau élevé, très élevé. Alors même si cela te paraît difficile, fais toi violence et oblige toi à ne pas brûler les étapes. Tôt ou tard, ton cosmos sera l’une de nos forces les plus grandes, l’un de nos atouts les plus important au sein du Sanctuaire.
Bon, on va reprendre depuis le début. Ah ! Encore une chose. Le cosmos ne fait pas mal. Absolument pas. »
Et devant mes yeux ébahis, elle fut entourée d’une aura douce et puissante, dorée comme les rayons du soleil, intense. Elle avança sa main enveloppée de ce halot merveilleux et brûlant vers ma joue. J’eus un mouvement de recul. Cette aura avait tué Agatha. Mais Shaolin posa sa main sur ma tête. Ce contact fut formidable. Je ressentais chacun des battements lents de son cœur, toute la sagesse de son âme, la puissance de son aura, l’extraordinaire dévouement et générosité de mon maître, tout cela caractérisant un être légendaire et fabuleux, un Chevalier d’Or.
Progressivement, elle abaissa son cosmos qui disparu graduellement faisant cesser la douce chaleur qu’il entretenait.
-« Tu vois ?... »
Je hochais la tête avec conviction. C’était à l’opposé de mes souvenirs, c’était merveilleux, calme et prodigieux, radieux et salvateur. Puis, se moquant sûrement de mon air totalement étonné, elle me proposa une fois encore de m’atteler aux exercices préliminaires, ceux consistant au repos de l’esprit. Enfin, me laissant à mes nouvelles attributions, elle se retourna et regagna son premier disciple prometteur afin sans doute de passer aux étapes suivantes de son entraînement. Quant à moi, encore ébloui par la simple démonstration de mon maître, je m’attachais et ce, pendant le nombre interminable des heures achevant la journée, à trouver au fond de moi ce qui pourrait produire pareil miracle, recherchent à rappeler ce qui m’avait par deux fois sauvé la vie et qui m’effrayait encore un peu.
Pour cela, il fallait que j’apprenne à devenir air avec le vent, pierre avec la terre. Je repensais alors à tout ce qui m’entourait, toutes les choses et les êtres avec lesquels je pouvais communiquer. J’essayais d’analyser leur manière de concevoir leur environnement, leur adaptation face à lui. Les rochers avaient préféré résister aux éléments, ils montraient leur force à tous, ils gardaient avec eux le souvenir de leur terre. Quant aux insectes et aux animaux, ils avaient choisi de plier face aux accoups du temps, ils étaient le témoignage de l’évolution lente et inexorable du monde vivant. Entre eux, les arbres, l’herbe, les fleurs harmonisaient les deux extrêmes en une nature paisible et dépendante des deux parties, les protégeant à son tour.
Et l’Homme dans tout cela ? Il n’aurait dû ne pas avoir sa place. Pourtant, il était là et malgré le fardeau qu’il représentait, les rochers avaient accepté pour lui de se déformer pour lui donner un abri, les animaux se laissaient attraper pour le nourrir de leur sacrifice, les arbres avaient abaissé leurs branches pour le protéger du soleil et de la pluie. En fait, l’Homme était comme un petit enfant que la nature chérissait de manière désintéressée, se laissant détruire par amour pour lui. C’était cela, et moi qui allait devenir un des protecteurs d’Athéna, je savais mieux que quiconque combien ce sacrifice était grand, entendant dans mes pensées les doux pleurs de le terre, ses rires de bonheur à la naissance d’un Homme. Je voulais pouvoir à mon tour protéger les gens, tout ce qui m’entourait, prouver à cette terre fidèle combien son dévouement avait porté ses fruits, lui démonter que l’Homme n’était pas qu’un simple fardeau pour elle.
Mon souhait, c’était cela, avoir la force de me protéger afin de ne pas représenter de chaînes pour ceux qui m’étaient chers, avoir la force de les protéger eux, pouvoir à mon tour offrir une protection à cette terre puissante, avoir le courage d’annihiler le malheur pour que personne ne connaisse plus ce que j’avais été obligé d’endurer. Voilà, mon miracle à moi, ce serait celui-là.
Mon cœur se calma progressivement. Les sons provenant tel un tourbillon intense de tout ce qui m’entourait cessa. Ce tapage animé en permanence se changea en une fine mélodie. Peu à peu et sans m’en rendre compte, j’arrivais à me détacher de mon univers pour faire corps avec lui, passant du stade d’intrus à celui d’invité respecté. Maintenant, je trouvais le langage de ma vieille pierre extrêmement éloquent, doué de raison, dont l’écoute était devenue en l’espace de plusieurs heures un délice pour mes oreilles. Elle m’avait paru être insignifiante et même agaçante, elle devint incontournable. Sa voix m’avait paru être une cacophonie grinçante, elle devint une mélopée sensuelle. Elle m’avait semblé être morne, elle devint un élément irradiant, vrombissant à chacune des lames de la brise la caressant. Sans nul doute, plus que mon cosmos qui me restait toujours inaccessible, j’affinais sans cesse mes pouvoirs paranormaux, essayant de faire d’eux une force et un atout inaltérables.
Soudain, le chant des oiseaux cessa, la pierre se fit silence. Toute la terre autour de moi était tendue, je la devinais derrière mes yeux clos, impatiente, fébrile, tournée vers quelque chose qui arrivait. Tout murmure s’annihila en harmonie le temps de quelques secondes pendant lesquelles le vent devint glacial. Puis, tout émis un sursaut lorsque cette chose toucha terre, lorsqu’elle posa son premier pas sur elle. Pas de doute, cela venait vers le sanctuaire à une vitesse vertigineuse, et c’était extrêmement, puissant, tellement qu’à sa venue, le ciel s’en était assombri. J’ouvris brusquement les yeux pour couvrir la lande à la recherche de mon maître. Shaolin était figée sur place, le regard tourné vers l’horizon, ses yeux devenus acier perçant l’atmosphère, tous ses sens en éveil, comme moi, elle avait ressenti cet appel. Dohko, la voyant devenue de marbre et remarquant mon inquiétude, se mit à la recherche de cet élément perturbateur. Il mit cependant quelques secondes pour identifier cette terrible sensation de vide et d’univers à la fois qui arrivait vers nous.
Shaolin se retourna en direction du Sanctuaire. De là où nous nous trouvions, nous pouvions voir distinctement et malgré notre éloignement la grande horloge dont les heures étaient marquées de flammes incandescentes, celles du cosmos des Saints d’Or. Nous nous joignîmes à son geste, le cœur battant. L’horloge émit un grincement rauque et sourd. Sur son cadran de pierres noires, deux nouvelles flammes venaient d’apparaître dans une explosion d’étincelles, celles des Gémeaux d’Or et celle du Scorpion ardent.
Ainsi donc, leur venue avait ébranlé le monde jusqu’aux cieux, témoins de leur puissance incommensurable.
Le Gémeau et le Scorpion d’Or étaient de retour au Sanctuaire.
Shaolin leva la main vers le ciel et enflamma brusquement son cosmos, cette fois, bien plus fort que je ne l’avais pu connaître. C’était si fort que son aura balayait la terre et nous obligeait à nous couvrir le visage afin de nous protéger de la poussière. Elle saluait ses frères d’armes revenus du combat avec fierté. Elle fut bientôt imitée par deux autres cosmos provenant du Sanctuaire, l’un aux reflets chaux et bienveillants, Sirius, l’autre fougueux et écrasant que j’associais au Grand Pôpe.
Soudain, tout cela cessa, Shaolin éteignit l’expression de sa vie pour mieux se mettre à rire, prenant les mains de Dohko dans les siennes.
-« Enfin ! Enfin ! Ils sont de retour ! Cela faisait bientôt 6 mois que l’on a été séparés !! Enfin ! J’ai cru mourir d’impatiente à cause de cette attente insupportable !! »
Elle se tourna vers moi, voulant me faire partager ce moment indescriptible que représente le retour de frères d’Or : -« C’est mon frère !! Il est rentré ! Tu as dû ressentir son cosmos toi aussi, non ?! »
Je hochai la tête. Ainsi donc, Shaolin n’avait pas menti, elle avait un frère et chevalier d’Or qui plus est. Et à en juger d’après l’incroyable force qui s’était dégagée de son cosmos, il devait compter parmis les plus puissants chevaliers d’Athéna.
Elle posa sa main sur ma tête, rejeta ses mèches sombres dans son dos ce qui fit teinter les anneaux dorés qu’elle portait aux oreilles.
-« Bien, il est temps d’aller les saluer comme il se doit. Dohko, Sion, on rentre nous aussi au Sanctuaire. »
Elle partit aussitôt dans la direction de la grande tour de l’horloge, de son pas rapide et léger que nous nous empressâmes d’emboîter, ne voulant pas rester à la traîne. Dohko, heureux de retrouver son compagnon, se plaça à côté de moi, désirant peut-être aussi s’assurer que je suivais bien cette course rapide.
-« Tu as vu, le Gémeau et le Scorpion sont revenus en même temps et pourtant, ils étaient respectivement en mission en Amérique du sud et en Afrique centrale. A l’opposé mais pourtant synchrones, n’est-ce pas ? Kirin c’est le Chevalier des Gémeaux. Quant au Chevalier du Scorpion, il s’agit de VanRâh. Tu vas voir, ils sont assez spéciaux, mais tu devrais les apprécier. »
Bien sûr que j’allais les apprécier, c’était mes aînés, mes mentors, des chevaliers tellement exemplaires et fidèles envers Athéna qu’ils s’étaient encrés dans l’élite de la chevalerie, la caste de l’Or. J’allais enfin découvrir mes pairs. Comment étaient-ils ? Seraient-ils aussi chaleureux que Sirius que j’avais eu la chance de rencontrer depuis mon admission au sein du Sanctuaire par le Grand Pôpe ? Sûrement, cela ne pouvait pas être autrement, Shaolin était une sœur plus qu’un maître pour moi, gentille et indestructible, son frère devait être un homme correspondant en tout point à elle. Et le Chevalier du Scorpion ? Comment prendrait-il ma venue en cette terre qu’il avait juré de défendre corps et âme ? Shaolin ne semblait pas beaucoup l’apprécier. Serait-il dangereux au point qu’elle nous mette sans cesse en garde contre lui ?
Toutes ces questions m’envahissaient et faisaient battre mon cœur à toute vitesse, autant d’appréhension que d’excitation. Nous rejoignîmes le Sanctuaire à toute allure, Shaolin semblait voler littéralement, nous obligeant à forcer notre allure et à aller au plus vite de notre possibilité, brûlant nos poumons mais pour rien au monde, nous aurions ralenti.
Quand enfin nous atteignîmes la cour intérieure du Sanctuaire, nous présentant aux pieds de l’escalier marbré du premier temple, notre maître repris un pas calme mais agacé. Le devoir l’obligeait à respecter le calme et la sérénité des lieux où le gardien n’était plus. Cependant chacun de ses mouvements trahissait son impatience.
Comme la première fois où j’avais foulé les dalles de ce temple, je ressentis cette impression de mélancolie qui emplissait ce lieu magnifique mais infiniment triste. Nous ne fîmes que traverser l’annexe, comme pour la première fois car nul n’a le droit de parcourir l’enceinte sacrée de la première maison par égard à la mémoire et au rang de son gardien évanoui. Cette fois encore, notre séparation me serra le cœur.
Shaolin se remit à courir. Nous gagnions maintenant l’escalier menant à la deuxième maison, celle de Sirius. Shaolin ne ralentit pas, préférant traverser cette demeure d’un trait, étant sûre et cela devait être vrai, que le Chevalier du Taureau ne s’en offusquerait pas. D’ailleurs, ce dernier ne s’y trouvait pas. Enfin nous atteignîmes la sortie pour nous diriger vers le troisième escalier, celui de pierres marbrées blanches et noires pour gagner le troisième temple, celui entouré de mystères dont une partie allait nous être dévoilée dans quelques instants.