Chapitre 8

 

*Sion*

 

            J’écarquillais les yeux. Des jumeaux, bien sûr, c’était cela l’explication de leur ressemblance parfaite. Des jumeaux.
Le vent fit soulever les longs cheveux des deux chevaliers identiques. Kirin se réavança vers moi, me réoffrant l’un de ses sourires qui le rendait encore plus semblable à sa sœur, mon maître. Il me tendit la main en guise de présentation.
-« Enchanté, Kirin, frère jumeau de Shaolin chevalier d’or de la Vierge, et accessoirement chevalier d’or des Gémeaux. »

Cette touche ironique me fit sourire. Je tendis moi aussi la main en direction de la sienne afin de répondre à son signe de politesse. Mais alors que mes doigts allaient se refermer sur les siens, il dégagea prestement sa main pour aller la poser sur ma tête. Et face à mon air plus q’étonné, il me sourit encore et dit en guise de d’excuse : « Désolé, je n’ai pas fait attention, excuse-moi, mais je pense qu’il est encore trop dangereux pour toi de toucher le poing des Gémeaux. Ne m’en veux pas, ça t’aurait sûrement fait beaucoup de mal. »
Et face à ma déconvenue, il ajouta : « Mais ne t’inquiète pas, Dohko non plus ne peut pas encore le toucher, n’est-ce pas ? », lança-t-il en direction de mon ami qui prit aussitôt un air farouche avant de s’écrier : « Kirin, tu verras, plus tard, je deviendrai si fort que ce sera toi qui ne pourras plus effleurer mon poing sans frémir !! Attends moi jusque là !!
- D’accord, je serais sans aucun doute le premier à tester cela, mon ami ! »

Il retira sa main imposante de ma tête ce qui cependant fit glisser l’une des mèches de ma frange. Il arrêta son geste.
Son visage prit une expression aussi insaisissable que le brouillard d’automne.
-« Sion, bien sûr, comment n’y ai-je pas pensé plus tôt… »

Shaolin et Sirius l’interrogèrent du regard cherchant à comprendre ses paroles énigmatiques, tandis que les yeux gris du chevalier des Gémeaux se perdaient dans le vague.
-« Sion, bien sûr ! »
D’un geste vif, il dégagea les cheveux qui masquaient mon front, sans que je puisse faire quoique ce soit.
-« Sion, celui dont le nom veut dire « Courage » dans la langue des siens, n’est-ce pas ? »

Mon cœur s’arrêta. Comment était-il au courant de ça ? Je n’en n’avais parlé à personne, pas même à Dohko. Alors, comment se pouvait-il qu’une personne que je voyais pour la première fois connaisse ça ?
Le chevalier dut remarquer ma confusion.
-« En fait, je te connais, Sion, descendant du peuple Mü, fils de Mékirôh l’ensorceleur d’armures, je te connais même très bien, parce que nous nous sommes déjà rencontrés auparavant. C’était il y a 5 ans. A cette époque, j’ai du terrasser un titan et ce dernier avait forcé mon armure. Cette armure grâce à laquelle je suis encore en vie aujourd’hui avait donné sa vie pour la mienne. Je suis parti à la recherche du seul être descendant de l’unique peuple capable de redonner la vie aux armures mourantes. J’ai cherché ton père pendant un mois entier, je m’étais dit qu’un homme qui tenait tant à se cacher ne saurait pas réparer mon armure.
Et enfin, quand j’ai pu le localiser, dans une haute montagne près de Jamir, j’ai bien du mettre encore un mois pour arriver jusqu’à lui, pour me frayer un chemin à travers cette nature hostile qui m’éloignait sans cesse de mon but, qui me testait sans relâche. C’est comme ça que j’ai eu ceci ! »

Il désigna du pouce la marque cruciforme qui striait son front.
« Je dois dire que j’avais beaucoup de rancœur envers ton père, pourquoi un être dévoué à Athéna mettrait-il autant de barrières aux chevaliers requiérant son aide ? »
Il marqua un moment, me dévisageant, gravant son regard moiré sur moi qui baissait la tête. Lui aussi, comme Agatha, n’appréciait pas mon père. Cela me fit encore une fois ressentir à quel point je n’avais pas d’attache, pas d’endroit où je puisse parler de chez-moi, des gens que je puisse appeler famille. J’étais seul.
Kirin porta cette fois-ci sa main sur mon épaule, là où se trouvaient mes cicatrices, le souvenir de mon enfance qui restaient malgré les soins de mes amis indélébiles.
-« En fait, c’est moi qui était dans l’erreur, toutes ces épreuves, ce n’était rien d’autre qu’un test, une manière pour Mékirôh d’éprouver jusqu’au bout mon attache aux valeurs de la chevalerie, mes valeurs, celles d’Athéna. Sans cela, je n’aurais jamais pu briller encore. En fait, quand j’y repense, ce que j’ai pu être stupide !... Je l’ai compris en vous voyant vous, cette famille dont les membres se complétaient les uns les autres, en te voyant toi avec ton père, vous deux, vous étiez bien plus nobles que moi.
Je me rappelle, c’était assez effrayant de voir la mine de ton père quand il a mis à jour mon armure ! J’avais eu peur qu’il ne puisse rien faire pour elle aux vues de son air désespéré. C’est vrai qu’elle était dans un sale état, certaines parties avaient même été arrachées durant le combat, son éclat avait disparu. Il l’a examinée sous toutes ses coutures. Et puis, je me souviens qu’il t’avais demandé ton avis une fois cette observation achevée.
Tu lui as alors répondu que mon armure avait sans doute encore beaucoup à faire et qu’il était temps maintenant pour elle de se relever. En fait, c’est peut-être un peu grâce à toi que je peux encore être chevalier aujourd’hui. »

Il plongea son regard dans le mien. Non, c’était moi qui lui étais reconnaissant, lui qui enfin me permettait de revivre des souvenirs précieux et perdus, de redonner vie à mon père. Oui, je m’en souvenais maintenant, cet homme si grand pour moi à l’époque, arrivant un beau matin sans crier garde, couvert de blessures et exténué, les cheveux bien plus courts qu’il ne les avait aujourd’hui, mais toujours ce regard indomptable et magnifique, portant sur son dos l’urne dorée scellée par des sangles épaisses et solides, s’inquiétant plus pour son armure fidèle que pour lui-même, allant jusqu’à refuser les soins proposés par ma mère afin sans doute de s’assurer que mon père tiendrait la promesse qu’il lui avait faite, celle de réparer son armure sainte.
Oui, je me souvenais de lui à présent, je l’avais trouvé noble à l’époque et encore plus maintenant. Cela me rendit mélancolique.

-« Sion, que fais-tu ici ? Pourquoi n’es-tu pas à ses côtés ? », s’enquit-il.

Cette question, je l’avais redoutée. Et elle était là à présent, acérée malgré le fait qu’elle provenait d’un chevalier tel que Kirin pour qui j’avais de l’admiration. Elle me blessa bien que je fis mon possible pour ne pas le montrer. Je réussis à articuler de manière hachée et rauque : « Il est mort, comme ma mère, il y a 4 ans. »

 

* Dohko*

 

            Le silence nous entoura, pesant et invincible. Je fixai le visage de mon ami avec désolation. Pour la deuxième fois, on l’avait fait avouer une vérité douloureuse. Son visage qui s’était illuminé aux dires de Kirin s’était refermé d’un seul coup par la maladresse de ce dernier. Le chevalier des Gémeaux chercha de l’aide dans notre direction, vers sa sœur qui le rejoignit. D’un geste malhabile, il esquissa une parole d’excuse sincère. Sion lui murmura d’un air fuyant que cela n’était pas grave, même si tout le monde pensait le contraire. En voyant la mine désolée de Kirin, il s’empressa de s’excuser pour une chose dont il n’était pas responsable, répliquant que cela lui avait fait plaisir que quelqu’un lui parle ainsi de sa famille.
Kirin souria poliment, s’excusant encore. Sirius nous sauva une fois encore de son tact et de sa gentillesse.
-« Ep ! Monsieur sans diplomatie dont l’anti-art vient à nouveau de nous prouver sa compétence imbattable, dis-moi, il est où ton disciple ? Je sais que tu l’as emmené avec toi car depuis ton départ et mis à part Sion qui désirait sans doute tester la résistance légendaire de mon temple à son arrivée au Sanctuaire, on n’a pas eu de phénomènes inexpliqués ici.
-« Phénomènes inexpliqués » ? Comme tu y vas, pourquoi dis-tu cela, ce n’est pas gentil, Sirius ! Qu’entends-tu par « phénomènes inexpliqués » d’abord !?
-Et bien… Du genre tempête de sable, raz-de-marée de sable et tout ce qui s’y rapporte je dois dire, n’ont pas été au menu de ces quelques mois passés en ton absence.
-Ha ! Ha ! Ha ! Et bien oui, en effet, je l’ai emmené avec moi, il devrait être d’ailleurs dans les parages, je ne comprends pas… »

Sion, qui m’avait rejoint, me questionna sur le sujet.
-« Kirin a lui aussi un disciple ?
-Oui, il est un peu étrange d’ailleurs puisqu’on en parle. Un peu… Comme toi. »
Sion haussa un sourcil.
-« Comme quoi par exemple ?
-Et bien, il paraît et je pèse mes mots, qu’il parle au sable. Il paraît… Bon, comme il vient du Sahel, il n’a connu que ça mais de là à dire qu’il arrive à parler avec, c’est un peu bizarre, non ?
-Si tu le dis… »

A l’époque, je ne saisis pas bien la raison d’une telle lassitude sur le sujet mais maintenant, sachant que Sion, de par son lien inaltérable avec la Nature offert par ses origines, pouvait facilement faire de même, je le comprends un peu. Ca devait être agaçant de voir combien les gens nous regardaient différemment à l’annonce de ce don.
Mais il se contenta de prendre un air à mi chemin entre la lassitude et l’amusement, et me laissa à mes considérations d’inculte en la matière au sujet de ce personnage qui venait s’ajouter à son imagination.

Shaolin, qui venait de réajuster le nœud de la fine cordelette tressée de fils rouges maintenant attachés les cheveux de son frère qui se laissait faire, sachant pertinemment que le refus ne suffirait pas à stopper l’élan quasi maternel de sa sœur à son égard et voulant par ailleurs à tout prix éviter de la contrarier sous peine de devoir endurer un combat de 1000 jours et 1000 nuits avec sa jumelle, entreprit de l’interroger sur son périple en Amérique du Sud, contre ces chimères qui s’étaient brusquement tirées d’une léthargie vieille de plus de 5 siècles, les Méduses.

-« Kirin ! Kirin ! Tu les as battues comment, ces saletés ? Avec ton cosmos, ou à l’ancienne ?
-A l’ancienne ?( !)
-Oui, tels les grands guerriers d’antan, aux poings, bien sur !
-Je dirais alors de manière moins héroïque, j’ai utilisé mon cosmos.
-Zut ! Pas très glorieux ça !
-J’ai quand même dû garder les yeux fermés, je pensais au début qu’il ne s’agissait pas de Gorgone mais bon, elles avaient la capacité de réduire en cendre tout ce qui croisait leur regard, je ne pouvais pas prendre le risque.
-Tu as été blessé ?
-Oh, si peu…
-Tu es rentré comment ?
-Par bateau. »

Un silence. Nous nous posâmes tous la même question. Shaolin la formula pour de vrai.
-« Comment ça, par bateau ?!! Tu rentres d’Amérique en Grèce par bateau toi ?!! Mais c’est pour ça que tu as mis autant de temps pour rentrer, bougre d’âne !! La vitesse de la lumière, ça te dit quelque chose, frère stupide ?!
-Mais comme ça, j’ai pu visiter…
-Visiter quoi, t’étais sur l’océan Atlantique, et dans l’Atlantique, il n’y a que de l’eau, de l’eau et de l’eau ! Y’a rien à visiter sur l’Atlantique !! J’y crois pas !! Mon frère est stupide !!
-Ne dis pas ça ! En plus, le bateau sur lequel j’étais a fait escale (par hasard) en Côte d’Ivoire. Là-bas, j’ai pu rencontrer par chance ( je précise que ce n’était pas du tout prémédité…) VanRâh qui revenait juste de mission. Du coup, on est rentrés ensembles. C’était très convivial.

-Mon Dieu !! », s’exclama Shaolin en se donnant une tape sur le front, « 2 idiots sur un même rafiot, y a pas pire parce que les 2, en matière d’idiotie, s’auto stimulent, à qui pourra dire le plus de choses affreusement énervantes en un laps de temps record !! J’espère au moins qu’il était bien ce bateau, pour avoir passé un temps aussi long dessus !!

-Non, pas le moins du monde, c’était une barque complètement pourrie, tellement pourrie que la quasi-totalité des planches de la coque partait au gré des vagues et on a du passer notre temps à essayer vainement de délester le rafiot de l’eau qui s’infiltrait de tous les côtés. »

Shaolin et Kirin restèrent interdits. Cette voix n’appartenait à aucun de nous. Je reconnus cependant les intonations râpeuses qui faisaient claquer certains mots, et cette manière de parler avec une pointe de lassitude mêlée à du dédain. Cette voix ne pouvait être qu’à lui.
Il se dégagea de Kirin derrière lequel il était arrivé, sans doute provenant de l’entrée noire du troisième temple, toujours aussi silencieux qu’un fauve si bien que personne ni même son maître ne l’avait entendu venir.

Il était debout, faisant face à l’assemblée stoïque, déambulant de sa démarche lente et souveraine, le menton haut. Bien que le connaissant depuis 5 ans, cela me faisait toujours le même effet de le voir apparaître ainsi, drapé dans une étole toujours rouge sombre couvrant l’un de ses bras et dénudant l’une de ses épaules, dont l’agencement compliqué au tissu plié, replié lui permettait de le faire tenir sans aucune attache d’aucune sorte, vestige des coutumes de son peuple au même titre que celui de Sion aujourd’hui disparu.
Comme à son habitude, il marchait pieds nus, sa cheville droite portant enroulée autour d’elle l’Ouroboros, le signe de la globalité et du lien de la vie après la mort, ceci représenté par un serpent d’or se mordant la queue.
Sur son avant-bras gauche laissé libre par l’étole pourpre, un symbole tribal noir tatouait sa peau brune, la léchant du dos de sa main au coude, signe de son appartenance à une tribu mythique et décimée.
Pour compléter cette véritable incarnation du défit ardent de sa terre natale face au soleil desséchant du désert où il avait vu le jour, il portait des cheveux courts aux épis nombreux et indomptables, aussi rebelles que leur couleur d’un rouge carmin totalement anormal pour un être humain mais provenant des effets du soleil incandescent du Sahel sur des cheveux auparavant sans doute roux que les femmes de son peuple avaient du teindre avec de l’argile pour ne pas l’exclure d’un clan très fermé où toute différence était sacrilège.
Cet alliage avait fait virer irréversiblement ses cheveux au rouge sang, lui donnant un air totalement sauvage et presque carnassier, du fait de la blancheur de ses dents par rapport à la couleur brune de sa peau cuite et recuite par l’astre divin, cette impression achevée par ses yeux allongés tels un félin et soulignés comme ce dernier de cils de geais rehaussés d’un marquage noir suivant et exagérant leurs contours obliques, le tout lui conférant la physionomie d’un redoutable fauve imprenable. De chaque côté de son visage parfaitement dessiné descendaient deux mèches dont les cheveux étaient maintenus rassemblés par un écrin de tissu fin noir qui les enserrait juste en leur centre, laissant leurs extrémités libres.
Tel était le visage fin et magnifique de Khaan, disciple de Kirin des Gémeaux, aspirant à l’une des plus indomptables armures du Sanctuaire, celle du Sagittaire.