Chapitre 10

 

*Dohko* 

            Je regardai Sion avec interrogation. Il reprit, voyant mon air surpris.

-« Son épaule droite était démise, je l’ai compris à sa respiration difficile à droite. Aucun de ses muscles ne se tendait pour l’aider à respirer comme ils devraient le faire en temps normal. De plus, la manière dont il avait prédisposé son vêtement m’a conforté dans mon jugement. Il cachait l’épaule droite et maintenait enserrée celle-ci dans un carcan pour la stabiliser. Il a dû la corriger car elle n’était pas dans une attitude vicieuse. Cependant, tous ces détails m’on porté à croire que le système d’attaches avait été lésé. Sinon, il aurait sûrement agencé son vêtement autrement, lui laissant beaucoup plus de liberté de mouvement qu’il n’en avait alors. »

Il sourit devant mon air incrédule. Sion. Il se trouvait faible, pourtant, il voyait toujours ce que personne ne pouvait apercevoir. Lui, c’était un observateur de géni. Mon attention se reporta vers Khaan, celui qui n’avait pas hésité une seule seconde à provoquer un autre disciple en sachant parfaitement que sa force était diminuée de 40% au moins, l’atteinte de l’épaule paralysant le bras dans sa totalité si ce n’est pas plus. Je voulais vérifier même si je savais que si Sion l’avait affirmé, ce ne pouvait qu’être vrai. Mais Khaan avait déjà disparu, fidèle à son habitude de rester solitaire et insaisissable.

Kirin, Sirius et Shaolin ne l’avaient sans doute pas remarqué quand il s’était éclipsé, sûrement absorbés par leur conversation animée entrecoupée par les éclats de rire cristallins de Shaolin.

Celle-ci nous fit signe de la rejoindre. Le soleil disparaissait presque à l’horizon. Il était temps de rentrer. Sirius nous adressa un geste amical de la main.

-« Dohko, Sion, qu’allez-vous faire demain ? Ha ! Ha ! Avec l’entraînement de fous de Shao, je suppose que vous allez vous reposer, non ?

- Eh !!! Ce n’est pas un entraînement de fous ! C’est ce qu’il faut pour devenir un excellent chevalier, ni plus, ni moins ! Et si on parlait plutôt de tes élèves ? Tu les couves trop mon ami, fais attention, ils ne vont jamais acquérir leur armure dans ces conditions !

- Pff ! Je les aime trop pour leur taper dessus !

- Ben voyons ! Dohko et Sion te le diront, je ne les torture pas que je sache ! »

Sirius passa sa main gigantesque dans les cheveux fins de Sion.

-« Mouais, il est pourtant bien pâle ton petit disciple !

- Ah oui ?! Fais voir !! »

Elle se pencha vers Sion que ne savait plus où se mettre. Shaolin se mit à rire. Elle aimait le faire tourner en bourrique. S’il était de connaissance acquise et générale au Sanctuaire que Sirius maternait trop ses élèves étant donné sa trop grande gentillesse l’empêchant de donner de véritables ordres en tant que maître, Shaolin elle, adorait son frère plus que tout. Son jumeau qui lui ressemblait tant. Et elle était notre sœur à nous qui n’avions plus de famille.

-« Mais tu as raison sur un point mon ami, ces deux-là ont bien mérité leur journée de repos hebdomadaire, ils ont travaillé comme des chefs cette semaine. Bientôt, ils surpasseront ton élève Kirin !

- Je n’en doute pas. »

Kirin, le puissant Gémeau s’accordait toujours avec sa sœur qu’il ne voulait pas contrarier. Il m’adressa l’un de ses regards moirés. Shaolin suivit celui-ci de ses yeux clairs. Devinant immédiatement la pensée de son frère, elle précisa : « Dohko arrive à matérialiser son cosmos et à le stabiliser. Il est de plus en plus rapide et ses attaques sont très bien coordonnées. Hé ! Hé ! Il progresse ! »

Je rougis. Je n’aimais pas être mis en avant de la sorte. Surtout alors que je savais pertinemment qu’il me restait une montagne à gravir avant d’atteindre le niveau de Khaan, cette entrevue ayant soufflé en moi le doute et le découragement. Non vraiment, je ne méritais pas de telles éloges.

Kirin émit un sifflement d’admiration totalement en désaccord avec ce que je pensais de moi et cela acheva de me rendre maussade. Etre chevalier passait par l’humilité et la lucidité. Pour l’instant, j’avais plutôt honte de moi qu’autre chose, je n’avais pas revu le disciple de Kirin depuis des mois pendant lesquels je m’étais efforcé de réduire l’écart semblant à l’Océan qui nous séparait. Je pensais y être arrivé, mais la simple vue de on visage se muant en un masque acéré sous le coup de la colère, de son regard virant au rouge sang pareil à celui des plus féroces dragons destructeurs peuplant les légendes de mon pays, avaient suffi à me faire trembler de peur et à détruire ma confiance en mes progrès nouvellement acquis.

C’était Sion qui l’avait arrêté, pas moi, c’était lui qui avait découvert son point faible en quelques secondes. Moi, je n’étais qu’un vantard qui ne savait qu’émettre des mots. En ce sens, j’étais une honte pour la chevalerie.

Je levai les yeux vers le ciel qui se teintait de violet magnifique. Shaolin faisait ses adieux à son frère et à son ami qui lui répondirent d’une seule voix puissante. Tant mieux si l’on partait déjà, comme ça je n’aurais pas à m’humilier d’avantage devant ces pairs si glorieux tant j’avais envie de vomir. La seule chose que je désirais à présent était de rentrer au plus vite à la sixième maison cacher ce visage reflétant tout ce qu’un chevalier ne devrait pas être.

Sion salua à son tour le chevalier des Gémeaux et celui du Taureau, offrant un visage doux aux derniers rayons du soleil. Je fis quant à moi un effort surhumain pour ne pas laisser ma voix me trahir quand je fis moi aussi mes adieux à mes aînés. Ça, ce n’était que dans ce domaine que j’excellais, celui de tromper mon entourage. Et le fait de faire cela à des chevaliers que j’admirais tant me porta un nouveau coup au cœur. Vite, il fallait m’éloigner d’eux, ne pas les souiller de ce que j’étais.

Le retour à la maison de la Vierge fut morne, Shaolin joyeuse pour nous deux, ouvrant la marche, détaillant le récit de quelques unes des missions passées de son frère qu’elle adorait devant Sion émerveillé et innocent. Moi, je fermais la marche, espérant de tout mon cœur que personne ne remarquerait ces larmes amères qui venaient souligner le contour de mes yeux que je gardais rivés au sol.

Puis ce fut au tour  de la maison du Cancer de nous accueillir de ses ombres, son gardien n’étant pas au Sanctuaire, nous ne le verrons pas encore cette fois-ci.

Nous passions lentement aux alentours de la maison de Kivu, majestueuse et puissante tel l’animal royal qui en était le gardien.

Quand enfin nous atteignîmes la sixième maison, il faisait presque nuit, cette obscurité teintant les murs blancs du domaine de mon maître. Et tandis que Shaolin s’éloignait déjà en compagnie de mon ami en direction de la pièce principale, je préférais prendre retraite dans la pièce qui m’était réservée. Aucun des deux ne s’aperçurent de ma disparition. J’étais soulagé de regagner ces murs qui formaient mon Sanctuaire à moi. Je fis mon possible pour garder la tête haute, par fierté mais je savais que dès demain il me faudrait m’entraîner, encore et encore afin que mon esprit demeure si fort que personne, pas même le futur chevalier de la neuvième maison ne pourrait l’ébranler.

Quand je m’éveillais, il faisait à peine jour. Le soleil ne laissait diffuser qu’une infime partie de ses rayons discrets. L’aube était là. Je frottai mes yeux. J’étais fatigué mais pas question de paresser plus longtemps. Je savais qu’aujourd’hui, Shaolin allait profiter de notre jour de repos soit pour méditer, soit pour compulser une fois de plus les lourds volumes anciens et chargés de sagesse qui se trouvaient dans la maison du Cancer, Saïro son chevalier étant pour l’instant le détenteur de la salle des archives du Sanctuaire, lieu où était rassemblée la majeure partie des écrits mythiques du Sanctuaire, ceux relatant les connaissances et la gloire d’Athéna. C’était le moyen pour mon maître de se retirer du monde, cette enceinte requiérant un silence absolu et presque personne ne songeait à y passer ses journées. Là-bas, elle était sûre de trouver une quiétude que malgré son caractère enjoué n’arrivait pas à masquer la nécessité.

Je m’habillai prestement. Je passai ensuite devant la chambre que mon maître avait allouée à mon ami. Ce fut à mon grand étonnement que je la retrouvai vide.

*Sion*

            Cela faisait bien une heure que je marchais sans relâche. Cela ne me déplaisait pas, au contraire, l’air était frais et vif, quant au soleil, il tardait à montrer le bout de son nez et lassait l’aube agir en souveraine. Le Sanctuaire était marbré de brume et semblait endormi. J’avais quitté très tôt le domaine de mon maître, sans bruit. En fait, je voulais à tout prix éviter de réveiller Shaolin et Dohko qui m’auraient alors questionné sur les raisons de mon empressement à me retrouver à l’extérieur de la sixième maison. En fait, mon but était simple, je voulais d’une part continuer mon entraînement afin de rattraper petit à petit mon retard et d’autre part, je comptais bien vérifier quelque chose. Pour cela, je devais me rendre près des falaises, celles délimitant l’étendue Est du Sanctuaire et le séparant de la mer. C’était elle qui me fallait voir ou plutôt écouter. Elle qui était là depuis des milliers d’années et qui avait vu naître montagnes et terres fermes, elle pourrait sûrement répondre à mes questions, à une question : quel était le lien étrange qui semblait m’unir à Khaan, ce lien que j’avais ressenti se prononcer au moment même où nous nous sommes vus pour la première fois ?

Je ne connaissais presque rien de mes origines mais Khaan lui, semblait détenir des clefs essentielles au puzzle de ma vie. Pourtant, le questionner était à bannir aux vues du dégoût qu’il avait manifesté à mon égard et plus encore lorsqu’il avait remarqué ce que je portais au front. D’ailleurs, pourquoi portais-je ceci ? Est-ce que ça avait une signification particulière ? J’avais déjà posé la question à Shaolin, représentante sur terre d’un homme au cœur ayant atteint l’illumination, Sakkayumi. Mais elle n’avait pas pu me répondre, même en compulsant de nombreux ouvrages se tenant cachés dans le temple du Cancer. Il fallait donc que je me tourne vers quelqu’un d’autre. Et entre le Grand Pôpe et cette mer matrice datant de la naissance du monde, je préférais paradoxalement aller consulter cette dernière, Kivu m’impressionnant encore beaucoup trop.

J’avais adopté un pas rapide et suivais maintenant les informations que me délivrait chaque être vivant ou chaque élément que je croisais sur ma route pour trouver mon chemin. Je fus étonné de constater que si d’ordinaire, ce don spécial me liant à mon univers était plus une gêne qu’une aide pour moi, il pouvait se révéler d’une utilité à toute épreuve dans ces conditions. Il pourrait, qui sait, un jour devenir ma force !

J’atteignis enfin mon but après quelques heures de marche. Je compris cela en voyant s’élever au dessus de ma tête une fauvette délicate, décrivant des cercles dans le ciel pâle pour m’avertir que si je comptais piller son nid, elle n’hésiterait pas à m’attaquer pour le défendre bec et ongle. Cela me fit sourire. L’oiseau était petit et frêle mais pétri de courage et d’abnégation. C’était ça la vraie force, celle de protéger les êtres chers.

Je changeai de direction pour ne pas l’effrayer d’avantage. De toutes façons, ici ou ailleurs, partout s’étendait la couleur brun noire  des rochers de la falaise que j’avais gagnée et déjà le bruit de l’écume folle atteignait mes oreilles. Je touchais au but.

J’inspirai l’air longuement. Je me souvins que cette mer avait porté jadis sur son dos les bateaux sombres des héros grecs partant en quête de gloire, de justice et de puissance. Oui, à côté de ça, à côté d’elle, je n’étais quasiment rien.

Je me rapprochai du bord afin de mieux offrir mon visage au regard profond de cette pythie ancestrale que j’étais venu consulter afin de quémander conseil. Aujourd’hui, elle choisissait d’être moqueuse. C’est étrange comme cela emplissait ma tête, ce rire grave et aiguë à la fois dont chaque intonation était un roulement de vague. En fait, je pouvais même dire qu’elle se moquait de quelqu’un. De moi, peut-être.

Un écho emplit mes tympans d’une voix formidable me faisant sur le coup détourner la tête  et fermer les yeux. Je les rouvris quelques secondes plus tard alors que ce rire cessait.

J’aperçus quelque chose au loin. A plusieurs centaines de mètres sur ma droite, mes yeux distinguèrent quelque chose noyé dans l’océan de pierres griffues et possessives du plateau de la falaise sur laquelle je me trouvais. Je plissais les yeux afin que ces deniers puissent délimiter le contour de cet élément greffé sur le paysage, englouti par lui.

Le vent se fit sentir, beaucoup plus cinglant que dans les terres, chargé d’embruns, faisant voleter l’élément. C’était du tissu rouge. Je déglutis, refermant avec soin les lacets de ma chemise, je fis retomber sur mes bras les pans de mon étole carmin. J’avais froid.

J’avançai lentement vers cet objet nouveau, mon esprit échafaudant mille théories sur l’origine et la nature de ce fragment d’étoffe aussi pourpre que la mienne posée là, sans raison apparente.

La mer se remit à parler, mais sa voix était devenue murmure, perdant de son grondement de fauve pour adopter un son mince et semblable à celui émis par une voix féminine et acérée. Je me rapprochai maintenant de plus en plus. L’épreuve était ardue tant chaque pas était la source de toute mon attention dans ces rochers au relief compliqué. Avec leur agencement en quinconce, on avait vite fait de se tordre les chevilles, de glisser et de ce casser quelque chose. Je relevai les yeux en direction de mon but. Le morceau d’étoffe avait grandi lors de notre rapprochement. Il semblait couler sur les rochers sombres. Mais plus que les roches, le tissu recouvrait quelque chose que j’identifiais comme étant une jambe. Alors, c’était quelqu’un qui était venu voir la mer comme moi. J’allais retourner à mon lieu de départ laissant là mes investigations quand soudain, je vis quelque chose briller et m’éblouir aveuglément. C’était un bracelet doré porté à même la cheville, semblable à celui… De Khaan.

Mon cœur  fit un bond. C’était bien la dernière personne avec qui je voulais me retrouver seul. Une seule solution, m’éloigner au plus vite de cet endroit avant qu’il ne me remarque.

La mer emplit de nouveau ma tête d’un grondement menaçant. Comme je ne m’y attendais pas, je ployai sous ce coup déloyal. Je regardais l’horizon avec colère. A quoi jouait-elle ? Voulait-elle me ralentir ? Je serrai les dents avec rage. Mais l’eau redevint calme et sa voix emplissant ma tête de nouveau me souffla avec désinvolture « il l’a bien cherché. »

Je sursautai. Qui « il » ? Khaan ? Qu’avait-elle voulu dire par ces quelques mots acides ? J’eus un moment d’hésitation. Que faire ? Aller vérifier si Khaan l’avait effectivement « cherché » ou bien détaler pendant qu’il était encore temps ?

Un oiseau noir tournoya dans le ciel pâle. Il avait trouvé de la nourriture, une proie. Je suivis du regard les longs cercles du rapace. Il avait trouvé de la nourriture. Je baissai soudainement les yeux vers l’endroit où devait se trouver Khaan. Les battements de mon cœur s’accélérèrent. Le rapace cria. Sans aucun doute, il se tenait à l’aplomb du lieu où se tenait Khaan. Celui-ci restait immobile malgré les menaces du volatile. Pourquoi ? Nul n’ignore que ce genre d’oiseau de proie peut faire des dommages importants s’il se mettait à attaquer. Et ce « genre d’oiseau » ne s’attaque qu’aux proies les plus faibles, trop pour leur résister bien longtemps leur assurant une victoire sans partage.

Mon souffle se coupa alors que le rapace fendit les airs. Je me précipitai alors avec toute la rapidité dont j’étais capable. Maintenant, nul rocher ne pouvait stopper mon élan. Je dévorai la distance qui me séparait de Khaan si bien que j’arrivai près de lui avant même que l’oiseau de grande envergure ne l’atteignit. Ce dernier fit une volte furieuse et regagna les airs et glapissant de rage devant cet élément perturbateur qui venait de lui voler son déjeuner.

Ma course ne m’avait pas fatigué alors pourquoi cet essoufflement ? J’avais eu peur. Maintenant, je me sentais ridicule, Khaan ne craignait sûrement pas la confrontation avec un rapace aussi grand soit-il, il se serait sûrement levé à la dernière seconde et aurait évité cette attaque sourde. J’étais stupide d’avoir cru que moi, je pouvais faire cela à sa place. Tandis que je reprenais tant bien que mal mon souffle, je discernai les aspects de mon acte inutile et futile. Je n’osais d’ailleurs pas me retourner vers le disciple des Gémeaux qui se tenait dans mon dos, me regardant sans nul doute de son air acerbe et dédaigneux. Mes joues rougirent et brûlèrent. Il fallait cependant risquer les moqueries de l’élève de Kirin. J’avais empiété sur son territoire, j’avais douté de lui, je m’étais conté fable sur un danger qui n’existait pas pour lui, il avait donc d’excellentes raisons de se moquer de ma puérilité.

Je tournai alors la tête vers lui risquant de rencontrer ne fois de plus son regard rouge et sans faille.