Chapitre 15
*Dohko*
Moi qui étais sûr de me lever aux aurores avant tout le monde, avec pour but condamnable de prouver à mon cœur que je valais encore quelque chose, c’était raté. A mon réveil, Shaolin était déjà sortie dieu sait où déposant pour unique consigne un papier totalement blanc ( ?) sur la porte de ses appartements, ce qui me laissa tout de même interdit devant la dose de culot qu’il fallait avoir pour oser faire ça (culot ou inconscience d’ailleurs), quant à mon ami, seule sa chambre vide répondit à mon appel. Bon sang, où avaient-ils tous bien pu disparaître ? Je me ressaisis en me disant que finalement, c’était une aubaine pour moi qui ne voulais pas montrer aux autres la faiblesse de mon courage, je décidai donc de m’atteler à mon objectif pendant le reste de la journée.
Ce ne fut qu’au crépuscule que je cessai les nombreux exercices auxquels j’avais fait honneur toute la journée, les bras endoloris, la fatigue tenaillant mes jambes, le souffle court. J’étais presque rentré au temple de la Vierge quand j’aperçus au loin la silhouette ténue de mon ami. Je courus malgré mon épuisement, à sa rencontre, heureux de pouvoir enfin parler avec quelqu’un d’autre qu’à moi-même, de parler avec lui tout simplement.
Ce fut quand il se tint devant moi que je vis cela, cet air hagard et défait sur lui, les traits tirés, les yeux sombres, les vêtements tachés de sang ne provenant d’aucune plaie. Et j’avais beau le questionner encore et encore, ma voix devenant peu à peu cris d’affolement, jamais je ne sus ce qu’il s’était passé durant cette journée où le ciel s’était marbré de nuages gris masquant le soleil, ni moi, ni Shaolin n’apprit la vérité, Sion s’obstinant dans un silence inquiétant.
Notre maître qui revenait du lieu secret où elle s’était réfugiée, alarmée par ce visage cireux, se demanda s’il ne fallait pas suspendre les entraînements sensés être repris le lendemain. Sion refusa, ne réclamant en contre partie qu’une seule chose à notre maître, celle de se rendre au troisième temple mais là encore, aucune information ne filtra de sa personne.
Sion avait choisi de devenir une porte close. Il resterait ainsi tant qu’il le voudrait. Ça me blessa un peu de le voir s’en aller, courbé vers le sol, le pas hésitant, quittant sciemment la protection de Shaolin pour se rendre là où résidait le danger, ne demandant à aucun moment et à aucun de nous deux de l’accompagner.
Encore maintenant, je lui suis inutile.
*Sion*
Toute la nuit, ça avait tourné et retourné dans ma tête. Jamais encore je n’avais été confronté à cela. J’avais eu l’habitude de me voir roué de coups par ma tutrice lorsqu’elle jugeait que telle ou telle faute avait été commise par ma personne, mais jamais je n’avais assisté à une telle violence déchaînée sur quelqu’un d’autre que moi.
Cette scène où cet homme aux cheveux ébènes et aux yeux de plomb plongeait sa main dont les doigts raidis étaient devenus tels des poignards acérés dans la poitrine de l’aspirant Sagittaire, lui trouant la peau pour en retirer dans une gerbe de sang cette boule de chairs grinçante émettant des sifflements stridents et hargneux me restait éternellement dans la tête sans que je puisse faire quoi que ce soit pour parvenir à l’effacer
J’avais peur. Peur de ce qu’on appelle monstre, peur d’avoir découvert de cette manière leur existence parasite, peur de cet homme qui avait charcuté sans hésitation son disciple au nom de la justice, peur de ce qui avait bien pu advenir de Khaan pendant la nuit. Et s’il n’avait pas résisté à ça ? Qu’est-ce qu’il faudrait faire si Kirin arrangeait la vérité sur sa disparition ? Cette envie de vomir que je connaissais si bien me crocheta l’estomac. Combien de temps encore faudrait-il passer pour me défaire de cette peau de lâcheté qui me recouvrait comme une enveloppe transparente mais palpable ? Je voulais devenir fort, si fort que rien ni personne ne pourrait arriver à me faire ressentir cette peur de lâche. Devant moi, les marches menant au temple des Gémeaux s’étendaient lentement vers cette entrée d’ombres et de lumière mêlées. J’avalai ma salive. J’avais dit que j’allais revenir. Un chevalier ne revient pas sur ses paroles. Je descendis avec anxiété les marches d’un pas mal assuré en direction de la troisième maison. Son gardien était là, me narguant de sa force immense et tellement sûre qu’il pouvait se permettre d’ignorer ma présence posément.
Il étendait au soleil sur le muret entourant sa demeure un vêtement rouge virant au brun sombre, trempé, s’égouttant sous les rayons de l’astre divin. Aux longues bandes noires relevant les bords de l’étole, je reconnus le costume de Khaan. Si Kirin lavait celui-ci, cela ne pouvait signifier que deux choses : ou bien Khaan était vivant et à cette occasion il avait fallu nettoyer le tissu souillé la veille, ou bien son disciple n’avait pas survécu et pour la peine, Kirin effaçait les preuves de son acte barbare sur lui.
Cette idée m’affola. Je courus vers le chevalier des Gémeaux, oubliant ma peur dans ma course effrénée. Il releva la tête, clignant des yeux, aveuglés par le soleil dans mon dos. Il réajusta le tissu qu’il étendait, terminant de lisser les derniers plis. Puis il délaissa son occupation pour faire quelques pas dans ma direction, se frottant les mains.
« Alors Sion, où cours-tu comme ça ? »
Comme cette voix était dérangeante, certains mots prenant le timbre de Shaolin, mimant à la perfection ses intonations chaleureuses, cette voix où filtrait quelque chose que je pris pour du dédain.
« Je viens voir Khaan », articulai-je avec peine, tentant de contrôler le tremblement de mes lèvres.
Kirin prit un air étonné ce qui fit agrandir ses yeux couleur de mercure.
« Tiens ?.... Alors ce n’était pas un mensonge ? Mon élève t’intéresse donc tant que ça ?»
Je reculai d’un pas, méfiant, essayant de percer à jour ce visage si semblable à celui de mon maître mais dénué de toute expression humaine pouvant s’y lire dessus.
Kirin darda son regard venimeux dans le mien.
« Je te fais peur ? »
Je restai interdit. Je n’arrivais pas à démentir. Bien sûr que j’étais terrorisé rien qu’à la vue de sa silhouette grande et mince, à sa voix coulant comme de la roche en fusion. Mais de là à me faire percer à jour de cette manière, aussi facilement, je ne sus quoi répondre pour lui prouver le contraire.
Trop tard. Il éclata de rire, un rire pareil à celui de Shaolin, troublant de similitude avec le sien. Soudain, son visage prit une expression que je n’avais jamais vue sur lui, semblable à celle qui avait marqué les chairs du visage de mon père avant de mourir. Du désespoir, du courage, de la désillusion, de la fierté ravalée, de la solitude, beaucoup de peine aussi. Sa voix se fit ténue et humaine, bien plus que celle enjouée de mon maître.
« Ha ! Ha ! Ha ! Ha ! Et oui, c’est comme ça, je n’y peux rien… »
Puis il reprit son air absent et dénué d’expression.
« Je suis désolé mon ami pour le chemin que tu as dû parcourir pour venir jusqu’ici, mais mon élève n’est pas là, il est sorti tôt ce matin, avant même que je puisse lui mettre la main dessus. Pas de chance ! »
Qu’avait-il voulu dire par « c’est comme ça, je n’y peux rien » ?
Mais il venait de m’apprendre ce que je désirais savoir, Khaan était vivant. Conscient malheureusement de mon désintérêt passager pour sa personne, Kirin se détourna, faisant voleter les fragments de corde rouge retombant du nœud solide avec lequel il maintenait ses cheveux attachés.
« Il doit sûrement être dans le coin, il se traîne un peu aujourd’hui. Essaye plutôt vers les ruines aux abords du Sanctuaire, vers le temple du Bélier, je crois que tu trouveras ce que tu cherches là-bas. C’est du moins ce que j’ai ressenti il n’y a pas longtemps. »
Il rentra d’un pas lent dans les limbes de sa maison secrète. L’espace d’un instant, dessous ce masque impétueux, sauvage, passionné, acéré et trompeur, j’avais entrevu le reflet d’un homme encore plus humain que tout ce que j’avais pu connaître jusqu’à présent, un mélange de douleur, de regret, de gentillesse bafouée, de courage et de justice sans borne.
Me reprenant, je lui criai mon remerciement alors qu’il disparaissait presque totalement dans l’épaisseur de son temple. Il se retourna lentement pour m’offrir un regard devenu argenté. J’avais conscience d’avoir effleuré l’un des plus grands mystères de la nature humaine en cet homme où se consumaient tour à tour tous les sentiments exacerbés composant l’être humain. Kirin, tu portes bien ton prénom, chevalier des Gémeaux, tu es semblable à cette divinité impalpable et secrète des terres du royaume du milieu en Chine, annonçant par sa venue à la fois les jours fastes comme ceux les plus sombres de l’humanité.
Peut-être m’étais-je trompé sur son compte. Après tout, c’était le frère de Shaolin, celui qu’elle aimait par-dessus tout. Elle ne pouvait pas se tromper comme cela sur quelqu’un. C’est moi qui étais vil, dressé pour me méfier de tout et de tout le monde. J’en eu soudain tellement honte que j’eusse voulu disparaître sous terre afin de laver les péchés de ma nature bornée et trop réaliste. Pourtant, avais-je donc si tort de me détourner de ce que me chuchotait mon instinct, ce que l’on pouvait appeler mon sixième sens sur la nature abyssale de cet homme ?
Je demeurais comme un pantin muet auquel on venait de couper la corde directrice, les bras ballants, les jambes de plomb, ne sachant quoi dire ou quoi faire pour rattraper ma stupidité. Il s’écoula de ce fait plusieurs minutes pendant lesquelles le silence me fut compagnon d’infortune. Le chevalier des Gémeaux ne réapparaîtrait pas. Par déception, par colère, par regret et pudeur sans doute, préférant la quiétude et l’ambiance ouatée des pierres sombres et fidèles d’un temple cachant tout de l’extérieur, tout le reste, le séparant d’une humanité qu’il avait choisi de défendre au mépris de sa raison et de sa chairs.
Déçu mais lâchement soulagé de cela, je tournai les talons pour descendre en direction du temple du Taureau, celui de Sirius. J’hésitai à traverser les allées claires et gigantesques de la maison érigée en l’honneur de l’animal qui fut la croix du fils maudit du roi Minos de Crète, banni des hommes dès sa naissance non désirée de tous, se renfermant tellement dans sa solitude forcée qu’il se mit à haïr ses bourreaux, incapable de pardonner à ceux qui avaient condamné sa vie par principe et par intolérance. Cet homme mi animal, qu’a-t-il pensé quand Thésée le vainquit de sa lame acérée, délivrant Athènes de son tribut de chairs et expiant les crimes de sang du roi son père ?
Il lui avait sans doute pardonné pour tout, au nom de tous, regagnant sa dignité dans la mort, montrant à tous comment meurt ce qui est qualifié de monstre. Sirius faisait vivre ce mythe de sa présence sereine et puissante. Alors que je me présentais devant son temple, j’espérais en fait sa venue à ma rencontre. Il m’aurait ainsi remonté le moral de sa bonne humeur. Mais lui aussi, il ne se montra pas pour moi. Il devait sûrement être en train de s’occuper de ses disciples qu’il avait nombreux. Il ne serait de retour qu’à la tombée de la nuit. Je pris mon parti, ravalant ma déception. Je ne traverserais donc pas la deuxième maison aujourd’hui, me contentant de parcourir uniquement l’annexe car je n’avais pas l’assurance de mon maître, celle de passer outre le consentement du gardien pour parcourir les allées du temple désert.
Je passai rapidement la maison zodiacale du Taureau afin de gagner les abords du temple. A présent devant moi s’étalaient les limites des terres du Bélier à la toison d’or, la première des 12 constellations du Zodiaque d’or. Mon regard balaya ces terres inconnues me semblant si familières et pétries de souvenirs que je n’avis pourtant pas vécus. Dans l’air, un doux écho mélancolique résonnait.
J’eus du mal à décrocher mon regard de cet édifice majestueux désespérément vide de tout.
J’eus du mal à trouver ce que j’étais venu chercher parmis les innombrables colonnes de pierres blanches fissurées par les ans, les restes teintés de gloire de constructions prestigieuses semblant être des annexes du temple du Bélier d’or. Les yeux plissés et défiant les rayons du soleil en déclin, j’eus grand peine à dénicher parmis les ruines prenant les couleurs ocres et lumineuses du crépuscule naissant un petit fragment de sa personne solitaire.
Ce fut un pan de son vêtement qui attira mon attention, dépassant légèrement du refuge dont il avait pris possession aux pieds du seul endroit où personne ne viendrait lui demander des comptes, le maître des lieux étant passé de vie à trépas. Il se fondait si bien dans ce décor perdu et figé dans le temps qu’il semblait en faire partie.
Je pris une grande respiration dont la quantité d’air me brûla les poumons. J’étais venu pour lui, je n’allais pas me défiler maintenant même si je redoutais quelque peu ce qui allait suivre. C’était égoïste de ma part, je voulais en fait seulement me rassurer, faire cesser ces battements monstrueux qui me dévoraient le cœur. En fait, ce n’était pas pour lui et il le saurait très bien, rien qu’en plongeant son regard farouche dans le mien. Maintes fois, alors que je diminuais la distance nous séparant l’un de l’autre, je faillis tourner les talons et m’enfuir. Maintes fois je dus reprendre à deux mains le peu de courage dont était dotée ma personne pour continuer malgré tout.
Comme la première fois, il était allongé à même le sol, en gardant dans cette attitude de guerrier vaincu une fierté inébranlable se raccrochant à chacun de ses gestes, à chaque pli de son vêtement recouvrant la terre sablonneuse comme on le faisait avec le corps d’un défunt tombé au combat. Ses yeux fermés ne s’ouvrirent uniquement que pour m’intimer l’ordre muet de m’arrêter, de ne pas faire un pas de plus dans sa direction.
Quelques mètres nous séparaient alors.