Chapitre 19

 

*Dohko*

 

            L’art du Dragon et celui des Etoiles. J’avais toujours pensé que tout cela n’était qu’une légende servant à redorer la bravoure des guerriers de mon peuple. Alors l’apprendre réellement était un honneur sans nom pour moi. Le plus étrange était que mon maître connaisse ces arts du combat très anciens et mythiques. Après tout, c’était un chevalier d’or, pas étonnant que son savoir s’étende au-delà des manuscrits antiques des temples de Chine.

Ces deux enseignements avaient été le présent remis au premier empereur de Chine, souverain des Terres du Milieu, de l’Est, de l’Ouest, du Nord et du Sud, offerts par l’Empereur Céleste, roi des dieux, à son fils mortel pour le remercier d’avoir unifié sous le même étendard les cinq morceaux rivaux de la terre des Hommes. Ce présent permit au souverain de conserver la paix sur son royaume pendant 1000 ans.

L’art du Dragon se divisait en 7 arcanes, recréant ainsi les mots dans le ciel de la chimère des dieux, reliant par son vol la terre et le ciel. L’art des étoiles comprenais, elle, 3 arcanes : une défensive absolue, une attaque offensive et meurtrière et une dernière technique à la fois offensive et défensive, le tout symbolisant l’autorité des dieux, juges de toute vie, sur les hommes, montrant leur amour pour ces êtres créés, leur colère envers les démons et leur esprit équitable lors du jugement dernier, lorsque l’âme du défunt se prépare pour son dernier voyage vers les Terres Eternelles de la Voie Lactée.

Shaolin avait divisé cet héritage premier en deux. Et elle avait raison. Si nous détenions les clefs de cet enseignement ultime, à en croire les légendes, nous allions devenir invincibles.

« L’art du Dragon et celui des étoiles, hein ? »

Shaolin sursauta. Elle venait de reconnaître cette voix grave et sévère. Elle se retourna promptement, à la manière d’un félin restant sur ses gardes face à un ennemi imposant, faisant tinter ses anneaux dorés. Elle cligna un peu des yeux, recevant soudainement en pleine figure les rayons du soleil devant lequel se trouvait le gardien de la cinquième maison, le Grand Pôpe Kivu.

Son ombre était si grande qu’elle couvrait nos trois personnes. Il esquissa un sourire devant lequel Shaolin fronça les sourcils et se redressa afin de regagner une position d’égal à égal avec le chevalier du Lion.

« Bien sûr ! Tu ne les crois donc pas capables d’assimiler cela ? », gronda notre maître, répondant à la question implicite de son supérieur.

« Ils sont jeunes.

- Mais ils sont forts.

- Et s’ils échouaient ? »

 

Cette interrogation nous coupa le souffle, à Sion comme à moi. Il y avait donc un risque si grand que même Kivu le Grand Pôpe avait l’air de rester sur ses gardes face à cela ? Nous étions suspendus aux lèvres de Shaolin, attendant qu’elle réfute cela, qu’elle nous rassure.

Les traits de Shaolin se muèrent en un masque lisse. Doucement, les deux fossettes se creusèrent, découvrant un sourire que je n’oublierai jamais, semblable à celui ornant le masque de la colère de l’armure de son jumeau : irraisonné, farouche, sans peur, sans frein. Elle détacha chaque syllabe de la réponse qu’elle connaissait sur le bout des doigts.

« L’échec n’est en aucun cas envisageable.

- Hum. A ce que je vois, tu as l’air bien remontée aujourd’hui, Shaolin. »

Elle haussa les épaules

« Et comment voudrais-tu que je sois alors que tu viens d’envoyer mon frère à l’autre bout de la planète faire je ne sais quelle mission futile que même un chevalier de bronze pourrait accomplir ? Tu aurais pu envoyer cet idiot de Van !

- Mieux vaut que Kirin reste le moins possible au Sanctuaire. »

 

Shaolin bondit de colère sur ses pieds

« Comment ça ? »

Le regard de Kivu se durcit, devenant améthyste.

« Tu sais aussi bien que moi que quand ton frère ne combat pas, ça ne va pas. Ça le rend malade de ne rien faire, je veux dire, de ne pas se battre. Et quand Kirin est comme ça, il devient incontrôlable. Je n’ai aucune envie de devoir contrer le cosmos démentiel de ton frère afin d’éviter l’éradication du Sanctuaire, juste parce qu’il a besoin de se faire les nerfs ! »

Shaolin se renfrogna. Kivu avait raison. Il y avait quelque chose d’étrange installé au plus profond de Kirin, une chose qui, lorsqu’elle se réveillait, avait la force de décliner son regard bienveillant et son aura chaleureuse pour les muter en un cosmos en fusion prêt à exploser à la moindre poussière venant l’effleurer.

C’était l’un des rares gardiens de le Terre Sainte d’Athéna à n’avoir jamais connu la défaite. En contrepartie, pour avoir acquis un pouvoir dépassant celui des dieux, une partie de l’homme avait cédé sa place à ce fantôme errant.

« Quoi qu’il en soit, c’est une décision de ton Pôpe et tu n’as pas à revenir dessus, chevalier. Sache que s’il ne représentait pas ce danger potentiel, il aurait une place perpétuelle et reconnue au sein du Sanctuaire. Mais c’est comme ça et je n’y peux rien. Prends ton mal en patience, à toujours tout vouloir, tu n’accéderas à rien, Shaolin. »

Notre maître prit un air de gamine grondée et se détourna de Kivu. Celui-ci reporta son attention sur nous, ou plutôt sur Sion.

« Dis-moi, si je ne m’abuse, je ne t’ai jamais attribué l’armure pour laquelle tu devras concourir. Et tu n’as pas non plus évoqué le souhait de combattre pour une en particulier non ? »

Sion hocha la tête.

C’est vrai ça, lui qui était devenu aussi fort que moi et même peut-être plus n’était pour l’instant encore placé sous la protection d’aucune constellation.

« Je ne peux pas te donner l’autorisation de postuler pour une armure de bronze, elles sont toutes attendues de la part de jeunes disciples, de plus ton cosmos est trop grand pour être contenu dans du bronze. Il faudrait un autre réceptacle… Voyons voir…

-L’or. Il concourt pour la caste de l’or. »

Kivu parut surpris de l’intervention de notre maître. Sion agrandit de stupeur ses yeux violets.

« L’or ? Moi je le verrais bien en chevalier d’argent. Qu’en dis-tu, Sion ? »

Mais avant que mon ami n’ait pu répondre, Shaolin le coupa.

« Non ! Sion ne sera pas chevalier d’argent. Il appartiendra à la caste d’or. Ce sera ça ou rien !

-Voyons, chevalier, aucune armure n’est disponible pour ce qui est des armures d’or, la Balance et le Sagittaire ont déjà été attribués. A moins que tu ne comptes sur la compétition entre tes deux disciples pour désigner le meilleur, celui qui sera le plus digne de l’armure de la Balance. Dans ce cas…

- Tu te trompes. Il en reste une, d’armure sacrée légendaire. »

Le grand Pôpe eut un mouvement de recul. Il murmura entre ses dents :

« Tu es plus diabolique encore que les servants d’Arès, Chevalier de la Vierge ! Tu sais pourtant que cette armure souillée de traîtrise envers notre déesse a été sellée de sa propre main et condamnée à la réclusion par l’ordre de la chevalerie ! Le premier signe zodiacal a été noirci du sang de nos pairs. Tu comptes donc ressusciter les vieux démons, Shaolin ? Ne compte pas là-dessus, c’est un péril que je ne veux en aucun cas prendre. Je ne t’autoriserai jamais cela, chevalier. »

Shaolin sourit, fermant à demi les paupières sur ses yeux félins.

« Mais… Bien que tu sois Grand Pôpe, tu ne peux pas empêcher cela, Kivu ! Cette armure reviendra à celui qui en aura le mérite, désolée, mais Sion est du Signe du Bélier, et si, comme tu le dis, cette armure n’a plus le droit d’exister dans l’ordre de la chevalerie, alors ce sera de la main d’Athéna la grande qu’elle disparaîtra et non par ton poing. Car tu le sais aussi bien que moi, cette armure ne pourra périr sous tes assauts, tu ne pourras maintenir ses sabots ancrés au sol par des sorts encore bien longtemps, tout cela est éphémère. Tu l’as entendu toi aussi, j’en suis sûre, ce grondement sourd lorsque nous sommes venus la dernière fois dans ta maison. Elle réclame justice et tu ne peux faire autrement que de la lui donner car c’est une partie d’Athéna puisqu’elle est née de son sang, et tu es son protecteur, Kivu. »

Je retins mon souffle. J’avais connu Shaolin forte, généreuse, attentionnée, invincible à mes yeux mais jamais elle n’avait osé faire cela, tenir tête au Grand Pôpe le régent des 88 chevaliers sur terre, jamais elle n’avait osé acculer le représentant d’Athéna sur terre.

Ses traits se figèrent en un masque semblable à celui reposant sur son armure qu’elle revêtait au combat, sévère, accusateur, indomptable et inamovible.

Kivu observa avec reproche ce faciès de fer, semblant réfléchir à toute vitesse, si bien que ses poings se refermèrent sans même qu’il ne s’en rende compte, les muscles surtendus gonflant veines à la base de son cou. Il était pareil à l’animal qui correspondait à son signe, terrible, mais Shaolin ne lâchait rien elle non plus.

Kivu reporta son regard rouge sur la silhouette de Sion qui paraissait bien frêle par rapport à la sienne. Celui-ci sursauta tandis que quelques gouttes de sueur perlaient sur son front pâle.

Soudain le Grand Pôpe se redressa de toute sa hauteur.

« Très bien, puisque comme tu me l’as si bien rappelé, je n’ai pas le pouvoir de t’empêcher d’envoyer ton disciple vers une fin douloureuse, fais donc, chevalier ! Mais sache une chose, si cela met en péril cette paix fragile imprégnant les terres de notre déesse, je n’hésiterai pas à arrêter ça par tous les moyens, que ce soit ton disciple ou un autre qui soit sous cette armure, pour moi, ce sera la même chose, et tu en seras responsable, Shaolin ! »

Elle acquiesça, baissant la tête.

« Bien sûr, j’assumerai les conséquences de mes actes, tu en as ma parole, Kivu. »

Celui-ci soupira. « Si tu le dis… »

Puis il tourna les talons, l’air soucieux, préoccupé par les nouvelles dispositions prises à son insu par Shaolin. La tension qui régnait autour de nous ne disparut qu’avec l’ombre du grand Pôpe qui se fondit au loin ave l’horizon et ce soleil qui le symbolisait.

Je respirais un peu mieux, Sion s’approcha de notre maître d’un pas un peu hésitant.

« Excuse-moi, Shaolin », dit-il alors que sa voix se faisait ténue.

Celle-ci se retourna vers lui, étonnée.

« Mais de quoi mon garçon ? Si tu veux parler de ce lion grincheux et obnubilé par son devoir, faut pas t’en faire ! Il est toujours en train de me chercher querelle ! »

Ce qu’elle oubliait de préciser, c’est que c’est à cause de ses nombreuses bêtises et de ses non respects excessifs  des lois du Sanctuaire que Kivu lui cherchait, à juste titre, « querelle », enfin…

Shaolin se mit à rire, fière sans doute de son exploit de la journée, gagner dans tous les sens du terme et dans toutes les situations possibles  la mettait d’excellente humeur en général, ça ne manqua pas cette fois-ci non plus.

Ce comportement contrastait comme le jour et la nuit avec celui qu’elle avait adopté il y a quelques minutes, me faisant regretter mon inquiétude pour elle.

Elle s’arrêta de rire pour annoncer à Sion son concours à la caste de l’or.

« Sion mon ami, comme vous avez pu l’entendre, j’attends de vous rigueur, efforts, concentration et assiduité car j’ai pour vous un grand projet, celui de vous faire porter un jour une armure d’or, et pas n’importe laquelle, celle du Bélier d’or. Et je vais être très claire avec vous, soit vous devenez chevalier du Bélier, soit vous abandonnez l’ordre de la chevalerie, c’est à prendre ou à laisser !

- Cette armure, le Grand Pôpe a dit qu’elle avait été scellée…

- Ne t’occupe pas de ça Sion, ça ne veut rien dire « scellée » ! Dis-toi bien qu’elle ne sera dangereuse pour toi que si tu ne la mérites pas !

- Je n’ai pas trop le choix, si je comprends bien…

- Pas le moindre, c’est moi le seul maître ici, quand tu seras assez fort pour pouvoir me battre, alors tu auras le droit de t’opposer à mes choix ! Et ça, ce ne sera pas demain la veille !! »

Elle partit d’un fou rire qui laissa de marbre Sion, réfléchissant au soi-disant marché qu’elle lui avait proposé.

Puis il releva la tête, sentant en lui tout à coup une bouffée de courage et de fierté, il fixa alors Shaolin et dit d’une voix forte :

« Alors, je la décrocherai coûte que coûte, quitte à en mourir.

- Parfait, voilà une réponse digne d’un chevalier ! Et bien Sion je t’annonce officiellement que tu concours pour l’armure d’or du Signe du Bélier. »