Chapitre 20
* Sion*
Réajuster les bandes de ma main droite me décrocha un rictus de douleur. Ça n’était pas encore guéri et ça ne guérissait pas assez vite à mon goût. D’exaspération, je tirai brusquement sur la lanière de tissu entourant ma main dont la couleur blanche vira légèrement au rouge.
Je respirai profondément afin de regagner mon calme. Ça ne servait à rien de m’acharner sur cette stupide blessure, ça ne ferait que retarder cette cicatrisation déjà beaucoup trop lente. Et puis cette douleur me rappellerait mon erreur tant que mes tendons à moitié arrachés n’auront pas repoussé.
La peau de mon ami devenait décidemment de plus en plus dure de jour en jour.
Hier, il m’avait battu à plates coutures, mon visage ne gardait maladivement les séquelles. J’avais été distrait et cela avait causé ma défaite. J’avais baissé quelques secondes ma garde, il était entré dans mon périmètre sans grandes difficultés, je reconnaissais bien là mon ami. Il fallait que je m’estime plutôt heureux de n’avoir eu d’autres blessures graves que celles de ma main droite que j’avais vainement mis en avant pour stopper son poing et ma punition pour mon inattention.
J’avais envie de pester, cela tombait mal. Dohko avait pris de l’avance sur moi, une avance qui me paraissait être devenue un gouffre. Une avance sur tout, en taille, en force, en vitesse, en esprit lors d’un combat. Alors, je ne devais pas lui laisser creuser cet écart qui commençait à s’affirmer. C’était mon meilleur ami mais mon ennemi le plus redoutable. Jamais je ne le laisserai être le meilleur de nous deux, ça, pas question.
Mon poing droit me lâchait aujourd’hui, alors c’est avec mon poing gauche que je l’attaquerais.
Je réajustai les lanières cintrant mon vêtement. J’étais prêt, de toute façon, c’était l’heure, il fallait y aller. Pour ne pas lui montrer ma blessure, j’avais posé des bandes sur mes deux mains de manière égale. Je ne voulais pas qu’il me ménage, au contraire, je voulais qu’il m’oblige à me faire sortir ce stupide cosmos que je n’arrivais toujours pas à déployer malgré les conseils incessants de mon maître. Ça n’était plus possible de continuer comme ça, je savais me battre, je connaissais pratiquement tout des techniques de mon peuple transmises par mon sang alors pourquoi n’arrivais-je donc pas à faire naître en moi mon cosmos ?
Car contrairement à Dohko, cette absence me limitait dans un combat, ne pouvant faire appel à cette force salvatrice concentrée en moi, ne pouvant puiser en moi les ressources nécessaires pour défaire mon ennemi, ne pouvant compter que sur ma force physique et mes réflexes pour remporter la victoire, chose que devenait de plus en plus dure et rare à décrocher à cause de cela. De même, si je connaissais les bases, il m’était impossible de déclencher cet art que me transmettait mon maître, celui des Etoiles, requièrant un cosmos restant sourd à mes appels.
Lorsque je sortis du temple de la Vierge, les rayons du Soleil levant ma frappèrent au visage. Mon maître était là, assise sur le sol, les yeux fermés, en pleine méditation, toujours la première à être debout même si cela signifiait se lever aux aurores.
Je n’osai pas la déranger. Dohko n’était pas encore là ce qui me tira un sourire. Malgré ses efforts, lui n’arriverait sans doute jamais à se lever avant 8Heures et de ce fait arrivait en retard systématiquement à tous les entraînements, se contentant d’un sourire gêné en tant qu’excuse, les cheveux en bataille devant se faire à l’idée de n’être peignés que du bout des doigts d’une main pressée, prenant ainsi parfois des allures de grand art dans leur originalité pour ce qui concernait les épis totalement improbables qui se dressaient sur sa tête.
Au loin à l’horizon, je distinguai la silhouette du disciple de Kirin. Il s’arrêta un instant, semblant se tourner dans ma direction, il me fit un signe discret que je rendis. Lui aussi partait pour une nouvelle journée d’entraînement, chose qu’il accomplissait toujours seul et ce, depuis maintenant 7 ans. Si Dohko avait encore un peu de mal à accrocher avec lui, pour ma part, je pouvais me vanter d’être devenu quelqu’un qu’il respectait. Enfin, si on peut dire parce que Khaan ne parlait jamais beaucoup, et on ne savait jamais trop à quoi il pensait. Mais je crois que l’on peut dire que l’on se respectait à défaut d’autre chose et je ne désespérais pas de le voir abandonner un jour ce caractère révolté se méfiant de tout et de tout le monde.
Mon regard se reporta sur mon maître qui n’avait pas bougé d’un pouce, telle une statue de marbre identique à celles qui ornaient les colonnes de son temple.
Nous n’étions pas encore à son niveau, elle le savait, en 5 ans, on ne peut pas connaître les secrets et les arts du combat qu’elle avait appris en plus de 12 ans mais elle nous encourageait toujours. Cependant, elle se faisait plus sévère avec nous durant les entraînements, demandant toujours le maximum de nous en tout.
J’avais essayé de combattre contre elle une fois, espérant que cela allait me permettre de déployer enfin ce cosmos capricieux qui était le mien.
Elle avait retenu ses coups mais elle m’avait affligé une défaite si sévère qu’il m’avait fallu presque deux semaines de repos complet pour m’en remettre. Elle n’avait rien lâché, j’avais juste réussi à l’effleurer.
Cela m’avait fait prendre conscience de deux choses, la première étant que même si je faisait des progrès, un gouffre nous séparait toujours et qu’il me faudrait sans cesse repousser mes limites toujours plus loin si je voulais espérer devenir moi aussi un chevalier de la même trempe qu’elle. La deuxième était ma découverte de l’art du combat des chevalier, puissant, implacable mais toujours juste car Shaolin ne m’avait jamais attaqué dans le dos, elle m’avait fait face du début à la fin, attendant que je sois en possession de toutes mes chances pour déclencher ses attaques, n’ayant jamais porté la main sur moi-même lorsque je fus à terre.
Cela m’avait montré un splendide exemple de ce que je voulais devenir, un chevalier exemplaire et puissant.
Des pas précipités me sortirent de mes réflexions. Dohko dévalait les escaliers du sixième temple mais avec plus d’une demi-heure de retard.
Shaolin soupira, songeant sans doute à une énième stratégie permettant de vaincre le quota des 9 heures de sommeil requises par son disciple. Je pensai soudainement que c’était peut-être ce mimétisme du loir qui rendait mon ami si fort. Cela me fit sourire. Si seulement ça pouvait être ça….
Nous prîmes la direction de notre lieu d’entraînement, Shaolin parlant de techniques de combat, moi réfléchissant aux manières de battre mon adversaire, et Dohko finissant d’ajuster sa tunique passée à la hâte. Une fine équipe en somme.
Par instant, je regardais Dohko. Comment pouvait-il être si calme alors que nous allions combattre dans quelques minutes ? J’avais l’impression de ne représenter pour lui qu’une simple formalité journalière. Pour ma part, le souvenir de ses assauts d’hier et de ma main blessée me hantait un peu. Comment allais-je m’en sortir avec un poing en moins alors que je peinais rien qu’avec deux ?
Nous atteignîmes l’arène naturelle vite, bien trop vite. Il fallait que je reste calme. Dohko me parlait de choses et d’autres, je ne l’écoutais pas, mon esprit restait figé sur es poings devenus meurtriers.
« Sion ! Tu ne m’écoutes pas aujourd’hui ! », fit Shaolin avec reproche.
Je sursautai. Elle était en train de décrire le programme de la journée. Je m’excusai furtivement. Il fallait que je reste calme.
Shaolin nous donna quelques conseils sur notre manière de combattre à chacun de nous, ayant relevé les failles et les points forts dans nos enchaînements, nous les faisant remarquer avec tact.
« Bon, nous allons pouvoir commencer ! Sion, tes blessures vont mieux depuis hier ?
- Bien sûr, ça n’était rien du tout. »
Je mentais, par fierté peut-être. J’étais jaloux de Dohko auquel je n’avais porté presque aucun coup la veille.
« Bien, alors, c’est tout bon. On peut commencer. Sion, tu prends le revers droit aujourd’hui, Dohko le gauche. Je veux que vous vous forciez à attaquer sur le côté où vous êtes le moins à l’aise. »
Shaolin quitta l’ère de combat, se mettant à l’écart de nos coups.
Mon pouls s’accéléra tandis que Dohko se mit en garde. Oui, ça allait commencer. Il fallait que je me calme.
Je me mis en garde moi aussi, plaçant ma main gauche devant moi, en première ligne, mon poing droit calé contre moi, en défense, les doigts serrés. Je sentais un à un mes muscles blessés tendre leurs fibres.
Je restais immobile, attendant que quelque chose dont la nature m’était inconnue sonne le début du combat.
Dohko restait lui aussi immobile, son regard vert scrutant chacun de mes mouvements imperceptibles, sa jambe d’impulsion en avant, le dos légèrement courbé vers l’avant, près à bondir tel le tigre peint dans son dos. Ses mains étaient placées devant lui fermant sa garde.
Un oiseau siffle, déclenchant tout.
Avec la rapidité d’un éclair, Dohko s’élança vers moi d’un bond formidable, déployant un nuage de poussière aveuglante derrière lui, plaçant l’une de ses mains en retrait. Je m’écartai de justesse alors que son poing s’abattait droit sur moi, d’un bond sur le côté.
Il heurta la roche dure mais celle-ci ne suffit pas à arrêter son coup surpuissant, se fendant en une fissure béante. Il reprit aussitôt appui sur ce nouvel obstacle et en un instant il fut de nouveau sur moi. Ses coups avaient la vitesse du son mais par chance, j’étais moi aussi capable d’en atteindre le seuil. Je les distinguais donc parfaitement. Je me déportai de côté afin de les éviter, profitant de ma vitesse, je saisi l’avant-bras de Dohko, assurant ma prise, je dégageait mon poing gauche afin de l’atteindre.
Mon coup partit vers son visage devenu sans défense.
Il sourit.
Bon sang ! J’avais oublié. Lui non.
Mon poing gauche effleura son menton tandis que le sien droit s’abattit lourdement sur mon visage, m’envoyant par le contrecoup mordre la poussière plusieurs mètres plus loin. Je me reçus tant bien que mal sur mes jambes, essayant d’oublier la sensation de liquide chaud coulant le long de ma lèvre fendue et la douleur l’accompagnant.
Je relevai immédiatement la tête. Il ne fallait pas que je quitte mon adversaire des yeux, cela causerait ma perte.
Mais lorsque mon regard se porta à l’endroit où il m’avait frappé, il ne rencontra que de la poussière.
Soudain, une ombre se profila au-dessus de ma tête. C’était lui, prêt à en découdre de nouveau. Il allait me lancer de nouveau un de ses coups dévastateurs. Avec un sursaut de survie, j’arrivai à me concentrer assez pour me téléporter derrière lui.
Cette fois-ci, il ne put l’éviter.
Il ne se retourna amis pas assez vite pour éviter mon coup de pied dont l’impact le fit tituber. Je m’élançai alors dans cette faille, armant mon poing valide vers son visage et le haut d son thorax.
J’espérais générer un choc tel que cela lui coupe le souffle afin de reprendre le mien pendant quelques secondes.
Mon premier coup l’atteignit à la pommette, lui faisant détourner le visage, mon second à la poitrine. Une fois encore, il sourit.
Je m’écartai de lui brusquement.
Il s’empara de mon bras droit, l’écrasant dans sa poigne. D’un geste colossal, il me souleva de terre. Je vis le ciel défiler devant moi, il m’abattit avec une force surhumaine sur le sol.
Je crus que mes poumons avaient explosé sous le choc. Mon souffle se coupa et ma vue se troubla. Je me relevai en tremblant, Dohko était face à moi, lancé et implacable.
Cette fois-ci, je ne pourrais pas l’éviter.
Je fis appel à mes pouvoirs paranormaux, le bloquant en pleine course, le figeant sur place.
Mon souffle ne revenait toujours pas et j’étais en train de me noyer avec le sang qui coulait dans ma bouche.
Dohko lutta pour se défaire de mon emprise. Dans quelques secondes, il se dégagerait de cela comme s’il ôtait un vêtement. Facilement.
Avec rage, je le projetai vers les rochers de toutes mes forces, il se reçut avec la main gauche et gémit de douleur. Quand il se releva, son poignet prenait une forme angulaire anormale.
Cassé ou démis ? Je m’en fichais, tout ce que j’espérais, c’est que cela me donne le temps de reprendre cette maudite respiration bloquée au fond de mes poumons. Mais Dohko, avec un geste de colère, prit entre ses doigts son poignet traumatisé et réduisit à main nue l’angle anormal en poussant un cri de douleur. Bon sang Dohko, mais tu ne crains donc pas la douleur ?
Il secoua la tête, enlevant les débris de roche parsemant ses cheveux. Il marcha calmement vers moi.
Je réajustai tant bien que mal ma garde, réfléchissant à toute vitesse à un moyen de le mettre à terre pour de bon. Je parvins enfin à prendre une grande inspiration et m’élançai vers lui. Il arrêta mon poing avec facilité. Je me servis de cela pour prendre appui et lui décocher un coup de pied avec force, l’atteignant aux côtes. Il ploya mais se redressa aussitôt. Il faucha ma jambe d’appui.
Je perdis l’équilibre de nouveau. Il relâcha soudainement ma main pour se projeter avec force en arrière, exécutant un saut retourné d’une précision redoutable, il se reçut sur sa main blessée et l’utilisa comme appui, il se détendit comme un ressort que l’on aurait comprimé au maximum, m’atteignant par un coup de pied formidable et calculé au millimètre près à la poitrine.
Sous l’impact, je fis presque trois tours sur moi-même, incapable de reprendre contrôle de mes mouvements. Une lueur brilla entre ses mains alors qu’il s’écartait à nouveau de moi. Il allait attaquer avec son cosmos, cette fois-ci, ce serait plus puissant, plus douloureux.
Je croisai les bras devant mon visage, m’attendant au pire.
Mais rien ne vint. Quand je me dégageai après quelques secondes d’attente angoissante, je vis qu’il s’était arrêté en plein élan, étouffant entre ses mains l’attaque qu’il avait préparée.
Il marcha vers moi. Je me remis en garde, prêt à un nouvel assaut. Je ne pouvais plus que limiter les dégâts.
Mais ses yeux avaient perdu toute leur combativité.
« Imbécile ! », me lança-t-il d’une voix rauque, « ça n’était rien du tout, hein !? Tu ne me fais pas confiance au point de me cacher ça ?! »
Il saisit brusquement ma main droite et, avec violence, arracha les bandes, découvrant la peau tuméfiée et effilochée. Avec colère, il lâcha mon poignet et recula d’un pas, plantant son regard infaillible dans le mien.
Je détournai les yeux.
« Tu n’es vraiment qu’un imbécile, tu crois qu’avec une main dans cet état, tu pouvais combattre à armes égales ?! »
Cette phrase me fit sursauter.
« A armes égales, dit-tu ?! Ne te fiche pas de moi Dohko, on n’est pas à armes égales et ma blessure ne change rien à ça ! Regarde un peu comme tu encaisses mes coups et vois la portée des tiens !! Nous ne sommes pas à armes égales !! Pas du tout !! »
La colère me vrillait les tempes, me serrant les dents, bandant chaque muscle de mon corps endolori.
Dohko recula, étonné par cette explosion qu’il n’avait pas vue venir. Cela m’irrita encore plus.
Il balbutia : « C’est faux !... Tes coups sont puissants et les miens pas tellement plus…
- Tu parles !! A chaque fois je les évite non pas par technique mais par esprit de survie ! Hier, ton poing a effleuré le mien, tu n’as sûrement rien dû sentir, mais ma main elle, a été déchiquetée, tu comprends ça ?!! »
Shaolin s’avança vers nous et posa sa main sur mon épaule. De rage, je me dégageai d’un bond, comme si le contact de mon maître, ce chevalier parfait, m’était insupportable.
« Arrête Sion ! », lança-t-elle sèchement, « ce n’est pas Dohko le problème, mais toi. »
Je fulminai.
« Ah oui !!? Bien sûr, ce n’est jamais de sa faute, jamais ! C’est vrai ! J’aurais dû m’en douter, s’il y a quelqu’un à blâmer pour m’être fait blesser de la sorte, c’est bien moi !!
- Sion ! Ne rends pas les autres responsables à ta place ! Tout ça parce que tu ne maîtrises pas ton cosmos ! Je te l’ai déjà dit une bonne centaine de fois, le cosmos ne fait pas tout, il viendra en temps et en heure ! Et demander à te faire frapper tous les jours pour le déclencher ne servira à rien, ce n’est pas de cette manière que tu y arriveras ! A cause de ça, tu oublies les préceptes de base, tu comptes trop sur quelque chose que tu ne possèdes pas encore ! Les attaques de Dohko sont puissantes, mais tu es d’ordinaire plus rapide que lui, tu aurais dû les éviter ! Tu possèdes toi aussi une chose qu’il n’a pas, la télékinésie, ou encore la téléportation, tu pouvais te battre avec lui de manière équitable ! Au lieu de ça, tu fonces tête baissée sur ton adversaire et voilà le résultat ! Ton cosmos viendra, il suffit d’être patient, c’est tout !!
- Alors quand ?! Quand pourrais-je prétendre être un aspirant chevalier ?! J’en ai assez de tout ça !! Est-ce que vouloir protéger les gens n’est pas une raison suffisante pour faire naître le cosmos ?! Qu’est-ce que je dois encore prouver pour y arriver ?! Qu’est-ce que je n’ai pas fait pour qu’il ne me vienne pas ?! »
Je sentais petit à petit les larmes me monter aux yeux. Plutôt mourir que de montrer ma faiblesse à mon maître et à mon ami. Je tournai les talons et me mis à courir aussi vite que je le pouvais, au hasard, loin de ceux qui représentaient ce que je ne parvenais pas à devenir malgré mes efforts acharnés, pour fuir loin de tout ça.
Aucun d’eux ne chercha à me retenir.
Et c’était tant mieux.