Chapitre 21

 

*Sion*

 

            Plusieurs heures s'étaient écoulées. Ma fureur ne baissait toujours pas. J'étais encore plus en colère contre moi que contre eux. J'avais honte. Mon regard embué se porta autour de moi. Je ne connaissais pas cette partie du Sanctuaire. Mon front revint se poser sur mes genoux. J'étais un échec sur toute la ligne. Je n'avais pas les qualités requises pour être un chevalier, j'étais tout le contraire de ce qu'un protecteur d'Athéna devait être, j'étais lâche, égoïste, jaloux et stupide par-dessus le marché.

J'espérais que mon maître ne me voit pas aussi misérable. Elle aurait dû me gifler, me mettre une correction pour ce que j'avais osé dire. Elle ne l'avait pas fait alors que je l'avais espéré. Ça m'avait fait encore plus mal, ces regards pleins de compassion.

«  Et bien dis donc! Tu n'as pas l'air dans ton assiette monsieur le disciple! »

Encore une de ces stupides créatures dont la voix inaudible raisonnait dans ma tête.

«  Tu n'es pas très poli, monsieur le disciple! Ce n'est pas parce que je suis petite qu'il faut m'ignorer comme cela, ce n'est pas très gentil! Mon maître lui ne le fait jamais. »

Je relevai la tête. En face de moi se tenait une fille toute menue avec des cheveux rose pâle, coupés court et dont certaines mèches rebiquaient vers l'arrière. Deux grandes mèches raides encadraient l'ovale de son visage. Ses yeux étaient d'un joli bleu myosotis tirant sur le mauve.

Elle était accroupie devant moi, le menton posé dans ses mains, les coudes appuyés sur ses genoux.

«  Ah! Monsieur le disciple a donc un visage comme tous les disciples! »

Sa voix était fluette et malicieuse. J'eus soudainement conscience de sa présence invraisemblable en ce lieu isolé de tout. Peut-être était-elle perdue.

«  Qui es-tu ? », lui demandai-je alors que, sous l'effet de la surprise, ma colère s'envolait rapidement.

Elle inclina la tête, faisant décoller l'une des mèches retombant  sur ses joues blanches.

«  Scylla.

- Scylla », répétai-je afin de me persuader qu'elle ne disparaîtrait pas comme elle était venue, « d'où viens-tu ?

- Bah, d'ici!! Tu as de drôles de questions monsieur le disciple!

- C'est où ici ?

- Ici, c'est le Sanctuaire. »

Je fis un mouvement de lassitude. Je me relevai lourdement. Ses réponses évasives m'énervaient. Elle me fixa d'un air intéressé et se releva elle aussi.

Comme elle était menue!! A côté d'elle, je faisais office de Sirius par rapport à Shaolin. Je distinguai alors son accoutrement pour le moins étrange.

Elle portait une sorte de robe en tissu transparent dont l'opacité était permise par les épaisseurs d'étoffes superposées formant le vêtement, d'une couleur mauve très pâle, presque blanc, rattachée par des lacets de satin se croisant et ceinturant tout le côté gauche de la petite fille. Le vêtement dénudait les deux bras dans leur totalité et s'arrêtait à mi-cuisse pour recouvrir un pantalon violet foncé se terminant par un ourlet brodé de rouge sous le genou. Elle était chaussée de souliers minuscules et plats.

«  Moi aussi j'aime beaucoup les vêtements que me fait mon maître. Il n'est pas très bon en couture alors je repasse derrière lui mais il y met tout son coeur pour me faire cela. Je suis bien meilleure que lui pour ça mais il tient à me les offrir! Il se donne beaucoup de mal alors des fois, je laisse exprès des endroits où il a cousu sans rien reprendre. C'est un peu sa signature. »

Je rougis un peu. Ce n'était pas correct de détailler comme ça une personne, surtout une fille.

Je changeai rapidement de sujet.

«  Tu as dit "maître". Est-ce que par hasard tu serais…

- Elève! Oui, Scylla est un élève comme monsieur le disciple. Dis, tu ne m'as toujours pas appris ton nom monsieur le disciple.

- Pardon, je m'appelle Sion. »

Elle se mit à rire.

«  Juste Sion ?

- Oui, juste Sion.

- Alors c'est comme Scylla qui n'est autre que Scylla. »

Je la regardai avec interrogation, essayant de comprendre ce qu'elle entendait par cette phrase pour le moins mystérieuse. Puis, brusquement, elle fit un tour sur elle-même, les bras tendus de chaque côté de son corps à l'horizontal, riant et sautant de joie devant mon expression d'incompréhension profonde.

«  Bah oui idiot! Je me demandais s'il y avait deux Sion, un qui sourit et un autre qui fait la tête! Mais apparemment, c'est bien le même! »

Je compris enfin ce qu'elle voulait dire. J'exécutai un mouvement de lassitude.

«  C'est toi qui es bizarre. Les gens normaux ressentent différents sentiments et ce sans pour autant être quelqu'un d'autre. C'est normal, c'est comme ça pour tout le monde. »

Elle s'arrêta soudainement et me fixa à la dérobée.

«  Sion doit se tromper ou alors Scylla n'est pas tout le monde parce que Scylla est toujours la même. »

Je la regardai alors avec application. Elle était si petite qu'on aurait dit un enfant de cinq ou six ans, les cheveux courts mais certaines mèches étaient beaucoup plus longues que les autres, certaines raides, d'autres rebiquant avec ténacité.

Je risquai une question, m'attendant cependant à une réponse plus que folklorique de sa part comme celles qu'elle m'avait fourni jusqu'à présent.

«  Scylla, tu es disciple au Sanctuaire ?

- Non, je suis élève! Mon maître appelle comme ça ce que je suis. »

C'est pareil pensai-je en soupirant.

«  Tu parles sans cesse de ton maître. Qui est-ce ?

- C'est un grand grand grand  chevalier mon maître.

- Euh, Sirius ? Tu dis grand…

- Non, encore plus grand! Mon maître est un géant! »

Je ne savais quoi penser. Plus grand que Sirius qui était l’homme le plus grand que je connaissais, un homme à la stature plus qu’impressionnante si bien qu’à côté de lui, la taille imposante de Kirin paraissait être celle d’un adolescent.

Je souris en pensant qu’un tel être ne pouvait passer inaperçus au Sanctuaire. Or, j’y résidais depuis maintenant plus de cinq ans et jamais je n’avais rencontré, côtoyé de près ou de loin un tel personnage. Scylla était étrange, petit elfe à l’esprit débridé et fantasque dont l’imagination semblait à première vue n’avoir aucune limite.

Semblant plus jeune que moi, je me décidai à ignorer les dires de la petite fille qui, imperturbable, continua sur sa lancée tandis que je commençais à reprendre ma route, me détournant d’elle.

« Mon maître est beaucoup, beaucoup très gentil, et il est trop trop fort, mon maître ! C’est un vrai titan, vraiment vraiment fort !! Et puis c’est pas tout, mon maître il…Hum !! »

Sa voix fut soudainement étouffée tandis qu’une autre, beaucoup plus grave tomba comme un couperet, ne permettant aucune contradiction.

« Silence, Scylla. »

Je me retournai brusquement tandis que Scylla retirait de devant sa bouche avec frénésie une main à la peau tannée et brune, dont le dos était sillonné de trajets tendineux imposants et marqués, saillants sous l’épiderme et délimitant chaque rayon des doigts.

Je relevai les yeux et croisai un regard aussi unique que celui de Kirin ou de Khaan, un regard quasi irréel appartenant à un être unique en son genre, n’appartenant à aucune racine, à aucun peuple. Une image intemporelle, entourée d’une aura présente mais totalement différente de celle de Sirius qui se voulait rassurante. Un cosmos macabre.

Je rencontrai pour la première fois VanRâh, le chevalier d’or du signe du Scorpion.

Une peau mâte à la couleur de miel sombre, des yeux dorés comme ceux des loups hantant les forêts les plus reculées et ténébreuses du monde, dont la pupille légèrement courbe renforçait leur expression sauvage. Le regard oblique était souligné de cils dont la densité donnait l’impression que la paupière était délimitée et soulignée d’un trait épais de crayon noir, la prolongeant à la jonction extérieure de celle supérieure et celle inférieure en une pointe courte mais se tirant vers la tempe tel un œil de félin. Son visage portait un air étrange, comme s’il était rongé par un ennui profond et éprouvé de toutes parts, de même que son regard jaune se faisait par instants le sosie de celui des bêtes sauvages et souveraines, attestant d’une lassitude et d’un désintérêt quasi-total envers ce qui pouvait se passer autour de lui.

Il portait des cheveux démesurément longs, d’un brun sombre presque noir, dont l’épaisseur et leur séparation en une multitude de mèches courbées à leur extrémité en tout sens reposaient mollement sur ses épaules et descendaient le long de son dos comme un vêtement à part entière. Des rubans pourpres étaient passés dans cette crinière dense et folle d’épis effilés, dont chaque pli donnait de la magnificence, tressant et retenant deux lourdes mèches passées devant ses épaules.

Il avait un habit assez rudimentaire mais dont le tissu dénotait une origine autre que celle de Grèce, encore différente que celle de mon peuple ou ceux de Khaan, de Sirius ou de Dohko : une chemise blanche avec une encolure large et lacée elle aussi de rubans pourpres sur le devant, desserrés afin, sans doute, donner plus d’aisance, repassant sur un pantalon à teinte brune, large, relevé à la taille par une ceinture à deux passants, peut-être un peu trop grande pour lui car l’extrémité restée longue malgré sa fixation retombait sur le coté droit de l’homme.

Je remarquai quelque chose d’étrange : son avant-bras gauche portait un poignet de cuir brun laissant libre la main tandis que son avant-bras droit était enserré dans un poignet de cuir non seulement épais, mais couturé de griffures profondes déchirant le cuir et laissant apparaître le ventre pâle de la protection. Sa main, totalement recouverte portait ce que je réussis à identifier comme étant des lanières de cuir reliées ensemble par des chaînettes d’argent aux maillons résistants. A chaque doigt correspondait une chaînette, le tout se rejoignant au niveau du dos de la main, convergent vers un symbole rouge. Je fus à la fois surpris et ressentis en moi-même un sentiment que je connaissais assez bien pour le haïr sous toutes ses formes : la peur.

Qu’y avait-il de si dangereux dans ce poing pour être amener à le sceller si fort que chaque doigt ne pouvait rester que replié sur lui-même comme atrophié ?...

Scylla se dégagea promptement de la prise sévère infligée par cet inconnu pour se mettre à sautiller dans tous les sens, criant à tue tête :

« Maître ?!! J’ai gagné !! J’ai gagné !! Vous ne m’avez pas trouvée !! »

Ainsi donc, l’homme qui se tenait en face de moi était un chevalier d’Athéna, le tuteur de Scylla. Cela me rassura mais ne le fit qu’à moitié, le souvenir du comportement étrange et dangereux de Kirin flottait comme une ombre au-dessus de ma tête.

Scylla continuait, imperturbable, à rire. Son maître soupira longuement.

« Ha ! Ha ! J’ai gagné ! J’ai gagné !! Vous ne m’avez pas trouvée !!

- Scylla, je ne jouais pas.

- Mais le but c’était de vous échapper, non ?!

- Oui, mais au combat, je ne t’ai pas autorisé à quitter la zone d’entraînement pour ça. Et puis je n’ai pas prononcé le mot "échapper" mais "esquiver".

- Ce n’est pas pareil ? », fit-elle en agrandissant ses grands yeux violets.

« Non, et ça ne m’amuse pas de te courir après.

- Ah bon… »

Elle avait l’air tellement désolée que cela faisait peine à voir. Mais le sourire qu’elle avait gardé depuis le début de notre rencontre et qui semblait la caractériser revint très vite éclairer son visage enfantin.

« Ça veut dire que Scylla court vite alors. »

Son maître la regarda en silence avant de hocher la tête.

« Oui, tu cours vite Scylla. »

Scylla se remit à rire à ce compliment, les joues rosies de fierté et de joie. Je révisai mon jugement. Si cet homme semblait mystérieux, de physionomie étrange au regard fauve, cachant peut-être quelque chose de terrible en lui, ce qui était sûr, c’était que sous ses airs sévères et inflexibles il semblait adorer sa disciple qui le lui rendait par ailleurs très bien.

Il me fixa enfin d’un air dur.

« Tu es à la limite du territoire qui m’est imparti et..

- Maître ! Maître !! C’est Sion !! C’est un disciple lui aussi !! Mais il est bizarre lui ! Parce qu’il paraît qu’il y a plusieurs Sion dans Sion !

- Scylla, ne m’interromps pas, je sais que c’est un disciple alors tiens-toi tranquille un moment.

- Hein ? Mais comment vous avez fait, maître ? Pour savoir que Sion était un disciple comme moi mais pas comme moi ? »

C’était vrai ça. Comment avait-il fait ?

Il me regarda avec méfiance et défi.

« Ton cosmos, ton cosmos est immense. »