Chapitre 24
*Sion*
« Bravo !! »
Derrière moi, la voix de Scylla retentit comme un coup de feu dans mon esprit totalement absent de la réalité. Je réussis à arracher mon attention de la faille que j’avais créée par miracle chez mon adversaire, pour me retourner juste à temps pour recevoir dans mes bras une Scylla au comble de la joie.
« Je savais que tu pouvais y arriver ! Bravo Sion ! Tu t’en es sorti plus que bien ! Bravo ! Bravo !! Scylla est fière de Sion !!
- Mais, euh…Je n’ai fait que l’effleurer et… »
Je ne terminai pas ma phrase, étant assez revenu de ma torpeur pour remarquer que les yeux de Scylla avaient une lueur plus qu’étrange, un éclat nouveau que je ne leur connaissais guère. Une lueur dorée…Scylla recula de quelques pas et hocha la tête.
« Tu es bête ! Bien sûr que tu y es arrivé ! Ne vois-tu pas ?...Regarde autour de toi Sion ! Regarde ! Vois comme ton cosmos est grand ! »
Je la fixai à la dérobée.
Elle sourit. Mon regard passa sur le visage de VanRâh qui réajustait lentement sa tenue déchirée. Il me lança un regard mi amusé, mi las, ne se dépareillant pas pour autant de son air sévère.
Je baissai alors lentement mes yeux vers mes mains.
Elles étaient enveloppées dans un halot lumineux, doré, semblant impérissable. Mes yeux passèrent alors avec frénésie sur mes bras, mes jambes, mon thorax, tout, absolument tout était entouré de cette aura brillante qui croissait de seconde en seconde. Mon cœur s’arrêta de battre.
La voix de VanRâh se détacha dans l’atmosphère.
« Finalement. Tu as finit par la trouver, la clef de ta propre destinée…Chevalier. »
Ces mots déclenchèrent tout. Je me mis à hurler de joie. Je me ruai sur Scylla, lui prenant les mains, l’entraînant dans une danse frénétique.
Elle se dégagea prestement, un peu apeurée sans doute par ma véritable euphorie, se demandant si peut-être je n’étais pas devenu fou.
Fou, oui, je l’étais devenu, mais fou de joie.
J’avais espéré depuis des années ce moment qui était enfin arrivé, le moyen de protéger, celui de devenir chevalier, de servir Athéna, de montrer au destin ma revanche sur la vie. Mon cosmos, l’essence de mon cœur, je tenais à présent cette entité insaisissable.
Mon esprit bouillonnait, allant des épreuves passées aux défis futurs. Je pouvais maintenant prendre mon destin en main, je pouvais devenir ce que j’avais tant rêvé d’être depuis les premières années de ma vie, un chevalier d’Athéna.
J’aurais même pleuré de joie si cette énergie infinie ne desséchait pas immédiatement me larmes, s’évaporant à peine formées sous l’aura brillante qui m’enveloppait à présent.
Lentement, lentement, je calmai mon cœur passionné pour tarir cette source d’énergie, prenant garde à chaque sensation que sa présence, son intensification, sa diminution et enfin sa disparition provoquaient en moi, afin d’en garder un souvenir fidèle et inaltérable.
Je me retournai alors afin de remercier celui qui avait permis ce miracle, celui sans qui jamais ce cosmos salutaire que j’avais déployé n’aurait été miens.
Mais mon regard ne rencontra que le vide. Mon féroce adversaire avait disparut.
A la place se tenait sa jeune disciple au teint pâle et à la voix fluette.
Ainsi donc, VanRâh s’était évaporé comme s’il avait fuit ma gratitude ou toute forme d’élan que les gens pourraient avoir envers lui.
Quel curieux personnage que ce chevalier, capable de tout donner pour en reprendre l’intégrité sans concession…
Scylla prit ma main, ce qui mit fin à mes réflexions.
« Viens, tu peux maintenant rentrer chez mademoiselle Shaolin, tu as décroché ton laisser passer ! Et puis, ils vont commencer à s’inquiéter s’ils ne te voient pas rentrer avant la nuit tu sais !...Viens, je vais te raccompagner. »
J’allai lui dire que ce n’était pas la peine, elle m’avait offert tant déjà, mais le souvenir de son caractère anxieux face à la solitude étrangla mes paroles. Je la laissai alors me guider sans mot dire, ne me lassant pas de son sourire de petite fille naïve, non sans cependant jeter un dernier coup d’œil en direction de l’entrée noire du temple que je quittais peu à peu, là où s’était retrancher l’homme mystérieux porteur de l’armure du signe du Scorpion d’or.
Comme je l’avais prévu, Scylla me quitta avant que l’on puisse nous voir aux alentours du temple de la Vierge.
Elle me quitta avec un sourire un peu triste, hochant la main en signe d’au revoir. Je me jurai que je le ferai dès que possible. J’attendis que sa silhouette ne soit plus qu’un point à l’horizon pour regagner l’enceinte du temple de mon maître.
J’étais un peu tendu, je les avais laissés sans nouvelles sous le coup d’un manque de respect incroyable de ma part envers un aîné, qui plus est un chevalier d’or, et envers mon ami.
De loin je vis Dohko assis sur les marches, se rongeant les ongles, un signe de nervosité quasi réflexe chez lui que Shaolin n’arrivait pas à faire passer. J’eus une fois de plus honte de moi. Ma rencontre avec Scylla si seule m’avait fait prendre conscience de la chance que j’avais d’avoir un ami avec lequel je pouvais tout partager. Vraiment, quel idiot je faisais…
Il avait le soleil de face mais l’ombre de mon arrivée lui fit relever la tête vers ma direction. Je priai pour qu’il ne m’en veuille pas…Il se leva d’un bond et couru vers moi en prononçant un flot de paroles incompréhensibles dans sa langue natale, le tout servi avec une mine radieuse et un sourire jusqu’aux oreilles. Arrivé à ma hauteur il me tapa amicalement dans le dos. A la porte du temple se tenait Shaolin, les bras croisés, les cheveux relevés. Elle sourit à son tour et hocha la tête.
Oui, c’était cela, j’étais de retour chez moi, parmis les miens, dans ma famille.
La lune filtrait doucement à travers les carreaux des fenêtres ouvragées de notre chambre. Encore une fois, je fis jouer les articulations de ma main droite. Intacte. Je ne m’en étais même pas aperçu. A la fin de mon affrontement contre lui, mon poing avait guérit. Un ultime don de mon opposant et propre aux chevaliers d’or, le don de soi, celui qui apaise les plaies.
Je laissai tomber ma main sur le drap.
Shaolin ne m’avait rien demandé, Dohko s’était abstenu de poser des questions sur ce qui s’était produit lors de ma fugue. Pourtant, j’étais pratiquement sûr qu’ils avaient ressenti, au même titre que moi qui l’avais développé, ce cosmos nouveau qui était né cet après-midi. Mais c’était mieux comme cela. Je savais Shaolin en conflit avec le gardien de la huitième maison pour des raisons que j’ignorais et je ne tenais absolument pas à lui avouer que ce dernier m’avait pratiquement forcé au duel.
De mon côté, je n’arrivais pas à me sortir de la tête cette personne nouvelle et inaccessible que représentait VanRâh. C’était une véritable énigme. Froid et distant au possible, ses actes pouvaient le faire passer pour un être dénué de tout sentiment. Cependant, cette façade laissait parfois filtrer une attitude, un geste, une parole qui dénotait une grande humanité. Scylla l’adorait. Et cet homme à la puissance démesurée savait réduir sa force au maximum afin de ne jamais la blesser. Son prénom résumait tout : Râh, le dieu soleil, maître juste et bon des cieux, et Van qui en Egyptien désignait un criminel aux pensées obscures à la force bestiale et sanglante.
Je secouai la tête pour chasser ce sujet de mon esprit et tournai la tête vers le lit mitoyen du mien, celui de Dohko. A ma grande surprise, celui-ci fixait le plafond les sourcils froncés.
« Dohko, tu ne dors pas ? » fis-je, mi amusé mi surpris étant donné le rôle quasi sacré que le sommeil représentait pour lui.
« Bah non, je dormirai lorsque Sion aura enfin cessé de se retourner dans tous les sens et de faire du bruit.
- Oh ! Pardon, je ne m’en étais pas rendu compte !
- Je sais, sinon, tu aurais arrêté ça depuis au moins deux bonnes heures. »
Nous éclatâmes de rire. Peut-être à cause de la fatigue.
Mais je ne pouvais pas dormir.
« Dis Dohko, pourquoi ne m’as-tu jamais parlé de Scylla ?
- Ah ! C’était donc là que tu étais !
- Sérieusement Dohko, pourquoi ? »
Il prit le temps de se redresser sur son séant, croisant les jambes en tailleur. Sa mine était grave.
« Parce que ça n’en valait pas la peine. »
Je fis un bond. Comment pouvait-il dire cela ?! Ça ne ressemblait pas au Dohko que je connaissais. Ces paroles étaient vraiment indignes de lui, ce que je lui fis remarquer de manière véhémente.
« Tu ne comprends pas. Scylla a choisi elle-même de n’être que l’ombre de sa personne, et rien ni personne ne pourra la faire changer. J’ai essayé, c’est peine perdue. Tant qu’elle n’aura pas compris qu’elle aussi a le droit d’exister rien n’y fera. »
Le droit d’exister…Scylla…Je murmurai
« Elle ne veut faire de mal à personne…
- C’est là le problème. Vivre c’est blesser des gens autour de soi pour exister. C’est normal, c’est dans l’ordre des choses. Elle ne voit pas ce côté-là. Elle oublie que si blesser est obligatoire et ce à chaque instant, on peut toujours soigner, il y a toujours un moyen pour cela. Alors elle s’efface constamment, essaye de prendre le moins de place possible. Elle croit que c’est en restant invisible, en ne se faisant jamais remarquer qu’elle pourra se faire accepter.
- Elle est si gentille…
- Oui, et c’est d’autant plus dommage qu’elle soit une personne d’une extrême sensibilité. Elle cherche plus que tout à mettre fin à sa solitude, alors j’ai choisi de ne plus aller la voir parce qu’à chaque fois que l’on devait se quitter, son cœur se brisait et se noyait dans le doute « j’espère que demain il reviendra, j’espère que je ne l’ai pas trop déçu, et s’il ne voulait plus me voir parce que je n’ai pas été à la hauteur de ses espérances », et ça ainsi de suite. Plus ça allait, plus je la voyais crouler sous le chagrin. Alors, je n’y suis plus allé. Tu comprends ? »
Ce que je comprenais surtout, c’est que j’avais sans doute relancé sans le vouloir le processus macabre qui dévorait la vie de Scylla.
« Je ne voulais pas lui faire de la peine…
- Je sais, mais c’est comme ça. Avant d’arriver au Sanctuaire, Scylla était une enfant abandonnée. Née dans une famille nombreuse, elle n’a jamais eu le droit à sa part d’amour, le cœur de ses parents avait déjà tout donné à ses frères et sœurs. Elle, dernière, ne fut pas désirée. Alors, quand il n’y eu plus assez de moyens pour nourrir tout le monde, elle fut cédée contre rente à une grande maison, une de celles qui font malheureusement travailler les petites mains à leur profit. Je le sais parce que j’ai entendu Kivu en parler il y a longtemps à VanRâh. Kivu ne savais pas si Scylla ferait un bon chevalier, elle était et est encore trop brisée et…
- Elle le fera. Elle fera un excellent chevalier, parce qu’elle est comme moi. Pour tous les deux, ce sera notre revanche sur la vie. »