Chapitre 25

 

*Dohko*

 

            Pourquoi avait-il dit cela ?

Je retournai la question pour la énième fois dans ma tête. Sion avait trouvé le sommeil mais m’avait privé du mien. Peut-être à cause du disciple du huitième chevalier d’or. Non, car par ce « nous », il s’était manifestement inclus dans cela. Peut-être était-ce en rapport avec eux, ces stigmates indélébiles qu’il portait tout comme moi dans son dos, témoignage du destin, chose qu’il s’ingéniait à cacher de tous par tous les moyens, non par timidité ou par pudeur, mais par honte.

Oui, il avait honte de cela, cette chose qu’il masquait par des étoffes épaisses et par-dessus lesquelles il laissait couler ses cheveux devenus immenses. Ces cicatrices, il n’en parlerait sans doute jamais à personne, tout ça lui avait ébranlé le cœur. Je n’attendais même plus, sachant qu’il existait des choses dont il valait mieux enfouir la substance aussi profondément que possible dans sa mémoire et dans son cœur pour ne jamais plus devoir y faire face.

La seule chose que je souhaitais, c’était seulement que mon ami puisse trouver sa voie sans s’écarter du chemin lumineux qu’Athéna la Grande traçait pour ses enfants les hommes, qu’il puisse aussi arracher à la vie ce morceau de bonheur auquel chaque être a droit.

Sion avait tellement changé...De l’oisillon chétif il était devenu un rapace fort et agile. Il était devenu méconnaissable. Il me dépassait en taille de maintenant plusieurs centimètres, sa force physique grandissait de jour en jour et quoi qu’il puisse en penser, moi, je savais qu’il serait toujours mon plus féroce adversaire, mais aussi mon meilleur ami.

Aujourd’hui, il avait acquis la dernière pièce manquante à son puzzle, son cosmos, tant de fois refoulé inconsciemment, avait fini par forcer ce barrage pour exploser au grand jour, généreux, fidèle, acharné, fiévreux, comme l’était Sion. Ce nouveau cosmos ressenti par Shaolin et moi, nous avions su dès son apparition à qui il appartenait, car il était pétri de contradictions mais dessous y brillait une flamme, la flamme, celle qui ne défend que la justice, l’une des 88 qui forment la divine matière du bouclier de notre déesse Athéna.

Par la fenêtre, la pâle lueur des étoiles, qui fusionneraient en son pouvoir dorénavant, posait un hâle sur le visage endormi de mon ami. Je souris. Ça, par contre, ça ne changerait jamais, cette peau si blanche qu’elle pouvait refléter les rayons de la lune, blancheur que même le soleil le plus ardent n’entamerait jamais.

Non, Sion ne changerait pas. Malgré le fait qu’il était devenu plus secret qu’avant, laissant ses pensées pour lui-même si son pouvoir paranormal le rendait aussi étrange qu’extrêmement dangereux, bien qu’il s’affirmait bien qu’avant, il restait qui était arrivé au Sanctuaire il y a de ça cinq ans, celui qui était pétri d’une gentillesse inaliénable, et dont le sens de la justice était la seule ligne de conduite.

Parfois nous entrions en conflit, je redoutais ces moments comme la peste, sachant bien que pour que mon ami hausse la voix, il fallait vraiment que le problème auquel il était confronté à cet instant soit irrésoluble pour lui.

Et quand cela se produisait, je me rappelais toujours son visage de quand il était arrivé ici, au Sanctuaire, cassé, fané, fatigué, hagard. Je savais que lorsqu’on avait vécu ce genre de choses, retourner au néant était chose aisée et redoutée. A chaque fois, j’avais peur, mais finalement, à chaque fois, je m’en voulais terriblement de mon manque de confiance en lui. Car à chaque fois, Sion revenait avec ce sourire qui lui allait si bien. Car Sion resterait toujours Sion.

Je me demandai ce qui allait ce passer maintenant, comment allaient évoluer les choses. Ce qui était sûr, c’est qu’à présent qu’il avait maîtrisé son cosmos, Sion allait devenir si puissant que personne n’oserait plus le défier. Car son pouvoir tenait à la fois du mental et du physique. Il allait devenir ce que chacun d’entre nous rêvait de devenir, un chevalier complet. Et ça me rendait encore plus fier de me tenir à ses côtés. A moi maintenant de ne pas me laisser dépasser. Finalement, Khaan avait eu tort, Sion deviendrait un combattant exemplaire. Il avait prouvé maintes et maintes fois qu’il en était largement capable.

Mon regard tomba brusquement sur un point lumineux à même le sol.

Je plissai les yeux afin de discerner les contours de cette chose. C’était une boîte, un coffret plutôt, dont les ciselures et les moulures le rendaient magnifique et unique. Ce coffret  de bois précieux était pour ainsi dire caché sous le lit de Sion.

Un hasard ?

 Connaissant ce dernier, j’étais sûr que non.

En fait, ce coffret ne me semblait pas si inconnu qu’il pouvait bien paraître à prime abord. J’avais déjà vu Sion avec cet objet dans les mains, le protégeant en se repliant dessus, ne faisant que l’effleurer sans doute de peur de le casser. Je l’avais aperçus une fois, juste une, alors que je le cherchais dans le sixième temple pour une raison quelconque, alors qu’il semblait s’être isolé exprès pour cela. Je l’avais découvert, lui non. J’avais gardé cela pour moi, jalousement, ayant une fraction de seconde décelé un pan du secret entourant mon frère d’arme.

Maintenant, je le voyais plus distinctement. Sion avait oublié de bien le cacher. Je restai là, à me torturer l’esprit sur son contenu. Mon regard glissa alors vers la figure endormie de son propriétaire. Sion m’en voudrait d’avoir tenté de violer son mystère, j’en étais certain. D’un autre côté, laissé comme ça, à découvert, pouvait laissé croire à ce qu’il fusse fouillé. Je tendis la main pour le repousser vers la nappe d’ombre se tenant sous le lit de mon ami.

Ainsi, tout irait bien.

 J’allai toucher le bois poli quand brusquement un haut le cœur me secoua de part en part, coupant net me respiration. La chair de mes doigts qui avaient effleurés l’objet se mit à brûler tandis qu’une douleur vive me traversa le bras. Sous le coup de la surprise et de la douleur, je criai faiblement, ma voix se retrouvant stoppée quasi immédiatement au fond de ma gorge. Je gonflai mécaniquement à toute allure mes poumons mais rien, pas un seul souffle d’air ne parvenait à y entrer ni à en sortir. J’étais en train de me noyer. Avec terreur, je fixai à nouveau le coffret qui était à l’origine du maléfice. Je vis avec horreur ses moulures se distendre et virer en un rouge satanique tandis qu’un souffle d’air noir semblait s’échapper de la jointure des deux battants. J’ouvris la bouche. Je voulais hurler lorsque je sentis une lame ardente s’enfoncer dans ma poitrine.

Pour la première fois, je vis la mort en face, macabre et souriante, me tendant une main d’os blanchis pour saisir tel un étau ma gorge suffocante. J’allai mourir. Quelque chose m’agrippa fortement. Je me débattis avec fureur pour échapper à ce piège, mais elle était trop forte pour moi. Elle me plaqua si fort contre le matelas de mon lit que je crus passer au travers.

Au-dessus de moi se profilait une forme que dans ma soif de vie et dans mon affolement je ne parvins pas tout de suite à identifier. Des yeux verts en amende, un visage lisse et encadré de cheveux noirs. Shaolin. Je voyais ses lèvres bouger à toute allure mais je ne pouvais entendre ses paroles. Autour de moi, l’espace éclata en mille morceaux, se teintant de noir. Je voulus me débattre encore. Mais aucun de mes muscles ne répondirent à l’appel. Ils restaient figés en un moule de marbre qui emprisonnait mes poumons, mon cœur, les comprimant atrocement.

Je discernai soudainement une voix grave. L’univers se colora brusquement. Seuls mes yeux pouvaient bouger tandis que mon corps restait inerte et mort.

Devant moi, une personne. Un homme.

Il se tenait debout, de dos, dans une immense étendue d’herbes folles et hautes. Des cheveux bruns dont les mèches rebiquaient vers l’arrière retombant sur ses épaules. Un vêtement rouge au dos duquel était inscrit un sceau païen et occulte.  

L’univers tout entier dans lequel je me trouvais semblait tourner autour de ce personnage central et omnipotent sans doute témoin de ma malédiction sans pour autant faire quoi que ce soit pour me porter secours.

Une force incontrôlable dématérialisa mon corps pour me transporter à ses côtés, m’obligeant à regarder ce qu’il observait à présent, à ressentir la moindre de ses émotions.

De la colère, de la tristesse infinie, de la douleur, voilà ce dont il était fait. Rien d’autre.

Je distinguais à présent son visage.

Des yeux violets, une peau si blanche que les rayons du soleil n’avaient sans doute jamais réussi à entamer. De chaque côté de son visage, des mèches effilées passaient le long de ses joues, laissant son front libre.

Je fus pris d’un malaise en distinguant cela, cet homme portait ce symbole si caractéristique de cette personne que j’avais appris à connaître et à respecter comme un frère : sur son front pâle, deux points argentés et obliques gravaient sa peau comme une marque faite au fer rouge. Je reconnus soudainement ce visage, ce port de tête fier, tout en lui me criait cette origine commune.

Cet homme avait le même visage que Sion.

Ses doigts étaient refermés sur cette chose qui causait à présent ma perte par faute de ma trop grande curiosité, ce coffret que j’avais effleuré et qui m’avait châtié durement en envoyant mon esprit ici, dans cette geôle d’illusions dans laquelle j’étais maintenant confiné.

Ses lèvres bougèrent, débitant un flot de paroles silencieuses, découvrant des dents blanches aux canines prononcées. Ses yeux prirent une lueur pourpre et animale, sauvage, identique à celle illuminant parfois le regard du disciple de Kirin.

Le vent balaya ses cheveux bruns, découvrant la base de son cou où étaient apposés des tatouages noirs et tribaux, rongeant la peau et dont les méandres descendaient sur l’intégralité de son bras gauche.

Je ne pus observer cette chimère plus longtemps. Une force invincible verrouilla ma tête en direction de l’horizon, mon regard fut obligé du suivre celui de cet homme. Devant lui, devant nous, brûlait un bûcher dont l’odeur de chairs consumées me frappa en plein visage, m’étouffant complètement. J’eus un haut le cœur violent. Devant le feu incandescent dont les hautes flammes léchaient le ciel pourpre, brillait un sceau purificateur, responsable de la flamme divine.

Le sceau d’Athéna.

Une douleur jaillit de ma poitrine. Je tombai brusquement et alors que ma tête heurta violement ce sol couvert de cendres, les dernières images que je vis de cet enfer avant de sombrer totalement dans ce gouffre béant de ténèbres qui dévorait à présent tout cet espace, ce fut le visage de cet homme dont le regard s’était mué en un masque de haine palpable, rougi par les marques noires apposées sur sa peau devenant ardentes.

Son poing gauche desserra ses doigts.

Le coffret tomba.

Lorsqu’il heurta le sol, je disparus dans les méandres du royaume des morts.