Chapitre 26

 

*Dohko*

 

Je tombais, encore et encore dans l’obscurité sans fond, une douleur atroce comprimant mes poumons et leur défendant de se remplir à nouveau d’air. Toutes mes forces avaient disparu, telle une saignée faite à un mourant, je les voyais s’échapper de moi sans pouvoir faire quoique ce soit pour empêcher cela.
Je fermai les yeux, sentant bien que tout allait se terminer ici, dans ce puit sans fond où les sons de la vie ne me parvenaient plus.

« … »

Avais-je rêvé ?

Il m’avait semblé entendre, non, percevoir une voix familière.

Je parvins à  desceller mes paupières dans un effort me paraissant surhumain. Au-dessus de moi, une lueur tangible mais brillant résolument dans ces ténèbres mortelles m’éclairait faiblement mais ne devant jamais disparaître. Exténué, je tendis une main tremblante vers elle dans l’espoir de m’y raccrocher. En retour, la lueur devint chandelle puis incandescente pour enfin former le spectre d’une main fine et blanche, irradiante, qui enserra la mienne, me hissant avec force hors de ce piège maudit.

Une caresse sur mon visage.

Le parfum délicat d’une fleur lointaine mêlé à l’essence du Vent.

Petit à petit, je discernai formes et couleurs.

Au-dessus de moi, un visage familier me souriait avec chaleur. Ce visage…Celui de Shaolin.

Une mèche de ses longs cheveux était posée sur ma joue. Elle me sourit encore, me parlant doucement bien que mon esprit encore affaiblit ne puisse saisir le sens de ses paroles. Elle posa sa main blanche sur ma poitrine haletante, lui redonnant lentement sa liberté, la débarrassant du carcan mortel que cette illusion destructrice lui avait passé.

Enfin, l’air entrait à nouveau dans mes poumons meurtris. Sa voix chantante apaisait peu à peu mes angoisses. Elle était là et rien ne pourrait plus m’arriver tant qu’elle resterait à mes côtés.

Je la vis incliner la tête sur le côté, elle regardait quelqu’un. Je suivis du regard sa voix qui me paraissait venir d’un rêve.

Je perçus le visage anxieux de Sion.

Ah oui !...Je me rappelais à présent ce qui m’était arrivé.

Ce coffret. La mort.

J’avais dû tomber de mon lit car j’étais à même le sol où s’amoncelaient des couvertures défaites, comme jetées au travers de la pièce.

Shaolin me soutenait la tête, j’avais une partie de mon dos qui reposait sur ses genoux.

Mon regard fila malgré moi sur cet objet noir et maudit que tenait mon ami entre ses doigts crispés. Comment était-ce possible ? Pourquoi ne lui avait-il rien fait alors que moi, j’avais failli mourir par le simple fait de l’avoir effleuré ? Mais quel était donc ce maléfice aberrant ?

Je croisai alors son regard. J’y lus beaucoup de désespoir, d’inquiétude, de tristesse. Je me rendis compte qu’aux vues de ce qui venait de ce passer, Shaolin voudrait certainement faire disparaître cette boîte pleine de sortilèges afin qu’une telle chose ne se reproduise une seconde fois.

Et ce, par ma faute.

Shaolin se tourna vers Sion, le dévisageant de ses yeux verts infaillibles.

« Comment va-t-il ? s’enquit-il d’une voix blanche.

- Ne t’inquiète pas, il a fait le plus dur. Se faire happer par une illusion de ce niveau est souvent mortel. J’ai pu la contrer à temps, c’est le principal. »

Il baissa les yeux vers moi, sincèrement inquiet. Je m’en voulu affreusement pour ce qui venait d’arriver. Tout était de ma faute.

« Sion, qu’y a-t-il là dedans ? »

Il sursauta, pris au piège par cette question qu’il redoutait autant que moi formulée par Shaolin. D’un geste automatique, il masqua le coffret contre lui.

« Je… »

Je me redressai avec peine. Je voulais au moins lui épargner cette peine. Celle de se voir à coup sûr privé de quelque chose à laquelle il avait l’air de tenir beaucoup et dont ma stupidité venait de la salir.

« C’est moi qui ai agi comme un idiot… » parvins-je à articuler au travers de mon souffle encore incertain.

Mais Shaolin me coupa.

« Sion, qu’est-ce qu’il y a là dedans ? »

Elle se redressa, me laissant appuyé contre le bois du lit contre lequel mon dos était maintenu calé.

« Cette chose est puissante, il s’en  est échappé un sortilège d’une grande force mêlant des éléments instables pour lui donner forme. Ce genre de magie n’est présente qu’au royaume maudit et déchu d’Hadès. Alors tu vas me dire ce qui se cache entre ces deux lames de bois. »

Ce n’était pas une demande mais un ordre sans appel.

Sion se mordis la lèvre et leva les yeux vers le visage ferme de notre maître afin de s’assurer qu’il n’y avait sans doute pas d’autre échappatoire à son épreuve.

Il hésita un instant puis découvrit lentement ce qu’il cachait entre ses mains, mettant à jour le coffret de bois ciselé de couleur rougeâtre et sombre, gravé d’un symbole occulte sur son couvercle. Le même symbole que j’avais entraperçu sur le dos du vêtement de l’homme qui s’était tenu devant moi, dans ce cauchemar où j’avais été plongé.

Il déverrouilla les deux attaches dorées scellant le couvercle qu’il dégagea.

La pièce fut envahie de rayons de lumière irradiante.

Shaolin recula.

Entrelacés dans un velours pourpre, de fins objets dorés jetaient à la face du monde leur pouvoir de conception, effaçant tout éclat autour d’eux tellement tout avait l’air pâle par rapport à cette lumière éblouissante qu’ils généraient avec fièvre.

Peu à peu, les rayons s’éteignirent pour éclairer la main de Sion qui les tenait encore prisonniers de l’écrin où ils reposaient. Ils semblaient doués de vie, reconnaissant celui qui se tenait devant eux et brillant pour lui.

Les yeux de Sion s’agrandirent, paraissant surpris de trouver telle merveille à l’intérieur de son propre coffret. Shaolin murmura alors, mesurant brusquement ce qui se tenait sous ses yeux.

« Les neuf sceaux de Khirokan !! »

Mais déjà les fins objets ainsi livrés au regard du monde s’ornaient d’un éclat rouge et menaçant. Sion referma sur eux le couvercle, les dissimulant à nouveau. Il verrouilla les loquets dorés que portait la boîte sur son côté.

Notre maître posa sa main dessus. Je sursautai. Shaolin était complètement folle de s’exposer ainsi au même châtiment qui m’avait atteint. Un éclair rouge jaillit de nouveau de la boîte et creusa la chair de sa main. Elle fronça un sourcil et regarda ses doigts meurtris avec interrogation. Comme pour moi, cet objet l’avait repoussée durement.

« Je vois. » dit-elle en faisant jouer les articulations de ses doigts afin de s’assurer qu’elle n’avait rien de cassé.

Elle leva les yeux sur Sion qui déjà enveloppait la boîte ensorcelée dans ce que je reconnus être le petit sac de tissu rouge, seul bagage lui ayant appartenu lors de son arrivée au Sanctuaire, il y avait de cela cinq ans maintenant.

 Par ce geste, il nous mettait à l’abri de cette chose.

Ou bien c’était cet objet qu’il protégeait de nous.

« Un authentique objet que personne n’a le droit de toucher, un objet dangereux.

- Ce n’est pas ça ! » s’écria Sion, « Je…

- Les outils de l’orfèvre-forgeron Khirokan, celui qui avait autant de talent que Héphaïstos lui-même, et dont l’art était tel qu’il avait le don de redonner vie aux armures inanimées des chevaliers d’Athéna. Le seul témoignage de son existence sur terre.

- Ce sont…les outils de mon père… », murmura Sion.

« Je sais, car ces instruments forgés dans le sang d’un peuple disparu ne peuvent appartenir qu’à celui dont le sang est identique à celui qui les a créés, un descendant du peuple de Mû. »

Alors c’était ça ? Le secret si bien gardé de Sion, c’était celui-là ? Plus que ces objets mythiques qu’il avait en sa possession, c’était le fait que mon ami, celui que je côtoyais comme si de rien n’était, descendait d’un peuple éteint et mythologique, la race des hommes tenant leur savoir de la grande Athéna elle-même et qui constituaient la garde de la connaissance des lois régissant ce monde.

Je me rappelai alors ce don si particulier qu’il avait et auquel je n’y comprenais rien, sa capacité à parler avec tout élément constituant l’univers, vivant ou non, il pouvait comprendre la moindre parole de ce qui l’entourait comme s’il était en face d’une personne quelconque. Et cette facilité déconcertante avec laquelle il avait appris notre langue lors de son arrivée malgré son origine étrangère au Sanctuaire, ses premiers mots à nous qui venions de le découvrir avaient été en grec, langue que m’enseignait alors Shaolin à cette époque, m’obligeant à la parler couramment. Quelques mots lui avaient suffit pour nous comprendre et pour se faire comprendre.

C’était un prodige.

Maintenant tout était clair. Ce rapport si étrange qu’il liait entre lui et toute chose, c’était par son sang qu’il le faisait. Et ça, Khaan le savait. Dès leur première rencontre, il l’avait su.

Je comprenais pas comment mais il l’avait su.

« Je ne suis pas étonnée que ce trésor soit en ta possession, Sion. Après tout, ton père était Mékirôh, le seul habilité à réparer les armures des chevaliers d’Athéna. »

Il baissa la tête.

 J’allais de surprise en surprise. Celui dont on taisait le nom pour ne pas lui porter ni atteinte ni entache par des paroles vaines était son propre père ?

Kirin avait brisé le poing du Gémeaux une fois. Avait lors commencé une quête d’une autre ordre pour lui, longue et périlleuse, une dont seule le courage et l’abnégation devaient être de mise afin de pouvoir atteindre son but tant espéré : redonner un second souffle de vie à son armure brisée.

Car il devait alors soumettre sa bravoure à un seul homme habilité à juger son dévouement envers Athéna, Mékirôh, descendant du peuple des Alchimistes d’Athéna, l’ensorceleur d’armures.

Je n’en revenais toujours pas.

Shaolin glissa une mèche de cheveux sombres derrière son oreille. Elle murmura pensivement, comme si elle se parlait à elle-même :

« Les neuf sceaux sont ici…Une chance…Une malédiction aussi…Si quelqu’un venait à mettre la main dessus ce serait un désastre…Et pour lui et pour nous. 

- Que vas-tu faire Shaolin ? » demandai-je, inquiet de cet air fermé tirant ses traits, « Je… c’est de ma faute ce qui…

- Silence Dohko, tu n’imagines pas ce que la présence de ces objets signifie pour le Sanctuaire. Il n’existe qu’un seul exemplaire au monde de ce trésor. Un seul et unique au monde trésor capable de redonner vie aux armures, et pas seulement celles d’Athéna mais ceux de Poséidon, d’Hadès et d’Arès aussi. Alors si cet objet tombe entre de mauvaises mains, cela pourrait signifier l’avènement de malheurs qui dépasserons tout ce que l’on peut imaginer. On ne peut pas fermer les yeux sur cette menace. Si les neuf sceaux ne trouvent pas de porteur compatible qui pourra canaliser leur art de création, cela signifiera la potentialité que cela se retourne contre nous. Car on a déjà perdu notre seul espoir  en ce qui concerne la possibilité de remettre en état les armures détruites, alors il n’est pas question que je laisse passer ça !

- C’est de mon père dont tu parles… »

Je tournai les yeux vers Sion dont les doigts s’étaient refermés sur le coffret.

« Je sais Sion !

- Alors ne dis pas ça comme ça !! N’en parle pas comme s’il n’était qu’un objet pour vous !!! »

Shaolin soupira, se pencha vers mon ami et posa sa main sur son épaule.

« Pardon Sion. C’est vrai, je n’aurais pas dû dire ça. Mais tu sais…Tout le monde pensait que les instruments sacrés de Khirokan avaient disparus lorsque…Enfin…Lorsque ton père est mort. Ces instruments ne peuvent exister que lorsqu’ils peuvent entrer en résonance avec une personne faisant parti de ceux qu’ils ont élus parmi tous les autres, ceux qui seront autorisés à leur donner un écho. Le réparateur d’armure ne peut voir le jour que si les créations de Khirokan l’en jugent capable et digne de poser la main sur eux »

Elle sursauta alors, se rendant compte de ce que son raisonnement avançait.

« Alors ça ne voudrait signifier qu’une seule chose : Sion, c’est toi qui leur permet d’exister. »

Les yeux mauves de mon ami s’agrandirent an même temps que les miens.

« Sion, je crois que ce qui vient de ce passer vient de le prouver. Personne ne peut se croire être leur maître maintenant qu’ils en ont décidés ainsi. Parce que le seul qui peut prétendre l’être, c’est toi.

- Qu…Quoi ? »

Mais il secoua la tête.

« Tu te trompes…Il y a bien longtemps que je n’arrive plus…Je n’ai même plus la force de les soulever et…

- Tu as dit « il y a bien longtemps » ? » demanda Shaolin en le fixant à la dérobée.

Sion hocha la tête.

« Moi, je ne suis pas mon père, je ne sais plus les faire danser comme lui le faisait sur le métal sacré des armures. »

Shaolin éclata de rire tant et plus.

« Mais alors ça veut dire que tu les as porté toi aussi, ces instruments ? Tu ne te rends donc pas compte de ce que cela veut dire ! Tu es tout bonnement capable de maîtriser la magie créatrice de Khirokan !

- Mais…

- N’as-tu donc pas remarqué que les sceaux n’ont brillés que pour toi ? Celui qui les tiendra un jour dans ses mains pour sculpter les armures à l’effigie de leur constellation protectrice, c’est toi Sion ! Bien que ces objets ne peuvent se transmettre que préférentiellement à celui portant le même sang que celui de Khirokan,  ils sont capables de choisir leur maître. Ils t’ont choisi, toi. »

Sion la regarda à la dérobée, se demandant si notre maître lui faisait une de ses fameuses plaisanteries et dont elle avait le secret.

Mais Shaolin, malgré son rire clair, avait l’air de tout sauf de se moquer de lui. Je souris et passait ma main sur son épaule, à l’endroit où commençaient les deux rainures profondes qui parcouraient son dos.

« Tu sais, je crois qu’elle a raison.

- Mais bien sûr !! Comme toujours !!! Comment peux-tu mettre en doute la parole de ton maître vénéré et adulé alors qu’il vient de te sauver la vie ?

- Shaolin, tu es mon maître, il est vrai que je t’aime beaucoup, mais de là à dire que je te vénère c’est un peu exagéré…

- Bah ! C’est ce que tu dis toujours mais tu n’en penses pas moins ! Ne l’écoute pas Sion ! »

Sion sourit alors que Shaolin sautait sur ses pieds et rattachait en arrière ses longs cheveux noirs.

« Tu sais Sion, s’il y a bien une personne capable d’un tel prodige, c’est bien toi.

- …Merci Dohko. »

Soudain une question me traversa l’esprit. Je me tournai vers Shaolin.

« Tu as sans cesse cité son nom sans pour autant nous dire qui il était. Alors, qui est Khirokan ? »

A ce nom, mon ami leva ses yeux mauves vers elle dans l’attente d’une réponse. Shaolin le regarda et exécuta un demi-sourire comme si elle avait attendu cette question depuis le début, depuis l’instant où ce nom avait franchi ses lèvres.

« Khirokan, l’orfèvre-forgeron dont l’art dépassait même celui d’Héphaïstos, l’alchimiste de génie dont la renommée en a fait un personnage aussi mythique que le prince souverain de la terre qui l’avait vu naître. Il a donné naissance à l’une des plus somptueuses créatures qui parcourt les cieux, Pégase. C’est le guerrier le plus puissant que le peuple de mû ait engendré, le nom que les dieux lui ont donné signifie « Bravoure ». Ici on ne le connaît que sous l’appellation de Persée, l’ancien chevalier d’or du signe du Bélier. »