Chapitre 29

 

 

* Sion *

 

         Le premier, ce serait moi.

Le premier à combattre… A frôler le mort…

Ce serait donc moi.

« Il n’y a aucune limite  à la portée des coups reçus et donnés. La mort est envisageable. »

Il délai de 88 minutes où au final, la mort est envisageable.

Jamais des paroles n’avaient été aussi macabres pour moi qui essayais à présent de les sortir de ma tête afin de pouvoir enfin penser à autre chose qu’à cette menace de châtiment déguisée en une règle simple et banale.

Et la mort reflétait à présent des traits autres que ceux de cette entité laide et décharnée qui s’était tenue près des miens pour trancher le fil de la vie de ma mère et pour emporter par la suite mon père.

Maintenant, la mort avait un visage, redessinant parfaitement celui de Shaolin si courageuse et si chaleureuse, déformant son apparence pour dissimuler derrière elle si tendre un aspect sombre et torturé, ce qui se tenait tapi dans l’ombre et emmuré dans l’enveloppe de chairs de cet homme qui avait tout de sa sœur jumelle, tout sauf son aspect « humain », masquant cette personnalité double tranchante le caractérisant et faisant de lui le guerrier le plus redoutable de toute la chevalerie, celui assigné à toutes les basses œuvres commanditées par le Sanctuaire afin de débarrasser le Royaume des Hommes des créatures mythologiques le menaçant, lui qui portait le titre d’Assassin de la garde sacrée d’Athéna, lui qui serait mon bourreau dans quelques instants, pour les 88 minutes qui suivraient ce moment où ma main malheureuse avait désigné son nom comme étant celui de mon adversaire, les dernières minutes de ma vie.

« … Ion !! Sion !! »

La voix de Dohko se superposa soudainement à ce flot de pensées se surajoutant les unes aux autres en une suite de constatations débridées et d’affirmations sinistres tenant lieu de vérité effrayante défilant dans ma tête à toute allure et l’emplissant totalement pour ne rien laisser dans mon cœur à part cette terreur viscérale m’enserrant de toutes parts et  me privant de mon souffle comme si la simple vue de mon meurtrier lui suffisait pour me terrasser, étant aussi terrible que s’il m’avait asséné un coup formidable au creux de l’estomac.

Kivu me toisa avec dureté, réitérant ce qu’il venait de nous affirmer précédemment, ce qu’il venait de me dire à moi, celui dont il avait sûrement entrevu la fatalité funeste dans les étoiles se reflétant au dessus du Stars Hill.

« Désires-tu poursuivre malgré tout, Sion, aspirant au Bélier d’Or ? »

Un vertige me prit alors que j’aperçus Kirin qui posait une main sur le parapet de pierres millénaires, prenant appui dessus pour sauter avec agilité et lestement en contre bas, se retrouvant sur l’ère de combat le premier comme s’il avait pu déchiffrer sur mon front couvert de sueur, sur mon teint blême, ma respiration haletante et difficile, mes gestes tremblant par instants l’origine de ce trouble me rendant malade, devinant cela parce que l’expression d’une telle peur lui était familière, c’était celle qu’affichaient ses ennemis lorsqu’ils comprenaient que dès lors qu’il se mettait en garde, cela signifiait leur arrêt de mort.

Je me rendis compte tout à coup du silence pesant affreusement au sein du Colisée et m’étouffant complètement.

Pas un son, rien en me parvenait hormis le glapissement du vent et les martèlements de mon propre cœur battant à tout rompre dans ma poitrine, me secouant de toutes parts comme si je n’étais qu’un simple fétu de paille.

Tout s’était tu, comme figé autour de moi, non, autour de nous, Kirin et moi restant les deux seuls acteurs de cette scène funèbre où je n’avais certainement plus ma place. Tous les regards des aspirants chevaliers comme ceux déjà nommés étaient rivés vers nous, sur lui le chasseur impitoyable et sur moi, la proie de ce combat inégal à l’issue certaine et déterminée.

Je percevais déjà les murmures échangés succinctement entre les spectateurs et prononçant des fragments de paroles éparses et quasiment inaudibles mais dont le contenu s’amplifiait sous la résonance du vent glissant sur ma peau et qui les reforma clairement dans mon esprit torturé.

« Le pauvre… »

                                                                                  « Il n’a pas eu de chance !... »

« Cette fois, c’est sûr, il ne s’en sortira pas… »

« Seigneur Kirin n’a jamais perdu un seul combat… Il n’a aucune chance… C’est terminé pour lui… »

                                   « Le Gémeau n’en fera qu’une seule bouchée, moi, je n’aimerais pas être à sa place !... »

 

                                                           « Il va abandonner, ce serait mieux pour lui, sinon, il mourra par le poing le plus dénué de compassion du Sanctuaire… Ce serait mieux pour lui s’il jetait l’éponge !... »

 

« De toutes façons, ce n’est pas grave !... C’est un rescapé, il paraît qu’il a renié Athéna… Ce serait donc elle qui se vengerait ainsi, en lui offrant cette mort pour expier ses fautes ?... »

 

« Son père était le réparateur d’Armures… On dit qu’il aurait renoncé à servir Athéna… Sinon, pourquoi serait-il mort alors que les forgerons de la déesse miséricordieuse sont sensés jouir d’une longévité impressionnante ?... Lui qui est son fils, il ne doit pas valoir plus que ce traître. »

Je serrai les dents sous le coup de ces inepties me ramenant sans cesse à l’esprit ces origines étant les miennes que eux dénigraient ouvertement alors que moi…

Moi, elles faisaient ma fierté.

Une secousse.

Une autre.

Quelque chose agrippa mes épaules pour m’ébranler fortement, me faisant revenir durement à la réalité tandis que je croisai le regard sauvage de mon ami me dévisageant avec un mélange d’inquiétude et de sévérité, me rappelant à l’ordre alors que Scylla passa ses doigts autour e mon poignet, me demandant d’une voix décomposée : « Sion !... Est-ce que ça va ?... Réponds-moi s’il te plait !... Tu fais peur à Scylla !... Tu me fais peur !... »

Eux qui s’étaient rendus compte que je venais de faillir à l’instant me soutenaient à présent en étant à mes côtés. Je n’avais pas entendu le nom de l’adversaire de mon ami, encore moins celui de Khaan qui me détaillait avec autorité et dédain, avec amusement, se délectant de voir combien celui qui avait été son maître pendant toutes ces années me faisait peur.

Lui, il avait dû supporter son enseignement dans le sang pendant tout ce temps et était là aujourd’hui pour témoigner de sa rage de vaincre contre tout ennemi qui se tiendrait sur sa route, de vivre malgré tout.

De vivre.

C’était cela, la différence qu’il y avait toujours eu entre moi et lui alors que nous faisions partie d’un clan aux origines communes. Lui, plus que moi, était un survivant.

Mais il y était arrivé, à résister aux entraînements du Chevalier des Gémeaux, il était là pour le démontrer. Dès le départ, lui avait dû résister à tout cela, tous les jours, parce que le sort en avait voulu ainsi.

Il y était parvenu, cela signifiait donc que Kirin n’était pas invincible.

Et Scylla, si petite et si menue, elle devrait se battre contre cet homme qui l’avait regardée comme s’il ne voyait en elle qu’un insecte qu’il pourrait écraser du bout du pied. Et pourtant, elle s’inquiétait uniquement pour moi, et non pour elle, prenant sur son courage pour me redonner le mien.

Quant à Dohko, lui qui avait toujours constitué mon modèle, il m’encourageait encore une fois en étant juste là, à côté de moi, comme il l’avait toujours été, recouvrant ma faiblesse de sa force qui ne palissait jamais, devant aucun obstacle quel qu’il soit, parce que pour lui qui n’aurait jamais dû vivre, dont le sort avait été scellé au moment de sa naissance et dont la volonté était encore gravée dans la peau de son dos, rien en serait jamais joué ou décidé d’avance, parce que c’était le propre de l’Homme que de vouloir modifier le court de son destin.

Eux, ils n’étaient pas comme moi, manquant de courage et ne comptant que sur les autres pour puiser en soi une quelconque forme de vaillance.

Eux, ils étaient pour moi plus que des personnes sur qui je ne faisais que me reposer en oubliant de leur rendre la pareille.

 

Faire de ses cicatrices une armure invincible, de se faiblesses une arme mortelle, de sa peine une force intarissable et de sa crainte un courage inégalé, voilà ce que m’avaient enseigné les personnes ayant jalonné ma vie, celles qui avaient disparues pour laisser place à d’autres étayant leur souvenir impérissable et l’essence de ma propre existence, leur foi en l’avenir et le meilleur de l’Homme guidant mon idéal, pour elles qui m’avaient donné la force d’accomplir des miracles, je n’avais pas le droit d’abandonner, jamais.

Je me l’étais promis, je leur avais fait le serment à elles et à eux étant devenus au fil des ans des êtres sur qui et pour qui je pouvais compter quoi qu’il arrive, celui d’endosser un jour cette armure divine qui les récompenserait elles plus que moi pour avoir eu la folie de croire en moi, pour que les lendemains soient meilleurs que ceux que j’avais pu connaître, pour que plus jamais quelqu’un n’endure ce qui m’avait été destiné, parce que c’était pour eux tous que je caressais le rêve, le mien, celui de leur rendre ne serait-ce qu’un peu de ce qu’ils m’avaient tant donné.

Alors, pour eux, je n’abandonnerai pas. Je ne le ferais plus jamais.

Parce que ma force, c’était eux.

 

Une voix résonna alors en moi, une voix au timbre sombre et clair à la fois, grave et sévère, aigu et espiègle pourtant, une voix se faisant l’écho de mon propre cœur, se mettant à rire doucement mais balayant tout ce qui pouvait se trouver autour de moi, une voix faite de chair et de cliquetis rauques comme si elle n’était que la matérialisation de l’expression d’un rouage un peu usé et ténu, mais d’un rouage essentiel et venant de se remettre en marche après des années d’inaction.

<Voyons voir cela… Voyons voir jusqu’où pourra aller ton souhait, Ariès no Sion !... >

Je relevai les yeux vers Kivu silencieux et me dominant de toute sa hauteur ainsi que de son rang, attendant ma réponse qui tardait à se faire entendre, mon regard passant successivement sur le visage de Dohko, mon meilleur ami et mon plus redoutable adversaire, Scylla étant pour moi quelqu’un d’irremplaçable, me souriant avec chaleur et me murmurant d’une voix pleine d’espoir : « Si mon maître a dit que Kirin était dangereux, il n’a jamais dit qu’il était imbattable, Sion. Alors ne te retourne pas… Vers ce qui ne te ressemble pas… Moi, je sais que tu vas y arriver… Je le sais… J’en suis sûre. »

Je lui rendis son sourire. Elle avait raison, car n’était-il pas le propre d’un chevalier que le don de pouvoir accomplir des miracles ?

Mon attention se défit d’elle pour passer sur Khaan qui ne cesserait jamais de défier ce lien existant malgré lui entre nous deux, sur Shaolin qui m’avait relevé de mes cendres, sur Sirius si sage, VanRâh l’être le plus mystérieux qu’il m’avait été donné de connaître et qui cachait, sous son air fermé et imprenable sans doute un cœur bien plus généreux que n’importe qui au sein de ce Sanctuaire, Sairo, le détenteur du savoir d’Athéna et qui avait l’audace de juger les Hommes selon l’équivalent de la pensée divine, Kazuro dont l’apparence sauvage et l’aura destructrice émanant de lui écrasait tout par sa supériorité, Kivu dont la prestance et le courage avaient fait de lui le représentant de notre déesse sur terre, et enfin Kirin, l’exécutant des ordres du Sanctuaire, celui dont l’armure à deux facettes reflétait sa conscience et sa raison doubles pour faire de lui un être assassin et impénétrable.

Tous si différents et pourtant rassemblés en un seul lieu, en un seul jour, tous réunis sous un même emblème, celui des 88 flammes ornant le bouclier sacré d’Athéna, tous formant malgré tout…

Ma famille, celle auprès de laquelle j’avais trouvé enfin une place, une place rien qu’à moi, celui qui venait de rien.

Je n’avais pas à avoir peur. Car quoi qu’il arrive, je ne regrettais rien, absolument rien. J’avais placé en Athéna ma vie, et elle la remettait maintenant entre les mains de ses plus fidèles gardiens, leur accordant toute sa confiance. J’avais foi en elle, j’avais foi en eux. Ils ne me trahiraient jamais.

« Sion ? », interrogea Dohko en fronçant un sourcil, inquiet devant mon silence que je brisai tout à coup d’une voix calme.

« Ça va aller Dohko, ça va aller ! », dis-je en me séparant de lui pour m’avancer vers la cour du Colisée où m’attendait mon adversaire, me retournant une dernière foi vers lui pour lui lancer : « On se reverra lorsque tu auras ton armure sur le dos. Et tu n’as pas intérêt à perdre, Dohko. 

- Pff ! Parle pour toi idiot ! », répliqua-t-il avec défi, « Ce n’est pas moi qui vais devoir déguster ! Alors parle pour toi ! C’est toi qui n’as pas intérêt à perdre, Sion ! Ou tu auras de mes nouvelles ainsi que celles de Shaolin ! »

Je me mis à rire.

Ça faisait du bien d’entendre sa voix.

Oui, ça faisait du bien.

Vraiment.

« Je n’ai pas l’intention de perdre. », achevai-je en me plaçant face au Chevalier des Gémeaux qui me dévisagea de son air impassible et aux traits lisses presque enfantins, un masque parfait et illusoire dissimulant un démon sans pareil que je n’avais pu entrevoir qu’une seule fois la nature instable, une seule fois qui m’avait suffi à comprendre que cette double personnalité constituant la sienne unique n’était certainement pas ce qu’il y avait de plus dangereux chez lui dont je devais me méfier, cette optique me contraignant à jouer avec deux impératifs opposés que je me devais pourtant de combiner si je voulais avoir une chance de m’en sortir vivant.

D’une part rester le plus loin possible de lui alors que d’autre part, je ne devais pas le laisser refermer sa garde.

« Je suis content d’être ton adversaire. », me dit-il le plus naturellement du monde alors que je perçus clairement une menace horrible s’étioler dans ses paroles anodines.

Il m’adressa un sourire chaleureux, me tendant sa main droite revêtue d’une protection de cuir laissant le bout de ses doigts libres et enserrant son poignet pour remonter jusqu’au coude, couvrant son avant-bras en signe de salut.

« Si vous êtes prêts, nous allons pouvoir commencer ! », interrompit Kivu que je n’entendis que partiellement, toute mon attention étant focalisée sur cette main qui me sembla soudainement tordue  et maculée de sang de toutes les créatures ennemies qu’elle avait abattues sans aucun remord.

Pas de doute, le combat venait de débuter.

Et cette poignée de main apparemment amicale en formait le prologue.

« Rappelez-vous, les limites de l’affrontement seront celles de cette arène de laquelle vous ne devrez pas sortir. L’utilisation du cosmos est autorisée et même conseillée. Vous combattrez loyalement, dans l’esprit imprimé dans les règes du code de la chevalerie. Maintenant, que le meilleur remporte ce duel. », ajouta le Grand Pôpe avant de sortir complètement de l’arène afin de regagner sa place en haut de l’estrade surplombant celle-ci, ré endossant son rôle de juge derrière lequel se tenait ses pairs d’Or ainsi que les armures venues saluer les futurs porteurs de leurs sœurs de sang.

Une goutte de sueur perla au niveau de mon front.

Mon 6ème sens décela le changement de pression dans l’atmosphère devenue pesante autour de nous sur lesquels elle s’était refermée.

Mon regard demeura fixé sur cette main qu’il me tendait presque amicalement et à laquelle je me devais de répondre favorablement car ignorer le salut d’un chevalier était comme souiller son honneur.

« Pourquoi ne revêts-tu pas ton armure ? », lui demandai-je avec méfiance, remarquant qu’en effet, il était venu sans autre chose sur lui et avec lui que son costume noir et rouge constituant sa tenue d’entraînement.

Ma question déclencha chez lui un rire clair.

« Je n’en aurais pas besoin, rassure-toi. »

Cette assurance, loin de me faire frémir, m’exaspéra.

Il était donc si sûr de ma faiblesse qu’il n’avait pas pris la peine de me jauger avant de croire cela ?

Il s’exposait volontairement à mes coups qu’il ne craignait guère, les reléguant à une simple formalité, ajouter à cela le fait qu’il devait sûrement croire que je ne parviendrais même pas à entamer sa garde.

En effet, vu sous cet angle, il avait nullement besoin du recours de son armure sagement enfermée dans son caisson reflétant la lumière du soleil.

Mais je lui démontrerais son erreur, ça, je pouvais lui garantir.

Si c’était comme cela qu’il considérait cette épreuve qui pour moi était l’aboutissement de toutes ces années pendant lesquelles j’avais enduré toutes ces peines uniquement dans le but de pouvoir endosser mon armure, si lui ne considérait cela que comme un simple jeu, j’allais lui prouver le contraire.

J’avançai mon poing vers le sien, mais au moment où mes doigts allaient se resserrer sur les siens qui déjà emprisonnaient ma main, l’espace autour de moi se déforma brutalement, m’écrasant totalement et me privant instantanément de toutes mes forces, m’obligeant à ployer durement et à mettre un genou à terre alors qu’une douleur sourde envahit mes doigts fracturés, mon poignet démis, se prolongeant dans l’axe de mon avant-bras droit devenu quasiment inutilisable par la douleur vrillant mes chairs.

Rapidement, je dématérialisai mon enveloppe pour disparaître loin de Kirin et pour revenir dans cette réalité à plusieurs mètres de lui qui contemplait mon trouble avec amusement tandis que je portai ma seconde main sur mon poing meurtri gravement et qui avait failli se rompre sous la pression de cette simple poignée de main, ressentant son engourdissement qui ne présageait rien de bon.

Il n’avait fait que me serrer la main. Rien de plus…

Et il avait presque brisé mon poing, non. Il l’avait effectivement fait… Juste comme ça, par une simple poignée de main.

Alors était-ce donc là la différence de niveau existant entre un chevalier d’or et le commun des mortels ? Une force diabolique qui les hissait au rang de demi-dieux ?

Il avait refusé de me tendre le poing des gémeau la première fois que l’on s’était rencontrés, maintenant, je comprenais pourquoi. A l’époque, j’aurais pu mourir pour de bon, juste en l’effleurant.

Je me mis en garde alors que lui fit quelques pas dans ma direction, ne se dépareillant pas de son sourire presque naïf me déstabilisant tant ce qu’il affichait sur son visage était à l’extrême opposé de ce qu’il était en réalité, un monstre de puissance infinie et prête à rejaillir à tout moment.

Il disparut brusquement, fendant l’air et laissant derrière lui le sol défoncé par sa passe alors que quelque chose frôla ma joue, une chose qui ouvrit ma peau jusqu’à l’os et que j’évitai de justesse, dans un réflexe de survie me faisant reculer à toute vitesse pour me déporter vers la gauche au moment où le sol autour de moi se fissura tout à fait, implosant en fragments de pierres pilées, le souffle de l’impact étant si violent qu’il me fit perdre mon équilibre, me destituant de mes appuis que je récupérai tant bien que mal, ma respiration se coupant lorsque je vis Kirin se redresser à l’endroit même où je me tenais quelques secondes auparavant, dans une pluie de pans de roches rompues, rivant sur moi son regard gris et dénué de toute expression autre que celle de m’écraser tout entier comme ce qu’il venait de faire aux dalles de l’arène en creusant, par simple contact entre lui et le poing du Gémeau, une ornière profonde et large de plusieurs dizaines de pieds.

« Mince !... », dit-il d’une voix claire, « Manqué ! »

Il était tout bonnement… Effroyable.

Et cette force déployée par ses muscles d’acier dont chaque fibre délivrait à l’autre une puissance folle était monstrueuse.

Il n’était pas seulement rapide, usant comme tous les chevaliers d’or de la vitesse de la lumière, il était aussi, et malgré son apparence plutôt filiforme, un être bien plus lourd que je ne l’avais pensé à première vue, appuyant à l’extrême chacun de ses coups dans lesquels il concentrait au maximum une partie de son cosmos dévastateur pour les amplifier toujours plus, augmentant leur portée et leurs conséquences de mort sur son ennemi dont j’avais à présent le statut.

Kirin se retourna vers moi, son mouvement amorcé n’eut jamais de fin, disparaissant de nouveau pour fendre l’air derrière moi qui rabattis mes avant-bras devant mon visage, faisant appel à mon cosmos pour réer entre lui et moi une barrière protectrice qui freina à peine le coup de pied qu’il m’asséna et que je reçus en pleine volée, m’envoyant m’écraser contre les limites de l’arène du Colisée et formant l’enceinte de celui-ci.

J’heurtai sans vraiment comprendre ce qu’il venait de se passer avec une violence inouïe la pierre mate dont el contact solide m’arracha un cri de douleur qui fut stoppé net alors que le contrecoup de l’assaut me priva de mon souffla, faisant parvenir dans ma bouche un flot de sang infect m’empêchant de reprendre la moindre bouffée d’oxygène et que je recrachais avec une peine immense, tant le choc m’avait privé de mes sens et de ma raison ne tenant plus que par un fil, une seule question demeurant dans mon esprit incapable de percevoir avec certitude ce qui m’entourait et composait mon univers déformé par la souffrance occasionnée par cette attaque surpuissante que je venais d’essuyer : « Que s’était-il passé ?.. Qu’est-ce qu’il s’était passé pour que j’accuse de tels dommages alors que le combat ne faisait que commencer ?!... »

Il avait brisé la barrière ultime comme si elle n’était qu’une simple feuille de verre tendre, le Crystal Wall ne me serait d’aucune utilité contre lui qui l’avait fait plier comme si de rien n’était.

Une ombre se profila au dessus de moi parvenant à peine à recouvrer ma liberté de mouvement avec mon côté droit, le gauche encore emprisonné de l’impact reçu et dont les côtes cassées ne se soulevaient même plus, réduisant de moitié le flux d‘air exigu arrivant encore à se frayer un passage dans ma poitrine meurtrie d’où me parvenait le bruit net des brisures s’élevant vers moi sous les mouvements saccadés de mes poumons avides d’air inexistant.

Une serre impitoyable se referma sur ma gorge haletante et me souleva tout entier des décombres pour m’exposer au regard du monde en suspend, m’étranglant petit à petit telle une sentence sur laquelle je portai mes mains dans l’espoir de l’annihiler, rencontrant la sensation d’une cuirasse épaisse et glacée, du cuir.

La vue me revint brutalement, comprenant le péril que m’attribuait mon ennemi, mes yeux se baissant vers lui qui me maintenait au dessus du seul d’une seule de ses mains meurtrières, aussi facilement que si je n’existais pas, un sourire se dessinant sur ses lèvres, un sourire carnassier, un sourire de mort.

Bon sang !... Etait-ce comme cela que toute prendrait fin ? En seulement deux coups ?!

La différence de niveau entre lui et moi était donc à ce point conséquente ?!!

Sa force de frappe était sans commune mesure avec celle de Shaolin qui se contentait d’atteindre les points vitaux alors que lui les détruisait sans partage.

Et quand à sa vitesse…

« Je ne me téléporte pas, l’espace, je ne fais que le parcourir. »

Cette voix résonna dans mon esprit dénaturé.

Celle du Chevalier du Scorpion lorsque je lavais combattu et qu’il m’avait totalement dominé de sa puissance démesurée.

Bien sûr.

Chaque chevalier avait ses caractéristiques et ses points faibles. Chacun d’entre eux était un guerrier hors pair excellant dans un art du combat qui lui était propre mais présentait en contre partie un handicap étant la seule et unique source de faiblesse qu’il pouvait présenter à l’ennemi.

Kirin et VanRâh n’avaient  pour seule différence la force physique incommensurable chez l’un, remplacée par une vitesse encore plus grande chez l’autre, celui que j’avais défié compensant cette perte de vitesse par la portée de ses coups ravageant tout dans un périmètre large et par son poids le mettant à l’abri de la plupart des attaques qu’il pouvait bien recevoir et qui ne le feraient pas ployer pour autant.

Les conseils de VanRâh que ce dernier avait donné à sa disciple me les ayant répétés sans arrière pensée allaient me servir.

Ce n’était pas la peine de faire appel au corps à corps avec lui qui serait de toute manière toujours la vainqueur de nous deux, c’était ça, sa garde, fermée uniquement par sa puissance de frappe hors du commun et que je devais à tout prix briser.

Ma seule chance résidait dans les deux attaques scellées dans mon poing et qui pourraient rivaliser avec les siennes m’étant pour l’instant inconnues.

« Tiens ?... On dirait que tu as finalement trouvé mon petit point faible ! », dit calmement Kirin en souriant alors que je me déportai de lui à l’aide de mon pouvoir de téléportation pour me dégager de sa prise assassine, ne restant que quelques centièmes de secondes au même endroit pour me garder hors de sa portée, lui qui en pouvait pas me suivre dans ces déplacements à haute vélocité, concentrant tout ce que j’avais dans mon poing droit brisé mes encore doué de vie.

Ça ne prendrait que quelques instants pour que je puisse faire appel à ce dernier recours enseigné par mon maître, un recours ne devant être employé que dans les cas désespérés, mais au train où allaient les choses, je serais mort avant d’avoir pu me rendre compte que j’allai effectivement perdre la vie.

Une seule confrontation avec le Gémeau, s’il parvenait à refermer sur moi son périmètre ne serait-ce qu’une fois, s’en serait fini de moi.

J’avais eu de la chance de m’en sortir mais il m’avait presque privé de la moitié de mes forces en seulement deux attaques, qui sait ce qu’il pourrait bien faire si jamais il venait à mettre une troisième fois la main sur moi ?

Mais je devais prendre ce risque, vu les capacités physiques qu’il avait, ce ne serait pas en lui infligeant une attaque de loin qu’elle le mettrait hors d’état de nuire pour de bon.

Je devais tenter le tout pour le tout.

Mes doigts se resserrèrent sur l’énergie pure qui se matérialisa au creux de ma main pour se dissiper instantanément, se reformant en de petits cristaux qui se fondirent dans mes chairs pour leur donner la consistance de l’acier le pus dur, réalignant les articulations déchirées et les tissus lésés pour en faire une arme mortelle.

Il se retourna vers moi à l’instant où je réapparaissais face à lui, armant un premier geste dévastateur que j’évitai en plongeant vers le sol à toute vitesse, faisant un pas en avant et me portant sur lui avant que l’onde de choc déployée par son assaut ne vienne le protéger contre mon attaque, m’obligeant à accélérer encore pour me déporter sur la droite alors que je sentis un courant d’air brûlant me griffer le joue, comprenant que son prochain coup serait vertical.

Je reculai au moment où son poing passait près de moi en rasant l’arrête de mon épaule, la déssoudant complètement mais me permettant, par son sacrifice, de saisir enfin la brèche dans son enchaînement, prenant appui contre son avant-bras pour plaquer ma main contre le haut de son thorax, déchaînant à bout pourtant les milliers de fragments d’étoiles sur lui qui ne put les éviter, rejeté loin de moi par la force extraordinaire contenue dans l’essence des astres d’où je puisai mon cosmos, disparaissant dans une nuée de poussière éblouissante me privant de sa vue et dévastant tout sur son passage.

Je repris mon souffle péniblement, sentant la conséquence de cet assaut suicidaire que je venais d’exécuter, mon bras droit pendant lamentablement, privé de ses ramifications nerveuses arrachées par l’énergie destructrice levée par les coups de mon adversaire noué dont la silhouette était à présent noyée dans les débris de pierres pulvérisées par les retombées sans pitié de la première attaque scellé dans mon poing, « Stardust Revolution. »

S’il l’avait encaissée de plein fouet, il ne devrait pas pouvoir se relever. Du moins, pas sans en subir lourdement les conséquences. Il pourrait certainement bouger encore, car la vitesse à laquelle j’avais dû me mouvoir pour l’atteindre m’avait empêché de bien assurer mon équilibre.

Mais il serait diminué, comme moi, alors, ça devrait aller maintenant. Le combat serait plus équitable qu’à présent.

Le vent violent tournoyant autour de moi et remplissant l’arène de son souffle débridé retomba, découvrant ainsi ce qu’il était advenu de mon adversaire.

Les battements de mon cœur s’accélérèrent à toute vitesse tandis que la nausée me gagna tout à fait lorsque je découvris Kirin qui se relevait lentement de la zone où mon attaque l’avait envoyé, levant vers moi ses yeux couleur de mercure où flottait une lueur sinueuse, un regard vide de toute expression humaine tandis que une à une, les longues mèches de ses cheveux sombres, libérées de leur attache sectionnée, coulèrent dans son dos, me faisant sursauter violement à la vue de son visage ne soufrant d’aucune égratignure, comme le reste de son corps intact malgré ce qu’il venait de subir, un visage n’ayant cette fois-ci plus aucune différence avec celui de sa jumelle maintenant que les mèches noires redescendaient de part et d’autre de ce dernier, passant devant ses épaules où sur l’une d’entre elles, le tissu de son vêtement portait quelques traces roussies témoignant de ce que je venais de lui asséner avec rage pour le faire reculer.

Rien d’autre. Il n’avait rien d’autre que cette petite marque abîmant sa tunique noire et sanglante. Rien d’autre alors que de mon côté, la partie droite de mon corps endurait une douleur brimant mes mouvements, la gauche n’étant guère plus avancée.

Il venait pourtant d’encaisser le « Stardust Revolution » à bout portant !...

Il ne craignait donc rien ?!

Ce n’était pas possible que son cosmos fut à ce point exacerbé pour qu’il ne ressente pas les attaques que l’on pouvait lui porter !!

« Bien joué !... », murmura-t-il entre ses dents serrées.

Je battis en retraite à toute vitesse, m’éloignant de lui aussi vite que je le pus alors qu’il marchait vers moi, le visage fermé et en proie à la même expression assassine que celle qui s’était dessinée sur ses traits lorsque je l’avais vu extraire de la poitrine de son disciple la méduse encore en vie pour lui offrir un supplice plus grand que la mort.

A présent, il ne considèrerait plus ce combat comme un simple jeu. Dorénavant, il se battrait pour de bon et m’écraserait une bonne fois pour toutes.

Je profitai avec frayeur de ma vitesse de mouvement dans l’espoir de trouver une solution pour percer sa défense qui n’était autre que sa résistance anormale aux coups reçus, doublé par un cosmos hargneux le protégeant de tout comme s’il portait en permanence son armure sur le dos et agrémentant son aspect monstrueux, mais il ne m’en laissa pas le temps, éclatant soudainement de rire comme un dément, levant ses bras de part et d’autre de lui pour concentrer tout à coup autour de lui un cosmos effroyable et macabre, éteignant la lueur du soleil et dénaturant le ciel dont il remplaça l’astre divin par un sombre et maudit.

« Soit ! », lança-t-il, ignorant le cri affolé de sa propre sœur hurlant son nom afin de le détourner de cette folie, « Cours donc aussi vite et aussi loin que tu le puisses ! Car où que tu sois, je te rattraperais toujours ! Tu ne peux échapper au poing du Gémeaux ! »

Le ciel vira brusquement en une étendue céleste rouge immonde, emplit par l’expression de la force titanesque de mon ennemi.

« Dans ma main droite réside le pouvoir de commander à la destruction des peuples souillés, dans ma main gauche se trouve la force de réduire à néant les mondes, voilà ce qu’est l’attribut des Gémeaux d’Or ! Que se déchaîne la fureur de Castor et Pollux, les gardiens de la justice divine ! « Galaxian Explosion ! » »

Le sol se souleva dans un fracas assourdissant autour de moi tandis qu’il me sembla que le ciel et l’horizon ne faisaient qu’un pour se distordre et se déchirer dans un grondement qui emplit ma tête, mon esprit explosant en même temps que le reste de mon corps livré aux éléments en furie lui arrachant chaque parcelle pour le démembrer tout à fait, me plongeant dans un état d’inconscience n’en étant pas un, s’apparentant à de la folie pure, ne sachant même plus si je souffrais ou non, si mes pieds touchaient encore el sol ou pas, si j’étais en vie ou si celle-ci s’effaçait de mon enveloppe déchiquetée, mes sens exacerbés et délivrant en moi des informations horribles et désorganisées pour cesser brusquement d’établir entre la réalité et moi un contact qui aurait pu me sauver.

C’était donc ça, mourir ?...

C’était donc ça que l’on ressentait lorsque tout s’achevait ?...

<…>

Je vis…

Quelque chose…

J’entendis…

Un mirage…

Et ressentis une illusion.

<…>

Une voix aux accents étranges, coulant comme de l’eau sur mes lèvres asséchées et m’obligeant à demeurer malgré tout.

Je me retournai dans un ultime effort pour ne distinguer que du noir m’entourant et m’ensevelissant tout entier.

Rien d’autre que du noir sans fin.

Rien d’autre que cela.

< Et bien ?... N’es-tu toujours pas capable de me voir ?... Comme tout cela est triste… Alors que tu es moi et que tu me désires tant !...>

Cette voix… Je l’avais déjà entendue… Par bribes, par moments, sans saisir la signification de ses paroles tantôt murmurées tantôt émises haut et fort, parfois même sans m’en rendre réellement compte mais s’imposant tout à coup à moi comme si elle constituait l’unique rivet me rattachant à ce corps en train de périr.

Soudain, tout s’éclaira. Mon enveloppe restante et désarticulée flottait inerte dans l’univers sans fin, mes yeux rencontrant une à une les étoiles le composant. J’étais incapable de lutter, de bouger ne serait-ce que le bout de mes doigts rongés.

Mon regard se fixa sur une lumière éblouissante qui me fit incliner la tête pour tenter de m’échapper de son rayonnement me privant, pendant quelques instants, complètement de ma vue.

Elle était là, me faisant face, ses sabots ancrés dans les racines de l’univers, ses cornes soulevant la voûte de sa constellation.

L’Armure du Bélier d’Or rivait son regard rougeâtre sur moi qui était perdu dans cette autre dimension.

< Je m’appelle …>

Ce dernier mot me fit l’impression de recevoir une onde surpuissante et semblable au chant mélancolique des grands cétacés sans pour autant le comprendre.

Les yeux de l’animal fabuleux perdirent leur couleur ardente pour se faire plus fades et plus délavés.

< Comme c’est dommage… Toi non plus… Tu n’en es pas capable… Et pourtant, je te l’ai appris il y a bien longtemps, ce nom qui me revient… Comme c’est dommage…>

Je restai sans voix devant cela.

Cette armure, celle que je désirais tant, celle pour qui je combattais était là, devant moi, à portée de mes doigts écorchés ne pouvant l’effleurer.

Et sa voix dure pleine de reproches me faisait frissonner malgré moi, ressentant en mon coeur le verdict de son jugement sur moi, un verdict sans appel.

< Comme c’est dommage !...>, répéta-t-elle pour elle seule, la lumière étreignant son regard d’airain se défaisant pour de bon, ce dernier redevenant onyx, cette apparition vacillant tout à coup, s’évaporant progressivement dans les limbes de l’infini.

Mon cœur battit plus fort dans ma poitrine meurtrie, je voulus lui hurler de rester mais je ne parvins qu’à recracher des bouffées de sang poisseux m’étouffant complètement.

Sa voix résonna de nouveau dans ma tête, mettant fin à ces convulsions me torturant sauvagement et sans répit.

< Pourquoi requiers-tu ma présence, toi qui souilles mon être de ta démission et de ton semblant de courage ?...>

L’armure se redessina alors devant moi, plus belle, plus étincelante, plus indomptable et dangereuse que jamais. Sous son front couronné de ses deux cornes gigantesques et spiralées, ses yeux crachaient à présent leur colère.

Mais était-ce tout ?

J’articulai avec supplice.

« Je… J’ai besoin de toi !...

< Comment !?... Moi… Je n’ai nullement besoin de toi, pauvre être qui ne croit pas assez en moi pour entendre ma propre voix… Sais-tu combien de fois je t’ai appelé en vain jusqu’à maintenant ?>

- Je… Je l’entends, dorénavant… J’entends ta voix…

< Mais tu ne m’écoutes pas. Personne ne le fait depuis bien longtemps. Si tu perçois mon essence, tu demeures sourd à elle pour ne pas voir ce que je suis ou ce que je désire être… Le sais-tu seulement, quel est mon souhait ?... Bien sûr que non… Personne ne le sait ni même n’y prête attention… Et cela fait tellement longtemps que j’attends que peu à peu… Mon nom est tombé, lui aussi, traîné dans la boue… Comme… Mon rêve…>

Je frémis, ressentant encore une fois en moi ce sentiment m’étreignant le cœur pour le tordre au point de me faire gémir de douleur, ce sentiment provenant de l’armure et se reflétant en moi comme dans un miroir.

< C’est trop tard maintenant… Tu me renies de tout ton être… Et tu veux me faire croire que tu souhaites me posséder ?... En quoi ma présence pourrait-elle t’être nécessaire ?... Dis-moi…>

- Je… Veux protéger les personnes qui me sont chères !... », lui criai-je avec hargne pour forcer ma voix à se faire entendre, l’engourdissement me gagnant inexorablement et comprimant mes cordes vocales.

< Tu … As… Peur… Chacun de tes muscles tremble, ta voix n’est que chuchotement… Cette peur te rend malade… Sion… De quoi as-tu peur ?... Ton ennemi n’est rien d’autre qu’un être humain, alors de quoi as-tu peur ?...>

- Il est… Beaucoup trop fort… Mes coups ne le font que rire… Alors…

< Tu as peur… Dis-moi… As-tu déjà éprouvé une telle douleur ?…>

- Non… Je… J’ignore même si je suis encore en vie, si mon corps est encore lié avec la réalité ou non… Parce si c’est la cas, alors c’est qu’il…

< T’a privé de tes sens… Est-ce que cela te fait peur ?... De ne plus être qu’une poupée de chiffons ?... Sion… Tu me déçois… Tellement… Toi qui ne sais rien de moi ou de quiconque à part ce que peuvent percevoir tes sens trompeurs, tu m’as déçu… Ton cœur serait-il devenu aveugle à ce point pour ne pas voir à quel point ton adversaire éprouve de la sympathie pour toi ?...>

J’étais complètement déstabilisé.

Kirin n’avait jamais éprouvé quoi que ce soit d’autre que l’envie de tuer une fois qu’il entrait dans l’arène et qu’il entamait un combat.

< Il ne s’est pas retranché derrière Castor et Pollux, les deux visages de son Armure, offrant à ton poing la capacité de le défaire beaucoup plus rapidement !... S’il avait fait le contraire, tu serais déjà mort depuis bien longtemps… Le Gémeau d’Or déteste quiconque ose défier son maître et sa haine envers son ennemi devient alors viscérale… Inassouvie tant que celui-ci ne gisera pas dans son propre sang… La malédiction des deux jumeaux maudits que celle de se porter une affection beaucoup trop grande et noyée dans la folie… Toi qui ne saisis pas cela, combien il est difficile pour lui de ne pas te porter l’assaut final au mépris de l’esprit de son armure lui ordonnant de le faire et lui déchirant les chair par vengeance envers son obstination, tu salis son courage et souilles son orgueil en renonçant à profiter de l’avantage qu’il t’a offert en dénigrant toute protection et en refusant de fermer sa garde comme il devrait normalement le faire pour faire naître ton cosmos et le frapper à cet endroit… Toi qui en le respectes pas autant que lui le fait pour toi, tu ne mérites pas un tel égard de sa part… Pourquoi voudrait-il d’un tel ami ?... Pourquoi voudrais-je d’un tel maître, toi qui n’essayes même pas de nous comprendre ?... Tu ne sais rien de moi et tu veux me revêtir ?... Grave erreur… En cet instant, je te hais plus qu’autre chose.>

Ses paroles m’ébranlèrent jusqu’au plus profond de moi-même, comprenant que mes fautes étaient irréparables.

J’avais échoué en tant qu’aspirant chevalier à déceler ce qui avait composé le mystère entourant mon adversaire, à déchiffrer ce qui se cachait tout au fond de son art du combat et à trouver le véritable sens de celui-ci pourtant si simple.

Kirin était un chevalier servant d’Athéna, représentant de sa puissance divine et de ses valeurs. Commente avais-je pu m’imaginer un seul instant avoir à faire face à ce monstre que tout le monde s’échinait à faire de lui ?

Moi qui n’avais su voir cela, trop borné à tout ce qui me rattachait aux sentiments les plus aveugles composant l’esprit de l’Homme, j’étais inexcusable.

Et cela causerait l’achèvement de ce combat ainsi que de ma quête, perdant ces deux batailles.

J’étais misérable. La seule chose qui m’avait fait remporter le droit de toucher le Scorpion d’Or avait été l’abandon de mes sens sur lesquels je me reposais beaucoup trop et qui faussaient sans arrêt ma vision des choses alors que l’essence même d’un chevalier était de percevoir l’invisible, de toucher ce qui ne pouvait pas l’être.

Je venais de reproduire la même erreur en me focalisant sur ce que Kirin avait bien voulu me montrer de lui et non sur ce que me criait mon instant, mon 6ème sens.

C’était indigne d’un aspirant à l’Or et même à toutes les castes incluses dans la chevalerie.

Et cette armure, symbole suprême des guerriers d’Athéna les plus courageux venait de me le rappeler durement.

Pourtant, derrière cette voix sourde et accusatrice, il y avait un… Sanglot.

Oui, c’était cela, ce sentiment déchirant qui me donnait envie de vomir plus qu le dégoût que j’avais de moi-même à ce moment, c’était la tristesse infinie qui se dégageait de cette armure. Toute souveraine qu’elle était dans ce ciel de Novembre qu’elle représentait, elle semblait si triste, et si seule !...

Sa puissance écrasante m’avait masqué l’évidence s’imposant à moi à présent comme une réalité devant laquelle je ne pouvais pas baisser les yeux ou même fuir.

Plus que tout, cette armure réputée comme étant maudite et marquée du sceau de la honte par Athéna elle-même pour l’avoir un jour trahie, sanguinaire au point d’avoir causé elle-même la destruction méthodique de tous ceux ayant prétendu la faire plier à leur volonté dans les pires souffrances qu’il soit, elle qui n’avait été revêtue pour l’instant que par un personnage mythologique au nom si grand qu’il s’inscrivait dans les étoiles formant sa constellation et que personne ne pourrait sans doute jamais égaler à ses yeux, elle se retranchait derrière sa majesté et sa fierté pour nier l’évidence.

A son tour.

Comme je le faisais moi-même.

Plus que tout, elle souffrait elle aussi, elle souffrait de cette solitude dans laquelle elle était confinée depuis des siècles, chacun préférant oublier jusqu’à son existence, l’existence de cette armure qui avait osé porter un jour la main sur celle qu’elle aurait dûe protéger au péril de sa vie.

Il fallait que je fasse quelque chose ou bien j’allais la perdre à jamais, elle, comme tout le reste.

Ces mots franchirent seuls le rempart de mes dents serrées.

« S’il te plait, laisse-moi une dernière chance et apprends-moi… Apprends-moi le moyen de t’apprivoiser !... »

Son aura démente s’intensifia encore et brusquement, semblant fulminante et prête à m’achever pour de bon pour ce sacrilège que je venais de soulever une fois de plus envers elle.

Je fermai les yeux, attendant son châtiment.

Mais ce fut des rires d’enfants qui s’imposèrent à moi alors que l’image d’une fillette aux cheveux blond, serrant la main d’un jeune garçon vêtu de blanc et se tenant devant un bélier au regard doux apparue dans mon esprit exténué.

J’ouvris les yeux, contemplant alors ce devant quoi je me trouvais, un champ de fleurs aux couleurs chatoyantes et s’étendant à perte de vue sous le soleil chaud.

Les deux enfants riaient ensembles et innocemment.

Ma main effleura quelque chose de rugueux et de tiède, me faisant baisser les yeux vers elle, l’armure qui était présente à mes côtés, vibrante de force et de majesté, plongeant son regard pourpre sur cette scène que j’observais, retraçant entre elle et moi à qui elle confiait cela, le chemin qu’elle avait parcouru pour devenir cette entité que tout le monde redoutait, le passé qui était le sien et qu’elle me confiait, se soumettant à ma demande, comme si elle désirait partager ce secret devenu trop lourd à porter pour elle au point qu’elle se résolvait à m’en laisser porter un pan.

Un secret, rien qu’entre nous deux.

< Ceci… Est-ce qui constitue mon âme… Pas celle stupide contenue dans ce morceau de métal informe et laid… Non… Celle de ce que j’étais avant… Lorsque l’on m’appelait encore par ce nom que plus personne ne connaît à présent… Eux… Ils représentaient tout ce que je possédais… Ce… Pour quoi j’aurais souhaité exister… Pour les protéger… Pour toujours… Pour eux, je suis mort… Le sourire aux lèvres…. Car c’était un honneur que de rendre ma vie en échange de la leur…. Car eux, ils m’aimaient… Peut-être autant que moi je pouvais les aimer.>

Elle releva la tête vers moi, son sabot d’Orichalque s’enfonçant profondément dans les racines de la première révolution solaire.

< Je suis celui qui fut sacrifié pour le bonheur de ces enfants et toute ma vie, j’ai espéré avoir la force de protéger cet idéal car je les aimais beaucoup trop, malgré le sort qui fut le mien… Athéna, dans son immensité, a choisi  d’inscrire par compassion mon essence sur la parchemin céleste afin que jamais personne ne puisse se défaire de cet héritage que j’ai laissé à ces enfants dont la descendance a engendré ce peuple béni des dieux et décimé aujourd’hui, ce peuple dont tu es l’unique représentant à ce jour.  Désormais, j’attends en ce lieu où je ne connais que la solitude me rongeant entièrement que quelqu’un vienne ouvrir mon cœur dont la voix est aujourd’hui inaudible pour tous… Je ne me suis donné qu’à Kirokhan depuis ce jour… Et il m’a trahi en se trahissant lui-même… Il m’a renié en même temps qu’il a renié les espoirs placés en lui par ceux qu’il avait pourtant juré de défendre et l’ayant surnommé « Persée » pour sa gloire si grande… Sion… Vas-tu le faire toi aussi ?... Vas-tu souiller ce qu’il reste de mon âme à ton tour ?...>

Comme elle était amère !... Tout dans ses paroles faisait résonner cela m’ébranlant jusqu’au plus profond de mon être. Cette solitude et ce sentiment d’abandon décortiquant chaque parcelle du cœur pour dévorer par la suite le corps tout entier jusqu’à ce qu’il n’en résulte plus rien, rien d’autre qu’u vague souvenir, celui d’une écorce vidée de toute substance, ce sentiment d‘être inutile et rejeté par la vie elle-même continuant son court sans même regarder en arrière pour s’apercevoir que l’on a trébuché sans être parvenu à se relever, l’impression douloureuse que personne ne pleurerait jamais pour soi q’il on venait à disparaître pour de bon, tout ça…

Ce poison s’insinuant jusqu’au plus profond de soi et nous tuant petit à petit et inexorablement sans espoir de retour, je le connaissais mieux que quiconque pour l’avoir vécu et subi moi-même, pour avoir cru en mourir un jour.

Cette armure à l’air si terrible et si intouchable, elle dégageait cette souffrance me meurtrissant atrocement encore, se faisant l’écho de ce que j’avais enduré et que j’avais toujours tenté de dissimuler à tous pour oublier à mon tour que je n’avais jamais été qu’un enfant abandonné et haï, au passé misérable, portant encore sur ma peau les stigmates de tout cela incrusté dans mes chairs, témoignant à jamais de cette vérité que j’avais essayé de fuir mais qui me hanterait toujours.

Elle et moi étions pareils, étant les reflet l’un de l’autre comme si nous renvoyons à l’autre l’image méprisable qu’il avait de lui-même, parce que c’était toujours plus facile d’accuser une autre personne que soi-même, parce que l’attaque était encre la meilleure défense qu’il soit pour nous qui ne pouvions survivre qu’en nous protégeant de tout afin de ne plus avoir mal.

J’avançai ma main vers elle qui ne se déroba pas à mon approche, me dévisageant de ses yeux pourpres et magnifiques, baissant la tête lorsque mes doigts atteignirent enfin le métal sacré de son front sur lequel ils se posèrent avec retenue, rencontrant alors une matière formidable, épaisse comme du cuir et pourtant tiède comme si elle n’était encore faite que de cette chair ayant constitué ce corps dont elle était issue.

< Sion… je suis né un jour de pluie, mais ma venue au monde éclaira pour un instant éphémère les cieux. Depuis le jour où Kirokhan m’a traîné dans la boue, je suis resté dans le noir, seul, à jamais seul, ici, dans cette prison qui devait former mon honneur… Sion… Le noir me fait peur… Il m’arrache des cris de terreur et des sanglots que personne n’entend… Parce que je suis seul ici… Toujours seul… Alors que moi, je voudrais tellement ne plus l’être !...>

- Tu ne le seras plus… Parce que je suis là, tu vois ? », lui dis-je en ne reconnaissant même plus ma voix si calme alors qu’au fond de moi, je priai pour que ces tremblements infernaux me secouant de toutes parts disparaissent enfin.

< … Sion… Si je remets le temps en marche, tu vas mourir… Le prochain coup du Gémeau te sera mortel, Castor a dirigé son poing titanesque vers ton cœur et il le réduira en charpie…>

- Ce… Ça m’est égal, car je sais que… Que cet homme ne pourra jamais me détruire… Parce qu’il n’est pas le seul à être sous la protection d’une entité ineffable lui servant de guide !...  La sienne lui ronge l’esprit alors que moi… Pour moi, c’est un ami qui me protège et me guide en ce moment… Tu es là, alors il ne pourra rien m’arriver… J’en suis sûr.

< … Comment peux-tu dire de telles inepties alors que ta fin est proche ?!...>

- Je le sais, c’est tout… Ce n’est pas maintenant que je dois mourir… J’ai encore une mission à accomplir et je ne disparaîtrais pas avant de l’avoir achevée… Je leur ai fait le serment… De ne jamais plus abandonner… Kirin pourrait bien être la réincarnation de Zeus qu’il ne parviendrait pas à me faire rompre ce serment… Pas avant d’avoir honoré ma promesse, celle que j’ai faite aux personnes qui me sont chères et qui ont eu la folie de croire en moi… Ces personnes que je désire protéger plus que tout, elles et toutes les autres… Je ne m’enfuirai pas, je ne le ferai plus. »

J’entendis le rire du bélier emplir tout l’espace tel une pluie d’étoiles filantes jalonnant sa constellation.

< Ton souhait est bien enfantin… Sion.>

- Peut-être », répliquai-je en esquissant un sourire, « mais c’est le mien. »

Le bélier d’or se désintégra dans une gerbe de lumière aveuglante pour se rematérialiser devant moi dans toute sa splendeur, me regardant avec des yeux d’une douceur infinie dans lesquels brillait cependant une flamme indomptable et superbe.

< Peut-être alors que nous allons marcher sur le même chemin pendant quelques temps… Puisque ton rêve est si semblable au mien… Sion, ce sera la seule et la dernière fois que l’on pourra se parler ainsi… car si je deviens ton bouclier et le fer de ta lance, je ne serais plus qu’une partie de toi.>

- Alors je n’ai pas de soucis à me faire… Parce que tu seras toujours avec moi.

< Mais si tu échoues, mes dents acérées te déchiquèteront avant que tu ne sois happé par le poing des Gémeaux… C’est la malédiction qui est rattachée à mon métal sali par le sang de celui qui m’a forgé et qui m’a trahi… Tu comprends ?...>

- Je sais… Mais je préfère encore que ce soit toi qui me tues plutôt que lui. Parce que cela sera de la main d’un « ami ». »

A cet instant, il me sembla que le masque d’Orichalque de l’animal fantastique se modula en un sourire franc.

< Sion…Mon nom est pourtant si simple… Puisque tu en portes la moitié. Le mien signifie « Courage Céleste » dans la langue de celui qui m’a donné vie etappartenant à ce peuple dont tu détiens en toi l’héritage… Je suis l’emblème de l’étoile majeure de cette constellation que je représente depuis mille ans… Toi qui veux endosser mes crimes, entends mon nom !... Je suis Alsion, l’Etoile de Novembre, Gardien de Hellé, la première maison de la Roue du Zodiaque d’Or.>