Chapitre 30

 

 

            Un cliquetis.

Un autre un peu plus grave.

Il me sembla entendre chacun des rouages, chacune des lames s’encastrant les unes dans les autres pour faire avancer la suivante, chaque clef, chaque roue crantée usée par le temps mais constituant le mécanisme de cette horloge se tenant devant nous, aux portes du Sanctuaire, immobile, depuis le nuit des temps, brillant par une magie inexpliquée, comme une sentinelle éternelle égrenant à chaque instant les minutes et les grains de poussière de ce sablier qu’était la vie.

A ce moment-là, il me sembla percevoir chacun de ses martèlements sourds et graves, pourtant inaudibles d’ordinaire, sonnant alors le glas d’une sentence, celui d’une exécution, de la fin d’une vie.

Celle de mon ami.

L’horloge avait suspendu son décompte mortel au moment où les éléments s’étaient retrouvés aspirés dans le trou noir généré par le gardien de la troisième maison, un souffle à la fois glacé et brûlant s’était déversé sur chaque parcelle du Sanctuaire, nous happant totalement, engloutissant complètement Sion sur lequel le Chevalier d’Or des Gémeaux avait dirigé délibérément l’une des attaques les plus meurtrières de toute l’ordre de la garde d’Athéna.

Je me souviens avoir entendu Shaolin crier, senti les doigts de Scylla se refermer convulsivement sur mon avant-bras, perçu les battements du cœur de mon ami s’arrêter en même temps que le mien s’ébranlait de manière atroce, lorsque soudain, la trotteuse de temps ayant ralenti pour enrayer, pendant quelques fractions de secondes, sa course, se remit en marche avec hargne, scellant ainsi un destin, le crissement de son socle résonant avec une pulsation intense, levant autour de nous un vent violent dévorant l’espace, léchant le sol pour le défoncer, le brisant en un gigantesque enfoncement dévastant tout, nous déstabilisant complètement et nous obligeant à rabattre notre avant-bras devant notre visage pour nous protéger d’une telle démence engendrée par les éléments déchaînés autour de nous en une danse mortelle et superbe.

Le ciel maculé de sang par l’appel de la force déchue des Gémeaux maudits fut lavé en un instant de sa couleur sinistre pour prendre une teinte plus claire et changeante tandis que la température de l’air autour de nous chuta brutalement pour se faire glaciale.

Un écho se matérialisa dans l’espace défiguré, répondant à une détonation brusque qui nous fit tourner la tête vers le sommet de l’arène d’où s’élevait une lumière aveuglante nous meurtrissant les yeux, contraignant les chevaliers d’or présents à cet endroit à reculer alors que l’éclat émis se concentra autour d’un seul point, retraçant les contours de l’un des trois caissons des armures d’orichalque se tenant au sein du Colisée et sous la tutelle du Grand Pôpe, ces trois entités recouvertes par des étoffes épaisses et noires les masquant du regard du monde.

L’un des coffrets s’éleva au dessus des autres pour désagréger avec rage le tissu opaque le recouvrant pour découvrir ses ciselures fines et travaillées le constituant, nous offrant alors la vue de lourdes chaînes en airain scellées en leur centre par une incantation refermée par le symbole d’Athéna que l’armure encore prisonnière enflamma, arrachant ses entraves pour apparaître au grand jour, lançant au monde entier assistant à sa renaissance, un hurlement féroce saluant la venue d’un animal gigantesque, au corps irradiant comme s’il n’était fait que de poussière d’étoiles, ce qui était l’essence même du cosmos de mon ami encore captif de l’ouragan créé de la main de son adversaire qui serra les dents, appuyant plus encore la portée de son assaut démentiel.

Son poing transformé en arme du bourreau qu’il était devenu pour ce combat vis-à-vis de sa victime, se heurta avec fracas sur le front noble de l’animal dont les contours de redessinèrent à une vitesse fulgurante, peignant les reliefs du corps d’un bélier aux yeux rouges dont l’enveloppe charnelle laissa la place aux lames de métal d’une couleur sombre constituant l’armure qui abandonna sa teinte maléfique pour se vêtir de reflets dorés et magnifiques, se démantelant soudain pour envelopper Sion qui réapparut devant Kirin lui faisant face, son poing emprisonnant celui si destructeur des Gémeaux comme si de rien n’était et l’ayant arrêté à quelques centimètres de sa propre poitrine, entravant la mort certaine que le chevalier avait dirigée vers son cœur.

Kirin releva ses yeux argentés pour les verrouiller sur ceux violines de mon ami dont la voix se détacha tout à coup au sein de cette tempête que leurs deux cosmos incompatibles par leur nature fondamentalement opposée avaient levée.

« Je ne vais pas pouvoir contrôler la force de mon prochain assaut, alors essaye de l’éviter s’il te plait. »

Le chevalier des Gémeaux  se redressa au moment où Sion relâchait le piège qu’il avait apposé sur l’avant-bras de son adversaire qui s’éloigna à toute vitesse de son opposant dont les doigts se refermèrent sur une poignée de cristaux étincelants qu’il délivra brutalement, libérant une myriade de fragments de poussière d’étoiles reflétant la lumière de l’astre diurne leur donnant corps et l’entourant pour envelopper bientôt tout l’espace en une pluie brillante et superbe, dégageant une aura douce mais implacable, terrible, à laquelle rien ni personne ne pouvait se soustraire.

Un cosmos comme je n’en avais jamais ressenti jusqu’à présent, sublimant celui de mon ami faisant pleuvoir cette neige immatérielle et rare sur le monde pour lui offrir sa nature définitive et former la matière de la seconde attaque scellée dans le poing du Bélier d’or.

« Starlight Extinction. »

D’un seul coup, les éclats d’étoiles fragmentées dans la paume de sa main se concentrèrent en un seul faisceau aussi beau qu’il pourrait bien être assassin, dévorant l’espace pour fondre à la vitesse de la lumière sur le Chevalier des Gémeaux qui, au lieu de s’écarter de sa passe meurtrière, redressa son poing entouré d’un halot distordu pour libérer ce dernier à l’encontre de l’assaut de Sion.

Les deux attaques surpuissantes se confrontèrent de plein fouet une fois de plus pour déchaîner autour d’elles des conséquences terribles pour tout ce qui pouvait bien constituer le périmètre dans lequel elles se trouvaient, nous fauchant complètement pour nous contraindre à regagner durement le sol, nous obligeant à concentrer contre elles notre propre cosmos poussé à son paroxysme pour parvenir à rester debout.

Voilà donc ce que produisait le combat entre deux chevaliers d’or !...

C’était un choc titanesque et incroyable, rasant tout ce qui se tenait autour d’eux, annihilant tout rempart et toute forme de vie qui pourrait bien leur faire obstacle pour ne rien laisser derrière eux.

Puis, tout cela retomba brusquement par la destruction violente de l’une des deux forces opposées s’éloignant de l’ère de combat dont la poussière déployée sous la joug de ces deux puissances infernales se mesurant l’une à l’autre se dissipa avec violence, dévoilant Sion qui se tenait debout au centre de l’arène, réarmant son geste alors qu’à son opposée, Kirin raterrissait lestement sur le sol, le bruit de ses pas sur la roche broyée brisant le silence régnant au sein du Colisée muet de stupeur.

Le Chevalier des Gémeaux n’avait pas la moindre égratignure, même en ayant encaissé à bout portant l’attaque extraordinaire de Sion dont le regard se durcit à cette constatation, son visage perdant d’un seul coup sa chaleur l’animant d’ordinaire pour se muer en un masque fermé et imprenable.

Kirin était donc immortel ?

Ce dernier se redressa, fixant son adversaire ayant réussi le prodige de l’écarter de sa cible première avec une admiration sincère dans laquelle se lisait une once d’intérêt macabre pour cet adversaire qu’il avait attendu depuis si longtemps, l’un des rares à lui avoir résisté jusqu’à maintenant et qui promettait d’être enfin un opposant digne de son rang.

Soudain, alors qu’il allait s’élancer de nouveau vers son ennemi, il éclata de rire, nous laissant totalement perplexes vis-à-vis de ce véritable démon complètement imprévisible qui se retourna vers Sion l’examinant avec une méfiance et une prudence non dissimulées.

« Bien joué ! », annonça-t-il en lui faisant un signe de la main de manière tout à fait désinvolte, « J’ai perdu.

- Je te demande pardon ? », questionna Sion qui exprimait ainsi ce que nous tous pensions sûrement.

Kirin lui désigna l’endroit où il se trouvait en un geste indicatif et nonchalant.

«  Tu m’as sorti de l’ère de combat. J’ai perdu. »

Nous restâmes sans voix devant cette affirmation passive qui tranchait sévèrement avec la tension qui avait enclavé jusqu’à présent l’atmosphère et formant le dénouement de cet affrontement  où tout avait été hors du commun, alors que Sirius se mit à rire, secouant la tête, reconnaissant bien là le caractère étrange de son ami si versatile qui regagnait l’arène, sautant des marches où l’avait projeté l’attaque de Sion jusqu’au parterre du Colisée, mon ami reculant légèrement en dévisageant le chevalier qui s’avança vers lui pour lui tendre une fois de plus sa main en guise de salut.

« J’ai bien essayé de la faire disparaître dans un autre dimension, mais ton Starlight Extinction m’a quand même soufflé en dehors des limites réglementaires. Un peu plus et elle brisait les rivets des dimensions renfermés dans mon poing gauche. Félicitation, cette attaque est vraiment puissante, elle a surpassé « Another Dimension ». Mais sache qu’à l’avenir, elle ne te sera plus d’aucune utilité contre moi. Une même attaque ne marche pas deux fois sur un chevalier qui l’a subie.»

Cette fois, ce fut à Sion de lui adresser un sourire de défi, inclinant la tête sur le côté, le vent faisant voler les longues mèches de ses cheveux et découvrir le dos de son armure reflétant les rayons du soleil avec force et découvrant le faciès du bélier gravé entre ses deux omoplates.

« Alors sache, toi aussi, que dorénavant, il te sera difficile de me mettre en déroute par ce qui est scellé dans les deux poings du Gémeaux te représentant, Kirin. »

Ils se dévisagèrent un moment en silence, se jugeant l’un et l’autre avec minutie  pour enfin dévoiler un sourire réciproque qui se dessina sur leurs lèvres en même temps, comme si les deux étaient devenus le propre reflet de l’autre qu’il avait sous les yeux.

« Je savais bien  que tu y arriverais un jour », reprit Kirin en rassemblant ses cheveux couvrant ses épaules pour les rattacher au moyen d’un lacet qu’il portait au niveau de l’une des protections enveloppant son avant-bras droit, les renouant comme à son accoutumée, en une queue de cheval haute le différenciant de sa jumelle à laquelle il adressa un coup d’oeil amusé et moqueur, « Car après tout, tu es bien le fils de Mékirôh ! Qui d’autre qu’un descendant du peuple de Mu aurait bien pu renouveler l’exploit de dompter l’armure du Bélier d’Or maudite forgée par ton peuple et tombée en disgrâce depuis des siècles ?... Je reconnais ta valeur, chevalier. »

Sion le regarda à la dérobée, ne sachant pas bien si Kirin, si versatile, était sérieux ou bien s’il plaisantais une fois encore. 

Il baissa la tête pour porter son regard sur cette main que lui tendait à présent son aîné, répondant à cette invitation par un geste grave et mesuré qui emprisonna les doigts de son adversaire réitérant alors son sourire franc, le contact entre eux renouvelé générant une pulsation forte qui cessa lorsque Kirin referma à son tour sa paume de main, celle d’un géant intouchable sur celle appartenant à celui devenu à cet instant ni plus ni moins que son frère d’arme, étant à présent son égal qu’il reconnaissait comme tel, sa deuxième main venant recouvrir leur poignée signant l’avènement d’un nouveau chevalier qui avait su gagner par son courage sa place parmis les plus grands, ne faillissant plus face au poing si redoutable et imprenable du Gémeau qui inclina la tête en un salut fier, relevant les yeux vers Kivu pour attendre son aval.

Le Grand Pôpe appuya son menton dans le creux de sa main, exécutant un geste simple de l’autre qui eut pour effet immédiat d’entourer Sion d’un halot doré, ce dernier sursautant alors que son armure miraculeuse lui ayant évité une fin douloureuse et imméritée se détacha de lui pour se recomposer devant lui, brillant de mille feux et nous aveuglant complètement avant de réintégrer le caisson qui se cacheta sur elle, mettant fin à l’expression du cosmos sacré et intarissable vivant en elle et la rendant telle un être de chairs, émettant un cliquetis sourd lorsque le couvercle se ferma à nouveau, un dernier éclat se reportant sur le dessus pour graver à même le métal étincelant des inscriptions occultes.

Kivu se releva pour aller à la rencontre de Sion devant lequel le caisson , animé de mouvement,se posa délicatement, mon ami à la fois inquiet et émerveillé devant ce qui venait de se passer et ne sachant comment réagir vis-à-vis de cet évènement le déstabilisant tout à fait.

Kivu lui indiqua l’endroit où étaient inscrites les lettres penchées s’étant dessinées seules, comme si une main invisible et céleste avait guidé la plume pour les rédiger sur le métal noble.

« Alsion vient de te reconnaître comme étant son seul et unique maître. Ceci est le pacte vous liant par le sang et votre vie. Sois honoré pour son allégeance et son dévouement, cette armure est l’épée et le bouclier du Gardien de la 1ère Maison de la Roue du Zodiaque d’Or. Sion, te voici devenu la première sentinelle du Sanctuaire, la première de la garde d’Athéna, l’une des 88 composant l’ornement de son bouclier et son glaive, symbole de justice et de victoire face aux ténèbres menaçant son règne. En ce jour, sois fier de ce rôle que tu as su acquérir par ton obstination face aux épreuves placées sur ta route, sois digne de cette tâche étant désormais la tienne ainsi que de la confiance qu’a placé en toi l’animal légendaire dont tu as revêtu la dépouille sacrée. Que ta mission au Royaume des Hommes soit noble et sans tâches, aujourd’hui comme demain et jusqu’à ton dernier souffle. Bienvenue à toi, petit frère. »