Chapitre 32
* Sion *
Je déposai le caisson de mon armure sur le sol, m’appuyant dessus pour regagner les dalles ridées du parvis, ne sentant plus mon côté droit et prenant un peu de repos après cette épreuve m’ayant ébranlé aussi bien physiquement que mentalement, le souffle court et difficile, m’adossant à la boîte travaillée pour me caler contre elle et tenter de récupérer ma respiration lancinante.
Je tournai la tête lorsque mon ami accourut vers moi, un sourire lumineux aux lèvres, suivi par Scylla qui le devança, s’agenouillant pour me demander d’une voix inquiète : « Ça va ? Tu vas bien, Sion ? Tu veux que Scylla te soigne ? »
Elle n’attendit cependant pas la réponse de ma part pour placer sa main sur mon épaule douloureuse dont les tissus se réchauffèrent brutalement tandis que la douleur engendrée par ma blessure s’amenuisa, fondant comme neige au soleil sous le coup de cette chaleur bienfaisante découlant de ses mains, comprenant que c’était son propre cosmos qu’elle déversait en moi pour me guérir.
« Scylla, arrête !... », fis-je avec hésitation, « Si tu utilises ton cosmos sur moi, tu n’auras plus de forces pour ton combat. »
Elle sourit, secouant la tête.
« Ne t’en fais pas, il m’en restera bien assez ! Fais-moi confiance ! »
Je voulus protester mais la fatigue me retint, n’ayant plus la force de lutter.
« Il n’y est pas allé de main morte, Kirin ! », observa Dohko en s’accroupissant devant moi, inclinant la tête sur le côté avant de se mettre à rire, « Tu nous as fichu une sacrée peur !... Ton armure est belle ! Elle a brillé de manière magnifique tout à l’heure !
- Sans elle, on ne serait sans doute pas là pour en parler. », dis-je en souriant, recouvrant enfin la liberté de mon bras droit, « Merci Scylla, c’est bon maintenant. Pour le reste, ça va guérir tout seul.
- Tu es sûr ? », s’enquit-elle en retirant doucement sa main à contre cœur de mes chairs meurtries.
« Oui. », répondis-je en jouant quelques instants avec les articulations de mes doigts retrouvant leur élasticité.
« Je suis fier de toi ! », lança Dohko contre toute attente, une telle parole me faisant presque m’étouffer sous la surprise, répliquant avec ironie : « Merci Dohko, oh grand frère protecteur et irremplaçable ! Votre estime me va droit au cœur ! »
Il fronça un sourcil, reprenant sur un ton boudeur :
« Je ne disais pas ça pour me moquer de toi.
-Je sais, excuse-moi, Dohko. Je sais. Merci. »
Il se dérida, passant une main dans ses cheveux en bataille.
« Tu le méritais, de gagner ta place au sein de la chevalerie. », ajouta-t-il.
« Merci.
- J’espère faire aussi bien que toi ! », conclut-il en se relevant et en resserrant les attaches des protections couvrant ses poignets et ses avant-bras.
Je tournai la tête vers lui qui replaçait une mèche brune derrière son oreille en un geste machinal, me rendant compte de cette réalité qu’il venait de m’annoncer.
C’était vrai.
Lui aussi, il allait devoir combattre à son tour. Lui aussi, il allait devoir remporter une bataille où il n’avait aucun droit de perdre, dans laquelle toute erreur, tout renoncement et toute hésitation se solderait irrémédiablement par la mort.
Je n’y avais plus songé et me maudis pour cela.
« Dohko, c’est donc toi qui va poursuivre ? », demandai-je d’une voix tremblant légèrement.
Il était la personne la plus redoutable contre laquelle il m’avait été donné de combattre.
Sa puissance de frappe n’égalait peut-être pas celle de Kirin, mais lui, il était d’une dangerosité différente. Il connaissait chacun de mes points faibles, il ne renonçait jamais, faisant fi de toute blessure et se moquant de la douleur qui n’était pas une entrave pour lui, il poursuivait coûte que coûte la voie qu’il avait choisie même si pour cela il devait assumer par la suite des conséquences irréparables et irréversibles auxquelles il ne songeait jamais.
Pour arracher la dernière technique de son répertoire, la plus meurtrière, il était allé jusqu’à l’épuisement total afin de réussir à la maîtriser.
Il ne semblait pas avoir d’autres limites que celles imposées par la destruction de ses propres chairs.
Pour lui, l’épreuve serait sans doute bien plus difficile car pour le confronter à la mort, seul juge de notre cœur, il lui faudrait d’abord voir son esprit combatif et indomptable réduit à néant.
Et ça me faisait peur.
Je ne m’étais pas rendu compte de ce que pouvait bien donner le spectacle d’un aspirant livré aux assauts d’un de ses pairs puisque je l’avais vécu en tant qu’acteur principal. Mais il m’avait suffi de détailler le visage blêmi à l’extrême de Shaolin, de mon ami ou encore de Scylla pour comprendre que pour eux qui ne devaient en aucun cas intervenir et ne pouvant qu’assister à cette mise à mort calculée, cela avait dû être horrible.
C’était à mon tour de subir cela, l’autre visage de cette remise en cause de soi afin d’encourir le jugement d’Athéna et gagner cette armure que l’on se devait d’arracher par notre sang et notre courage.
Mon ami hocha la tête, ne souffrant, comme à son habitude, d’aucune hésitation notable dans son comportement clame et posé.
Cela me serra le cœur.
Je ne devais pas me laisser aller à de telles pensées découlant de ma faiblesse, je devais croire en lui comme lui avait eu foi en moi, et ce, depuis la première fois.
Mais pourtant, je ne pouvais pas imaginer que ce moment constituerait peut-être la dernière fois où nous échangions quelques paroles.
Je secouai la tête, tenant de focaliser mon esprit sur autre chose que sur cette pensée macabre.
« Dohko… Quel est ton adversaire ? », interrogeai-je alors que mon ami plaça un poing sur sa hanche pour répondre : « Comment ?! Tu n’as donc pas écouté tout à l’heure ?!
-Désolé !... », admis-je en me sentant fautif, « J’ai entendu pour Scylla… Et puis quand j’ai su que Kirin serait mon opposant, je… Comment dire !... J’ai eu un blanc.
-… Tu as eu un « Blanc » ?!... Sympa Sion ! On voit que mon sort t’intéresse !
- Je m’excuse Dohko, je suis désolé. », repris-je ne essayant de faire passer cela et de me rattraper comme je le pouvais, « Contre qui vas-tu te battre ?
- Kivu. »
Je tombai des nues, cette nouvelle me faisant ouvrir des yeux ronds de surprise pour dévisager mon ami d’un air totalement déstabilisé.
« Kivu ? Tu veux dire le Grand Pôpe ?! Le supérieur des 88 Chevaliers ?! Le représentant d’Athéna sur terr…
- Ça va !! », me coupa-t-il soudainement, « Pas la peine d’en rajouter, je suis déjà assez anxieux comme ça sans que tu me présentes la chose sous tous les angles possibles et inimaginables mettant en valeur l’aspect négatif du concept !!
- Mais comment tu as fait ton compte pour tirer Kivu ?! », m’exclamai-je en n’y revenant toujours pas.
« Parce que tu crois que j’ai fait exprès de le tirer au sort, histoire de raccourcir ma vie et essayer de faire aussi bien que toi pour me retrouver face à un chevalier réputé comme étant l’un des plus redoutables ?!
- Dohko-chan est malchanceux !... « souffla Scylla avec regret, souriant légèrement.
« Parfaitement ! », reprit mon ami en levant les yeux au ciel, « Je ne comprends pas !! Normalement, ce genre de choses n’arrive qu’aux Sagittaires ! Ce sont eux qui ont la palme de la déveine, pas les Balances ! C’est à cause de l’autre là-bas ! Dans son coin ! Je sais qu’il l’a fait exprès de me lancer sa malédiction personnelle histoire de se venger un bon coup au pire moment qu’il soit ! Il m’a refilé sa poisse légendaire juste avant le tournoi ! Quoique…. Après réflexion je crois que tu en as profité toi aussi, de sa malchance quasi universelle !.... »
L’intéressé haussa les épaules, ne relevant même pas cette accusation lancée contre lui, acceptant de servir de bouc émissaire à mon ami qui avait besoin de se faire les nerfs sur quelque chose ou sur quelqu’un, Dohko abandonnant son attitude calme pour revêtir un visage unique que je n’avais encore jamais pu observer chez lui, ses traits se tirant pour exprimer soudainement un faciès rassuré, déclarant, avec maîtrise de soi : « Je crois que ça va mieux. Merci Khaan. »
Ce dernier répondit alors avec détachement : « Il n’y a pas de quoi. Je suis heureux de t’avoir été utile, Dohko de la Balance. », ce qui me fit éclater de rire, mon ami se baissant vers moi et appuyant sa main sur mon épaule pour me glisser à voix basse, « Je vais réussir. Ne t’inquiète pas, je vais réussir. Sois-en certain. », avant de se relever et de se diriger d’un pas assuré vers l’ère de combat vide de tout concurrent, se retrouvant rapidement en son centre, fermant les yeux pour s’imprégner de son atmosphère à la fois sereine et inquiétante.
Mon attention se porta sur l’estrade où se tenaient les chevaliers d’or déjà promus, apercevant le Grand Pôpe qui passa une main au niveau du col de sa tunique d’apparat afin de la retirer d’un geste souple, découvrant une tenue plus claire en dessous, surtout plus confortable pour ce qui allait suivre, repliant son vêtement enlevé avec soin avant de le poser sur le caisson de l’armure du Lion.
Quelque chose me frappa dans cette succession de mouvements lentes et appliqués outre mesure. Ils étaient méticuleux et posés, dénotant chez ce personnage un aspect de lui que je n’avais qu’entrevu jusqu’à présent, le découvrant pleinement aujourd’hui.
Kivu ne laissait rien au hasard, tout en lui démontrait cela : il avait prévu un vêtement de rechange au cas où il serait amené à se battre alors que les chances pour que cela arrive étaient extrêmement faibles pusiqu’il se devait de présider et d’arbitrer cela, la couleur de sa tunique bleue était ni trop foncée, ni trop claire, jouant sur cela pour pouvoir âtre aussi à l’aise en temps chaud qu’en période froide, les manches s’arrêtaient au dessus de ses coudes pour les protéger, ne s’encombrant pas de revêtements de cuir qui auraient entraver quelque peu ses mouvements.
Et tout le reste n’était qu’une succession de conclusions allant dans ce sens.
C’était la première fois que je voyais une chose pareille qui aurait peut-être parue anodine pour tous, mais pour moi, cela me donna un mauvais pressentiment.
Kivu ne laissait jamais rien au désir du sort, il se devait de tout avoir sous contrôle pour ne pas être surpris par quoi que ce soit.
Et Dohko, est-ce qu’il s’en était rendu compte ?
Mon ami leva la tête vers le Grand Pôpe qui lui rendit, en retour, un petit signe d’acquiescement, quittant sa place pour descendre posément les marches afin de reprendre un rôle qu’il avait peu d’occasions de tenir à cause de sa fonction, celle ne n’être qu’une chevalier.
Non, ce n’était pas que cela.
Cet homme avait été choisi par Athéna pour la représenter, parmis des milliers d’autres, parmis 88 chevaliers tous aussi aguerris les uns que les autres.
Il était exceptionnel, rien que pour cela et en cela, ce n’était pas un adversaire à prendre à la légère et encore moins à sous-estimer, son rang rejetant cela par sa simple présence.
Quelqu’un de son statut ne pouvait plus être considéré comme une personne ordinaire mais comme une entité quasi sacrée.
Et tout en lui, cette prestance extraordinaire qu’il déversait autour de lui, cette fierté dans son regard imprenable et indomptable, tout en lui le criait haut et fort.
Il représentait une tout point l’animal royal le symbolisant et faisant de lui le souverain de tous les autres.
Mon ami se mit en garde, son regard devenant plus dur, sa respiration se ralentissant un peu pour économiser l’effort de ses amplitudes comme il le faisait à chaque fois, Kivu tendant le bras gauche à l’horizontale alors qu’un éclat de lumière irradiante se détacha brutalement du caisson de son armure pour se reformer devant lui, se rematérialisant en l’effigie de la 5ème constellation solaire et retraçant les contours de l’armure d’or du Lion dont les fragments se détachèrent pour recouvrir son corps, s’agençant en un bruit de métal rayé, les plaques recouvrant son enveloppe à partir de sa main gauche pour l’envelopper totalement et terminer de se juxtaposer sur lui au niveau de son poing opposé.
« Je ne pense pas être en mesure d’encaisser tes coups sans Némée pour me garder de cela. », expliqua-t-il en esquissant un sourire discret, « Mais ne t’inquiète pas, mes attaques sont d’une puissance égale, avec ou sans l’Armure du Lion. »
Dohko sursauta.
« Pourquoi me dis-tu cela ?! », rétorqua-t-il en se resserrant sa garde, ébranlé par l’attitude du chevalier qui ne laissait transparaître rien d’autre que l’image déroutante d’un simple être vêtu d’une cuirasse dorée, contrastant avec sa position le mettant au dessus de tout et de tous, la superposition des deux jetant le trouble dans nos esprits.
« Parce que je veux que nos chances soient équitables et égales. », répondit calmement Kivu en plaçant devant lui son poing gauche pour refermer sa garde.
Dohko serra les dents.
« Que le meilleur gagne. », conclut Kivu en faisant un pas en avant, disparaissant soudainement sans un bruit, froissant l’air pour fendre l’espace, Dohko agissant de même en réponse, se portant à son tour sur son ennemi qui venait d’engager l’assaut, mon ami armant son poing droit qu’il abattit en direction du visage du Grand Pôpe, le frôlant, ce dernier emprisonnant son poignet de ses doigts alors que Dohko se déporta loin de lui, comprenant sa manœuvre mais en étant empêché par son adversaire ajustant sa prise, se servant du poids de mon ami pour arquer la force de son esquive, le soulevant facilement de terre pour le projeter vers le sol, Dohko n’ayant que le temps de plaquer sa main contre le revêt de pierres pour éviter de se retrouver écrasé contre lui, rétablissant son équilibre pour asséner un coup de pied à son ennemi qui fit un pas sur sa droite, l’attaque de mon ami le frôlant encore pour réduire la distance le séparant de Dohko qui referma sa garde à toute vitesse, exécutant un mouvement de recul que devina Kivu, sa main atteignant alors le visage de Dohko pour l’emprisonner dans sa serre, les muscles de son bras se bandant brusquement pour l’envoyer face contre terre, s’écartant de sa victime qui se releva rapidement, essuyant le filet de sang qui s’égouttait le long de sa lèvre mordue dans sa chute.
Dohko prit appui sur le sol pour s’élancer de nouveau sur son ennemi qui réitéra son geste lorsque son opposant arma son poing vers lui, augmentant sa vitesse d’exécution pour casser le rythme du chevalier, Kivu resserrant ses doigts sur l’avant-bras de Dohko brisant son périmètre qu’il avait laissé entrouvert volontairement, exerçant une torsion brutale au niveau de celui-ci qui émit un craquement affreux, arrachant un cri étouffé bien vite par mon ami qu’il relâcha presque aussitôt pour faire un pas de côté et s’écarter de lui qui s’apprêtait déjà à riposter pour faire payer cher la perte de son épaule démise lorsque le poing du lion s’arrêta contre sa gorge, stoppant net son geste et le figeant sur place.
« Tu présentes des failles, Dohko de la Balance, beaucoup trop de failles. Cela fait deux points vitaux auxquels tu me laisses accéder sans difficulté. Si je l’avais voulu, tu serais mort depuis longtemps. »
Mon ami serra les dents, répliquant par défi :
« Et alors ?! C’est tout ce dont le Lion est capable ?! Mon épaule démise n’est pas un problème. Quant sortiras-tu ce qui est scellé dans ta main gauche ?! Fais-tu exprès de ne pas montrer ta véritable force pour te moquer de moi ?! »
Kivu le dévisagea avec sévérité, Dohko soutenant son regard sans ciller.
« Les seules attaques scellées dans mon poing sont « Lightening Plasma » et « Lightening Bolt ». Quant à leur force de frappe, elle n’égale sûrement pas celle de ton maître ou encore celle du Chevalier des Gémeaux. Ma force de vient en aucun cas de ce que mon statut me confère vis-à-vis de toi ou de n’importe qui d’autre. Je ne possède aucun don particulier qui m’a valu le titre que je porte. Cette clause n’est en rien un handicap, j’ai su contourner cela d’une manière qui m’est propre. Sache que quoi que tu fasses, tu ne pourras pas gagner. Contrairement à toi qui possèdes des dons incomparables et te rendant exceptionnel, je suis un être tout à fait ordinaire, ne jouissant pas de tels privilèges. Mais malgré tout, cet homme ordinaire sera capable de te tuer aussi simplement que si tu n’étais qu’un petit enfant. Pour ce qui te concerne, en seulement quelques secondes de combat que tu sembles être persuadé de mener largement, tu as failli mourir 13 fois, car tu m’as laissé accéder à 13 de tes points vitaux sans même t’en rendre compte. Es-tu satisfait de ma réponse, Dohko de la Balance ? »