Chapitre 33

 

* Dohko *

 

            Je serrai les dents, me mordant la lèvre, espérant que la douleur fine engendrée parviendrait à me sortir de ce cauchemar où j’avais pénétré de plein pied et dont l’issue m’était devenue inaccessible.

Ce mauvais pressentiment que j’avais eu au début de notre combat se vérifiait de manière macabre pour moi, m’entraînant sur un terrain inconnu et glissant sous mes pas.

Peut-être que ce que m’avançait mon adversaire était-il faux, peut-être est-ce que c’était simplement une ruse pour me déstabiliser et pour me faire peur.

Mais au fond de moi, je savais qu’il n’en était rien, que cette mise en garde était réelle et sincère, qu’elle venait d’un être largement supérieur à moi en tous points.

Et moi, pauvre présomptueux ayant cru une seule seconde pouvoir être son égal et même le dépasser, trop confiant de moi et aussi trop stupide pour apercevoir avant cette aura indicible planant autour de Kivu, l’entourant tout à fait et le protégeant, j’allais le payer très cher.

Je n’avais jamais combattu contre ce genre d’ennemi, habitué à faire face à des opposants manifestant rapidement la couleur de leur cosmos ou bien de leur art de la guerre, j’avais appris à m’adapter à tout cela pour retourner chaque technique utilisée à mon encontre en l’utilisant pour défaire mon adversaire.

Et plus il était fort, plus je l’étais aussi, profitant de sa technique d’assaut pour la fondre dans la mienne en un art meurtrier, celui du dragon, profitant de chaque faille, de chaque brèche pour m’engouffrer dedans et saisir ma chance.

Kivu était le pire adversaire que je puisse avoir.

Lui ne souffrait pas de cela. Lui, il n’avait aucune « brèche » dans son art, repoussant mes assauts d’un geste précis et calculé au millimètre près, ne laissant rien au hasard.

C’était ça, lui, contrairement aux autres,  il ne permettait nullement au sort de jouer dans ses enchaînements qu’il maîtrisait à la perfection, une perfection atteinte au point qu’elle se voulait mortelle et superbe.

13, c’était le nombre de fois où je lui avait fais entrevoir mes failles par imprudence.

Il s’était contenté de me repousser sans m’infliger de dégâts prononcés, alors qu’il aurait bien pu me faire mordre la poussière comme je ne l’avais jamais fait.

Mais ça ne changeait nullement la donne de cette vérité s’imposant maintenant à moi et dont je ne pouvais plus me détourner : il avait eu accès à mes points vitaux avec une facilité que je n’aurais jamais dû permettre.

Pourtant, je n’avais pas eu l’impression de le laisser entrer dans mon périmètre par négligence. Non, c’était autre chose.

Lui, il avait pu saisir la faille dans mes assauts là où il n’y en avait techniquement pas. C’était complètement absurde, mais pourtant bel et bien vrai.

Kivu avait trouvé ce qui n’était pas décelable, surtout lorsque l’attaque était amenée pour la première fois sur un chevalier, il avait mis à jour les lacunes imperceptibles dans l’art du dragon pour les exposer au monde entier, me rendant aussi vulnérable qu’un petit enfant.

Chaque attaque que j’avais lancée contre lui s’était soldée par un échec cuisant à mon encontre, lui me stoppant par une parade exécutée par des mouvements simples et pratiquement inoffensifs pour un aspirant à l’or rompu à tout cela depuis son plus jeune âge.

Alors pourquoi ?

Pourquoi est-ce que ça se passait comme ça ?

Pourquoi est-ce que je ne parvenais même pas à entamer sa garde alors que lui avait mis à terre la mienne découlant d’une technique réputée infaillible ?...

Kivu l’avait dit lui-même, ne songeant pas un seul instant aux conséquences que ça pourrait engendrer sur celui qui viendrait à entendre ces paroles.

Il était Grand Pôpe, dirigeant des 88 chevaliers d’Athéna qu’il représentait sur terre, en cela, il dominait le monde des Hommes en un Souverain accompli qui avait su maintes fois prouver sa valeur aux yeux de tous.

Il le démontrait encore une fois, à cette nouvelle génération que nous symbolisions tous en tant que successeurs des chevaliers portant l’armure.

Chaque chevalier possédait un don particulier et propre à lui seul, le différenciant de ses pairs, le rendant unique au monde, irremplaçable.

Mais lui, il avait simplement exprimé le contraire sans se demander une seule seconde ce que pourraient bien penser se adversaires.

Lui, il ne possédait pas cette once de poussière d’étoiles glissant de la main d’Athéna pour lui apporter son attribut faisant de lui un être redoutable et impressionnant.

Lui, il n’avait rien de spécial, ni la vitesse fulgurante de VanRâh, ni les dons psychiques  de Shaolin ou encore de Sion, ni la force démente de Kirin ou celle de Sirius équivalent presque à celle de son ami protégeant la troisième maison.

Lui, il n’était rien de plus qu’un homme  « ordinaire », un homme ayant su gagner sa place au dessus des plus grands par une force bien plus grande que celle qu’un chevalier n’aurait jamais.

Kivu était un géni du combat, un virtuose de la guerre à l’intelligence rare et au sens de l’observation démesuré. C’était ça, son attribut, rien de plus, mais surtout rien de moins.

Il avait dû évoluer dans un monde où le faible n’avait pas sa place et devait se placer sous la protection d’un être beaucoup plus grand pour tenter de survivre. Lui, il avait renoncé à n’être que cela, juste cela, il avait contraint son enveloppe à dépasser ses limites, encore et toujours, toujours plus, essuyant des revers qui auraient eu raison de lui s’il n’était pas doté de cet esprit ne courbant jamais l’échine devant rien ni personne, cette fierté l’emplissant tout entier, celle d’avoir prouvé à tous qu’un simple mortel avait sa place parmis les dieux.

L’entraînement avait fait de lui un personnage craint et respecté de tous pour que chacun le considère comme le plus sage et le plus noble d’entre eux, aucun des chevaliers n’ayant contesté son règne.

Et son vécu avait contribué à lui octroyer une sagesse que je n’aurais sans doute jamais, me trouvant maintenant non plus devant le chevalier du Lion ni face au Grand Pôpe, mais opposé à la matérialisation de ce que l’Homme avait de meilleur en lui et ceci exacerbé à n’en plus finir, me faisant ressentir à présent l’essence de cette aura si particulière l’entourant sans faillir, une aura calme et sereine, celle d’un géant face au petit grain de poussière que j’étais comparé à lui.

Combien de fois avait-il dû combattre ensachant qu’aucune erreur lui serait permise, en sachant que le moindre faux pas lui serait fatal parce que lui ne pourrait pas repousser ni encaisser les attaques qu’ils se devait de déjouer ?...

Des centaines, des milliers de fois peut-être ?...

Beaucoup plus. Ça se voyait très bien sur son visage lisse, impassible et imprenable, confiant, un visage semblable à celui qu’arborait Khaan, celui d’un être qui ne craignait plus rien hormis le châtiment apposé de la main d’un dieu, seule entité qui pourrait le défaire.

Sa technique était parfaite, au-delà du parfait. Elle était basée sur une connaissance infinie de l’art de la guerre, affinée sans cesse au gré des confrontations qu’il essuyait pour m’être exposée comme l’image d’une entité royale.

Lui, il était celui qui gouvernait par la suprématie qu’il avait gagnée. Il était semblable à l’animal qu’il représentait et dont il portait sur son dos le cuir d’or le protégeant pour faire couler en lui sa majesté.

Mon regard se détacha pour un court instant du port de tête royal de Kivu observant avec minutie le moindre de mes gestes, analysant la moindre expression qui pouvait se peindre sur mon visage pour trahir l’état de confusion dans lequel j’étais à présent ou pour dénoter quoi que ce soit d’autre à propos de moi, lisant en cela en mon cœur comme dans un livre ouvert dont je n’arrivais pas à masquer le contenu.

La poussière levée autour de nous par le vent jouant dans ses cheveux bruns pour me glacer jusqu’à l’échine me voilait les rives de l’aire de combat, m’empêchant de percevoir mon ami ou encore mon maître, m’ôtant tout soutient qui aurait pu venir de leur part.

J’étais seul.

Cette pensée me fit presque sursauter.

Cette phrase, c’était un leitmotiv que me répétait sans cesse Shaolin lorsque j’étais bien plus jeune et que débutait seulement mon entraînement.

Dans ma tête, je la revoyais parfaitement me sermonner, pour faire de moi une personne courageuse alors que moi, au début, j’avais peur de tout.

« Tu es seul, mais seul face à un seul ennemi. Alors de quoi aurais-tu peur puisque lui aussi, de son côté, n’a personne pour venir lui prêter main forte ?... Crois-moi, celui qui est en face de toi à autant peur que toi de ce qui pourrait se produire, il redoute  autant que toi la douleur, la mort. Lui non plus, ne veut pas perdre. Il est peut-être plus fort que toi, mais sache que malgré tout, il n’est pas différent de toi. Qu’il le veuille ou non, il est fait de chairs et de sang, comme toi, il pleure quand il est triste, il ri lorsqu’il est heureux. Et au final, lui aussi, lorsque le moment de sa fin sera venu, il devra passer devant le jugement divin que l’on ne peut tromper. La mort n’est pas une conclusion, mais le début de tout. Ce sont les derniers mots de Sakkayumi. Tu n’as pas à avoir peur de ton propre reflet, respecte-le, apprivoise-le et ne baisse jamais les yeux, sois fier de ce que tu es, parce que tu es l’axiome du souhait d’Athéna qui te protège et qui ne cessera jamais de le faire. Et en cela, tu ne peux disparaître. Tu es comme elle, tu es éternel. »

Je souris, me redressant, relevant les yeux vers Kivu qui inclina la tête sur le côté.

« Ton regard a changé. Est-ce donc le véritable visage du Dragon ? », demanda le Grand Pôpe en refermant sa garde en un geste lent et posé.

J’avais oublié l’essentiel, ce pourquoi j’avais passé toutes ces épreuves, ce à cause de quoi maintes fois j’avais failli abandonner par la difficulté que cela représentait.

Mais j’avais toujours surmonté cela. Il y avait toujours eu quelqu’un auprès de moi, que ce soit Shaolin, Sion ou encore Scylla, quelle différence ?...

Je n’avais jamais été seul, pas un seul instant. C’était pour eux tous que je voulais gagner cette armure.

Peu importe que la poussière dissimule leur visage, peu importe que l’aura écrasante de Kivu me cache la leur si bénéfique. Je le savais, ils étaient là, tout près de moi. Je le sentais, parce ce que leur essence se fusionnait à une autre plus grande, aux dimensions invisibles mais me paraissant immenses.

Elle avait toujours été là, près de moi pour m’envelopper de sa présence rassurante, dirigeant mon regard pour le tourner vers la vérité, guidant mes pas pour ne pas que je perdre mon chemin, prenant des traits différents au fur à mesure de ma route qui ne s‘achèverait certainement pas ici.

Il ne pouvait rien m’arriver, puisqu’elle était là, avec moi.

Tout près, si près que je pouvais sentir sa main tiède venir recouvrir la mienne glacée et tremblant quelque peu.

Je murmurais en me mettant à rire : « Désolé, je sais que je suis toujours en retard… J’essaye de me corriger, mais tu sais combien c’est dur, n’est-ce pas ?... Pardon de t’avoir faire attendre.

- Serais-tu devenu fou ? », questionna Kivu en me dévisageant à la dérobée, dérouté sans doute en me voyant parler seul, marchant vers moi pour sonner la reprise de l’assaut que je ne cherchais même pas à esquiver, demeurant face à lui sans bouger d’un millimètre, attendant ce qui allait suivre.

« Serais-tu résigné après si peu de secondes ?... », m’interrogea-t-il encore.

Je secouai la tête.

« Je sais que quoi que je fasse, quoi que je mette en place, tu en trouvera la faille pour me renvoyer mon attaque au centuple. Je n’ai pas d’autre choix que de te laisser attaquer le premier.», dis-je en lui exposant la vérité.

Kivu entrait maintenant dans les derniers mètres composant mon périmètre de sécurité, son regard devenant sévère et dur.

« Serais-tu en train de me dire que tu es capable de copier mon art du combat pour te sortir de ce mauvais pas ?... Pff !... Ridicule !... Sache que si le visage que j’expose paraît relativement jeune, il n’en est rien. Athéna m’a insufflé sa magie lors de son dernier règne. Cela fait 279 ans que je suis sa voix sur terre, 289 que je combats en son nom et que je porte l’armure du Lion. Ce que tu penses être à ta portée est le fruit de toutes ces années et ne peut être acquis par un simple caprice.

- … En effet, je doute être capable de te rendre la pareille ainsi que d’être à la hauteur du niveau que tu as atteins par ton courage. », admis-je en replaçant devant moi mon poing gauche, celui protégeant mon cœur, « Mais je veux essayer. S’il y a la moindre chance que cela puisse marcher, je veux pouvoir la saisir ou me dire que j’aurais tout tenté.

- Fichue fierté de la Vierge d’or, s’il y a bien une chose qu’elle ne peut s’empêcher de léguer, c’est bien cela !... », dit Kivu en souriant légèrement.

« Après tout, n’est-ce pas ce que l’on est sensé accomplir, des miracles ?... », repris-je alors qu’une lumière irradiante entoura le poing de mon adversaire qui le rabattit contre lui, le halot se faisant aveuglant et omnipotent.

« Soit, c’est ton choix. Je tiens à le respecter afin que s’achève ce duel. Ceci est la première des attaques scellées dans le poing du Lion, elle est aussi superbe que les rayons du soleil se déversant sur sa constellation, mais aussi mortelle que les coups des griffes de l’animal légendaire n’ayant pu être défait que par la main d’Héraclès, le héros des Hommes. « Lightening Plasma ». »

Ce fut comme une détonation sourde suivie de plusieurs autres, de centaines et de milliers d’autres, plongeant vers moi sous la forme de cordes cinglantes et menées par une vitesse qui n’avait plus rien d’humain, quasiment invisible pour moi qui ne distingua pas les premiers rayons passant à côté de moi figé sur place, ouvrant la peau de mes joues et celle de mon cou qu’ils frôlèrent, l’un d’eux atteignant la partie haute de mon thorax pour le touer de part en part, me faisant ployer et serrer les dents, le goût âpre et écœurant du sang envahissant ma bouche tandis que tout mon corps devint une carcasse mise à vif et me hurlant de toutes parts une douleur diffuse et intenable, semblable à une brûlure faite au fer rouge, ne sachant même plus quelle partie de mon corps était abîmée tellement il était sans doute rompu de touts les côtés, l’attaque foudroyante me happant complètement pour ne laisser aucune porte de sortie à celui qui s’était fait ferré par les griffes et les crocs du Lion déchiquetant sa proie pour la dépecer totalement.

J’ouvris les yeux alors que les éclairs tournoyaient dans l’espace, ricochant sur un palier invisible pour converger vers moi qui en était la cible, forçant mon enveloppe à se taire, rivant mes yeux sur ceux de Kivu prenant des teintes sanguines et macabres.

Je serrai les dents, me redressant encore alors que j’entendis les os de ma jambe se briser sous les coups les minant, obligeant mes muscles effilochés à se tendre encore, encore, pour ne pas flancher.

Il voulait me mettre à terre. Mais une fois que j’y serais, la douleur serait tellement intenable que je ne parviendrais certainement plus à me relever.

Alors je ne plierais pas, je courberais l’échine, mais je n’abandonnerais pas.

Il venait de m’apprendre une leçon que je n’oublierais pas de si tôt, chaque assaut, aussi parfait qu’il puiser paraître, avait un point faible que pouvait déceler son adversaire.

Le Lightening Plasma visait les points vitaux, chacun d’eux pour les dissoudre par le feu généré en ces rayons mortels.

Mais lui n’échapperait pas à cette règle.

Tout géni qu’il était, il n’était pas parfait car personne ne l’était, pas même les dieux.

Un flux d’air brûlant me parvint, me faisant détourner mon attention sur mon côté gauche, entrevoyant sur le sol une plage d’ombre se profiler à toute allure.

La faille.

C’était elle.

Je m’élançais à toute vitesse vers elle allant à ma rencontre, m’engouffrant dedans, glissant sur le sang que je perdais sans même y prendre garde, brisant le périmètre de Kivu qui mit fin à son attaque, réarmant son poing pour se baisser au moment où j’abattis le mien sur lui, bloquant ma main dans la sienne libre pour en écraser les doigts et me stopper tel qu’il avait fait avec sa propre technique, son sourire s’élargissant alors qu’il me maintenait à portée de son deuxième poing dont les doigts se scellèrent sur une boule de feu incandescente, le Grand Pôpe m’adressant d’une voix neutre : « C’était bien tenté. Mais qui d’autre, mieux que moi, pourrait avoir la connaissance de mes propres points faibles ?.... Tu viens d’entrer dans le territoire du Lion, tu ne t’en sortiras pas vivant, tout Dragon que tu es. « Lightening Bolt ». »

Les flammes s’intensifièrent d’un seul coup alors que j’essayais de me reculer pour me détacher de mon adversaire m’assénant à bout portant son deuxième assaut destructeur.

Mon cœur accéléra son rythme devenant affolé et désorganisé, m’arrachant un cri de douleur que je ne pu réprimer, l’univers se changeant en une fresque ardente et funeste, la soufrière désagrégeant chaque parcelle de ma peau que je vis noircir avec horreur, mes lèvres réduites en cendres n’arrivant même plus à contraindre ma voix au silence, ma gorge suffocante hurlant tant et plus comme si elle et le reste de mon corps se détachaient totalement de mon esprit pour en devenir complètement étranger, mes yeux se rouvrant brutalement pour discerner l’enfer dans lequel j’étais, m’étouffant complètement, mes doigts brûlés se plaçant encore devant moi pour protéger mon visage de ce péril sinistre.

Si seulement j’étais plus fort, si seulement ce maudit corps pouvait cesser d’avoir mal, si seulement je pouvais me rapprocher d’avantage de mon adversaire, je pourrais alors l’entraîner avec moi dans ma chute, lui faire ressentir ma longue agonie.

Un dragon ne meure jamais seul.

Sa vie est dédiée à celle des autres, mais sa mort fauche l’existence de celui qui l’a provoquée.

Tel est mon sort, à moi qui en détient l’âme.

Je serrai les dents encore une fois, vomissant le sang coulant de ma bouche pour me relever, forçant mes muscles déchirés et mes os détruits à se mouvoir encore, parce qu’il le fallait et que s’il y avait bien un adversaire que je ne laisserais jamais gagner, c’était moi-même.

La peau de mon avant-bras  lacéré et encore prisonnier des flammes me dévorant tout entier se détacha complètement, s’effritant sur le sol, me faisant hurler de rage, sentant mes forces m’abandonner lâchement, mon enveloppe subissant des dommages n’altérant pas mon esprit soudainement prisonnier de cette charpente invalide.

Si seulement j’avais la force de ne plus ressentir ça, si seulement tout ne se réduisait pas à cette carcasse inutile !...

« Vivre ou mourir, tel est le choix de toute existence. Et toi, que désires-tu ? »

Cette voix métallique résonna dans ma tête, si affreuse à entendre que j’en eu la nausée, m’ôtant totalement la vue, le noir m’entraînant vers les limbes des ténèbres les plus profondes, me précipitant dans un gouffre dans lequel je chutais sans rien pour m’y raccrocher, me faisant gagner soudainement une grande salle pavée de noir et de blanc en un damier géométrique et luisant, identique à celui se trouvant sur le sol de la maison des Gémeaux.

Quelque chose de puissant me souleva littéralement alors que j’étais incapable de faire le moindre mouvement pour bouger ne serait-ce qu’une seule partie infime de mon corps transformé en une boule de chairs mises à vif, saignant affreusement et calcinées par endroits pour former des plaques de peau se désagrégeant au moindre contact de l’air glissant dessus et suffisant pour l’arracher totalement.

Cette force invisible enserra mon cou sans ménagement pour me redresser avec violence pour me placer debout face à un gigantesque objet d’or et d’airain s’élevant vers le plafond n’existant pas de cette salle du jugement dernier, séparant deux entités similaires et complémentaires, l’une vêtue de noir et l’autre de blanc, tenant chacune une plume entre leurs doigts fins qui couraient sur le revêt d’un grand livre en deux tomes dont chacun était destiné à l’une de ces jeunes filles entourées d’un halot terrible m’obligeant à détourner les yeux, me masquant leurs traits.

« Un marché se pose sous deux conditions. Le respect du pacte et celui du contractant. », commença celle vêtue de noir, « Mais il est souvent bien dur àobserverdans sesmoindres détails. », continua celle aux vêtements blancs, sa voix se faisant moins sèche et moins dure que celle de son opposée.

« Qui ?… », parvins-je à prononcer, luttant contre l’évanouissement me gagnant inexorablement.

« Ma lumière est sombre, elle ne brille que lorsque la force et la volonté sont réunis. Je suis celle qui signe les arrêts de mort. », me répondit la première entité en replaçant une mèche de cheveux noirs derrière son oreille.

« Mon éclat est clair, il n’apparaît que lorsque la justice et  le courage se mêlent. Je suis celle qui offre la clémence pour la survie des âmes. », ajouta la jeune fille vêtue de blanc.

« Ainsi, c’est donc là que je meure ?... », soufflai-je à bout de forces, ne sachant même pas où je me trouvais ni qui étaient ces entités semblant souveraines en ce lieu.

« Tu nous as désirées, nierais-tu ce souhait ? », dit la jeune fille en noir sur un ton tranchant.

Je sursautai, ma respiration restant bloquée dans mes poumons.

Comment avait-elle fait ? Comment avait-elle pu deviner ce qui s’était formé dans mes pensées à l’instant ?...

Elles émirent un rire frêle.

« Ceci est notre véritable apparence. », expliqua la jeune fille en blanc, plus condescendante que sa jumelle qui le lui reprocha avec force, « Peut-être est-ce mieux ainsi !... »

Elles disparurent dans un souffle lumineux qui balayant chaque relief de ce décor presque nu, la poussière lumineuse se concentrant à nouveau en un point pour redessiner des contours s’étoffant rapidement pour peindre un métal solide coulant entre les traits esquissés.

Devant moi, renaissait la représentation d’une balance ciselée aux plateaux s’équilibrant parfaitement sur une ligne propre.

L’armure.

C’était elle.

Cette vérité m’arracha presque un cri, faisant éclater de rire la jeune fille en noir qui fut la première à reprendre son vrai visage, me toisant de haut, son livre à la main et sa plume marquant l’un des pages comme un signet, bientôt suivi par sa moitié qui se reforma à coté d’elle, les deux m’apparaissant enfin, m’offrant leurs traits fins et réguliers, l’air sévère de la première contrastant avec l’air doux de la seconde, toutes deux vêtues d’une robe cintrée à la taille pour laisser filer des plis de tissu léger à n’en plus finir retombant au dessus de leur cheville, marquant leur taille menue, et se différenciant pour chacune d’elle par une couleur différente. Noire et rouge pour celle aux cheveux sombres et relevés en une queue de cheval agrémentée par deux épingles compliquées, blanc et bleu pour l’autre aux mèches blondes et retombant sur ses épaules graciles.

« Tu as l’air étonné », me réprimanda encore celle aux yeux de geais, « mais n’était-ce donc pas ton souhait, de posséder cette force qui aurait promis d’abattre ton adversaire ?

- Je…

- Allons !... Tu dois bien le savoir au fond de toi, tu voulais cette force, c’était pour lui faire payer tout ce qu’il t’a fait, non ?

Ces paroles étaient terribles. Débitées par un visage presque angélique, elles me semblaient alors encore plus horribles, me faisant frissonner.

Ce n’était même plus des questions, mais des accusations, contre moi, contre ce que mon cœur avait pu ressentir.

Derrière elles se matérialisa une balance d’or, les deux jeunes filles prenant place sur chacun des plateaux, ouvrant sur leurs genoux le livre volumineux qu’elles transportaient, les deux feuilletant quelques instants avant de s’arrêter sur une page, se remettant à inscrire des vers en une écriture penchée et calligraphiée.

«  Tu veux être fort…

- Mais tu veux protéger les autres…

- Tu veux lui faire ressentir la peur qu’il t’inspire…

- Alors souviens-toi de cette promesse que tu as faite… Si tu acceptes ce qu’elle te propose alors je ne pourrais rien pour toi…

- Et la douleur qu’il t’a délivrée…

- Si elle t’emmène, alors renonce, il est encore temps !...

- Ça, jamais !! », criai-je soudainement, cette notion me faisant tressaillir, ma voix cassée faisant frissonner la jeune fille vêtue de blanc qui eut l’air attristé alors que son homologue éclatai de rire, signant le bas de la page en un geste précis, reprenant : « Ha ! Ha ! Ha !... Tu as choisi, n’est-ce pas ? C’est ce que ton cœur représente, une envie de vivre pour écraser ses ennemis et les réduire en cendres ! C’est ce qu’il y a au fond de toi, tu ne peux le nier, c’est ce qui réside au plus profond de ton être !! »

Je tressaillis violement alors que le premier plateau de la balance pencha vers l’entité ténébreuse, faisant jouer de ses rivets rouillés et crissant affreusement. J’étais interpellé par les propos de cette allégorie noircissant d’un coup tout ce qu’il y avait en moi, comprenant soudainement ce qu’il se passait réellement autour de moi.

Si c’était belle et bien l’armure pour laquelle je combattais, elle était en train de me tester. Je m’attendais à un affrontement où je devais sortir vainqueur, mais absolument pas à ce genre d’épreuve me déstabilisant complètement. La Balance était en train de juger la couleur de mon cœur, les deux entités en étaient les seules édiles, l’une d’elles étant la représentation de ce qu’il y avait de plus laid dans le cœur des Hommes, la bestialité et la cruauté pour ceux qui avaient le malheur de s’exposer à son regard de braise, quant à l’autre, elle symbolisait la compassion et le déni, le pardon pour les fautes commises, la seconde chance.

Elles avaient commencé à lire ce qui résidait au fond de moi, l’une déformant mes pensées à l’extrême, l’autre en tentant de me tendre la main pour ne pas que la sentence soit trop dure. La jeune fille blanche, c’était cela qu’elle avait essayé de me dire par « si tu acceptes alors je ne pourrais plus rien pour toi. » et par « renonce, il est encore temps !... ».

Elle parlait de ce choix qu’il m’était proposé, celui vers lequel devait aller mon cœur et celui qui devait sceller mon destin. Car ici, dans cette pièce ressemblant à un tribunal, j’étais le coupable et le condamné, elles, l’avocat et le maître de cérémonie.

La démone allait me faire miroiter une offre que je ne pourrais pas refuser, l’angélique allait tenter de me hisser hors de cette guillotine dans laquelle j’avais involontairement glissé la tête.

C’était ainsi, voilà ce à quoi ressemblait le vrai visage de cette armure que je désirais porter, rassemblant sous une même bannière une entité double et semblable à ce qu’il y avait inclus dans le métal noble de l’armure de Kirin à la double personnalité.

Et maintenant, c’était à moi de faire pencher la balance en ma faveur, de sortir mon sort de la main de cette furie qui était en train de rédiger ma condamnation à mort.

Je ne pouvais plus la croire. Cependant, elle m’avait parlé toujours sans détours, sans mensonges. C’était moi le fautif, moi seul avait creusé ma tombe.

« Je ne sais pas qui tu es »,  murmurai-je à la jeune fille sombre qui me décortiqua du regard, « mais je crois que tu as tort… Oui, j’ai voulu être fort, ce n’était pas pour causer la mort derrière moi ni pour me délecter de la souffrance que mes coups pourraient bien engendrer, ni pour moi-même. Et quand bien même ça aurait été le cas, ce n’était pas pour que j’en fasse un tel usage. J’ai dis à un ami que je ramènerai mon armure, parce qu’on s’était promis de continuer ce voyage ensembles,  mon chemin ne s’arrête pas ici.  Si mon pouvoir cause la mort, ce ne sera pas celle de mes ennemis, mais de ceux d’Athéna et de la terre des Hommes. Si je dois créer la douleur de par mes actes, j’en accepterai les conséquences, parce qu’en moi, je saurais que j’aurais tout fait pour respecter mon vœu, celui de protéger ceux qui me sont chers. Pour eux, je ne peux pas tomber ici, ça n’est pas ma place. Si tu dois m’être refusée, sache que même sans toi je continuerai ma route, jusqu’à ce que mon corps tombe en poussières, jusqu’à ce que mes poumons n’aient plus la force de me permettre de respirer, jusqu’à ce que mon cœur cesse de battre pour de bon. Mais tant qu’il y aura une once de vie en moi, je me relèverai encore, parce que c’est comme ça que je veux être, parce que c’est mon devoir. Et personne, ni toi ni aucun être sur cette terre ou parmis tous les mondes qui lui sont liés ne parviendra à changer cela…. Parce que cette fierté, celle que m’a léguée mon maître, elle est bien trop grande pour s’assécher complètement. Athéna m’a permis de vivre, je vivrai pour elle. Vous ne pouvez pas me tuer, vous ne pouvez pas me détruire, car je suis éternel. »

L’entité noire recula, hurlant tout à coup, se désagrégeant en une colonne de fumée sombre qui se reporta sur le plateau d’or près duquel se tenait la jeune fille aux cheveux blonds qui referma son livre, le laissant tomber sur le sol, l’ouvrage se brisant en mille morceaux tels des éclats fins de verre se dissipant dans l’espace, la chimère s’approchant alors de moi alors que l’aiguille de la balance se remit à bouger, les plateaux s’inclinant totalement vers celui dont dépendait l’entité diurne qui s’arrêta à quelques pas de moi, me tendant la main.

« Tu as choisi ? », demanda-t-elle, une longue mèche blonde passant, par ce mouvement, devant son épaule.

J’hochai la tête, ne souffrant d’aucune hésitation. C’était ce que j’avais vraiment, au fond de mon cœur, il ne pouvait en être autrement. Et si je devais à présent recevoir la sentence par ce choix, alors qu’il en soit ainsi.

« Dohko, ce choix est irréversible et définitif. Souhaites-tu toujours le poursuivre ?....

- Oui.

- … Mon nom est Maï, je suis le pendant de Chelaï, mon opposée, celle qui réfère à l’exécution des peines. Cette armure que tu veux remporter a deux visages, deux cœurs, mais une seule âme. Si tu l’endosses, il te faudra dépendre de nos deux esprits pour te guider dans ta voie. Seuls tes choix peuvent t’apporter la lumière à laquelle tu espères. Si tu choisis d’être sans partage pour tes adversaires, ce sera Chelai qui guidera tes pas. Mais si tu souhaites le pardon, alors je serai là. L’existence ne doit pas être qu’une seule et même figure, elle doit découler d’un équilibre entre les deux extrêmes pour accéder à la justice. Es-tu prêt à tenter ce choix ?

- Oui.

- … Alors entends mon nom, celui de cette armure possédant en elle les armes de la sincérité, de l’équité, de la droiture, de la confiance, de la loyauté et de l’abandon de soi. Mon nom est Chelaï Maï. »