Chapitre 34
* Shaolin *
La naissance d’un Chevalier ressemble à celle d’une étoile.
La lumière engendrée est totale, sans égale, sans mercie, elle dissipe toute part d’ombre et de ténèbres pour les dissoudre complètement, mettant fin au règne des doutes et à celui de la noirceur de l’âme, violente, dangereuse, sans pitié pour les servants des ombres, faisant rejaillir un espoir nouveau et sans partage, levant autour d’elle une ère nouvelle dont elle se fait le messager, rassurant chaque être ayant besoin de le ressentir, rabattant ses ailes gigantesques sur eux pour les protéger en son sein, veillant sur leur sommeil et leur futur, donnant vie à leurs rêves devenant les siens.
C’est ainsi que l’on pourrait qualifier l’éveil de l’une des 88 flammes ornant le bouclier saint d’Athéna, l’une des 88 constellations se relevant de ses cendres pour tracer dans le ciel nocturne et dangereux un chemin sûr pour les cœurs égarés.
Cette naissance venant de l’anéantissement d‘une part de soi, celle faible et vile, elle se dresse à partir des restes fumants de ceux ayant fait l’ultime sacrifice de leur chair purifiée par cet acte sans retour, elle s’accroche à ce qu’il reste de soi pour le sublimer jusqu’à son paroxysme, jusqu’à ce que cela devienne aussi étincelant qu’un rayon de soleil.
La lueur tangible et incertaine devient alors une lumière effroyable pour les ténèbres qu’elle égorge, puissante et symbole de liberté pour toutes les étincelles de vie qu’elle sauvera par la suite de son éclat divin.
Ce phénomène est différent pour chaque chevalier se dévoilant soudainement, la manière dont cette renaissance s’effectue varie en fonction du cœur de l’aspirant, mais dans tous les cas, elle est superbe, et elle le restera à jamais.
La première fois où j’ai assisté à cela, je me rappelle parfaitement avoir éprouvé une peur viscérale. Non pas parce que le chevalier qui venait se révéler était emprunt d’une essence de mauvaise augure comme cela peut arriver parfois puisque le cosmos se fait l’axiome de l’âme et du cœur de son maître, mais juste parce qu’à ce moment là, j’avais brusquement pris conscience de la laideur de mon propre être qui, comparé à celui qui était devenu l’un des ornements de la cuirasse d’Athéna, m’était apparu faible, traître, inutile et vide, creux de toute vérité.
C’était peut-être encore un peu le cas maintenant, la lumière irradiant de ceux prenant vie devant moi pointait du doigt mes lacunes et la part d’ombre tapie en moi, me faisant baisser la tête de honte mais faisant germer en moi un nouvel espoir.
Finalement, moi que tous les autres considéraient comme étant l’un des chevaliers les plus puissants de la garde d’Athéna, ceci étant prouvé par l’armure que je portais moi aussi, et peut-être plus que les autres, j’étais l’une de ces petits lueurs remplissant le monde et attendant fiévreusement d’être sauvée un jour.
Lorsque Alsion s’était érigé contre le diktat de son emprisonnement pour venir apporter sa confiance à Sion ayant réussi le tour de force de la gagner, la symbiose entre l’armure et l’aspirant avait été sans partage, générant une onde de choc insensée balayant tout sur son passage, semblable à ce que mon frère avait créé pour signer l’arrêt de mort de mon élève étant maintenant mon égal et même plus, une déflagration souveraine nous obligeant à placer devant nos yeux aveuglés par cela une protection quelconque tant la lumière générée était omnipotente.
Il avait dû se confronter à la mort elle-même pour réaliser ce miracle, devenir le maître d’une armure maudite et cruelle pour celui ne trouvant pas grâce à ses yeux.
J’avais tremblé pour lui, connaissant la force et le caractère versatile de mon frère faisant de lui un assassin sans égal, une machine bien huilée et meurtrière, ne s’enrayant jamais.
J’avais pâli lorsque j’avais découvert en même temps que lui qui serait son adversaire.
Kirin ne faisait jamais de cadeau, il n’octroyait jamais de faveur à qui que ce soit.
C’était dans sa nature trop entière pour être bridé par quoi que ce sut.
Il ne retenait jamais ses coups parce que souvent ceux qu’il avait en face de lui étaient les pires créatures engendrées par les dieux hostiles aux Hommes, parce que bien trop souvent il refusait de combattre pour cette raison, car il savait que lorsque les assauts commenceraient, il serait incapable de repousser loin de lui cette deuxième personnalité s’étant développée au court des épreuves qu’il avait traversées pour garantir la survie de celui qui serait confronté à cela.
Le sort avait scellé le destin de Sion en lui imposant un tel marché avec la mort.
Mais Sion avait réussi l’impossible, fusionnant avec une armure inconnue pour lui afin de faire jaillir un éclat supérieur à celui rouge sang de Kirin.
Deux chevaliers d’Or ne peuvent avoir raison d’un semblable pour la seule et bonne raison que le rayon solaire incrusté dans leurs armures et formant la conscience de celle-ci était identique sur chacune des armures, les rendant similaires en tous points vis-à-vis de la puissance envisageable qu’elles pouvaient créer.
A ce moment-là, Sion était parvenu à faire étinceler le fragment de soleil compris en Alsion plus fort que celui contenu et partagé entre Castor et Pollux.
Ce n’était pas plus compliqué que ça.
Mais parvenir à gagner un tel pari était de l’ordre du miracle, un miracle que venait de réitérer devant mes yeux Dohko succédant par cela à l’impossible exécuté par ce frère d’arme dont il était la seconde moitié.
Enveloppé par l’expression du cosmos du Chevalier d’or du Lion, dévoré vivant par les flammes purgatrices soulevées par sa volonté, il avait complètement disparu l’espace d’un instant dans un cri de douleur qui s’était érigé jusqu’au ciel, me brisant le cœur, à moi qui assistait à sa mise à mort et qui ne pouvait rien faire pour lui venir en aide.
Mais brutalement, tout s’était figé en une harmonie gelée, un décor terrible et assassin qui avait relâché brusquement une pression gigantesque et différente de celle de Kivu qui avait reculé alors que de la boule de feu qu’il avait vomie et consumant les chairs de son adversaire s’était extraite une main écorchée vive forçant sa geôle pour plonger vers lui, se recouvrant tout à coup d’une couche de métal irradiant se calquant sur le relief de ses doigts déchirés pour retracer son avant-bras puis tout son côté droit, achevant de le vêtir le moindre gramme de peau lacérée et brûlée, les plaques de métal tonnant en se portant les unes sur les autres, redessinant en une fraction de seconde le corps de son porteur dissipant d’un seul geste le feu le rongeant pour réduire d’un seul coup la distance le séparant de son ennemi comprenant ce qui était en train de se produire devant lui et reculant d’un pas pour sauver sa vie alors que le poing d’or se refermait sur la base de son cou, imprimant les chairs et écrasant l’armure protectrice comme si elle n’était faite que de vulgaires feuilles de papier, Kivu plaçant à la dernière seconde devant son visage qui était visé son propre poing, livrant les crocs du lion d’or à cet ennemi en furie dont le cosmos porté à son paroxysme déchaînait un cataclysme des éléments l’entourant.
L’air fut happé dans sa garde, soulevant des nuages de poussière dense, défonçant le sol qui vola en éclat sous ses pieds, effondré par la pression gigantesque engendrée, le vent se levant en rafales incontrôlées et se rassemblant autour de l’avant-bras de Dohko dont l’aura se cristallisa d’un seul coup, gelant autour de lui ce qui provenait de la manifestation de l’esprit de son armure se relevant pour faire face à Némée reculant encore sous la pression décuplée lorsque les premières rafales de vent se transformèrent en un ouragan vengeur, prenant les traits d’une bête monstrueuse s’élevant vers le ciel se muant en une étendue dénaturée formant l’espace de contention de la chimère dévorant chaque millimètre de celui-ci pour le recracher tout en entier et foncer vers sa proie offerte, hurlant vers lui pour refermer ses mâchoires béantes sur son avant-bras qu’il fractionna avant de le déchirer tout à fait, le tordant brutalement en exécutant un mouvement violent de la tête, son masque incomplet se couvrant du sang jaillissant sur lui pour se dévoiler dans son intégralité avant de se dissoudre dans l’espace se tordant à nouveau alors que le cosmos de Dohko vomissait une autre créature identique se parant d’une seconde, puis d’une myriade d’autres toutes aussi démentes fendant les airs pour se jeter sur Kivu qui serra les dents, son poing déchiqueté malgré le port de son armure se redressant pour abattre la première parvenant dans son périmètre, anéantissant la seconde puis la troisième de la même manière, se ramassant sur le sol pour éviter la cohorte de dragons faisant claquer vers lui leurs mâchoires épouvantables, reformant sa garde pour lever une fois encore la colère du Lion d’or.
Le Lightening Plasma balaya avec force les chimères faites de tourbillons de vent tranchant tout sur leur passe, dirigeant les rayons de feu vers son adversaire qui fut enseveli sous eux, disparaissant tout à fait, le chevalier du Lion relevant la tête au moment où la poussière déployée par son assaut fut rejetée loin de l’endroit où se trouvait auparavant son opposant pour laisser apercevoir la place à laquelle il était vide de toute présence, la voix claire et cinglante de Dohko résonnant tout à coup alors qu’un bruit de verre cassé retentit dans l’arène, Kivu se figeant en devinant instinctivement où se tenait son adversaire venant de briser sa garde et dont le poing contactait à présent son dos, latéralisé à gauche, en projection directe du cœur.
« Vivre ou trépasser, fais ton choix et ne regrette rien. Quelle que soit la décision que tu prendras, sache que la balance a déjà esquissé son jugement, arrêté son verdict, émis sa sentence. Les dés en sont jetés. Choisis à présent, c’est le seul droit qu’il te reste encore. »
Ces mots énoncés avec un détachement presque inhumain, glacial et sans pitié aucune, Dohko les avait prononcés à l’adresse de son ennemi à la mercie de la seconde face de son armure retrouvée, celle symbolisant l’exécution de lois.
Chelaï était aussi dénuée de compassion que pouvait l’être sa moitié. Et à ce moment, même si la vierge noire prédominait en lui, le simple fait qu’il ait retenu au dernier instant son attaque laissait entrevoir la présence certaine et indiscutable de Maï ayant dévié pour un temps l’assaut mis en place.
Mais quoi qu’il en soit, la voix de mon disciple avait été tellement changée qu’au départ, moi-même je ne l’avais pas reconnue tant elle était incomparable avec celle ordinaire et chaleureuse de Dohko laissant deviner en lui l’essence de cette caste à laquelle il appartenait à présent, celle sans autre frein que le cœur de celui qui en faisait partie et n’ayant pas d’égal.
Kivu observa une seconde de silence, murmurant comme pour lui seul : « « L’art du dragon », hein ?... C’est un art bien meurtrier que tu as enseigné à tes élèves, Shaolin. », me lança-t-il en fronçant un sourcil avant de se retourner lentement vers Dohko le décortiquant de son regard prenant une teinte verte et sinueuse.
« Et alors, c’est tout ?... », lui demanda-t-il en haussant les épaule, faisant fi de la menace appliquée directement cette fois-ci sur son cœur, « Pourquoi n’as-tu pas finalisé ton assaut ? Sache que tu me laisses une ouverture béante en ne concrétisant pas ce que tu avais l’intention de faire.
- … Parle pour toi, ce n’est pas moi qui ais l’épée de la justice pointée sur mon cœur. », répliqua Dohko d’une voix sourde.
- En formulant cela, sais-tu au moins quel est le point faible de ton attaque, celle dont tu es si fier et qui t’a empêché d’achever ce que je présume être les Cent Dragons ?... », reprit Kivu imperturbable, « Lorsque tu vas lancer ton assaut, pendant un millième de seconde, tu abaisses ton poing gauche, tu libères ta garde pour déployer la pleine puissance des Dragons. Et tu dévoiles en cela la base de ton cœur. C’est la raison pour laquelle ton art ne sera jamais parfait et comportera toujours une faille énorme pour tes ennemis. C’est ce qui a eu raison de celui qui a mis en place cette technique et qui est aussi l’auteur de celle de ton ami. C’est ce qui l’a perdu. L’ignorais-tu ?
-… Non. », répondit Dohko, sa réplique franche faisant sursauter pour la première fois Kivu dont les yeux s’agrandirent, « C’est la raison pour laquelle tu as toi-même employé le Lightening Plasma, parce que les rayons produits sont comme des éléments distincts les uns des autres et cherchant d’office le point faible de tout être pour le réduire en cendre.
- Alors pourquoi as-tu perduré dans cette voie ?! Serais-tu bel et bien fou ? », s’exclama Kivu n’en revenant pas.
Dohko sourit cette fois-ci franchement, levant les yeux vers moi comprenant soudainement l’explication de cela, ce qui me fit sourire à mon tour.
« Tout simplement parce que quelques millièmes de seconde, c’est amplement suffisant pour que je mette fin à l’existence de tout être quel qu’il soit, y compris le régent des 88 chevaliers d’Athéna. », dit Dohko dont la voix tomba comme un couperet sur ceux de l’assemblée et y compris Kivu auquel il ajouta : « Toi aussi, ta garde possède une faille. C’est ce qui m’a permis de t’atteindre, tout aussi doué que tu es. Maï dirige mes coups, Chelaï les abat. Que tu portes l’armure du Lion ou pas, il n’y a pas de différence pour moi. Je possède dans mon poing gauche un bouclier invincible et dans mon poing droit une épée qui ne s’émoussera jamais. Que ce soit des rayons de lumière ou toute autre chose s’opposant à elle, elle le tranchera forcément. Et ton point faible est de ne pas posséder quelque chose qui puisse résister à la justice. Aujourd’hui, ta cause n’était pas fondée, ton dessein n’était pas de me tuer. Tu as douté, pour Chelaï Maï, le doute est le point faible de tout être même si celui-ci possède la meilleure garde qu’il soit. C’est ce qui lui donne sa force. C’est ce qui constitue la mienne. »
Kivu se mit à rire, inclinant la tête sur le côté, observant son adversaire de manière hautaine.
« Es-tu en train d’insinuer que tu peux lire dans le cœur des gens ? Mensonges ! Seule Athéna le peut ! Ne blasphème pas !
- … Chelaï Maï a été érigée à partir d’un pan de l’armure sacrée d’Athéna, scindée en deux esprits complémentaires et avisés, elle supporte sur elle les douze armes saintes qui ont servi à enfermer les Titans dans le Tartare lors de la grande guerre qui a bouleversé la face du monde. Si elle n’avait pas la connaissance du cœur des Hommes, pourquoi serait-ce à elle que l’on aurait confié la garde de telles armes légendaires ? », se défendit simplement Dohko, « Tu le sais très bien. La seule et unique raison c’est que cette armure ait été façonnée à partir du propre bouclier d’Athéna, celui de la justice. Remettre en cause ce fondement, c’est rejeter la décision d’Athéna. »
Le silence s’établit au sein de l’arène, tant dans les spectateurs soufflés par ce à quoi ils venaient d’assister que par les combattants demeurant sur leurs positions, Dohko retirant son poing du torse de Kivu ne disant mot, les deux se dévisageant un court instant qui nous parut être une éternité, le chevalier du Lion baissant les yeux vers son poing droit fissuré, son armure n’ayant pu contrecarrer l’assaut de son opposant couvert de son côté de blessures plus au moins inquiétantes aux vues de la couleur étrange que prenait sa peau par endroit, au niveau de ses bras qui étaient en partie découverts par l’armure remontant sur eux jusqu’au dessus du coude, se parant d’une teinte de chairs brûlées ravivées par le contact des plaques de métal rouvrant les plaies résultantes d’une attaque qu’il avait essuyée à bout portant sans ciller, Dohko ne tenant certainement debout plus que par sa volonté infaillible.
C’était ce qui m’avait fait trembler pour lui.
Je savais que ce serait dur pour Sion, j’ignorais que ça le serait à ce point pour lui.
Mais pour Dohko, ce n’était pas pareil, parce que lui ne se résignait jamais, quoi qu’il arrive, il ne baissait le front devant rien ni personne.
Son esprit combattif était une chose de rare, que l’on pouvait aisément lui reprocher au titre d’être insoumis à toute autorité. Mais pour lui, se confronter à la mort signifiait une épreuve d’autant plus éprouvante que pour cela, il lui faudrait endurer la destruction totale de cette fierté intangible.
Il se relèverait toujours, jusqu’à ce que son corps soit transformé en une carcasse infâme ne tenant plus debout, complètement désarticulée, jusqu’à ce qu’il soit incapable de se redresser pour faire face à son ennemi qui n’aurait pas obtenu la victoire face à lui, mais juste l’arrière-goût amer d’avoir remporté la manche par chance inespérée.
Parce que son ennemi s’était effondré avant lui.
Et cette donne se renvoyait ici plus que jamais, donnant cette image de lui d’être invincible qu’il s’était peu à peu forgée, une image que devait parfaitement entrevoir Kivu qui soupira, baissa sa garde.
« Ta force de frappe est grande, elle se compare facilement à la mienne. », finit-il par dire, « Ça m’ennuierais d’entamer un duel de 1000 jours et 1000 nuits avec toi. Tu as subi le Lightening Plasma à bout portant, je peux modifier la trajectoire des rayons solaires selon les circonstances. Etant donné qu’au départ, tu ignorais l’ampleur et la nature de mes assauts, ce ne serait pas juste pour moi de continuer. Le marché est inégal. J’ai derrière moi un vécu et une expérience que tu ne possèdes pas. Cependant, tu as réussi à fracturer les crocs du Lion et Némée réclame vengeance pour cela. Je doute fort que tu sois vraiment en état de te frotter contre lui.
- Ne me tente pas alors. », répliqua Dohko en souriant de défi, « Les Dragons lui ont cassé un croc, peut-être que la prochaine fois, ils lui arracheront la gueule toute entière. »
Je me mordis la lèvre. Là, il allait trop loin, il était en train de provoquer le diable.
Mais Kivu éclata soudainement de rire, ouvrant et fermant sa main contuse, récupérant dans sa main les quelques débris d’Orichalque provenant des longues estafilades courant sur le dos de sa main.
« Je vois, je vois. », lança-t-il, « Le dragon naissant et venant juste de déployer ses ailes encore humides croit que le ciel déjà lui appartient. Il semblerait que le proverbe de ton pays d’origine te sied à ravir, chevalier. », reprit-il en posant sa main blessée sur son épaule démise, « Prends garde à toi à l’avenir, je suis peut-être le dirigeant des 88 chevaliers, je n’aime pas accuser ce qui paraît être à ce jour une défaite en ce qui me concerne. Dorénavant, il faudra sans doute me compter parmis tes ennemis. Je tiens à ma revanche, chevalier.
- Parce qu’un match nul est pour toi comme une défaite ?! », questionna Dohko en sortant brusquement de cette enveloppe façonnée par la présence de l’âme de son armure se fondant de nouveau en elle pour faire reparaître à la surface celle de son porteur, son ton presque naïf contrastant avec celui dur et étranger qu’il avait adopté il y a quelques minutes, « Tu places la barre un peu haut là, non ?... T’es super rancunier en fait, pour un Grand Pôpe, Kivu.
- C’est ce que l’on dit souvent. », répondit l’intéressé en le dévisageant mi-amusé mi-offensé, cette demi-mesure ressemblant étrangement à celle caractérisant Dohko étant toujours à cheval entre deux extrême, symbolisant parfaitement le juste milieu de toute chose, cette clause m’apparaissant maintenant comme évidente.
S’il y avait bien une personne qui pouvait ne pas redouter le jugement des deux vierges de l’armure d’or de la Balance, c’était bien celui qui ne se situait pas sur l’un ou l’autre des plateaux de cette dernière mais juste et parfaitement au milieu, rendant tout choix de sentence impossible pour elle.
A la fois impulsif et mesuré dans ses actes, ardent et réfléchi dans ses décisions, sans partage et généreux envers quiconque au combat, Dohko était comme avait appris à l’être Kivu au fil du temps, trouvant la juste mesure dans tout, le Grand Pôpe le faisant par conscience et soucis d’équité alors que pour Dohko c’était inné.
Ils avaient tout pour se détester et pour se respecter à la fois, ce qui avait rendu leur départage difficile voire impossible, leur duel se soldant sur un match nul représentant cela avec force, comme une conclusion à tout ça.
Quoi qu’ils fassent à présent, il n’y aurait jamais de vainqueur ni de perdant.
Dans un cas comme dans l’autre, ils le seraient tous les deux.
« Fais ton possible pour que je ne regrette pas de t’avoir cédé la main, chevalier. », ajouta Kivu en passant sa main gauche sur son front pour retirer le masque du Lion protégeant sa tête et en tendant la main blessée vers son opposant qui la lui serra après un signe léger de recul, un peu méfiant vis-à-vis de lui dont les assauts avaient failli le mettre à terre une bonne fois pour toutes, ce salut réciproque signant l’avènement d’une nouvelle constellation à nouveau représentée parmis la chevalerie alors que se réélevait une clameur similaire à celle ayant accueilli l’admission de Sion ayant été le premier à recevoir cette armure pour laquelle il avait mis sa vie en jeu et que venait de gagner à son tour en remportant un défi contre la mort Dohko acquérant ainsi sa place parmis les douze gardiens proches d’Athéna.
Kivu étendit devant lui son bras, son armure brillant de manière irradiante avant de se démanteler en plusieurs morceaux reprenant l’allure de la véritable forme de Némée, un lion imposant au corps recouvert de lames de métal semblant être du feu incandescent, cette vison bientôt occultée par le caisson de l’armure se refermant sur elle pour dissimuler son éclat sans égal en son sein, Kivu faisant un signe de tête à Dohko quittant à son tour l’arène, sa propre armure reprenant place à l’intérieur de la boîte de Pandore prévue à cet effet, se signant au centre de l’effigie de la Balance de son nom maintenant qu’il en était le maître.
Une fois débarrassée du métal le protégeant, la peau hâlée de mon ancien disciple ainsi mise à jour découvrit des lacérations importantes et funestes lui marbrant les chairs, mettant en évidence le moindre des endroits qui avait été atteint par les attaques successives de Kivu remontant près de nous pour examiner de son côté son poignet fracturé, peu de chose en comparaison des dégâts subis et encaissés par Dohko rejoignant Sion et Scylla enserrant l’un de ses bras de manière convulsive pour dissoudre ce mal et lui redonner peu à peu un aspect normal.
« Tu peux aller soigner ton élève, si tu veux. », me dit posément Kivu en ne levant pas la tête, « Je sais que tu en meure d’envie.
- Je crois que pour l’instant, lui et Sion sont entre de bonnes mains, je doute être en possession d’un cosmos aussi palliatif et curatif que celui de Scylla.
- Hum…
- C’est intéressant comme technique, Shao ! », dit Kirin en souriant, « Pour que Kivu se fasse avoir par cela, c’est qu’elle doit être redoutable ! J’aimerais bien…
- Ah non, hein ?! », m’écriai-je en fronçant un sourcil, « Tu n’en as pas déjà eu assez toi tout à l’heure ?! Démon va ! Ne les embête pas, tu veux ?! Ou c’est moi qui me charge personnellement de ton cas ! »
Mon frère se mit au garde à vous de manière presque instinctive, ce qui me fit rire en même temps que Sirius qui lança en regardant le Grand Pôpe caler son menton dans sa main contuse : « Au moins, on pourra dire que la nouvelle génération n’a rien à envier à la précédente ! Kivu est de mon avis, n’est-ce pas ? »
Le Lion lui dédia un regard légèrement froissé, ce qui fit redoubler le rire de Sirius.
< C’était joliment établi.>, dit Sairo sur un ton détaché, < Tu sais perdre avec style mon ami.>
- Tu t’y mets toi aussi ? », demanda Kivu en tournant la tête vers le chevalier du Cancer au visage presque inexpressif par habitude, sa voix muette trahissant cependant un certain amusement de sa part.
< Ce serait à voir en fonction de quel côté on se place pour voir les choses.>, reprit Sairo, < En sachant que tu avais un léger avantage sur lui et qu’il ignorait. Tous tes organes sont inversés, cette particularité anatomique t’aurait sans doute sauvé encore une fois la vie. Ce n’était pas ton cœur qu’il tenait en joue, mais la fin de ton poumon gauche. Il aurait été perforé, mais entre temps, tu lui aurais tranché la gorge. Tu as arrêté le combat. Ça ne te ressemble pas. >
Je me raidis légèrement en entendant cela, me rendant compte de ce qu’avançait Sairo. Si c’était vrai alors Dohko n’était certainement pas le vainqueur.
Pour toute réponse, Kivu esquissa un sourire découvrant ses canines légèrement prononcées, lui montrant sa main déchiquetée et se bougeant pas d’un pouce, demeurant inerte.
En partant d’elle, les veines courant sur son avant-bras étaient gonflées et saillantes sous la peau, dénotant une pression artérielle augmentée à son paroxysme.
« Il a démis le méridien hépatique avec son assaut, il l’a complètement obstrué en le sectionnant d’un côté et en le comprimant de l’autre. C’est le résultat de la morsure de l’un de ses dragons. Pour moi, le méridien hépatique et presque sans importance pour toi correspond au Gardien du Cœur en ce qui me concerne. Il est vital. S’il venait à me retoucher à cet endroit, je serais mort. », avoua Kivu en haussant les épaules, délivrant avec précaution quelques onces de son cosmos pour réparer les lésions reçues, sa connaissance de ses points faibles et aussi de sa propre constitution rendant le travail délicat mais uniquement faisable pour lui et lui seul.
« J’aurais dû me battre avec un seul poing, et mon défaut est de ne pas savoir combattre avec une garde ouverte ainsi. De plus, ses coups étaient de la puissance d’un chevalier d’or, je ne pouvais pas me permettre de continuer avec un tel handicap. Il aurait compris très vite ce qui me compose, et il aurait orienté ses dragons à droite. Je le sais. Il est comme moi. », acheva de dire Kivu en me jetant un regard mi pincé mi admiratif, « J’avais tort. Je le reconnais. Tes élèves sont de bons chevaliers, ils sont parmis les meilleurs qu’il m’a été donné de voir depuis mon règne.
- Pitié !! Ne la flatte pas sinon, on va en entendre parler jusqu’à la nuit des temps !! », s’écria Kirin vers qui je me retournais afin de lui pincer la joue, mon idiot de frère se sauvant un peu plus loin pour se cacher traîtreusement derrière Sirius à côté duquel se tenait le gardien de la 8ème maison qui me dévisagea de ses yeux froids et à qui je tirais posément la langue, histoire de lui apprendre les bonnes manières.
« Alors tu as vu ? », lui glissai-je de manière vindicative, « Deux élèves, deux chevaliers d’or quand même ! Admets que tu commences à avoir peur !
- … J’ignorais que l’épreuve d’acquisition des armures était un concours et surtout que ce dernier devait s’établir entre les maîtres qui n’ont rien à voir là-dedans. », répondit VanRâh d’une voix morne, ce qui eut le don de m’agacer, le reprenant de volée : « Moi, j’aimerais sincèrement que Scylla obtienne aussi son armure ! Mais que veux-tu, avec un tel professeur, ce n’est pas gagné !... Elle est si gentille, on se demande comment elle a fait pour te supporter pendant toutes ces années ! Déjà que je n’y arrive pas plus de 10 minutes, la pauvre !... Elle a dû connaître l’enfer ! »
Je le détaillais avec impatience, m’attendant à ce qu’il réagisse un peu, mais cette fois encore, il se contenta de me léguer un regard las, ses yeux inutilement beaux pour lui se tournant de nouveau vers son élève, ses traits se creusant indiciblement, si mystérieusement que je crus au départ avoir mal vu.
Lui, c’était sans doute le seul et unique chevalier qui soit incapable de ressentir quoi que ce soit. Ni colère, ni joie, rien d’autre que du néant. Son visage était toujours lisse et inexpressif, si bien que l’on ne pouvait sérieusement croire qu’en lui résidait une âme humaine. Personne ne l’avait jamais vu combattre pour de vrai, de toute ma vie, je ne l’avais jamais vu revêtir son armure restant ainsi, scellée dans son caisson couvert de chaînes, à l’effigie même de ce qui cloîtrait son poing gauche.
Comme si le fait même d’être chevalier le dégoûtait, autant que ceux qui étaient sous la tutelle d’Athéna. Il ne se battait jamais pour eux, il ne faisait aucune démonstration de sa présence au sein du Sanctuaire, s’appliquant à toujours demeurer en retrait, comme si tout ce qui avait attrait à la vie ici, au sein des terres du Sanctuaire, était d’un ennui mortel pour lui.
C’était une personne avec un caractère que j’exécrais en tous points, le mien rancunier cherchant toujours à se venger un peu de cela, de cette image d’être vide qu’il imposait à tous ceux l’entourant.
Seul Kirin semblait le supporter.
Kivu aussi, mais ça, c’était normal, puisque c’était le Grand Pôpe.
Sirius ne se rendait pas compte de tout cela, ou bien faisait semblant de ne rien voir parce que lui si gentil ne voulait faire de la peine à personne.
Quant à Sairo et Kazuro, très peu au Sanctuaire, ils n’étaient pas assez souvent avec lui pour détester cela.
Mais moi, je ne parvenais pas, quoi que je fasse, à l’accepter. J’avais l’impression d’avoir en face de moi un des soldats d’Arès, méprisant et dur envers l’Humanité que j’avais juré de défendre, le plaçant immédiatement du côté de mes ennemis.
Mais là, c’était la première fois que je voyais une ébauche d’expression se peindre sur son visage stoïque. Peut-être fallait-il gratter un peu pour apercevoir cela. Quoi qu’il en soit, ce fut rapidement endigué et recadré pour disparaître totalement.
Pourtant, Kirin se baissa un peu vers moi, me souffla sur un ton de reproche : « Des fois, tu es vraiment méchante, Shao. Tu ne devrais pas dire ça. Tu sais bien que c’est faux, en plus. Je ne dis pas pour Khaan qui me déteste (de toutes façons, celui-là n’aime personne), mais par égard au moins pour Scylla, tu ne devrais pas dire des choses comme ça.
- Et c’est l’expert en défaites auprès de son propre disciple qui me le dis ? Chapeau Kirin, tu fais fort. », rétorquai-je sur un coup de tête.
Près de nous, un crissement se fit entendre, brisant ce qu’allait dire mon frère et faisant reporter notre attention sur le chevalier du Capricorne se décidant à quitter sa place où il somnolait presque pour descendre les marches menant jusqu’à l’arène, ayant lu dans les yeux et l’attitude de Kivu l’autorisation d’entrer en jeu.
< Essaye de ne pas te battre de façon frivole, pour une fois.>, lui signa Sairo en réponse au sourire carnassier prenant place sur les lèvres de celui qui l’accompagnait en général dans les missions, Kazuro répliquant : « Je ne me bats jamais de manière frivole, tu le sais bien pourtant !... Je dépèce mes proies avec application et un profond respect. »
Cette phrase me fit me mordre la lèvre d’anxiété alors qu’en contre bas, la silhouette fine de Scylla se retournait vers celui qui entrait lentement dans l’arène, baissant la tête et la rentrant un peu dans ses épaules, déchiffrant pour ma part sur les lèvres de Dohko qu’elle venait de soigner ces quelques mots : « Bonne chance Scylla. Je sais que tu y arriveras. J’en suis sûr. »
La jeune fille toute menue prit une profonde respiration, se redressant pour marcher d’un pas mécanique vers l’aire de combat, jetant un coup d’œil à Sion qui l’encouragea à son tour de toutes ses forces, puis à Khaan qui la dévisageait de ses yeux sanguins et sauvages.
Elle serra ses mains contre elle en un geste timide, avalant difficilement sa salive pour marcher vers son destin.
Je repensais à ce qu’avait énoncé Kazuro, ses propos étant toujours ainsi, oscillant entre sérieux et folie, lui conférant une nature démente et incertaine, dangereuse.
Je commençais à craindre pour Scylla que j’appréciais profondément. Elle qui était de nature si douce et si gentille, devoir combattre était en cela même une aberration pour elle, et qui plus est face à un adversaire tel que Kazuro dont les attaques découlaient des ombres les plus noires et avaient le tranchant le plus adroit.
C’était la pire personne à laquelle elle aurait pu se confronter.
Comme si Athéna s’appliquait en ce jour à pousser ses protégés dans leurs derniers retranchements en leur opposant un adversaire était diamétralement le contraire de ce qu’ils étaient, rendant ainsi l’affrontement bien plus périlleux et plus dangereux pour eux qui se retrouvaient ainsi confrontés à un adversaire dont les points forts étaient principalement leurs faiblesses à eux.
Je tournais la tête vers VanRâh se trouvant sur ma gauche par réflexe, sursautant presque en découvrant l’expression imprimant à présent ses traits, alors que le chevalier du Capricorne se mettait en garde face à la jeune fille si petite que l’on aurait dit encore une fillette, l’incitant à entamer son assaut la première lui laissant ainsi une chance de l’abattre en premier, parce que c’était toujours ainsi qu’il agissait.
C’était toujours ainsi qu’il aimait jouer, en se parant d’un handicap afin que la chasse soit la plus divertissante possible.
Moi qui pensais sincèrement qu’il était incapable de manifester la moindre émotion, je réalisais soudainement mon erreur.
A ce stade là, ce n’était même plus de l’anxiété, mais de la frayeur.