Chapitre 35
Je me suis longtemps demandée quelle pouvait bien être la motivation de ceux qui venaient à risquer leur vie ainsi, en défiant toute loi mise en place par les dieux pour contre dire l’adage que ces derniers posaient sur eux, à savoir que toute chose en ce bas monde était petite, mortelle, presque… Inutile en soi, car incapable de créer quoi que ce soit, juste bonne à profiter de ce que ceux qui savaient mettaient en place pour eux, parce que finalement, ils étaient tout de même leurs créations.
Alors il fallait bien qu’ils les protègent un peu.
J’ose croire qu’Athéna n’est pas ainsi, qu’elle ne considère pas cette optique comme étant la bonne et la seule véritable. Parce qu’elle, tout ce qui vivait ici, en contre bas, au pied de l’Olympe comme partout dans ce monde étant son jardin, tous les êtres qui en avait la garde était son enfant, un être qu’elle chérissait par-dessus tout et pour qui elle s’inquiétait, se rongeait les sangs, tremblait mais éprouvait une tendresse immense.
Sinon, pourquoi donc aurait-elle créé cet Eden à la fois si magnifique et si éphémère ?...
Pourquoi se serait-elle battue bec et ongles contre Poséidon, le vénéré garant des fonds marins pour obtenir la garde de ce royaume terrestre qu’elle protège avec parcimonie et justice ?...
J’ose penser que ce n’est que pour cela, que parce que son amour pour tous les êtres vivants était trop grand et trop désintéressé.
Je le pense.
J’en suis sûre.
Mais Athéna n’échappe pas aux règles qui font de tous un tout unique et irremplaçable, sans qui tout serait bancal et immoral.
Le prix à payer pour cette affection si noble était sans doute la tristesse de voir la destinée de chacun bouleversée à un moment où à un autre par un événement qui en changerait totalement le court de sa vie.
Une épreuve, une perte tragique, un drame, une peine, la mort, tout cela sont des notions qu’elle connaît bien pour les avoir éprouvées elle-même et pour en voir souffrir ses enfants.
Ainsi, elle ne peut empêcher que ces évènements raccrochés à la garde des dieux noirs arrivent tôt ou tard dans l’existence de chacun pour la bouleverser complètement. C’est la rançon pour pouvoir aussi leur offrir l’espoir, le courage, la sagesse et la noblesse, autant de valeurs que bien des divinités pourraient se targuer d’avoir mais qui, au final, ne font que les simuler sans les éprouver vraiment.
Parce que pour en connaître le goût et la saveur, il fallait avoir un cœur, et cela, les dieux n’en n’ont pas.
Ils n’en n’ont plus.
Le cœur affaiblit l’âme, la pervertit parfois alors eux, ils n’en n’ont plus voulu.
Pour ne jamais plus perdre contre lui.
Seuls les Hommes et les êtres vivants dans leur royaume en ont un.
C’est ce qui les rend si instables, si tangibles, si fragiles.
Mais c’est ce qui les élève plus haut que n’importe quel dieu.
Parce qu’en eux réside un fragment du cœur d’Athéna qui leur en a fait don afin de palier à leur existence si courte.
Pour que leur mémoire ne soit pas oubliée dès lors qu’ils prendraient le Styx pour se rendre en Enfer ou pour marcher vers le Paradis.
Pour qu’au fond et malgré tous les freins que ceux dirigeant le monde leur ont mis pour s’imposer tout de même en tant que monarques absolus, ils soient éternels.
Toutes ces notions, je les connais par cœur. On me les a inculquées il y a bien longtemps à présent, depuis que je suis en âge de parler et de comprendre. Pour que je puisse en faire bon usage et pour que je prenne conscience de mon devoir.
Mais moi, je ne suis pas aussi forte que celle que je devrais être. Il y a plein de choses que j’ignore et encore plein d’autres que je ne parviens pas à intégrer pour m’en détacher vraiment. Ce n’est pas faute d’avoir essayer de m’y résoudre, je crois qu’en fait, je ne suis pas faite pour ce rôle que l’on cache aux yeux de tous pour ne pas que je sois en « danger ».
Mais ce n’est pas moi qui le suis, « en danger » Moi, je vis sereinement, au sein d’un lieu protégé et gardé de toutes parts, comme une prison dorée dont on aurait fermé la porte et dont on aurait oublié la clef au fond d’un tiroir.
Moi, je ne risque pas ma vie à chaque instant, ce n’est pas à moi que l’on va dire que telle ou telle partie du monde est dévastée par tel ou tel démon et qu’il fait se résoudre à dépêcher sur les lieux un enfant qui va risquer sa vie pour le futur de tant d’autres.
Ce n’est pas moi qui me blesse lorsque ça tourne mal, ce n’est pas moi qui ressens de la douleur lorsque le sang coule, ce n’est pas moi qui aie à porter une cuirasse si lourde qu’elle entaille les chairs de ceux qui se risquent à la revêtir.
Moi, je suis juste une spectatrice à qui ont fait signer des documents, à longueur de journée, des rapports stipulant toujours le nombres de survivants et non celui des victimes qui ne seront jamais plus présentes pour rire et pour se sentir vivre, juste dans le but de ne pas m’inquiéter et de ne pas me faire de peine.
Mais moi, je ne suis plus une gamine qui peut vivre dans un monde onirique. Malgré toutes ces précautions compatissantes, moi, je sais parfaitement ce qu’il se passe au dehors de cette salle dans laquelle je reste confinée parce que sinon, ceux auxquels je tiens par-dessus tout se retrouveraient en danger à cause de moi. Et ça, c’est la dernière chose que je désire, les accabler d’avantage.
Alors je me tais, je me fais toute petite et j’attends, j’attends le moment où enfin je me sentirais un peu utile et où je pourrais enfin les aider un peu, où je pourrais enfin mettre en pratique tous ces enseignements rigoureux que je connais sur le bout de mes doigts n’ayant jamais tenu une arme de ma vie alors que leurs mains à eux sont déjà souillées de sang en mon nom, pour ma gloire, une gloire que je ne mérite pas et que je leur dois à eux, à tous ces enfants perdus.
Eux, ils m’adressent leurs prières que je perçois même si leurs lèvres sont scellées par respect, par pudeur. Je vois bien sur leur visage franc et impassible ce qui se cache au travers d’eux. La peur, la hantise de découvrir qu’un jour ils puissent faillir comme n’importe qui, parce que eux, ils n’en n’ont pas le droit. Eux, ils sont présents pour garantir la survie de tous les autres et ce, combien même se serait un dieu qui déverserait son malheur sur le monde.
Tout ça, je le sais, je le devine et l’entends à chaque instant.
Et moi à qui l’on a légué un héritage si lourd et si inadapté à mes faibles compétences, je ne peux rien faire pour les soulager un peu, ne serait-ce qu’un tout petit peu.
Alors au final, à quoi sert donc ce titre qui m’a été échu à ma naissance, celui d’héritière de la grande Pallas Athénée ?...
A rien.
A rien du tout.
Parce qu’au fond, je ne suis pas plus forte que tous les autres, je le suis bien moins qu’eux.
Je me suis toujours demandé pourquoi ce devait être eux et non quelqu’un d’autre qui devrait remplir ce rôle, celui de chevalier ?...
Chez eux, on appelle ça « un honneur ».
Pour moi, c’est une « fatalité ».
Mais le mot le plus juste serait sans doute « malédiction ».
Je me dis que si ce n’était pas eux, ce serait d’autres personnes qui souffriraient aussi, parce que ce rôle n’est jamais sans contraintes, jamais sans conséquences.
Une vie faite d’affrontements à mort, de destruction, de douleur et de souffrances physiques autant que morales, voilà ce que signifie être un chevalier.
Alors qu’on ne me parle pas de chance d’avoir été « choisi », je me mettrais certainement à rire.
Une chance, ça n’a jamais été un billet pour un voyage sans retour.
Moi, je ne peux rien faire contre ça, contre ce coup du sort qui désigne du doigt untel ou un autre pour le faire entrer dans un destin que lui n’aurait certainement pas voulu.
Ça a toujours été ainsi, d’aussi longtemps que l’on s’en souvienne.
Une règle de plus écrite à la va-vite sur un parchemin poussiéreux, celui de la Vie et de la Mort.
En fin de compte, si les dieux tenaient tant à se livrer bataille, pourquoi ne pas le faire après tout, si ce choix était mûrement réfléchi ?...
Mais en aucun cas ils ne devraient à chaque fois impliquer des êtres qui n’ont rien à voir avec ce conflit. C’est une mesure puérile et inconcevable pour ceux se désignant comme étant les seuls possédant la sagesse.
Un chevalier naît ainsi.
En lui réside, dès son premier souffle de vie, la force nécessaire à décrocher potentiellement une armure, axiome des plumes blanches provenant des ailes d’Athéna.
Mais ce que l’on ne dit pas, c’est que finalement, ce sont ces armures qui décident cela, elles qui ne sont que des morceaux de métal à qui on a un jour donné une âme afin qu’elles protègent leur maître. Ce sont elles qui sondent les astres à la recherche d’une nouvelle lueur qui ressemblerait à s’y méprendre à celle de leur maître déchu par le temps dans l’espoir de retrouver ce dernier pour qui elles ont vu le jour.
Parce qu’elles n’ont été façonnées que dans ce but, servir et protéger un être unique se faisant le bouclier d’une déesse dite de miséricorde.
Finalement, ceux qui gagnent le droit de posséder l’une de ces armures n’auront rien décidé, ils n’auront pas eu d’autres alternatives que de se plier à cette attente, même sans le savoir. Et ce, même si cela devait impliquer une vie faite de désillusions et de défaites. Cela, l’armure s’en fiche. D’ailleurs, tout le monde s’en fiche aussi, d’une part parce qu’ils ne le savent pas, et d’autre part parce que c’est ainsi et que cela ne put être autrement.
Le choix des dieux est irréfutable.
Celui des armures possédant du sang de dieux et un fragment de leur volonté l’est tout autant.
Et quand celui présumé ne correspondait pas au jugement de l’armure, celle-ci le faisait tomber à terre pour le faire disparaître. Car personne, hormis ceux rattachés à la chevalerie ne devait être au courant de l’existence d’un trésor tel que l’étaient ces armures au visage sanglant.
On m’avait bien ordonné de ne pas venir, de ne pas assister à tout ça.
On m’avait dit que ce serait mieux si je restais là où je devais être, dans la petite salle se situant derrière la statue de la grande Athéna, dans le treizième temple.
Sous-entendu que la curée pourrait bien me faire prendre peur et me détourner de mon devoir.
Mais ceux qui combattaient, autant les chevaliers déjà nommés que ceux qui devaient le devenir, moi, je les ai tous connus avant, lorsqu’ils sont arrivés au Sanctuaire, alors qu’ils portaient en eux les stigmates d’une vie qui ne leur avait jamais fait de cadeaux.
Tous, je les connaissais tous, du simple soldat qui avait le mérite de garder l’entrée même du Sanctuaire et qui se retrouvait en première ligne lors du moindre assaut contre ce dernier au Grand Pôpe qui venait de risquer sa vie pour décerner un prix qu’il aurait désiré donner sans pour autant devoir asservir de coups son adversaire qui n’en était pas un réellement, juste pour se plier à une donne établie par le roi des Dieux concernant les humains qui pourraient obtenir des pouvoirs parfois plus grands que les divinités elles-mêmes.
Tous ces enfants perdus sont comme une partie de moi avant d’être un élément de ma garde, avant de constituer l’une des flammes de ce bouclier si lourd que je ne parvenais même pas à soulever.
Chacun porte en lui des blessures qui ne cicatriseront jamais et un passé terrible qu’ils devront porter tout au long de leur vie. Une histoire dûe à l’armure qui a précipité tout cela, dans le seul but de m’offrir une garde qui ne cèderait jamais.
Alors pour eux qui ont eu fois en moi alors que moi je n’ai fait que leur apporter le malheur, je me devais d’être là pour eux, au moins un fois, pour trembler avec eux, pour ressentir leur angoisse et leurs doutes, pour les soutenir à leur tour même si je sais bien que ma présence invisible ne leur servirait pas à grand-chose.
Je voulais voir de mes propres yeux à quel point eux étaient nobles et à quel point moi qui profitais de cette bravoure étais ignoble et vile.
Je désirais les encourager, leur dire qu’ils étaient arrivés jusqu’ici par leur propre courage et qu’ils pouvaient garder la tête haute, que j’étais fière d’eux et que c’était un honneur de m’offrir leur présence valant bien plus que la mienne.
Ainsi, j’ai pu me convaincre d’avoir bien agi en sauvegardant ceux qui ne devaient pas être choisis par l’armure. Retenir indiciblement quelques uns des assauts pour que ceux-ci ne soient pas fatals à celui à qui ils étaient désignés pourrait peut-être me redonner bonne conscience même si mes fautes ne pouvaient être lavées.
J’ai vu Sirius sourire, lui qui s’inquiétait tant pour ses élèves, au moins aujourd’hui, il n’en avait perdu aucun.
La dernière fois, ça n’avait pas été le cas.
Comme d’habitude, un simple rapport avait mentionné cela de manière détachée.
C’est toujours plus facile à admettre quand c’est écrit ainsi, sans le moindre sentiment pour la personne décédée qui devenait un nom et non plus un tout.
Mais pour celui qui avait connu cette personne, la détresse n’en était que plus grande.
La dernière fois, le chevalier du Taureau avait ravaler tout ce qui devait sortir ensuite une fois seul, une fois que toute cette mise en scène sordide s’était achevée, une fois que plus personne ne serait là pour voir les larmes rouler sur ses joues.
Aujourd’hui, au moins, cela ne serait pas ainsi.
Alors le voir sourire, lui, comme tous les autres, malgré ces épreuves terribles, ça valait bien plus pour moi que tout le reste, c’était bien plus important que la sanction encourue pour avoir déserté ma place au sein du 13ème temple.
La soi-disant réincarnation d’Athéna ne devait pas se montrer, en aucun cas.
Personne ne devait connaître son existence qui devait restée secrète et connue uniquement du Grand Pôpe, raisons de sécurité du Sanctuaire et du royaume terrestre obligeant.
Tant qu’une guerre sainte ou qu’un conflit impliquant la survie des êtres de ces deux enceintes ne se déclarait pas, la condition de cette réincarnation factice n’avait aucune utilité.
C’était ironique que de massacrer des destinées à tour de bras sans pour autant pouvoir s’excuser pour cela, juste en prétextant que c’était un devoir pour toutes ces victimes et rien d’autre.
Mais c’était ainsi.
Comme tout le reste, contradictoire et immoral.
Si jamais j’ai un héritage à laisser dernière moi, ce serait l’abolition de cette clause à défaut de pouvoir briser celle concernant les chevaliers. Je ne suis pas Athéna, je ne suis pas éternelle. Je sais très bien qu’après moi, il y aura sans doute d’autres personnes qui viendront reprendre le rôle que j’aurais laissé. Mais ça, j’aimerais le changer.
Parce que ce que je souhaitais le plus en cet instant, c’était de pouvoir leur dire à quel point j’étais désolée pour tout ça, pour tout ce que je leur avais fait enduré et pour tout ce qu’ils devraient accomplir par la suite en mon nom.
Je perçus un rire s’élevant de l’endroit où s’étaient réunis les chevaliers à l’aura étincelant comme de l’or le plus pur.
Dorénavant, les affrontements s’étaient faits plus durs, plus terribles, adaptés à la condition des êtres se défiant par cela et se faisant échos d’assauts titanesques, difficiles à supporter pour moi. Non pas que les précédents concernant les classes attribuées à l’argent ou au bronze n’aient pas été puissants et mortels. Mais là, c’était d’un tout autre niveau. Les attaques étaient délivrées avec l’intention de tuer, d’une précision macabre et implacables, mûries par un art tourné vers la guerre uniquement, héritier de nombreuses batailles ou d’heures d’affinement visant à le rendre toujours plus imparable.
Et puis la sentence des armures insatisfaites était sans commune mesure avec celle générée par leurs sœurs inférieures. Ici, je sentais le cosmos funeste des armures d’or s’élever dans le ciel, réclamant leur livre de chair. Les armures étaient sans pitié avec tous ceux ne remportant pas leur bénédiction, autant qu’elles pouvaient être fidèles et presque maternelles avec ceux gagnant leur confiance.
Toutes éprises de justice dans le plus pur des termes, elles ne toléraient aucune faille chez quiconque et encore moins chez leur prétendant.
Certaines étaient plus clémentes que d’autres, mais certaines étaient les marchandes d’une mort violente et insoutenable.
Et pour les aspirants à l’or, je ne pouvais qu’espérer atténuer de mes prières la vindicte des armures.
Je détaillai le porteur de l’allégorie de la 10èmeconstellation.
Je crois que de tous ceux qui étaient présents au sein des chevaliers d’or, Kazuro était celui que je saisissais le moins. Peut-être parce que lui qui était auparavant deux n’était plus qu’un seul à présent.
Son frère jumeau aurait dû être ici, aujourd’hui, lui aussi.
Mais Kazan n’était plus de ce monde, périssant d’un attribut héréditaire qui lui l’avait rongé de l’intérieur alors qu’il faisait à présent la force de son frère. C’était peut-être pour cela qu’il ne s’entendait pas avec Shaolin ou bien avec Kirin, parce que sans doute avoir sans cesse sous les yeux ce lien dont lui avait été privé le rendait malade.
Il n’y avait que Sairo qui ait réussi à gagner sa confiance.
Pour ce genre de choses, Sairo savait comment s’y prendre.
De 7 ans son cadet, Kazuro était collé à lui comme s’il avait eu affaire à un grand frère qu’il n’avait plus et que le chevalier du Cancer remplissait à merveille par son caractère posé modérant celui tout feu tout flammes du chevalier du Capricorne qui faisait alors office d’être à part, non seulement à cause de son pouvoir hors du commun mais aussi à cause de sa manière d’être ainsi, instable et enclin au moindre débordement si c’en était l’occasion.
Si Sairo était le pisteur et la première ligne des émissaires du Sanctuaire par rapport aux ténèbres, Kazuro se prêtait plus que volontiers à être sa propre épée, une arme tranchant tout et ne souffrant d’aucune compassion sauf si cette dernière était requérée par Sairo.
Peut-être qu’ainsi, en oubliant même d’être un être humain pensant et éprouvant, lui avait trouvé le moyen de se défaire de sa propre peine.
Cependant, j’ignorais ce qui allait se produire si jamais Sairo se retirait du combat comme c’était le cas maintenant : laisser libre court à Kazuro sans aucune martingale pour le contenir était quelque chose de dangereux.
Non, c’était criminel.
Avant, c’était Kazan qui tempérait son frère. Quand ce dernier était décédé, Kazuro avait perdu toute notion de mesure et s’était fait la matérialisation de l’épée qu’il symbolisait sans aucune concession, pour trancher tout ce qui devait l’être.
Imperceptiblement, mes doigts s’étaient resserrés ses uns contre les autres. Je me mordis la lèvre. Si Kazuro faisait encore partie de l’ordre de la chevalerie, c’était uniquement grâce à Sairo qui l’avait remis dans le droit chemin après la mort de Kazan, l’empêchant de renier l’ordre pour lui tourner le dos.
Je ne sais pas ce que le maître du sort a cherché à prouver en faisant cela, mais ce n’était pas offrir une chance de recevoir une armure qu’il avait légué à Scylla en lui désignant un tel adversaire pour son premier vrai combat, mais belle et bien une mise à mort.
Car avant, l’armure des Poissons était celle de Kazan. Alors il n’y avait pas de pire manière pour attiser la rancœur de son frère que de lui proposer celle qui allait définitivement effacer de la mémoire de tous son frère aîné.
Et ce rire, c’était ça.
Pour ça.
Kazuro avait éclaté de rire en apercevant la silhouette fine de la jeune fille qui s’était avancée au centre de l’arène, la respiration courte, les muscles tendus par l’appréhension.
Le garçon s’était appuyé contre l’épaule de Sairo pour émettre un sourire dévoilant ses canines prononcées.
« Est-ce que je dois lui laisser la tête sur les épaules ou bien est-ce que je peux tout couper jusqu’au dernier morceau ? », demanda-t-il en rivant ses yeux acajous sur ceux violets de la jeune fille qui le dévisagea sans ciller.
< Ne l’abîme pas. Fais juste en sorte de la mettre à terre, qu’on en finisse. >, répondit Sairo, sa voix inaudible se portant juste sur le garçon qui acquiesça en passant sa langue rouge sur ses lèvres, le chevalier du Cancer tournant la tête dans ma direction, ce qui me coupa le souffle.
Après tout, ce n’était pas étonnant. Lui dont l’un des yeux appartenait à l’une des Méduses, celle qui le lui avait ôté d’un coup de griffes, il savait tout, décelant tout, même si cela était infime. C’était d’ailleurs pour cela qu’il avait endossé la fonction de pisteur, parce que rien ne lui échappait.
Il étudiait à présent ma réaction, son regard sans faille semblant signifier : « J’espère que vous êtes satisfaite. Elle s’en sortira avec quelques égratignures. Ce n’est pas grand-chose en comparaison avec ce qu’aurait très bien pu lui faire Kazuro. Je pense que vous savez parfaitement de quoi je veux parler. »
« Il y a un problème ? », questionna Kivu en inclinant la tête sur le côté alors que je me ramassais encore plus dans le renfoncement dans lequel je me trouvais, secouant la tête.
Non, ce n’était pas satisfaisant pour moi. Et il le savait très bien.
« Quelques égratignures », cela prenait une toute autre connotation pour moi. Surtout si ces quelques égratignures étaient assénées par Kazuro.
< Rien d’important. >, déclara Sairo en haussant les épaules, Kazuro plaçant ses mains derrière sa nuque, faisant quelques pas en direction du rebord de l’estrade avant de sauter lestement par-dessus, disparaissant à la seconde près où il atteignit le sol, lançant directement l’assaut qui se propagea droit sur Scylla revenant de sa surprise, s’étant attendue à tout sauf à un assaut abrupt.
Tous les autres chevaliers avaient pris la peine de saluer au moins leur adversaire, elle pensait donc que ça allait en être de même pour le chevalier du Capricorne qui se reforma à quelques centimètres d’elle reculant in extremis d’un pas pour éviter un coup qu’elle ne vit même pas mais qui lacéra le sol abîmé en une crevasse profonde, entaillant le haut de son vêtement juste au niveau du cœur, démontrant ainsi la précision de son adversaire qui disparut de nouveau, générant un tremblement de terre sous sa propre impulsion tellement celle-ci était puissante.
La jeune fille fut entourée d’une traînée de poussière qui dessina un cercle autour d’elle pour se refermer sur elle en une fraction de seconde, enrayant sa nouvelle esquive, le rideau de fragments de pierres rompues se déchirant pour laisser paraître une main qui n’avait plus rien d’humain et dont les longues griffes noires se refermèrent sur la base du cou de Scylla qui étouffa un cri de douleur stoppé net lorsque que se redessina devant elle la vraie forme de son adversaire qui riva ses yeux pourpres sur elle, des marques noires descendant le long de ses joues pour recouvrir la peau mate d’un noir d’encre.
« Cesse donc de bouger, sinon, je serais obligé de te couper les jambes ! », se mit à rire le garçon dont la voix n’avait plus rien de celle qu’il avait d’habitude, « Ne t’en fais pas, je veux juste cette moitié de toi qui ne te sert visiblement à rien ! »
Brusquement, son enveloppe humaine céda tout à fait, laissant apparaître ce qui se cachait en dessous, ce qui composait la force et aussi la malédiction du garçon dont les crocs se plantèrent à la base du cou de Scylla qui le repoussa de toutes ses forces mais ne parvenant pas à empêcher les crocs du loup d’entrer en contact avec sa peau qui s’ouvrit en une plaie affreuse, le sang jaillissant des berges béantes pour maculer en un instant son vêtement clair, le salissant et le rendant aussi sinistre qu’un linceul que l’on poserait sur un défunt.
Elle tituba, reculant encore, ne pouvant détacher son regard de la bête grimaçante devant elle, étant bien plus grande que l’animal dont elle se rapprochait par la forme.
Kazuro inclina la tête sur le côté, couchant ses longues oreilles en arrière, les plaquant contre son crâne, se fichant pas mal de la stupeur générée par son apparence, ne se préoccupant que de la réaction se peignant sur le visage de la jeune fille complètement déroutée et collant sa main sur son cou pour en enrayer le saignement en déployant son cosmos de nature plus curative qu’autre chose.
« Alors ? Assez tordu à ton goût ? », éclata-t-il de rire en dévoilant ses crocs rougis de son sang, « Je suis la bête qui se repaît des cadavres jonchant le champ de bataille, celle qui apporte le désespoir par ses griffes, la peste par ses crocs et la mort par son hurlement. Admire l’héritier de Cerbère, celui qui garde l’entrée du domaine des vivants et qui décidera de ta fin. Sache que si mon maître ne m’avait pas ordonné de te laisser la vie sauve, je t’aurais égorgée depuis longtemps. Il te veut vivante. Je te conseillerais d’abandonner ou bien après, je pense qu’il sera un peu tard pour revenir sur ta décision. »
Scylla baissa la tête, faisant tout pour retenir ses larmes. Tout comme moi, elle n’était pas à sa place ici, dans ce monde fait de luttes permanentes. Elle était bien trop douce et bien trop gentille pour subir tout cela.
En moi-même, j’espérais presque qu’elle accepte de se retirer de l’arène mais au lieu de ça, elle tourna la tête vers ceux qui avaient livré bataille avant elle, puis vers celui qui l’avait recueillie et qui se tenait immobile avec tous les autres, ses pairs, aussi stoïque qu’une statue de marbre mais qui bouillait intérieurement comme pouvaient le témoigner l’allongement léger de ses doigts qui prenaient l’allure de serres implacables.
Les griffes du Scorpion mourraient d’impatience de faire payer cher au démon ce qu’il avait osé faire à sa protégée.
La jeune fille releva la tête vers le loup noir imposant et devant faire plus de trois fois sa taille.
« Va au diable. J’ai promis que j’allais faire de mon mieux alors ce n’est pas toi qui me feras changer d’avis. C’est une promesse que je leur ai faite, je la tiendrai.
- Oh ?.... Sage décision. », glapit Kazuro en souriant de toutes ses dents, « J’aurais eu une grande déception si je n’avais pas pu te dépecer en entier. Jouons encore un peu, veux-tu ?... »
Scylla serra les dents, se mettant cette fois-ci en garde, la couleur violette de ses yeux changeant du tout au tout pour se faire acier, décortiquant les moindres mouvements de la bêtes qui marchait en cercle autour d’elle, analysant pour sa part les gestes de sa proie qui vacilla soudainement, secouée par une quinte de toux qui lui fit mettre un genou à terre et recracher du sang noir.
« Ah !... Excuse-moi, j’avais oublié de t’informer de ce petit détail. », se moqua Kazuro, « Lorsque je t’ai dévoilé mon surnom, ce n’était pas pour te faire peur, loin de moi cette idée. Mes crocs véhiculent un poison mortel qui gagnera ton système nerveux jusqu’à détruire chacune de tes cellules. Tu seras incapable de respirer par toi-même d’ici peu de temps, et si tu fais trop de gestes inutiles, ton cœur s’arrêtera tout seul. Je crois que ça fait un peu la même impression que si on se noyait sans eau. Mais tu devrais me remercier !... L’eau, n’est-ce pas l’élément qui est attribué aux poissons d’habitude ?... »
A ses mots, Scylla plaqua sa main sur le sol, se relevant en tremblant en même temps que le loup bondissait de nouveau sur elle pour la percuter de plein fouet, la faisant trébucher. Elle se rattrapa cependant, se redressant encore, l’avant-bras en sang, ayant arrêté les crocs de l’animal dirigé vers sa gorge par ce moyen.
« Allez ! Défends-toi encore ! », clama Kazuro en disparaissant à nouveau pour fondre sur elle, « Que ce soit bien plus drôle que ça ! »
Cette fois-ci, ses mâchoires se refermèrent en un étau sur l’épaule de la jeune fille contre laquelle il s’arquebouta pour la faire chuter, arrachant les tissus de ses dents et dénudant l’articulation jusqu’à l’os qui apparut au grand jour.
« Allez !! Qu’est-ce que tu fais ?!! C’est donc tout ce dont tu es capable pour te défendre ?!! Encaisser et rien d’autre ?! C’est donc tout ce dont est capable le misérable détritus qui prendra la place de Kazan ?! Laisse-moi rire !! », s’écria-t-il avec une fureur redoublée par le fait que la jeune fille ne lui demanda pas grâce ni même ne criait de douleur comme le faisaient si bien ses victimes d’ordinaire.
D’un geste brutal, il tordit l’épaule de Scylla qui ravala une fois de plus un gémissement de douleur, démettant l’os sans mercie pour se détacher de sa proie vers qui il se porta avec colère, le sang maculant son masque féroce qui s’enfonça dans les côtes basses de la jeune fille qu’il projeta avec force sur le sol, lui fracturant plusieurs côtes au passage qui ne résistèrent pas à la pression incalculable générée par ses mâchoires infernales qui semblaient ne rencontrer aucune résistance.
Il allait bondir vers sa proie lorsqu’il fut brisé dans son élan par un afflux d’énergie qui le refoula durement pour le contenir sauvagement, une colonne de cosmos déchaîné se matérialisant devant lui en un être qui resserra ses doigts sur sa gueule jusqu’à provoquer un craquement sourd tandis qu’un rideau de flammes se concentra sur son côté gauche, le menaçant de sa fureur à bout portant.
Kazuro stoppa son assaut, réprimé durement par ceux qui venaient se mettre entre lui et sa proie qui se redressa avec une peine immense, compte tenu de ses plaies infectées et du sang perdu.
« Je me demandais quand est-ce que tu allais montrer le bout de ton nez, Scorpion ! », siffla le loup en bandant ses muscles d’acier sous sa fourrure épaisse, « Tu sais bien que c’est inutile, les dards du Scorpion n’ont aucun effet sur moi qui suis matrice d’un poison pire que le tien ! Tu ne m’auras pas avec ça ! Et ce n’est pas en t’affublant d’un misérable petit monstre que ça va changer quoi que ce soit ! », lança-t-il à l’adresse de Khaan qui le dévisageait avec une aversion non dissimulée.
L’aspirant au Sagittaire d’or s’était contenté d’assister aux précédents affrontements sans dire un mot, toute manifestation d’une quelconque forme de sentiment lui étant étrangère et finement travaillée pour ne plus paraître au grand jour.
Mais là, ce n’était pas le cas, et ce, contre toute attente.
VanRâh sourit soudainement, ses doigts s’allongeant cette fois-ci de manière démesurée, prenant l’allure de la mâchoire d’un piège se verrouillant sur sa proie, un piège à loups redoutable et noir.
« Qu’importe si le venin du Scorpion n’a que peu d’effets sur toi. », énonça-t-il en détachant chacun de ses mots, son cosmos prenant naissance autour de lui pour se faire aussi déformé que pouvait l’être celui de Kazuro, virant au rouge le plus sombre et n’ayant plus rien à voir avec celui qui le caractérisait d’ordinaire, étant sage et réservé, se faisant cette fois-ci dément et débridé, « Il me suffira de trouer ta peau assez de fois pour trouver le chemin de ton cœur. Rien de plus facile pour moi. Tu n’es pas le seul monstre ici. Sache que celui qui est scellé dans mon poing gauche est l’équivalent d’un dieu. Et en ce moment, il réclame ta tête. »